Page 122 - LES DEUX BABYLONES
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Les non-initiés pouvaient vénérer Cérès pour le don du blé matériel qui nourrissait leur corps, mais les initiés
l'adoraient pour un don bien plus précieux, pour la nourriture qui alimentait leurs âmes, pour ce pain de Dieu
qui est descendu du ciel, pour cette vie du monde dont il est dit que celui qui en mangera ne mourra point.
S'imagine-t-on que cette doctrine, d'après laquelle Christ est le pain de la vie, soit contenue seulement dans
le Nouveau-Testament? Il n'y a jamais eu, il ne pouvait jamais y avoir de vie spirituelle dans une âme, depuis
la création, au moins depuis l'expulsion d'Éden, qui ne fut nourrie et entretenue par une continuelle nourriture
au moyen du Fils de Dieu, "en qui il a plu au Père de faire habiter toute plénitude" (Colossiens I, 19), afin que
"par sa plénitude, nous recevions grâce sur grâce" (Jean I, 16).
Paul nous dit que la manne que les Israélites mangeaient dans le désert était pour eux un type et un vivant
symbole du pain de vie (I Corinthiens X, 3): "Ils mangèrent tous la même viande spirituelle", c'est-à-dire la
viande qui non seulement devait soutenir leur vie matérielle, mais les amener à celui qui était la vie de leurs
âmes. Or, Clément d'Alexandrie, auquel nous devons beaucoup pour toutes les découvertes faites en Égypte
dans les temps modernes, nous affirme expressément que, sous leurs caractères cachés, les énigmes des
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Égyptiens étaient très ressemblantes à celles des Juifs . Il est clairement établi que les païens initiés croyaient
que le blé accordé au monde par Gérés n'était pas le blé de cette terre, mais le divin Fils, par lequel seul on
peut jouir de la vie spirituelle et éternelle. Les druides étaient des adorateurs fidèles de Gérés et comme tels
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ils étaient célébrés dans leurs poèmes mystiques, comme porteurs des épis de blé . Voici comment les druides
décrivent leur grande divinité, sous la forme du blé: "Ce dieu était représenté comme s'étant tout d'abord attiré
pour une raison ou pour une autre l'inimitié de Gérés et comme fuyant épouvanté devant elle. Dans sa frayeur,
il prit la forme d'un oiseau et s'éleva dans les airs. Cet élément ne lui offrit pas de refuge, car la dame sous
la forme d'un épervier allait l'atteindre et le saisir dans ses griffes. Frissonnant d'épouvanté il aperçut un
monceau de blé dans une aire, il s'y laissa aller au milieu et prit la forme d'un grain.
Ceridwen, (c'est-à-dire la Gérés d'Angleterre), prit la forme d'une poule à la crête noire,
descendit dans le tas de blé, y gratta, le découvrit et l'avala. D'après l'histoire elle le porta
pendant neuf mois et, lorsqu'elle le mit au monde, elle trouva que c'était un si bel enfant
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qu'elle ne put se résoudre à le mettre à mort ." Ici, il est évident que le grain de blé est
identique à ce bel enfant; il est encore évident que Gérés qui, pour les profanes, était
seulement la mère de Bar, le blé, était pour les initiés la mère de Bar, le Fils.
Et maintenant le lecteur pourra comprendre pourquoi dans la sphère céleste la Vierge
tient à la main un épi de blé. Cet épi de blé, dans la main de la Vierge, est précisément
un autre symbole de l'enfant dans les bras de la reine-mère. Or, ce fils, symbolisé dans
le blé, était le dieu soleil incarné, d'après l'oracle sacré, de la grande déesse d'Égypte:
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"Nul mortel n'a levé mon voile. Le fruit que j'ai produit c'est le soleil ." Quoi de plus
naturel, dès lors, que cette divinité incarnée, si elle est symbolisée comme le pain de Fig. 38
Dieu, soit représentée par une hostie ronde, pour l'identifier avec le blé? Est-ce une pure
fantaisie? Que le lecteur parcoure l'extrait suivant de Hurd, où sont dépeintes les décorations de l'autel romain,
sur lequel on dépose l'hostie consacrée et il pourra se prononcer: "Un plat d'argent, de la forme d'un soleil,
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est placé en face du sacrement sur l'autel; à la lumière des cierges, il produit un effet éblouissant ." Que vient
faire là ce soleil brillant, sur l'autel au-dessus du sacrement ou de l'hostie ronde? En Égypte, le disque du soleil
était représenté dans les temples, et le souverain et sa femme avec ses enfants étaient représentés comme
l'adorant. Près de la petite ville de Babain, dans la haute Égypte, on voit encore une représentation d'un
sacrifice au soleil, où deux prêtres adorent l'image du soleil comme dans la figure 38. Dans le grand temple
23 CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromata, vol. III, v. 7, p. 56.
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DAVIES, Les Druides de la Grande-Bretagne, p. 504.
25
ibid. Chant de Taliesin, p. 230.
26
BUNSEN, L'Égypte, vol. I, p. 386-387.
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HURD, Rites et cérémonies.