Page 217 - Dictionnaire de la Bible J.A. Bost 1849
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— «Ce poème, dit Ch. Nodier (Bibl. sacr.), est le modèle et le désespoir à la fois de tous ceux qui seraient
tentés de s'exercer dans le même genre, si de pareilles inspirations pouvaient jamais se reproduire.»
Saint Jérôme nous apprend que les Hébreux avaient interdit la lecture du Cantique aux hommes âgés de
moins de trente ans; ils craignaient les abus d'une interprétation particulière mal comprise; cependant
l'estime qu'ils avaient pour le Cantique était telle qu'ils en faisaient une lecture publique à la fête de
Pâques, et qu'ils le comprenaient, avec Ruth, Ester, l'Ecclésiaste et les Lamentations, dans le recueil
d'hagiographes appelé les cinq volumes, dénomination empruntée des cinq livres de Moïse. De même
que la synagogue, l'Église chrétienne a toujours reçu ce livre dans le Canon; Théodore de Mopsueste seul
dans l'antiquité, et quelques auteurs modernes d'une morale sévère, en ont nié la canonicité. Les raisons
qu'on allègue pour le faire rejeter, sont d'abord que le nom de Dieu ne s'y trouve pas, puis, que ce livre
n'est jamais cité par les auteurs sacrés du Nouveau Testament. À ce double égard nous répondrons que le
Cantique étant une allégorie, il n'était pas nécessaire, il eût même été singulier de nommer par son nom
celui qui était représenté sous la figure d'un époux aimable et aimant, dans tout le cours de ce petit
poème; et s'il est vrai que les écrivains du Nouveau Testament ne l'aient pas cité, il y a bien d'autres livres
aussi, qu'ils n'ont pas nommés expressément, et qui n'en sont pas moins reconnus comme inspirés; il y est
fait d'ailleurs plusieurs allusions qui, si elles ne sont pas directes, montrent au moins que l'allégorie du
Cantique a été reconnue et sanctionnée par le Sauveur et par ses apôtres; on peut voir Matthieu 9:15; 22:2;
25:1-11; Jean 3:29; 2 Corinthiens 11:2; Éphésiens 5:23,27; Apocalypse 19:7,9; 21:2,9; 22:17, et ailleurs, cf.
encore Ésaïe 5:1-7; 52:7.
Il est impossible qu'un homme irrégénéré puisse lire ce livre et en comprendre le sens spirituel; ceux-là
seuls peuvent le lire avec fruit qui disent de tout leur cœur de Jésus-Christ ce que l'épouse dit de son
fiancé: C'est ici mon bien-aimé; c'est ici mon ami, 5:16. Le Cantique est écrit de telle sorte qu'il offre une
espèce de sens à chacun: c'est comme une glace polie, comme une eau pure et transparente qui monte ou
descend, et qui reste toujours au niveau de l'œil qui la contemple; à celui dont le cœur est impur, elle
apparaît impure aussi: elle est basse pour celui qui est bas, elle s'élève à mesure que l'homme s'élève, et
celui qui a compris le Christ, son amour et son sacrifice, saura voir dans l'épouse une âme fidèle qui rend
amour pour amour, dévouement pour dévouement, et reconnaissance pour sacrifice.
Un beau commentaire dont je n'ai eu connaissance que dernièrement, et que les théologiens ne sauraient
dédaigner malgré sa forme, a paru à Halle, de 1845 à 1847, sous le titre: Das Hohelied. In Liedern, von G.
Jahn. Il est divisé en trois parties, répondant à trois manifestations de la grâce divine: l'œuvre dans la foi,
Cantique 1:1-2:7; le travail dans l'amour, 2:8-3:11; la conservation dans la grâce, 4:1-8:4. L'épilogue, le oui
de l'époux et l'amen de l'épouse, 8:5-14, répond au prologue qui dédie ces poésies à l'Allemagne
souffrante, comme la lumière véritable qui doit faire ressortir les ténèbres des lumières faussement ainsi
nommées. Ce volume renferme soixante-quatre délicieuses poésies, qui sont autant de développements
spirituels des versets qui en for ment le thème; il est difficile de préférer l'une à l'autre, et plus difficile
encore de les traduire en français. Voici, par exemple, et en réservant les imperfections de la traduction,
comment l'auteur paraphrase le verset 4 du chapitre 1er: «0 filles de Jérusalem, je suis brune, mais de
bonne grâce, comme les tentes de Kédar, comme les courtines de Salomon.» Ce morceau est intitulé
Selbstbeschauung, Contemplation, Examen de soi-même:
Du cabinet de mon roi,
Comme épouse de mon roi,
Je suis sortie Et me suis regardée,
Et me suis vue
Noir le visage, noires les mains.
C'est mon roi, mon soleil
Qui m'a ainsi brunie.
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