Page 112 - LES DEUX BABYLONES
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          conscience  peut lui reprocher? Comme tout cela est différent du plan scripturaire,  du plan divin de la
          justification "par la foi, par la foi seule, sans les oeuvres de la loi", sans aucun égard pour les mérites de
          l'homme,  simplement et seulement "par la justice de Christ qui est sur tous ceux et pour tous ceux qui
          croient", qui délivre dès maintenant et pour toujours de toute condamnation, ceux qui acceptent le Sauveur
          que Dieu leur offre et qui par la foi s'unissent à lui d'une manière vivante! Ce n'est point la volonté de notre
          Père Céleste que ses enfants soient toujours sur cette terre dans le doute et les ténèbres sur ce qui touche le
          point  capital de leur salut éternel. Un saint parfait peut lui-même être pour un temps abattu dans ses
          nombreuses tentations, mais ce n'est pas l'état naturel, normal, d'un chrétien véritable, qui connaît la plénitude
          et la libéralité des bénédictions de l'Évangile de paix. Dieu a donné à tout son peuple des raisons sérieuses
          de dire avec Jean: "Nous avons connu et nous avons cru l'amour que Dieu a pour nous" (I Jean IV, 16) ou
          avec Paul: "Je suis assuré que ni la vie, ni la mort, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les
          choses présentes, ni les choses à venir, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature, ne pourra nous
          séparer de l'amour que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ" (Romains VIII, 38, 39). Mais aucun homme
          ne peut tenir ce langage, "s'il cherche à établir sa propre justice" (Romains X, 3), s'il cherche de n'importe
          quelle manière "à être justifié par ses oeuvres". Une telle assurance, une telle paix ne peut venir que d'une
          confiance dans la grâce libre et gratuite de Dieu, donnée au Christ et avec le Christ qui est le don ineffable
          de l'amour du Père. C'est elle qui rendait l'esprit de Luther, comme il le déclarait lui-même "aussi libre qu'une
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          fleur des champs " lorsque seul et sans escorte, il se rendit à la Diète de Worms, pour affronter tous les
          prélats et tous les potentats réunis afin de condamner sa doctrine. C'est elle qui dans tous les âges poussait
          les martyrs à affronter avec un sublime héroïsme, non seulement la prison, mais aussi la mort. C'est elle qui
          affranchit l'âme, rétablit la vraie dignité de l'homme, et sape à leur base toutes les prétentions hautaines du
          clergé. C'est elle seule qui peut produire une vie d'obéissance affectueuse, cordiale, fidèle, à la loi et aux
          commandements de Dieu; c'est elle seule, lorsque la nature vient à manquer, et que le roi des épouvantements
          s'approche, qui peut donner aux pauvres et coupables enfants des hommes, la force de dire dans le sentiment
          profond de leur indignité: "Ô mort, où est ton aiguillon? Ô sépulcre, où est ta victoire? Grâces soient rendues
          à Dieu qui nous a donné la victoire par Jésus-Christ, notre Seigneur" (I Corinthiens XV, 55, 57).

          Or, dans tous les âges le despotisme spirituel, celui du paganisme comme celui de la papauté, s'est toujours
          montré hostile à cette confiance en Dieu, à cette assurance du salut. Son grand objet a toujours été de tenir
          les âmes de ses partisans loin de la communion directe et immédiate d'un Sauveur vivant et miséricordieux,
          pour inspirer le sentiment de la nécessité d'une médiation humaine et pour s'établir ainsi sur les ruines des
          espérances  et du bonheur de l'homme. Si l'on considère les prétentions de Rome à l'infaillibilité, et les
          pouvoirs surnaturels qu'elle attribue aux fonctions de ses prêtres pour la régénération et le pardon des péchés,
          on pourrait supposer, comme une chose naturelle, que tous ses sectateurs seraient encouragés à se réjouir dans
          l'assurance continuelle de leur salut personnel. Mais c'est tout le contraire qui a lieu. Après toute sa forfanterie
          et ses hautes prétentions, elle enseigne que le doute est pour l'homme un devoir jusqu'à la fin de sa vie sur la
          question de son salut. C'est ce que fait un article de foi du concile de Trente: "Nul homme ne peut savoir avec
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          l'assurance infaillible de la foi s'il a obtenu la grâce de Dieu ." Cette déclaration de Rome, tout en étant
          directement opposée à la Parole de Dieu, imprime sur ses hautaines prétentions le sceau de l'imposture; car
          si nul homme, après avoir été régénéré par le baptême romain et après avoir reçu l'absolution de ses péchés,
          ne peut, malgré cela, avoir une assurance certaine de la possession de la grâce de Dieu, à quoi peut servir son
          opus operatum? Cependant, en cherchant à tenir ses sectateurs dans le doute et l'incertitude naturelle au sujet
          de leur condition finale, elle est sage après l'avoir fait naître.

          Dans  le système païen, le prêtre seul pouvait prétendre  à anticiper sur l'action d'Anubis et, dans le
          confessionnal, il y avait de temps en temps une répétition mimique du terrible pesage qui devait avoir lieu
          le jour du jugement devant le tribunal d'Osiris. Le prêtre s'asseyait pour juger les bonnes et les mauvaises



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                              Cité par La Revue d'Edimbourg, janvier 1839.
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                              Concilium Tridentinum. Decretum de justificotione, art. IX, voir SARPI, Histoire du Concile de Trente,
                              traduit en français, par COURAYER, vol. I, p. 353.
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