Page 153 - LES DEUX BABYLONES
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La croix apparue miraculeusement à Constantin
Cette apparition eut lieu, dit-on, la veille de la victoire décisive qu'il remporta au pont de Milvius, victoire
qui décida du sort du paganisme et du christianisme, et détrôna le premier pour établir réellement le second.
Si cette histoire tant de fois racontée était véritable, elle donnerait certainement une sanction divine au culte
de la croix. Mais, examinez-la attentivement, suivant la version ordinaire, et vous verrez qu'elle repose sur
une erreur, erreur dans laquelle plusieurs historiens sont tombés. Milner, par exemple, nous dit: "Constantin
allant de France en Italie, contre Maxence, pour une expédition qui devait être décisive, était en proie à une
vive anxiété. Il comprit qu'il avait besoin d'être protégé par un dieu; il était tout à fait disposé à respecter le
Dieu des chrétiens, mais il avait besoin d'une preuve satisfaisante de son existence et de son pouvoir; il ne
savait comment l'obtenir, et ne pouvant se contenter de l'indifférence athée dans laquelle sont tombés après
lui tant de capitaines et tant de héros, il pria, il implora Dieu avec tant de force et d'importunité, que Dieu ne
laissa pas ses prières sans réponse. Une après-midi, pendant qu'il marchait à la tête de ses troupes, une croix
lui apparut resplendissante dans les cieux, plus éclatante que le soleil, avec cette inscription: « Tu vaincras
par ceci ». Ses soldats et lui furent étonnés de cette apparition; mais jusqu'à la nuit il réfléchit à cet événement.
Christ lui apparut pendant son sommeil, avec le même signe de croix, et lui ordonna de prendre ce symbole
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pour son enseigne guerrière ." Voilà ce que raconte Milner. Quelques mots suffiront à montrer que ce trophée
de la croix n'a aucun fondement.
Je crois qu'il ne vaut pas la peine d'examiner s'il y a eu ou non quelque signe miraculeux. Il peut y avoir eu
comme il peut ne pas y avoir eu, en cette occasion "dignus vindice nodus" une crise digne de l'intervention
divine. Toutefois je ne rechercherai pas s'il y a eu un fait extraordinaire. Ce que je prétends c'est que, à
supposer que Constantin, en cette circonstance, ait été de bonne foi, et qu'il y ait eu dans le ciel une apparition
merveilleuse, ce ne fut pas le signe de la croix, mais quelque chose de bien différent, le nom de Christ. Ce
qui le prouve, c'est le témoignage de Lactance, tuteur de Crispus, fils de Constantin, l'auteur le plus ancien
qui traite ce sujet, et le témoignage incontestable que nous donnent les étendards même de Constantin
transmis jusqu'à nous, sur des médailles frappées à cette époque. Voici le témoignage de Lactance, il est très
décisif: "Constantin fut averti dans un songe de faire sur les boucliers de ses soldats le signe céleste de Dieu
avant d'engager le combat. Il se rend à cet ordre. Il écrit le nom de Christ sur les boucliers et y ajoute, en
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travers, la lettre X. Aussitôt ses soldats mettent l'épée à la main ." Or, la lettre X est l'initiale du nom de
Christ, équivalent à la lettre grecque Ch. Si donc Constantin suivit l'ordre qu'il avait reçu, lorsqu'il fit le signe
céleste de Dieu sous forme de la lettre X, c'était cette lettre X, comme symbole de Christ et non le signe de
la croix qu'il vit dans les cieux. Quand on fit le Labarum ou le fameux étendard de Constantin, nous savons
par Ambroise, le célèbre évêque de Milan, qu'on le fit d'après le même principe contenu dans la déclaration
de Lactance, c'est-à-dire simplement pour arborer le nom du Rédempteur. Il l'appelle labarum, hoc est, Christi
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sacratum nomine signum . Labarum, c'est-à-dire, signe consacré par le nom du Christ . Il n'y a pas la plus
légère allusion à une croix, à rien autre chose qu'au simple nom de Christ. Si avec ces témoignages de
Lactance et d'Ambroise, nous examinons l'étendard de Constantin, nous y trouvons une confirmation éclatante
des déclarations de ces auteurs; nous voyons que cet étendard, armé des mots: "hoc signo victor eris" "par ce
signe tu vaincras" qui dit-on, fut adressé du ciel à l'empereur, n'a de la forme d'une croix rien absolument que
15 Histoirede l'Église, tome II, p. 41. Milner cite EUSÈBE, Constant, XVII. Mais il y a erreur, c'est De
Vita Constant., liv. I, ch. 28-29, p. 173.
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LACTANCE, De moribus persecutorum, 44, p. 565-566. "Commonitus est inquiete Constantinus, ut
coeleste signum Dei notaret in scutis, atque ita proelium comimitteret. Fecit ut jussus est, et transversâ
literâ summo capite circumflexo, Christum scutis notât. Quo signe armatus exercitus capit ferrum."
17 Ambrosii Opéra, tome IV, p. 327.
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Épître d'Ambroise à l'empereur Théodore sur le projet de restaurer l'autel pain de la victoire dans le
sénat romain. On n'a pas compris le vrai sens du mot labarum. Bryant dit (comme je croyais jadis) qu'il
s'agit de l'étendard avec la croix. Je suis heureux qu'il n'y ait eu aucune preuve. Ce mot vient
évidemment de lab, agiter, et âr, être actif: bannière ou drapeau, agité par le vent. Il s'applique
parfaitement au langage d'Ambroise, "une enseigne consacrée par le nom de Christ", soit une bannière.