Page 110 - LES DEUX BABYLONES
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                                         Article 2 - Justification par les oeuvres


            Les adorateurs de Nemrod et de sa femme étaient, disait-on, régénérés et purifiés du péché par le baptême
          qui  tirait son efficace des souffrances de ces deux divinités babyloniennes. Mais pour ce qui est de la
          justification, les Chaldéens croyaient que l'homme est justifié et accepté par Dieu à cause de ses oeuvres et
          de  ses mérites. C'est ce que confirment les réflexions de Christie, dans ses observations annexées aux
          "Mystères d'Eleusis", par Ouvaroff. M. Ouvaroff a fait remarquer que l'un des grands objets de ces mystères
          était de présenter à l'homme déchu les moyens de retourner à Dieu. Ces moyens étaient les vertus catholiques
          (c'est-à-dire les vertus qui effacent le péché par lesquelles il fallait vaincre une vie matérielle). C'est pourquoi
          les mystères étaient appelés Teletae, perfection, parce qu'ils étaient censés donner la perfection de la vie. Ceux
          qui étaient ainsi purifiés étaient appelés Téloumenoi ou Teteles-menoi, c'est-à-dire, amenés à la perfection,
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          ce qui dépendait de l'action individuelle . Dans la métamorphose d'Apulie, qui fut initié aux mystères d'Isis,
          nous trouvons cette doctrine des mérites de l'homme clairement exposée. Ainsi la déesse est représentée
          comme   s'adressant au héros du récit. "Si vous méritez la protection de ma divinité par une obéissance
          attentive, une dévotion religieuse et une chasteté inviolable, vous comprendrez que c'est grâce à moi, à moi
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          seule, que votre vie peut s'étendre au-delà des limites assignées à votre destinée ." Quand la même personne
          a  reçu une  preuve de la faveur supposée de la divinité, voici comment les dévots expriment leur joie:
          "Heureux! Par Hercule! et trois fois béni celui qui a mérité par l'innocence et la probité de sa vie passée, une
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          telle protection d'en haut !" Voilà pour la vie. À la mort aussi c'est par ses propres mérites qu'on obtient le
          grand passeport pour entrer dans le monde invisible, quoique le nom d'Osiris fût donné, comme nous le
          verrons, à ceux qui mouraient dans la foi. Quand les corps des personnages de distinction étaient embaumés
          (en Égypte), dit Wilkinson citant Porphyre, on leur enlevait les intestins, on les mettait dans un vase, sur
          lequel (après les rites ordinaires pour les morts) l'un des embaumeurs prononçait une invocation en faveur
          du défunt. La formule, d'après Euphrate, qui la traduisit de l'original en grec, était ainsi conçue: "Ô toi soleil!
          Notre Maître souverain! Et vous toutes déesses, qui avez donné la vie à l'homme, recevez-moi et réservez-moi
          une place parmi les dieux éternels. Pendant tout le cours de ma vie, j'ai scrupuleusement adoré les dieux que
          mes pères m'avaient appris à adorer; j'ai toujours honoré mes parents auxquels je dois mon corps. Je n'ai tué
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          personne,  je n'ai trompé personne, je n'ai fait de tort à personne ." Ainsi les mérites, l'obéissance ou
          l'innocence de l'homme étaient le grand argument. La doctrine de Rome sur cette question capitale de la
          justification du pécheur est absolument la même. Sans doute cela prouverait peu la parenté des deux systèmes
          de Rome et de Babylone; car depuis Caïn jusqu'à nous, la doctrine du mérite de l'homme et de la justification
          personnelle a partout été naturelle dans le coeur de l'humanité dépravée. Mais ce qui est remarquable c'est que
          dans les deux systèmes, les symboles de cette idée sont absolument les mêmes. Dans la légende papale on
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          nous dit que la balance de Dieu a été confiée à Saint Michel l'archange , et que dans les deux plateaux opposés
          de cette balance les mérites et les démérites des morts sont pesés avec équité, et selon que le plateau Penche
          d'un côté ou de l'autre, ceux-ci sont ou justifiés ou condamnés.


          Or, la doctrine chaldéenne de la justification par la foi, c'est là un fait confirmé par les découvertes faites sur
          les monuments égyptiens, est symbolisée exactement de la même manière, avec cette seule différence que
          dans le pays de Ham les plateaux de la justice étaient confiés non à l'archange Michel, mais au dieu Anubis
          et que les bonnes et les mauvaises actions semblent avoir été jugées séparément; ce dieu tenait un registre
          distinct, de telle sorte que lorsque les deux étaient additionnées et que la balance touchait à terre, le jugement
          était aussitôt prononcé. Wilkinson nous dit qu'on représentait souvent Anubis avec ses plateaux; et que dans
          certains cas il y a quelques différences de détail. Mais d'après ses déclarations il est évident que le principe




                       1      OUVAROFF, p. 183-184.
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                              Métam., ch. XI.
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                              Métam., ch. XI.
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                              WILKINSON, vol. v, p. 463-464.
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                              Revue de l'Épître, du Dr. GENTIANUS HARVET, liv. II, ch. 14.
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