Page 177 - LES DEUX BABYLONES
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          Les vers où Milton raconte la même chute, bien qu'il lui donne une application différente, décrivent plus
          majestueusernent encore la grandeur de la catastrophe:



                                      Dans la terre d'Ausonie, on l'appelle Mulciber;
                                    La fable raconte comment il fut jeté du haut du ciel
                      Renversé par Jupiter en courroux, il fut lancé au-dessus des créneaux de cristal.
                                   Du matin jusqu'au midi, il roula, du midi jusqu'au soir
                               D'un jour d'été, et avec le soleil couchant il s'abattit du zénith
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                               Comme une étoile tombante, dans l'île de Lemnos, en Égée .

          Ces passages montrent d'une manière frappante la chute terrible de Molk-Gheber ou Nemrod, le roi puissant,
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          lorsque soudain, il fut jeté de la hauteur de sa puissance et perdit à la fois son royaume et sa vie . Or, il y a
          une allusion évidente à cette chute dans l'apostrophe du prophète Ésaïe au roi de Babylone: "Comment es-tu
          tombé des cieux, ô Lucifer, fils de l'aurore?" (Ésaïe XIV, 12). Le roi Babylonien prétendait être le représentant
          de Nemrod ou de Phaéton; et le prophète dans ces paroles l'avertit qu'il serait précipité de sa haute élévation
          aussi sûrement que le dieu dont il se réclamait. D'après l'histoire classique, Phaéton fut, dit-on, consumé par
          la  foudre et, comme nous le verrons, Esculape  mourut aussi de la  même manière, mais la foudre est
          simplement une métaphore qui signifie la colère de Dieu, par suite de laquelle il perdit à la fois sa vie et son
          royaume. Si on examine l'histoire et si on écarte la figure, on voit, comme nous l'avons déjà montré, qu'il fut
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          frappé par l'épée .

          Tel est le langage de la prophétie, et il correspond exactement au caractère, aux actions, au sort de l'ancien
          type. Comment s'accorde-t-il avec le système analogue? Le pouvoir de la Rome impériale païenne, ce pouvoir
          qui le premier persécuta l'Église de Christ, qui plaça ses soldats autour de la tombe du Fils de Dieu lui-même
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          pour le dévorer, si cela avait été possible, lorsqu'il ressusciterait comme premier né d'entre les morts  pour


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                              Le Paradis perdu, liv. III, v. 738-745.
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                              Les poètes grecs parlent de deux chutes de Vulcain. Dans l'une il fut précipité par Jupiter, à cause de sa
                              rébellion, dans la seconde par Junon, surtout à cause de sa difformité, c'est-à-dire de sa laideur
                              (HOMÈRE, Hymne à Apollon, v. 316-318). Comme cela s'accorde exactement avec l'histoire de
                              Nemrod! Tout d'abord il fut personnellement précipité par l'autorité divine, puis renversé en effigie par
                              Junon, quand sa statue fut retirée des bras de la reine des cieux, pour un plus bel enfant (p. 107).
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                              p. 95-100. Orphée, ordinairement représenté comme mis en pièces, dit la fable fut tué par un éclair
                              (PAUSANIAS, Boeotica, ch. XXX, p. 768). Quand Zoroastre mourut, il périt foudroyé par un éclair
                              (SUIDAS, vol. I, p. 1133-1134). Aussi était-il représenté comme chargeant ses compatriotes de garder
                              non son corps, mais ses cendres. La mort par suite de la foudre est évidemment une simple figure.
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                              Je pense que bien peu de lecteurs adopteront l'opinion de M. Elliott: l'homme enfant était Constantin-le-
                              Grand, et le jour où le christianisme s'assit en sa personne sur le trône de la Rome impériale, ce fut pour
                              que l'enfant mis au monde avec douleur par la femme, fût élevé à Dieu et à son trône. Quand Constantin
                              monta sur le trône, l'Église "fut un peu secourue" (Daniel, XI, 34) mais son christianisme était douteux,
                              puisque les païens n'y voyaient rien s'opposant à ce qu'il fut déifié à sa mort (EUTROPIUS, X, p. 131-
                              133). Mais eût-il été meilleur, la description de l'enfant de la femme est beaucoup trop glorieuse pour lui
                              ou tout autre empereur chrétien. L'homme enfant né pour gouverner les nations avec un sceptre de fer est
                              incontestablement Christ (Psaumes II, 9; Apocalypse XIX, 15). Les vrais croyants partagent cet honneur
                              (Apocalypse II, 19). Mais cette prérogative n'appartient proprement qu'à Christ, en relation directe à sa
                              naissance. Quand Christ naquit à Bethléem, Hérode s'efforça de le faire périr non par respect pour César
                              mais par crainte du danger de sa propre dignité comme roi de Judée: "En l'apprenant, Auguste dit qu'il
                              valait mieux être le porc d'Hérode que son enfant" (MACROBE, Saturnalia, liv. II, ch. IV, p. 77. B).
                              Ainsi, même si la tentative sanglante d'Hérode était symbolisée par le dragon romain, où voit-on que
                              l'enfant, pour y échapper, "fut élevé jusqu'à Dieu et à son trône"? De plus, le Seigneur Jésus naquit à
                              Bethléem uniquement comme "roi des Juifs". Quand il meurt l'inscription sur sa croix indique: "Voici le
                              roi des Juifs" (Matthieu XXVII, 37; Luc XXIII, 38; Marc XV, 26; Jean XIX, 19). Et Paul nous dit qu'il
                              était le ministre de la circoncision pour la vérité de Dieu (Romains XV, 8). Notre Seigneur déclare: "Je
                              ne suis envoyé, dit-il à la femme Syrophénicienne, que pour sauver les brebis d'Israël qui sont
                              dispersées" (Matthieu XV, 24) et en envoyant les disciples, voici leur mission: "N'allez pas chez les
                              Gentils, et n'entrez dans aucune des villes des Samaritains." (Matthieu X, 5) Une fois déclaré fils de Dieu
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