Page 62 - LES DEUX BABYLONES
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                                             Article 3 - La Mère de l'Enfant


            Tout en empruntant d'abord sa gloire au caractère divin attribué à l'enfant qu'elle portait dans les bras, la
          mère a dans la suite éclipsé le fils. À l'origine, selon toute vraisemblance, il n'y avait pas lieu de diviniser la
          mère. Il y avait bien une promesse formelle qui amena tout naturellement l'humanité à attendre qu'un jour le
          fils de Dieu, par une admirable condescendance, apparaîtrait dans ce monde comme fils de l'homme. Mais
          il n'y avait aucune promesse, pas même une apparence de promesse faite pour inspirer la croyance qu'une
          femme serait investie d'attributs qui relèveraient au rang de la divinité. Il est donc tout à fait invraisemblable
          que le jour où pour la première fois, la mère fut représentée avec l'enfant dans les bras, on ait eu l'intention
          de lui décerner des honneurs divins. Sans doute elle servait surtout de piédestal pour soutenir son divin fils,
          et le proposer ainsi à l'adoration de l'humanité; c'était déjà pour elle assez de gloire, seule d'entre toutes les
          filles d'Ève, d'avoir donné naissance au rejeton promis, l'unique espérance du monde. C'était évidemment le
          but. Mais toutes les idolâtries, on le sait, reposent sur ce principe il faut que ce qui s'adresse aux sens fasse
          la plus puissante impression. Or le fils même dans sa nouvelle incarnation, lorsqu'on croyait que Nemrod était
          réapparu sous une plus belle forme, était simplement représenté comme un enfant sans aucun éclat particulier,
          tandis que la mère qui le portait dans ses bras, était représentée au contraire avec tout l'art de la peinture et
          de la sculpture, et avec cette beauté qui en réalité était bien son privilège. Sémiramis, dit-on, était si belle
          qu'un jour elle apaisa ses sujets révoltés en se montrant subitement à eux; on raconte que, en souvenir de
          l'admiration excitée dans leur esprit par cette apparition, ils lui élevèrent à Babylone une statue, représentant
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          la reine dans l'attitude où elle les avait tant fasciné . Cette reine n'était pas seulement analogue par ses charmes
          à l'Aphrodite de Grèce et à la Vénus de Rome, mais elle était, en réalité, l'original historique de cette déesse
          que l'antiquité regardait comme la personnification même de tout ce que la femme a de séduisant, et comme
          la perfection de la beauté féminine. Sanchoniaton nous affirme en effet qu'Aphrodite ou Vénus était identique
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          à Astarté , et le nom d'Astarté signifie : "la femme qui fait des tours ou des murs d'enceinte" c'est-à-dire
          Sémiramis. – La Vénus romaine, on le sait, était la Vénus de Chypre, et on peut démontrer, l'histoire à la
          main, que la Vénus de Chypre est dérivée de Babylone (voir ch. 4, art. 3). Or, il arriva ce qu'on pouvait
          prévoir en pareille circonstance. Si l'enfant avait des droits à l'adoration, la mère en avait bien davantage. C'est
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          elle qui devint en conséquence l'objet favori du culte . – Pour justifier ce culte, la mère fut divinisée aussi bien
          que son fils, et on la regarda comme destinée à achever d'écraser la tête du serpent; car il était facile au besoin
          de trouver des raisons nombreuses et plausibles pour démontrer que Ninus, ou Nemrod, le grand fils, n'avait
          fait dans sa vie mortelle que commencer ce travail.






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                              VALÈRE MAXIME, liv. 9, ch. 3, f. 193, p. 2. Valère Maxime ne dit rien de la statue de Sémiramis avec
                              l'enfant dans les bras; mais elle fut déifiée comme Klira dont le caractère distinctif était celui de déesse
                              mère; de plus nous avons la preuve que la semence de la femme ou Zoroaste remonte aux temps les plus
                              anciens, c'est-à-dire à sa propre époque (CLERICUS, De Chaldoeis, liv. I, tome II, ch, III, sect. I, p.
                              199). Donc dans un culte des images à cette époque, cette croyance doit avoir occupé une place
                              importante. Comme dans le monde entier la mère et l'enfant apparaissent et se trouvent sur les premiers
                              monuments égyptiens, ce culte doit avoir ses racines dans les âges les plus reculés. Et si la mère seule
                              était représentée sous une forme si séduisante, nous pouvons être certain que la même beauté la
                              caractérisait, avec son enfant dans les bras.
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                              SANCHONIATION, p. 25.
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                              De Asht-trt. Voir Appendice, note J.
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                              HÉRODOTE, liv. I, ch. 199, sur la manière dont elle demandait à être rendue propice, nous montre
                              l'extraordinaire, disons mieux, l'effrénée, dévotion pour cette déesse. Qu'un peuple entier ait adopté la
                              coutume décrite par l'historien, cela montre l'influence merveilleuse de son culte. Nonnus la décrit:
                              "l'espoir du monde entier" ’+8B4V ’@8@L 5@F:@4@. (Dionusiaca, liv. XLI, dans BRYANT, vol. III,
                              p. 226). Cette mme déesse vénérée à Éphèse était caractérisée par Démétrius l'orfèvre: "la déesse adorée
                              en Asie et dans le monde entier" (Actes XIX, 27). La dévotion entourant cette déesse était si grande chez
                              les Babyloniens comme dans le monde ancien, que la renommée des exploits de Sémiramis occulta, au
                              point de vue historique, les exploits de son mari, Ninus ou Nemrod. Pour l'identité de Rhéa ou Cybèle, et
                              Vénus, voir Appendice, note G.
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