Page 163 - LES DEUX BABYLONES
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          Le lecteur se rappelle que même dans le Japon, qui est encore plus éloigné de Babel que la Chine elle-même,
          on représente une des divinités par le même symbole de puissance qu'en Assyrie, c'est-à-dire avec les cornes
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          d'un taureau, et on l'appelle "le prince du ciel à tête de boeuf ." Puisqu'on trouve, au Japon, le symbole de
          Nemrod ou Chronos, celui qui a une corne, il ne faut pas s'étonner si l'on trouve, en Chine, le symbole de
          Dagon.


          La crosse pontificale

          Mais il y a un autre symbole de la puissance papale qu'il ne faut pas oublier, c'est la crosse pontificale. D'où
          vient cette crosse? Notre première réponse c'est que le pape l'a empruntée à l'augure romain.


          Celui qui connaît les classiques sait que lorsque les augures romains consultaient les cieux, ou tiraient des
          présages de l'aspect du ciel, ils avaient un instrument qui leur était absolument indispensable. Cet instrument
          qui leur servait à décrire la partie du ciel sur laquelle ils faisaient leurs observations, était recourbé à une
          extrémité et s'appelait lituus. Ce qui prouve évidemment que le lituus ou bâton recourbé des augures romains
          était identique à la crosse pontificale, c'est que les auteurs catholiques eux-mêmes, écrivant à une époque
          d'ignorance où le déguisement était jugé inutile, n'hésitaient pas à employer le mot lituus comme synonyme
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          de crosse . Ainsi un écrivain papal décrit un certain pape ou évêque papal comme "mitra lituoque decorus,"
          orné de la mitre et du bâton d'une augure; voulant dire qu'il avait une mitre et une crosse. Mais ce lituus ou
          bâton du devin, que portait l'augure romain, était emprunté aux Étrusques qui, on le sait, l'avaient eux-mêmes
          pris aux Assyriens en même temps que leur religion. De même que l'augure romain se distinguait par ce bâton
          recourbé, ainsi les devins et les prêtres chaldéens, dans l'accomplissement de leurs rites, étaient d'ordinaire
          pourvus d'un croc ou d'une crosse. On peut faire remonter ce croc magique jusqu'au premier roi de Babylone,
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          c'est-à-dire Nemrod, qui, d'après Berosus, porta le premier, le titre de roi-berger . En hébreu ou dans le
          chaldéen du temps d'Abraham, Nemrod le berger veut dire précisément Nemrod He-Roè; et c'est certainement
                                          du titre de "puissant chasseur devant l'Éternel" que dérivent à la fois le
                                          nom   du héros lui-même, et tout le  culte de ce héros, qui, depuis, s'est
                                          répandu  dans le monde. Il est certain que  les successeurs  divinisés de
                                           Nemrod, ont été généralement représentés avec le croc ou la crosse. Ce fut
                                           le cas à Babylone et à Ninive, comme le montrent les monuments encore
                                           debout. La figure 51, tirée de Babylone, montre la crosse sous sa forme
                                           la plus grossière. Dans Layard, on la trouve sous une forme un peu plus
                                           parfaite et ressemblant presque entièrement à la crosse portée aujourd'hui
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                                           par le pape .
                       Fig. 51
                                           Il en était ainsi, en Égypte, après l'établissement du pouvoir babylonien,
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          ainsi que le témoignent les statues d'Osiris avec sa crosse . Osiris lui-même était souvent représenté comme



                       35     KEMPFER, Le Japon, dans la Collection de PINKERTON, vol. VII, P. 776.
                       36     Voir Gradus ad Parnassum composé par G. PYPER, membre de la société de Jésus, sub vocibus Lituus

                              Episcopus et Pedum, p. 372, 464.
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                              BEROSUS, apud Abydenus, in Fragments de Cory, p. 32. Voir EUSÈBE, Chron., P. I.
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                              Ninive et Babylone, p. 361. Layard paraît croire que l'instrument mentionné, porté par le roi était une
                              faucille. Après un examen attentif, on s'aperçoit qu'il s'agit d'une crosse, ornée de clous, comme souvent
                              avec les crosses romaines qui (et c'est bien là, la seule différence) sont renversées au lieu d'être droites.
                       39     Le nom bien connu de Pharaon, titre des rois pontifes d'Égypte, est exactement la forme égyptienne de
                              l'hébreu He-Roè. Pharaon, dans la Genèse, est sans les points voyelles, Phe-Roè, Phe étant l'article défini
                              égyptien. Ce n'était pas les rois bergers que les Égyptiens adoraient, mais Roi-Tzan, les bergers des
                              troupeaux (Genèse XLVI, 34). Sans l'article, Roi, berger, est évidemment l'original du français Roi, d'où
                              l'adjectif royal; et de Ro, qui veut dire faire le berger, mot qu'on prononce Reg (avec la suffixe sh, qui
                              veut dire celui qui est, ou celle qui fait) découle Regsh, celui qui joue le rôle de berger, d'où le latin Rex,
                              et royal.
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