Page 188 - LES DEUX BABYLONES
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          dépendaient en entier du plaisir royal ." La papauté surmonta enfin les effets du tremblement de terre, et les
          royaumes d'Occident furent entraînés dans ce fleuve d'erreur qui sortit de la gueule du dragon. Mais la chute
          du pouvoir impérial, qui développait si ardemment le despotisme spirituel de Rome, donna à la véritable
          église d'Occident une longue période de liberté relative qu'elle n'aurait point obtenue sans cela. Sans les Goths
          et les Vandales sans les convulsions politiques qui accompagnèrent leur invasion, les époques ténébreuses
          seraient venues plus tôt, et les ténèbres auraient été plus épaisses.

          Ces peuplades furent suscitées pour punir une communion apostate, mais non pour persécuter les Saints du
          Très  Haut, bien que ceux-ci puissent avoir souffert parfois dans la détresse commune. La main de la
          Providence peut se voir aisément dans ce fait, qu'à un moment si critique la terre ouvrit sa bouche pour
          secourir la femme. Mais revenons-en à la période mémorable où le titre pontifical fut décerné à l'évêque de
          Rome. Les circonstances dans lesquelles ce titre païen fut donné au pape Damasus étaient de telle nature
          qu'elles n'auraient pas été une légère épreuve pour la foi et pour l'intégrité d'un homme plus fidèle que lui. Le
          paganisme était légalement aboli dans l'empire d'Occident, et cependant il existait encore dans la ville aux
          sept collines, à ce point que Jérôme, écrivant de Rome à cette même époque, l'appelle le cloaque de toutes
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          les superstitions . Aussi, tandis que partout dans l'empire l'édit impérial sur l'abolition du paganisme était
          respecté, dans Rome même, il était dans une large mesure, comme une lettre morte. Symmaque, préfet de la
          ville,  et les familles patriciennes les plus distinguées, étaient, aussi bien  que la masse du peuple,
          fanatiquement dévouées à l'ancienne religion; aussi l'Empereur reconnut qu'en dépit de la loi, il fallait tolérer
          l'idolâtrie des Romains.


          Le lecteur pourra juger par les lignes suivantes de Gibbon, à quel point le paganisme était encore enraciné
          dans la cité impériale, même lorsque le feu de Vesta se fut éteint et qu'on eut retiré aux Vestales l'appui de
          l'État: "La statue et l'autel de la Victoire furent retirés de l'édifice du Sénat; mais l'Empereur respecta les
          statues des dieux exposées à la vue du public; quatre cent vingt-quatre temples ou chapelles furent encore
          laissés pour satisfaire la dévotion du peuple, et dans chaque quartier de Rome la délicatesse des chrétiens était
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          offensée par la fumée des sacrifices offerts aux idoles ." – Telle était la puissance du paganisme à Rome,
          même alors que le patronage de l'état lui était retiré, vers l'année 376. Mais transportez-vous seulement à
          cinquante ans plus tard, et voyez ce qu'il est devenu. Le nom du paganisme a presque entièrement disparu;
          à ce point que le jeune Théodose, dans un édit rendu en l'an 423, s'exprime en ces termes: "Les païens qui
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          existent encore, bien que nous croyons qu'il n'y en ait plus un seul aujourd'hui ." – Les paroles de Gibbon
          sur ce sujet sont bien remarquables. Tout en admettant entièrement que malgré les lois impériales contre le
          paganisme, aucune "condition spéciale" n'était imposée aux sectaires qui recevaient avec confiance les fables
          d'Ovide, et repoussaient avec obstination les miracles de l'Évangile, il témoigne sa surprise de la rapidité avec
          laquelle les Romains passèrent du paganisme au christianisme. La ruine du paganisme, dit-il (et il donne pour
          date, de 378, année où l'évêque de Rome fut fait pontife, à 395), la ruine du paganisme à l'époque de Théodose
          est peut-être le seul exemple de l'extirpation d'une superstition ancienne et populaire; et on peut dès lors le
          considérer  comme un événement extraordinaire  de l'histoire de  l'esprit humain.  Après avoir parlé de la
          conversion  rapide du Sénat, il ajoute: "L'exemple édifiant de la famille Anicienne (en embrassant le
          christianisme), fut bientôt suivi par le reste de la noblesse. Les citoyens qui vivaient de leur industrie, et la
          populace qui subsistait au moyen des libéralités publiques, remplissaient les églises de Latran et du Vatican
          d'une foule incessante de dévots prosélytes. Les décrets du Sénat qui proscrivaient le culte des idoles étaient
          ratifiés par le consentement général des Romains; la splendeur du Capitole fut effacée et les temples déserts
          abandonnés à la ruine et au mépris; Rome se soumit au joug de l'Évangile... La génération qui apparut dans
          le monde après la promulgation des lois impériales, fut élevée dans le sein de l'Église Catholique, et la chute




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                              GIESELER, vol. II; 2e période, div. II, c. 6, Nations de la Germanie, p. 157.
                       24     Comment, in Epist. ad Galat.,IV, 3, tome III, p. 138, c. I.
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                              Déclin et chute, ch. XXVII, vol. V, p. 87.
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                              Codex Theodosianus, XVI, 10, 22, p. 1625.
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