Page 157 - LES DEUX BABYLONES
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clefs et qu'il était le successeur de Pierre, la vue de ces clefs entretiendrait l'illusion, et que si la dignité
temporelle de Rome en tant que cité venait à baisser, sa dignité personnelle d'évêque de Rome serait plus
solidement établie que jamais. C'est évidemment de cette façon qu'il a procédé.
Un certain temps s'écoula, et alors quand le travail secret du mystère d'iniquité eut préparé le terrain, le pape
affirma pour la première fois sa suprématie, fondée sur les clefs données à Pierre. Vers 378, il s'éleva à la
position que lui donnait aux yeux des païens le pouvoir de ces clefs. Ce fut en 431, et non point auparavant,
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qu'il prétendit ouvertement à la possession des clefs de saint Pierre . Il y a là évidemment une coïncidence
frappante. Le lecteur demandera-t-il comment on pouvait croire à une prétention si peu fondée? Les paroles
de l'Écriture sur ce même sujet, donnent une réponse claire et satisfaisante: "Parce qu'ils n'ont pas reçu l'amour
de la vérité pour être sauvés... C'est pourquoi Dieu leur enverra un esprit d'erreur, en sorte qu'ils croiront au
mensonge." (II Thessaloniciens II, 10-11). Il y a peu de mensonges aussi grossiers; mais avec le temps, ce
mensonge fut pourtant cru, et de même qu'on adore aujourd'hui la statue de Jupiter avec la conviction que c'est
la vraie statue de Pierre, ainsi on a dévotement cru pendant des siècles que les clefs de Janus et de Cybèle
représentaient les clefs du même apôtre. L'infatuation seule a pu faire croire aux chrétiens que ces clefs étaient
l'emblème d'un pouvoir exclusivement donné par Christ au pape par le moyen de Pierre; mais il est facile de
voir comment les païens devaient se rallier autour du pape avec empressement quand ils l'entendaient fonder
son pouvoir sur la possession des clefs de Pierre. Les clefs que portait le pape étaient les clefs d'un Pierre bien
connu des païens initiés aux mystères chaldéens. Que Pierre ait jamais été évêque de Rome, c'est là, on l'a
prouvé bien des fois, une fable grossière. Il est même fort douteux qu'il ait jamais mis les pieds à Rome. Sa
visite à cette ville n'est fondée sur aucune autorité sérieuse. Seul, un écrivain de la fin du IIe siècle ou du
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commencement du IIIe, l'auteur de l'ouvrage appelé les Clémentines , nous dit gravement qu'à l'occasion de
cette visite, ayant trouvé là Simon le magicien, l'apôtre le défia de lui donner une preuve de son pouvoir
miraculeux ou magique, sur quoi le sorcier s'envola dans les airs, et Pierre le fit descendre avec une telle hâte
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qu'il se cassa une jambe . Tous les historiens sérieux ont rejeté bien vite l'histoire de cette rencontre de l'apôtre
et du magicien comme manquant absolument de preuves contemporaines; mais comme la visite de Pierre à
Rome est fondée sur la même autorité, elle demeure ou tombe avec elle; du moins, on ne doit l'admettre que
comme extrêmement douteuse. Mais si tel est le cas pour le Pierre du christianisme, il est facile de prouver
d'une manière indubitable qu'avant l'ère chrétienne il y avait à Rome un Pierre qui occupait la plus haute place
dans la prêtrise païenne. Le prêtre qui expliquait les mystères aux initiés était quelquefois appelé d'un nom
grec, "le Hiérophante", mais dans le chaldéen primitif, le vrai langage des mystères, son nom prononcé sans
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les points voyelles, était Pierre, c'est-à-dire l'interprète . Rien n'était plus naturel que ce prêtre, interprète et
révélateur de la doctrine ésotérique des mystères, portât les clefs des deux divinités dont il dévoilait les
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desseins secrets .
C'est ainsi que nous pouvons voir comment les clefs de Janus et de Cybèle furent plus tard regardées comme
étant les clefs de Pierre l'interprète des mystères. Bien plus, nous avons la preuve la plus décisive que dans
les contrées séparées l'une de l'autre et éloignées de Rome, ces clefs étaient connues des païens initiés non
seulement comme étant celles de Pierre, mais comme étant celles d'un Pierre identifié avec Rome. Dans les
mystères d'Eleusis à Athènes, quand les candidats à l'initiation étaient instruits dans la doctrine secrète du
paganisme, on leur lisait l'explication de cette doctrine dans un livre appelé par les écrivains "le livre
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Pour avoir la preuve que cette prétention fut élevée la première fois en 431, lire ELLlOTT, Horoe, vol.
III, p. 139. En 429, il y fut fait une première allusion, mais en 431, cette prétention fut ouvertement et
clairement formulée.
5 GIESELER, vol. I, p. 206-208.
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Voir BOWER, vol. I, p. 212.
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PARKHURST, Lexique Hébreu, p. 602.
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Les Mufti turcs, ou interprètes du Koran, dérivent ce nom du même verbe que celui qui a formé Miftah,
une clef.