Page 131 - LES DEUX BABYLONES
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         religieuses, avec le concert des bannières flottantes et les sons perçants de la musique, tout cela est bien
         propre, si l'on n'y regarde pas de trop près, à amuser l'esprit mondain, à satisfaire l'amour du pittoresque, et
          quand les émotions qu'on a ainsi provoquées sont rehaussées par les mots de piété et de religion, à servir les
          projets de despotisme spirituel. Aussi la papauté a-t-elle toujours largement usé de ces spectacles. Aux jours
         de  joie  elle a cherché à consacrer au service de ses idoles l'allégresse et l'excitation produite par ces
         processions, et aux jours de douleur elle a usé du même moyen pour faire pousser aux foules qui se pressent
         à ces processions les gémissements les plus profonds, comme si le bruit de ces sanglots devait détourner la
         colère d'un Dieu justement irrité. Grégoire surnommé le Grand, semble avoir été le premier à introduire dans
          l'église romaine, sur une large échelle, ces processions religieuses. En 590, alors que Rome souffrait de la
          peste sous la main sévère de Dieu, il exhorta le peuple à s'unir publiquement en prières: au point du jour on
          devait  se rassembler en sept groupes différents suivant l'âge, le sexe, les stations, et marcher en sept
          processions différentes, tout en récitant des litanies ou des prières jusqu'à ce que tous se fussent réunis dans
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          un même lieu . C'est ce qu'ils firent; ils se mirent à chanter et à répéter ces paroles: "Seigneur, ayez pitié de
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          nous!" portant avec eux, comme le raconte Baronius, une statue de la Vierge .
          L'idée même de ces processions était une injure à la Majesté du ciel; elle impliquait que ce Dieu qui est un
          Esprit, voyait avec les yeux de la chair et pouvait être touché par cet imposant et pittoresque spectacle, comme
          le seraient des mortels. Comme expérience, cette tentative n'eut que peu de succès. Dans l'espace d'une heure,
          tandis que les choses marchaient ainsi, quatre-vingts personnes tombèrent a terre, et rendirent le dernier
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          soupir . Et cependant aujourd'hui encore, les Bretons estiment que c'est là le meilleur moyen de détourner la
          colère de Dieu dans un temps de détresse nationale. "Si cette calamité, dit le Dr. Wiseman, parlant de nos
          désastres dans l'Inde, avait frappé nos ancêtres dans les jours du catholicisme, on aurait vu les rues de Londres
          encombrées dans toutes les directions de processions de pénitents criant comme David lorsque la peste avait
          frappé  son peuple." (I Chroniques  XXI, 14-17). Si cette allusion à David est fondée, si elle a quelque
          signification, elle doit vouloir dire que David, au moment de la peste, était à la tête d'une procession de
          pénitents. Mais le Dr. Wiseman doit, ou devrait savoir que David ne fit rien de semblable; que sa repentance
          ne  s'exprimait point par des processions, encore moins par des processions d'idoles, comme aux jours
          catholiques de nos ancêtres auxquels on nous invite à revenir. Cette allusion à David est donc un simple
          mensonge destiné à égarer ceux qui ne lisent pas la Bible, comme si de pareilles processions pouvaient être
          fondées  sur quelque passage de l'Écriture. Le Times, commentant cette recommandation du chef de la
          papauté, lui a enfoncé, comme on dit, le clou sur la tête. "L'idée historique, dit ce journal, est assez simple,
          et aussi ancienne qu'elle peut l'être." Nous la trouvons dans Homère, à propos de la procession d'Hécube et
          des matrones de Troie au sanctuaire de Minerve, dans l'Acropole de cette ville. C'était pour Troie un moment
          de terreur et de détresse; Diomède chassait tout devant lui avec une force irrésistible, et la ruine de la fière
          cité paraissait imminente. Pour éviter cette destinée en apparence inévitable, la reine de Troie reçut du ciel
          l'ordre  de "conduire un cortège des principales matrones au temple de Minerve...  Elle sort du  palais,
          accompagnée de nombreuses et vénérables Troyennes. Elles arrivent au temple de Minerve sur le sommet de
          la citadelle: la belle Théano, fille de Cissé, épouse d'Anténor, leur ouvre les portes, car les Troyens l'ont
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          nommée prêtresse de la déesse. Toutes les femmes, jetant des cris de détresse, lèvent les mains vers Minerve ."
          Voilà un précédent des processions de pénitence de l'idolâtrie qui va droit au but que nous nous proposons:
          on en chercherait vainement une semblable dans l'histoire de David, ou d'un des saints de l'Ancien Testament.
          Les processions religieuses et surtout les processions avec des statues, ayant un caractère triste ou joyeux, sont
          entièrement païennes. La Parole de Dieu nous fournit deux exemples où les processions sont faites avec la
          sanction divine; mais si l'on compare l'objet de ces deux processions avec l'objet avoué et le caractère des





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                              C'est là l'origine de ce qu'on appelle Litania septemplex ou Litanie septuple.
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                              BARONIUS, Annales, 590, tome VIII, p. 6-7.
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                              BARONIUS, Annales, 590, tome VIII, p. 7.
                       8      Iliade, liv. VI, v. 296.
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