Page 158 - LES DEUX BABYLONES
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          Pétroma"; ce qui veut dire, nous affirme-t-on, "un livre formé de pierre ". Mais c'est évidemment là un jeu
          de  mots, selon l'esprit ordinaire du paganisme, dans le but d'amuser  le vulgaire. La nature de ce fait et
          l'histoire des mystères montrent que ce livre ne pouvait être que le livre "Peter-Roma", c'est-à-dire, "le livre
          du grand interprète", en d'autres termes, d'Hermès Trismégiste, "le grand interprète des dieux". En Égypte,
          où les Athéniens ont puisé leur religion, les livres d'Hermès étaient considérés comme la fontaine divine de
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          toute vraie connaissance 313 des mystères . Aussi considérait-on dans ce pays Hermès sous ce caractère de
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          grand  interprète, ou Peter-Roma . À Athènes, Hermès comme on le sait,   occupait exactement la même
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          place ; il doit donc, dans le langage sacré, avoir été connu sous le même titre. Le prêtre qui expliquait les
          mystères au nom d'Hermès doit donc avoir porté non seulement les clefs de Pierre, mais les clefs de Peter-
          Roma. C'est ici que le fameux nom de livre de la pierre, commence à se montrer sous un jour nouveau; bien
          plus, à verser une nouvelle lumière sur l'un des passages les plus obscurs et les plus embarrassants de l'histoire
          de la papauté. Certains historiens se sont demandé avec étonnement comment il se fait que le nom de Pierre
          ait été associé à celui de Rome depuis le IVe siècle, comment dans tant de pays divers, des milliers d'âmes
          ont pu croire que Pierre, l'apôtre de la circoncision, ait renoncé à sa charge divine, pour devenir évêque d'une
          église de Gentils et souverain spirituel dans la grande cité, quand on n'avait aucune preuve certaine qu'il ait
          jamais  été à Rome! Mais le  livre de Peter-Roma nous explique ce  qui sans lui demeurerait tout à fait
          inexplicable. Ce titre était trop précieux pour être méprisé par la papauté, et suivant sa tactique ordinaire, il
          était certain qu'elle le ferait à l'occasion servir à sa propre extension. Cette occasion lui fut offerte. Quand le
          pape eut des rapports étroits avec le sacerdoce païen, quand les païens furent enfin placés sous son contrôle,
          comme nous le verrons, quoi de plus naturel que de chercher non seulement à réconcilier le paganisme et le
          christianisme, mais à montrer que le païen Peter-Roma, avec ses clefs, signifiait Pierre de Rome, et que ce
          Pierre de Rome était le véritable apôtre auquel le Seigneur Jésus donna "les clefs du Royaume de Dieu"?
          Ainsi  par une simple confusion de mots, des personnes et des  choses essentiellement différentes étaient
          confondues; le paganisme et le christianisme étaient mêlés ensemble afin de servir l'ambition croissante d'un
          prêtre corrompu; ainsi, pour les chrétiens aveuglés de l'apostasie, le pape devint le représentant de Pierre
          l'apôtre, tandis que pour les païens initiés: il n'était que le représentant de Pierre, l'interprète de leurs fameux
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          mystères !

          C'est ainsi que le pape fut la contrepartie exacte de Janus à la double figure. Oh! quelle profonde signification
          de l'expression scripturaire, "le Mystère d'iniquité" (II Thessalonicien II, 7), appliquée à la papauté!

          Le lecteur pourra comprendre maintenant comment le grand Concile d'État du pape qui assiste ce dernier dans
          le gouvernement de l'Église, a été appelé le collège des cardinaux. Le mot cardinal vient de Cardo, gond.
          Janus, dont le pape porte la clef, était le dieu des portes et des gonds, et on l'appelait Patulcius et Clusius, celui
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          qui  ferme et celui qui ouvre . C'était un sens blasphématoire, car on l'adorait à Rome comme le grand
          Médiateur. Quelle que fût l'entreprise qu'on allait tenter, la divinité qu'on allait invoquer, il fallait avant tout



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                              POTTER, Antiquités, vol. I, Mystères, p. 356.
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                              Selon Jamblique, Hermès (l'Égyptien) était le dieu de la connaissance céleste, qu'il communiquait aux
                              prêtres. Elle les autorisait à lui dédier leurs commentaires (WILKINSON, vol. V, ch. XVII). Il apprit
                              aussi aux hommes comment s'approcher de la divinité par les prières et les sacrifices (ibid. ch. XIII).
                              Hermès Trimégiste semble une nouvelle incarnation de Thoth, revêtu d'honneurs plus grands encore. Les
                              principaux livres d'Hermès étaient très respectés par les Égyptiens et portés dans les processions
                              religieuses (CLÉMENT, Strom., liv. VI, vol. III).
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                              En Égypte Petr a le même sens (BUNSEN, vol. I, Hiéroglyphe, p. 545) et signifie, montrer. L'interprète
                              est appelé Hierophanta, mot de même idée que montrer.
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                              Hermès, dieu de l'invention et de la science, dévoila aux hommes la volonté du père de Jupiter comme
                              ange ou messager de Jupiter. Gardien de la discipline, il invente la géométrie, le raisonnement, le
                              langage. Aussi préside-t-il toute érudition, amenant à une essence intelligente et gouvernant toutes les
                              âmes humaines (PROCLUS, Commentaire sur le premier Alcibiade, dans les notes de Taylor). Hermès
                              était si essentiellement le Révélateur qu'en découle Hermeneutes, interprète.
                       13     Voir BRYANT, Mythologie, vol. I, p. 308-311, 356, 359, 362.
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                              LEMPRIERE, sub voce.
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