Page 120 - LES DEUX BABYLONES
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          Amarusia , c'est-à-dire la mère qui reçoit avec faveur . À Rome on l'appelait la bonne déesse, bona dea; les
          mystères de cette déesse étaient célébrés par des femmes, avec un secret particulier. Dans l'Inde la déesse
          Lakshmi, la mère de l'univers, la compagne de Vichnou est aussi représentée comme ayant le caractère le plus
          gracieux et le plus propice et ce caractère est désigné de la même manière que pour la déesse de Babylone.
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          Dans les fêtes de Lakshmi, dit Coleman, on n'offre aucun sacrifice sanguinaire . En Chine, les grands dieux
          dont dépendent les destinées finales de l'humanité sont pour les esprits du peuple comme des objets de terreur;
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          mais la déesse Kuanyin, la déesse de miséricorde , qui d'après les Chinois de Canton offre de l'analogie avec
          la vierge de Rome, est décrite comme regardant les coupables avec un oeil compatissant et s'interposant pour
          sauver même les âmes des malheureux, des tourments auxquels ils ont été condamnés dans le monde des
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          esprits .  Aussi les Chinois l'entourent-ils d'une faveur particulière. Ce caractère de la déesse mère a
          évidemment rayonné de Chaldée dans toutes les directions.


          Or, nous voyons maintenant comment il se fait que Rome représente Christ, l'agneau de Dieu, doux et humble
          de coeur, qui ne brisait jamais le roseau froissé, qui n'éteignait point le lumignon encore fumant, qui avait
          pour chaque pénitent des paroles du plus doux encouragement, qui pleurait sur Jérusalem, qui priait pour ses
          bourreaux, comme un juge dur et inexorable, devant qui le pécheur pourrait ramper dans la poussière sans
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          jamais être sûr que ses prières soient entendues , tandis que Marie nous est présentée avec l'éclat le plus
          irrésistible et le plus séduisant, comme l'espoir du coupable, comme le grand refuge des pécheurs. C'est ainsi
          que le premier, dit-on, s'est réservé pour lui-même la justice et le jugement, tandis qu'il a remis à sa mère
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          l'exercice de toute miséricorde . Les ouvrages religieux de Rome les plus en vue sont envahis par ce même
          principe, exaltant la compassion et la douceur de la mère aux dépens du caractère aimant de son fils. Ainsi
          saint Alphonse de Liguori dit à ses lecteurs que le pécheur qui s'aventure à venir directement à Christ doit
          craindre son courroux; mais s'il emploie seulement la médiation de la Vierge avec son Fils, elle n'a qu'à
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          montrer à son Fils les mamelles qui l'ont allaité , et sa colère sera immédiatement apaisée. Mais où a-t-on
          pu trouver dans la Parole de Dieu une semblable idée? Certainement ce n'est pas dans la réponse de Jésus à
          cette femme qui s'écria: – "Heureux le sein qui l'a porté et les mamelles qui l'ont allaité." – Jésus répondit et
          lui dit: "Bienheureux plutôt sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique!" (Luc XI,
          27-28). Il n'y a pas à en douter, cette réponse fut inspirée par la prévoyance du Sauveur, pour réprimer dans
          sa formation toute idée semblable à celle qu'exprimé Liguori! Et cependant cette idée qu'on ne trouve pas dans
          l'Écriture, que l'Écriture répudie expressément, était largement répandue chez les nations païennes. Ainsi, nous
          trouvons une représentation exactement parallèle dans la mythologie Hindoue au sujet du dieu Siva et de sa
          femme Kali, lorsque Dieu apparut comme un petit enfant. Siva, dit le Lingua Puran, apparut comme un enfant
          dans un cimetière entouré d'esprits, et en le voyant, Kali sa femme le prit dans ses bras, et le caressant lui
          donna le sein. Il suça le liquide doux comme le nectar; mais comme il se mettait en colère, Kali, pour le
          distraire et l'apaiser, le serrant sur sa poitrine, se mit à danser avec ses spectres et ses démons au milieu des
          morts jusqu'à ce qu'il fût joyeux et ravi, tandis que Vichnou, Brahma, Indra, et tous les dieux prosternés
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          louaient par leurs chants élogieux le dieu des dieux Kal et Parvati . Kali, dans l'Inde, est la déesse de la
          destruction; mais le pouvoir de la déesse mère a trouvé son introduction dans le mythe même qui concerne




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                              PAUSANIAS, liv. I, Attica, ch. 31, p. 72.
                       10     De Ama, mère, et Retza, accepter gracieusement, au participe passif, c'est Rûtza. Pausanias exprime ainsi
                              son embarras quant au sens du nom Amarusia appliqué à Diane: "Je n'ai jamais pu trouver personne qui
                              me donnât une explication satisfaisante de ce nom." La langue sacrée nous en montre clairement le sens.
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                              Mythologie Hindoue, p. 61.
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                              Syr J. F. DAVIS, vol. II, p. 67.
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                              ibid. p. 61.
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                              Sermon d'un prêtre italien, dans Le Christianisme évangélique, mai 1853.
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                              JEWELL, Réformateur anglais, p. 209.
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                              Le laïque catholique, juillet 1856.
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                              LINGUA PURAN, dans KENNEDY, Mythologie ancienne et Hindoue, p. 333, notes.
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