Page 175 - LES DEUX BABYLONES
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          patriarche célèbre par son intégrité ", c'est-à-dire évidemment avec Sem, le chef des fidèles qui conservèrent
          leur intégrité alors que tant d'autres "firent naufrage quant à la foi et à la bonne conscience". Ces histoires se
          rattachent toutes à la même époque et montrent la puissance de cette forme de l'apostasie. Le purgatoire de
          la papauté et les feux de la veille de la Saint-Jean, que nous avons déjà examinés, et bien d'autres pratiques
          qui se font encore de nos jours, sont autant de restes de la même superstition. Il faut cependant remarquer que
          le grand dragon rouge, ou le grand serpent de feu, est représenté comme se tenant devant la femme à la
          couronne de douze étoiles, c'est-à-dire, l'Église de Dieu, "pour dévorer son enfant aussitôt qu'il naîtra". Or,
          ceci s'accorde exactement avec le caractère du grand chef du système du culte du feu. Nemrod, représentant
          du feu dévorant auquel on offrait en sacrifice des victimes humaines et principalement des enfants, était
          regardé comme le grand mangeur d'enfants. Bien qu'à sa première déification il fût mis à la place de Minus,
          ou l'enfant, il fut naturellement le père de tous les dieux Babyloniens, puisque c'est lui qui fut le premier
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          déifié; et cependant c'est sous cet aspect qu'il fut généralement considéré dans la suite . Comme père des
          dieux,  il fut appelé Chronos, nous l'avons déjà vu, et chacun connaît l'histoire classique de  Chronos; il
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          dévorait ses enfants immédiatement après leur naissance . Voilà l'analogie qui existe entre le type et la réalité.

          Cette légende a un sens plus grand et plus profond encore; mais appliquée à Nemrod ou à celui qui a une
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          corne , elle rappelle ce fait que, représentant de Moloch ou Baal, il aimait par-dessus tout qu'on lui offrit des
          enfants en sacrifice sur son autel. L'antiquité nous fournit beaucoup de preuves de cette triste coutume: "Les
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          Phéniciens, dit Eusèbe, sacrifiaient chaque année leurs fils uniques et bien-aimés à Chronos ou Saturne ."
          Les Rhodiens aussi pratiquaient souvent la même coutume. Diodore de Sicile déclare que les Carthaginois,
          dans une circonstance où ils étaient assiégés et à toute extrémité, "à fin de réparer, pensaient-ils, l'erreur qu'ils
          avaient commise en abandonnant l'ancienne coutume de Carthage, choisirent aussitôt deux cents enfants
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          parmi les familles les plus nobles, et les sacrifièrent publiquement à ce dieu ". Nous avons des raisons de
          croire que la même coutume s'établit dans la Grande-Bretagne à l'époque des Druides. Nous savons qu'ils
          offraient des sacrifices humains à leurs dieux sanguinaires. Nous avons des preuves qu'ils faisaient passer
          leurs enfants par le feu de Moloch, et cela fait fortement présumer qu'ils les offraient aussi en sacrifice, car,
          d'après Jérémie XXXII, 35, comparé avec Jérémie XIX, 5, nous voyons que ces deux choses faisaient partie
          du même système. Le dieu adoré par les Druides était Baal, comme le montrent les feux éclatants de Baal,
          et le dernier passage cité montre qu'on offrait des enfants en sacrifice à Baal. Quand on offrait ainsi "le fruit
          du corps", c'était "pour le Péché de l'âme". C'était un principe de la loi mosaïque, un principe dérivé sans
          doute de la foi patriarcale, que le prêtre doit prendre sa part de tout ce qui est offert en sacrifice pour le péché
          (Nombre XVIII, 9-10). Aussi, les prêtres de Nemrod ou de Baal devaient manger des sacrifices humains; c'est
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          ainsi que Cahna-Bal , le prêtre de Baal, est le mot consacré en anglais pour désiger celui qui mange la chair
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          humaine .


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                              DAVIES, Les Druides, p. 226.
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                              Phaéton, bien qu'enfant du Soleil est aussi appelé le Père des dieux (LACTANCE De falsa Religione,
                              liv. I, ch. 5, p. 10). En Égypte aussi, Vulcain était le père des dieux (AMMIANUS MARCELLINUS, liv.
                              XVII, ch. IV, p. 163).
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                              LEMPRIERE, Saturne.
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                              Voir fig. 10, p. 53.
                       36     EUSÈBE, De laud. Constantini, ch. XIII, p. 267. A. C.
                       37     DIODORUS, liv. XX, p. 739-740.
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                              Le mot Cahna, le prêtre, est la forme emphatique de Cahn, un prêtre.
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                              L'historien Castor (traduction arménienne d'EUSÈBE, P. I, p. 31) nous apprend que ce fut sous Bel ou
                              Belus, c'est-à-dire Baal, que les Cyclopes rêvaient; et les choliaste d'Eschyle (note 3, p. 51), dit que ces
                              Cyclopes étaient les frères de Kronos, qui était aussi Bel ou Bal. L'oeil au front montre que leur nom
                              était primitivement celui du grand dieu; car cet oeil dans l'Inde et la Grèce est le trait caractéristique de la
                              divinité suprême. Les Cyclopes avaient donc été des représentants de ce dieu, en d'autres termes, des
                              prêtres et prêtresses de Baal ou Bel Or, les Cyclopes étaient bien connus comme cannibales: referre ritus
                              cyclopum, c'est-à-dire faire revivre la coutume de manger de la chair humaine (OVIDE, Métam., XV,
                              93, vol. Il, p. 132).
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