Page 53 - LES DEUX BABYLONES
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          soigneusement le sujet, on verra que le dieu qui détruit le serpent est représenté comme endurant des maux
          et des souffrances qui amènent sa mort. Ainsi le dieu Thor qui réussit enfin à détruire le grand serpent périt,
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          dit-on, au moment même de la victoire, d'un souffle venimeux de son haleine . C'est ainsi, paraît-il, que les
          Babyloniens représentaient leur grand destructeur du serpent parmi les statues de leur ancienne sphère. Sa
          mystérieuse  souffrance est  ainsi décrite par le poète Grec  Aratus, dont le langage montre que, lorsqu'il
          écrivait, on avait généralement perdu le sens de cette image, quoiqu'elle soit assez significative lorsqu'on la
          considère à la lumière de l'Écriture:

          "On voit une figure humaine minée par la fatigue; cependant on ne sait quel nom lui donner. On ignore quel
          travail  cette créature accomplit. Mais comme elle semble tomber sur ses genoux les mortels ignorants
          l'appellent Engonasis, et tandis que ses deux mains s'élèvent vers les cieux, la tête horrible d'un dragon s'agite
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          au-dessus d'elle, son pied droit semble demeurer immobile, fixé sur la crête brune du monstre qui se débat ."
          La constellation qui est ainsi représentée est ordinairement connue sous le nom de "celui qui s'agenouille",
          d'après la description du poète grec; mais il est évident que comme Engonasis venait de chez les Babyloniens,
          il faut l'interpréter non dans un sens Grec, mais dans un sens Chaldéen; ainsi interprété, comme l'implique
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          l'action  même du tableau, le nom du mystérieux martyr est "celui qui écrase le serpent ". Quelquefois,
          cependant, l'écrasement du serpent était représenté comme un acte beaucoup plus facile; la mort néanmoins
          en était le résultat ultérieur; et cette mort du destructeur du serpent est décrite de manière à ne laisser aucun
          doute sur l'origine de cette légende. C'est particulièrement le cas pour le dieu des Hindous, Crishna, dont parle
          Wilkinson dans l'extrait que nous avons déjà donné. La légende qui le concerne contient toute la promesse
          faite autrefois en Éden, et cela d'une manière frappante. Tout d'abord ce dieu est représenté sur des tableaux
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          et dans des statues, comme ayant le pied sur la tête du grand serpent , et ensuite lorsqu'il l'a détruit, il meurt,
          dit la fable, frappé au pied d'une flèche; et, de même que pour Tammuz, il y a chaque année de grandes
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          lamentations sur sa mort . Même en Grèce, dans l'histoire classique de Paris et d'Achille, nous avons une
          allusion évidente à cette partie de la promesse antique concernant l'écrasement du talon du vainqueur. Achille,
          fils unique d'une déesse, était invulnérable partout, excepté au talon. Mais là, la blessure était mortelle. Son
          ennemi le visa en cet endroit et le tua.

          Or, puisque nous avons la preuve que même les païens savaient que le Messie promis devait "par sa mort
          détruire la mort et celui qui a le pouvoir de la mort, c'est-à-dire le diable", combien l'impression de l'humanité
          en général, à l'égard de cette vérité capitale, doit avoir été puissante aux jours de Sémiramis, alors qu'on était
          si près de la source de toute la tradition divine! Quand donc le nom de Zoroastre, la semence de la femme,
          fut donné à celui qui périt au milieu d'une carrière prospère de culte idolâtre et d'apostasie, on ne peut douter
          du sens qui fut attaché à ce nom. La mort violente du héros qui dans l'estime de ses partisans avait tant fait
          pour l'humanité, afin de rendre l'homme heureux et de le délivrer de la crainte de la colère à venir, au lieu
          d'empêcher qu'on ne lui décernât ce titre, contribua à ce projet audacieux. Tout ce qu'il fallait pour appuyer
          ce dessein de la part de ceux qui voulaient une excuse pour se détourner du vrai Dieu et embrasser l'apostasie,
          c'était précisément d'annoncer que le grand patron de l'apostasie, tout en ayant succombé sous la malice des
          hommes, s'était offert volontairement pour le bien de l'humanité. Or c'est ce qui arriva. D'après la version
          Chaldéenne de l'histoire du grand Zoroastre, celui-ci supplia le Dieu suprême du ciel de lui prendre sa vie;
          sa prière fut exaucée, et il expira en assurant à ses disciples que s'ils vénéraient convenablement sa mémoire,
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          l'empire ne sortirait jamais de la main des Babyloniens . Ce que dit Berosus, l'historien de Babylone, sur la
          décapitation du grand dieu Belus, tend à là même conclusion. Belus, nous dit Berosus, ordonna à l'un des
          dieux de lui couper la tête, afin qu'avec le sang qui se répandrait ainsi par son ordre et avec son consentement




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                              MALLET, Antiquités du Nord, Fab. IL p. 453.
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                              LANSEER, Recherches Sabéiennes, p. 132, 134.
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                              De E, la, nko écraser, et nahash, serpent "E-nko-nahash". Le nom arabe de la constellation, "celui qui
                              s'agenouille", est Al-Gethi, soit aussi "celui qui écrase".
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                              COLEMAN, Mythologie Indienne, fig. 12, p. 31. Voir p. 93.
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                              POCOCKE, L'Inde en Grèce, p. 300.
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                              SUIDAS, tome I, p. 1133-1134.
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