Page 134 - LES DEUX BABYLONES
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                                             Article 2 - Le culte des reliques



            Rien ne caractérise Rome comme le culte des reliques. Partout où l'on ouvre une chapelle, partout où l'on
          consacre une église, il manque quelque chose s'il n'y a pas la relique d'un saint ou d'une sainte pour sanctifier
          ce lieu. Les reliques des saints et les os pourris des martyrs forment une grande partie de la richesse de
          l'Église. C'est à cause de ces reliques qu'on a pratiqué les plus grossières impostures; les histoires les plus
          absurdes ont été racontées sur leur pouvoir merveilleux, et cela par des Pères qui ont un nom fameux dans
          les annales de la chrétienté. Augustin lui-même, avec sa perspicacité philosophique, avec son zèle contre
          certaines formes de la fausse doctrine, était profondément imbu de cet esprit mesquin qui conduisit au culte
          des reliques. Qu'on lise les balivernes qui terminent la fameuse Cité de Dieu et l'on ne sera plus étonné que
          l'Église Romaine ait fait de lui un saint et l'ait proposé au culte de ses dévots. Prenez seulement un spécimen
          ou deux des histoires par lesquelles il soutient les absurdités qui étaient en faveur de son temps: "Quand
          l'évêque Projectius apporta les reliques de Saint-Étienne dans la ville appelée Aquaes Tibultinoe, la foule vint
          en grand nombre pour les honorer. Il se trouvait là une femme aveugle qui supplia la foule de l'amener à
          l'évêque, possesseur des saintes reliques. On le fit, et l'évêque lui donna des fleurs qu'il tenait à la main. Elle
          les prit, les porta à ses yeux, et aussitôt elle recouvra la vue, si bien qu'elle passa rapidement devant tous,
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          n'ayant plus besoin d'être conduite ." À l'époque d'Augustin, le culte formel des reliques n'était pas encore
          établi, mais on invoquait déjà, par des prières et des supplications, les martyrs auxquels ils étaient censés avoir
          appartenu, et cela avec la haute approbation de l'évêque d'Hippone, ainsi que le prouve surabondamment
          l'histoire suivante: "Ici, à Hippone, dit-il, il y avait un vieillard pauvre et saint, nommé Florentius, qui par son
          métier de tailleur se suffisait à peine. Un jour il perdit son manteau, et ne pouvant en acheter un autre pour
          le remplacer, il se rendit à la chapelle des Vingt martyrs, qui était dans la ville, et se mit à les prier, les
          conjurant de lui fournir les moyens de se vêtir. Une bande de mauvais sujets qui l'entendit, le suivit à son
          départ, se moquant de lui et lui disant: « Avez-vous demandé aux martyrs de l'argent pour vous acheter un
          manteau? » Le pauvre homme se rendit tranquillement chez lui et comme il passait près de la mer, il vit un
          gros  poisson que la mer venait de jeter sur le sable, et qui respirai: encore. Les personnes présentes lui
          permirent de prendre ce poisson, qu'il apporta à un certain Catosus, cuisinier, bon chrétien, qui le lui acheta
          pour 300 deniers. Avec cette somme, il pensait acheter de la laine que sa femme pourrait filer, afin de lui faire
          un vêtement. Quand le cuisinier découpa le poisson, il trouva dans son ventre un anneau d'or, qu'il crut devoir
          donner au pauvre homme qui lui avait vendu le poisson. C'est ce qu'il fit, en lui disant: « Voilà comment les
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          vingt martyrs t'ont revêtu ! »" C'est ainsi que le grand Augustin inculquait le culte des morts et l'adoration de
          leurs reliques capables d'après lui, d'opérer des prodiges! Les petits drôles qui s'étaient moqués de la prière
          du tailleur semblent avoir eu plus de sens que le "saint vieillard" et que l'évêque.


          Or, si des hommes qui professaient le christianisme préparaient ainsi, au Ve siècle, la voie au culte de toute
          espèce de haillons et d'ossements corrompus, le même culte avait fleuri dans les contrées païennes longtemps
          avant  que les saints ou les martyrs chrétiens ne fussent apparus sur  la terre. En Grèce, les croyances
          superstitieuses aux reliques, et surtout aux ossements des héros déifiés, formaient une partie importante de
          l'idolâtrie  populaire. Les oeuvres de Pausanias, le savant antiquaire grec, sont pleines d'allusions  à cette
          superstition. Ainsi, nous apprenons que l'omoplate de Pélops, après avoir traversé plusieurs péripéties, fut
          désignée par l'oracle de Delphes comme ayant seule la puissance de délivrer les Eléens d'une peste qui les
          décimait. Cet os fut confié, comme une relique sacrée, à la garde de l'homme qui l'avait retiré de la mer et à
          sa  postérité après  lui. Les os du Troyen Hector étaient conservés à Thèbes comme  un dépôt sacré. Les




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                              De CivitateDei, liv. XXII, vol. IX, ch. 8, p. 875. B. C.
                       2      De Civitate Dei, liv. XXII, vol. IX, ch. 8, p. 874-875. Cette histoire du poisson et de l'anneau est une
                              vieille histoire Égyptienne (WILKINSON, vol. I, p. 186-187) Catosus, le bon chrétien, était évidemment
                              un suppôt des prêtres, qui pouvaient se permettre de lui donner un anneau pour le mettre dans le ventre
                              du poisson. Le miracle devait amener des adorateurs à la chapelle des Vingt Martyrs, et ainsi procurer de
                              la mouture à leur moulin, et les dédommager largement.
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