Page 138 - LES DEUX BABYLONES
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                                  Article 3 - Habillement et couronnement des statues


            Dans l'Église de Rome, l'habillement et le couronnement des statues forment une partie importante du
          cérémonial. Les images sacrées ne sont pas représentées comme des statues ordinaires avec des vêtements
          formés de la même matière dont elles sont composées, mais elles ont des vêtements qu'on leur met comme
          on ferait à de vraies personnes en chair et en os. On dépense souvent de grosses sommes pour ces vêtements;
          et  ceux qui donnent de belles robes sont l'objet, dit-on, de faveurs spéciales et se préparent une grande
          provision de mérites.

          Ainsi, nous voyons que le duc et la duchesse de Montpensier étaient glorifiés, dans le journal "La Tablette"
          (septembre 1852), non seulement pour avoir donné 3 000 réaux en aumônes aux pauvres, mais surtout à cause
          de leur piété: ils avaient en effet donné à la Vierge un magnifique vêtement de brocart d'or, avec une dentelle
          blanche et une couronne d'argent. Vers la même époque, la reine d'Espagne manifesta sa piété par un bienfait
          semblable: elle déposa aux pieds de la reine du ciel l'hommage de la robe et des joyaux qu'elle portait un jour
          d'actions  de grâces solennelles, et de plus  la robe qu'elle avait lorsqu'elle reçut le coup de poignard de
          l'assassin  Merino. Le manteau, dit le journal espagnol, portait les marques  de la  blessure, et sa bordure
          d'hermine était tachée du sang précieux de Sa Majesté. Dans la corbeille qui contenait les vêtements étaient
          aussi les joyaux qui ornaient la tête et la poitrine de Sa Majesté. Parmi eux était un corsage en diamants, si
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          merveilleusement travaillé, si éblouissant, qu'il paraissait fait d'une seule pierre .

          Tout cela est assez enfantin et montre la nature humaine sous un aspect bien humiliant; mais c'est exactement
          copié sur l'ancien culte païen. La même manière d'habiller et d'orner les dieux se pratiquait on Égypte, et il
          n'y avait que les personnes sacrées qui pouvaient remplir une si haute fonction. Ainsi dans les inscriptions
          de Rosette voici comment il est parlé de ces fonctionnaires sacrés: "Les principaux prêtres et les prophètes,
          et ceux qui peuvent entrer dans le sanctuaire, pour revêtir les dieux, se sont réunis dans le temple de Memphis
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          et ont rendu le décret suivant ."

          La coutume d'habiller les dieux occupait aussi une grande place dans les cérémonies sacrées de l'ancienne
          Grèce. Voici comment Pausanias parle d'un présent offert à Minerve: "Quelque temps après, Laodicée, fille
          d'Agapenor, envoya un voile à Tégée, pour Minerve Alea." L'inscription qui accompagne cette offrande nous
          montre en même temps l'origine de Laodicée:



                                              Laodicée, de Chypre la divine,
                                          Au pays de son père qui s'étend au loin,
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                                          Envoie ce voile en offrande à Minerve .


          De même aussi, lorsqu'Hécube reine de Troie, dans le passage déjà cité, reçut l'ordre de conduire la procession
          de pénitents à travers les rues de la ville au temple de Minerve, elle fut avertie de ne point aller les mains
          vides, mais de prendre avec elle, comme la plus grande offrande qu'elle pût faire, "le voile le plus précieux,
          le  plus grand que renferme son palais". La reine obéit ponctuellement. "Elle descend dans sa chambre
          parfumée, où sont tous ses voiles artistement variés, oeuvre des femmes de Sidon, que Paris amena lui-même
          de la Phénicie, lorsqu'il eut navigué, sur la vaste mer, dans ce voyage où il ravit Hélène issue d'un père
          puissant. Hécube choisit un voile et l'emporte pour l'offrir à Minerve. C'est le plus beau par ses couleurs
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          variées, c'est aussi le plus grand; il brille comme un astre, et il est placé au-dessus de tous les autres ."




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                              BEGG, Manuel de, la papauté, p. 272-273.
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                              WILKINSON, vol. I, p. 265, 1. 6, note.
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                              PAUSANIAS, liv. VIII, Arcadica, ch. V, p. 607.
                       4      HOMÈRE, Iliade, liv. VI, 288.
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