Page 160 - LES DEUX BABYLONES
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pontife, dit l'écrivain que nous venons de citer, était réputé incapable d'erreur ; aussi avait-on le plus grand
respect pour la sainteté des anciens édits; c'est là sans doute l'origine de cette coutume "qui ne permettait pas
de changer les lois des Mèdes et des Perses". Le pape reçoit-il l'adoration des cardinaux? Le roi de Babylone
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comme souverain pontife était adoré de la même manière . Les rois et les ambassadeurs sont-ils tenus de
baiser la semelle du pape? Cette coutume aussi est copiée sur le même modèle; car le professeur Gaussen,
citant Strabon Hérodote s'exprime ainsi: "Les rois de Chaldée portaient aux pieds des sandales que les rois
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vaincus avaient l'habittude de baiser ." Enfin le pape est-il appelé du nom de "sa sainteté"? C'est ainsi qu'on
appelait à Rome le pontife païen. Ce titre paraît avoir été commun à tous les pontifes. Symmaque, le dernier
représentant païen de l'empereur romain comme souverain pontife, s'adressant à l'un de ses collègues ou
pontifes comme lui, à propos d'un grade auquel il allait être promu, lui dit: "J'apprends que votre sainteté
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(sanctitatem tuam) va être désignée par les saintes lettres ."
La chaire (siège) de Saint-Pierre
Si nous avons maintenant restitué les clefs de Saint-Pierre à leur légitime possesseur, la chaire de Saint-Pierre
doit suivre la même destinée. Cette chaire si renommée vient de la même origine que les clefs en croix. La
même raison qui poussa le pape à prendre les clefs chaldéennes le poussa naturellement aussi à prendre
possession de la chaire vacante du souverain pontife païen. Comme le pontife, par la vertu de ses fonctions,
avait été le Hiérophante ou interprète des mystères, sa chaire avait le même droit à être appelée chaire de
Pierre que les clefs païennes à être appelée clef de Pierre. Ce fut précisément ce qui arriva.
Le fait suivant montrera l'origine réelle du fameux siège de Pierre: les Romains, dit Bower, croyaient jusqu'en
1662 avoir la preuve incontestable, non seulement que Pierre avait élevé leur siège, mais encore qu'il s'y était
assis; car jusqu'à cette année-là, le siège même où ils croyaient qu'il s'était assis ou qu'ils voulaient donner
comme tel, était montré et proposé à l'adoration publique le 18 janvier, qui était la fête de cette même chaire.
Mais pendant qu'on la nettoyait pour la placer ensuite dans un endroit bien en vue du Vatican, les douze
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travaux d'Hercule y apparurent gravés , aussi la laissa-t-on de côté. Les partisans de la papauté ne furent pas
peu déconcertés par cette découverte; mais ils tâchèrent d'expliquer la chose du mieux qu'ils le purent. "Notre
culte, dit Giacomo Bartolini, dans ses Antiquités sacrées de Rome, racontant les circonstances relatives à cette
découverte, notre culte n'était cependant pas déplacé, puisque nous le rendions non au bois, mais au prince
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des apôtres, Saint-Pierre, qui dit-on, s'y était assis ." Que le lecteur pense ce qu'il voudra de cette justification
d'un pareil culte rendu à une chaire, il remarquera certainement, s'il se rappelle ce que nous avons déjà dit,
que la vieille fable du siège de Pierre est bel et bien renversée.
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WILKINSON, Les Égyptiens. L'infaillibilité était une conséquence naturelle de la croyance populaire
relativement aux rapports entre le souverain et les dieux. Car, le roi, croyait-on, participait à la nature
divine (DIODORE, liv. I, ch. 7, p. 57).
23 LAYARD, Ninive et ses ruines, vol. II, p. 472-474 et Ninive et Babylone, p. 361. Les rois d'Égypte et
d'Assyrie qui renfermait Babylone étaient la tête de la religion et de l'état. Les statues sacrées, dit-on,
étaient en adoration, comme ses sujets. L'adoration réclamée par Alexandre le Grand imitait directement
celle rendue aux rois perses. Quinte-Curce (liv. VIII, ch. 5) dit: "Volebat... itaque more Persarum
Macedonas venerabundos ipsum salutare prosternentes humi corpora." Selon Xénophon, cette coutume
des Perses venait de Babylone: Cyrus fut adoré pour la première fois en marque de respect lorsqu'il entra
dans Babylone (Cyrop, liv. VIII).
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GAUSSEN, Daniel, vol. I, p. 114.
25
SYMMAQUE, Epistoloe, liv. VI, 31, p. 240.
26 BOWER, Histoire des Papes, vol. I, p. 7.
27
BARTOLINI, Antichita sacre di Roma, p. 33.