Page 183 - LES DEUX BABYLONES
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                                          Article 2 - La bête qui sort de la mer


            L'autre grand ennemi indiqué dans notre notice est la bête qui sort de la mer: "Je me tenais, dit Jean, sur
          le sable du bord de la mer, et je vis une bête monter de la mer." (Apocalypse XIII, 1). Les sept têtes et les sept
          cornes de cette bête comme celles du grand dragon, montrent que cette puissance est essentiellement la même
          bête, mais qu'elle a subi un grand changement. Dans le même système de l'ancienne Babylone, après le culte
          du dieu du feu, vint bientôt le culte du dieu de l'eau ou de la mer. Comme le monde courait autrefois le danger
          d'être brûlé, il courait maintenant le danger d'être englouti. Dans l'histoire du Mexique il en fut ainsi, dit-on.
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          Tout d'abord, le monde fut détruit par le feu, puis il fut détruit par l'eau . La mythologie druidique nous offre
          le même récit: les Bardes affirment, en effet, que la terrible tempête de feu qui déchira la terre, fut rapidement
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          suivie par le débordement du lac Lion; les eaux de l'abîme se répandirent et inondèrent le monde entier . En
          Grèce, nous trouvons la même histoire: Diodore de Sicile nous apprend que dans l'antiquité, un monstre
          appelé  Oegide, qui vomissait des flammes, apparut en Phrygie; de là, il vint jusqu'au mont Taurus, et
          l'embrasement se répandit dans toutes les forêts jusque dans l'Inde; puis revenant en arrière il dévora les forêts
          du Liban, et s'étendit jusque dans l'Égypte et l'Afrique; enfin il fut arrêté par Minerve. Les Phrygiens se
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          rappelaient bien cet incendie et le deluge qui lui succéda . Ovide, lui aussi, fait une allusion bien claire à ce
          même fait, c'est-à-dire au culte de l'eau succédant bientôt à celui du feu, dans sa fable sur lamétamorphose
          de Cycnus.


          Il nous montre le roi Cycnus, ami intime de Phaéton et par conséquent adorateur du feu, haïssant le feu après
          la mort de son ami, et s'attachant à l'élément opposé, celui de l'eau, par suite d'un sentiment de crainte; aussi
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          fut-il métamorphosé en cygne . Le grand déluge qui occupe une place si extraordinaire dans la mythologie
          de l'Inde, avait évidemment un sens symbolique, bien que l'histoire de Noé y fût mêlée; ce fut, en effet,
          pendant le déluge, que les Védas ou livres sacrés après avoir été perdus, "furent retrouvés par le moyen du
          grand dieu, sous la forme d'un poisson". Les Védas se sont évidemment perdus au moment même du terrible
          désastre des dieux; alors que, suivant les Purans, un grand ennemi de ces dieux, appelé Durgu, abolit toutes
          les cérémonies religieuses: les Brahmines, poussés par la crainte, abandonnèrent la lecture du Véda, le feu
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          perdit sa vertu et les étoiles terrifiées disparurent ; en d'autres termes, ce fut lorsque l'idolâtrie, le culte du feu
          et le culte de l'armée du ciel furent supprimés. Si nous revenons à Babylone, nous trouvons les mêmes récits.
          Berose nous dit que le déluge survint après l'époque d'Alasrus, le dieu du feu, c'est-à-dire Nemrod, ce qui
          montre bien que, là aussi, le déluge y était symbolique. Or, Dagon, le dieu-poisson ou le dieu de la mer, sortit
          de ce déluge. L'origine du culte de Dagon, comme nous le montre Berose, reposait sur une légende: à une
          époque fort reculée, disait-on, une bête appelée Oannes sortit de la Mer Rouge ou du Golfe Persique. Cette
          bête,  moitié homme, moitié poisson, civilisa les  Babyloniens, leur apprit les arts et les sciences, et leur
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          enseigna la politique et la religion .




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                              HUMBOLDT, Recherches, vol. II, p. 21-23.
                       2      DAVIES, Les Druides, note p. 555, comparée avec p. 142.
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                              DIODORE, liv. III, ch. 4, p. 142.
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                                                         ...Ille relicto
                                             Imperio, ripas virides, amnemque querelis
                                           Eridanum implerat, silvamque sororibus auctam,
                                                   ...nec se coeloque Jovique
                                             Credit, ut injuste missi memor ignis ab illo,
                                           Stagna petit, patulosque lacus; ignemque perosus,
                                            Quae colat, elegit contraria flumina flammis.

                                Métam., liv. II, v. 369-380, vol. III, p. 88-89. "colat" signifie adorer ou habiter.
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                              COLEMAN, Mythologie Hindoue, p. 89.
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                              BEROSUS, liv. I, p. 48.
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