Page 127 - LES DEUX BABYLONES
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                                  Article 5 - Le Purgatoire et les prières pour les morts



            Cependant l'extrême-onction n'était, après tout, qu'une misérable ressource pour une âme angoissée en
          présence de la mort. Rien d'étonnant, dès lors, que ceux qui avaient reçu des prêtres tout ce que l'orgueil de
          ces derniers consentait à leur accorder, éprouvassent le besoin de quelque chose de meilleur pour les rassurer
          dans  l'attente de l'éternité. Aussi dans tous  les  systèmes, excepté dans celui de la Bible, la doctrine d'un
          purgatoire après la mort, et les prières pour les morts, ont-elles toujours occupé une place. Allez où vous
          voudrez, dans les temps anciens comme dans les temps modernes, vous trouverez que le paganisme laisse de
          l'espoir après la mort, aux pécheurs qui, au moment de leur départ, ne se sentaient pas prêts pour les demeures
          des élus.

          On a donc imaginé un état intermédiaire dans lequel, au moyen de peines expiatoires, on expierait dans un
          monde futur les péchés qui n'auraient pas été remis à temps sur la terre, et l'âme serait ainsi préparée pour la
          béatitude finale. En Grèce, la doctrine d'un purgatoire était enseignée par le chef lui-même des philosophes.
          Ainsi Platon, parlant du futur jugement des morts, croit à une délivrance finale, mais il affirme que parmi ceux
          qui sont jugés, les uns doivent aller d'abord dans un lieu souterrain, où ils recevront le châtiment qu'ils ont
          mérité, tandis que les autres, après un jugement favorable, étant élevés aussitôt dans un certain lieu céleste,
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          passeront leur temps d'une manière appropriée à la vie qu'ils ont menée sous une forme humaine . Dans la
          Rome païenne, le purgatoire était aussi enseigné aux païens; mais il semble que là il n'y eût aucun espoir
          d'échapper à aucune de ses peines.

          Voici comment Virgile s'exprime, dans sa description de ces diverses tortures: "Enfermées dans les ténèbres
          de leur obscure prison, les âmes ne regardent plus les cieux; et même lorsqu'au dernier jour la vie s'est retirée,
          les malheureux ne peuvent se dégager entièrement des maux et des souillures du corps; car dans cette longue
          union avec la matière, les vices en s'invétérant, ont laissé des traces presque ineffaçables: elles subissent donc
          des châtiments, et expient dans les supplices leurs anciennes fautes; les unes, suspendues dans les airs, sont
          le jouet des vents, les autres lavent dans un vaste gouffre les taches infectes de leurs crimes, ou s'épurent par
          le feu. Chacun de nous est soumis au châtiment réservé à ses mânes. Ensuite nous sommes envoyés dans le
          vaste Élysée dont les riantes campagnes n'ont que peu d'habitants; là ils sont heureux, et après la succession
          des âges, après mille années révolues, le temps efface les souillures des âmes et ne leur laisse que les simples
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          éléments du feu et la pure essence éthérée ."
          En Égypte on enseignait la même doctrine du purgatoire. Mais dès qu'elle eut une fois pénétré dans l'esprit
          populaire, la porte fut ouverte à toute espèce d'extorsions sacerdotales. Les prières pour les morts ont toujours
          marché de pair avec le purgatoire; mais aucune prière ne peut être entièrement efficace sans l'intervention des
          prêtres; et aucune fonction du prêtre ne peut être accomplie sans un salaire spécial. Aussi voyons-nous dans
          tous les pays le clergé païen dévorer les maisons des veuves, et faire trafic des sentiments affectueux des
          parents désolés, dont la grande préoccupation est le bonheur éternel de leurs morts bien-aimés. De tous les
          côtés s'élève un témoignage unanime sur le caractère odieux et les dépenses de ces dévotions posthumes. Une
          de ces oppressions sous lesquelles gémissent les malheureux catholiques de l'Irlande, ce sont les dévotions
          périodiques spéciales, pour lesquelles ils sont tenus de payer lorsque la mort a enlevé un des habitants de leur
          maison. Non seulement il y a des services funèbres et des frais de funérailles pour le repos de celui qui est
          parti, au moment de l'ensevelissement, mais le prêtre visite plusieurs fois la famille dans le même but, ce qui
          amène des dépenses énormes. Ces dépenses commencent avec ce qu'on appelle "l'esprit du mois", c'est-à-dire
          un service en l'honneur du défunt un mois après sa mort. Quelque chose d'entièrement semblable se faisait
          en Grèce, cela est bien évident; Muller en effet, dit dans son histoire des Doriens, que "les Argiens sacrifiaient





                       1      PLATON, Phèdre, p. 249. A. B.
                       2      Virgile, Enéide, liv. VI, 730-747.
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