Page 92 - LES DEUX BABYLONES
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          Ainsi les feux de Saint-Jean, où les jeunes et les vieux doivent marcher sur les cendres chaudes, remontent
          jusqu'au "premier des mortels qui ait régné". Il est remarquable qu'une fête entourée de tous les rites essentiels
          au culte du feu de Baal, soit observée chez les nations païennes, dans des pays fort éloignés l'un de l'autre, vers
          le mois de Tammuz, à l'époque même où on célébrait autrefois le dieu Babylonien. Chez les Turcs, nous dit
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          Hurd, on célèbre par illumination au moyen de lampes le jeûne du Ramazan, qui commence le 12 juin . En
          Chine, où l'on célèbre la fête du bateau du Dragon de manière à rappeler à ceux qui en ont été les témoins la
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          mort d'Adonis, la solennité commence à la mi-été . Au Pérou, pendant le règne des Incas, la fête de Raymi,
          la plus belle fête des Péruviens, pendant laquelle on allumait chaque année le feu sacré au moyen des rayons
          du  soleil et par un miroir concave en métal poli, cette fête avait lieu précisément à la même époque. À
          l'approche  de la mi-été, il y  avait d'abord en signe de deuil, un jeûne général qui durait trois jours; on
          n'allumait aucun feu dans les maisons; puis le quatrième jour, le deuil se changeait en joie, lorsque l'Inca et
          sa cour, suivis de toute la population de Cuzco, se réunissaient sur la place publique pour fêter le soleil levant.
          "Ils épiaient fiévreusement, dit Prescott, l'apparition du dieu, et à peine les premiers rayons dorés avaient-ils
          frappé les tours et les édifices les plus élevés de la capitale, qu'une acclamation joyeuse s'échappait du milieu
          de la foule assemblée, accompagnée de chants de triomphe et de la mélodie sauvage des instruments barbares,
          dont le bruit redoublait à mesure que le globe lumineux s'élevait au-dessus des montagnes de l'Orient, versant
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          sur ses adorateurs son éclatante lumière ."
          Cette alternative de deuil et de joie, au moment même où les Babyloniens se lamentaient et se réjouissaient
          sur Tammuz, pouvait-elle être accidentelle? Comme Tammuz était la divinité incarnée du soleil, il est facile
          de voir à quel point cette tristesse et cette joie se rapportent au culte de ce dieu. En Égypte, la fête des lampes
          allumées, dans laquelle beaucoup ont été déjà forcés de reconnaître la contrepartie de la fête de Saint-Jean,
          était ouvertement rattachée au deuil et à la joie éprouvés au sujet d'Osiris. "À Sais, dit Hérodote, on montre
          le sépulcre de celui qu'il ne me paraît pas juste de mentionner à cette occasion." C'est là la manière constante
          dont cet historien fait allusion à Osiris, aux mystères duquel il avait été initié, lorsqu'il donne des détails sur
          quelqu'un des rites de ce culte. "Il est dans l'enceinte sacrée, derrière le temple de Minerve, et près du mur du
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          temple, dont il occupe toute la longueur ." On s'assemblait aussi à Sais, pour offrir des sacrifices pendant une
          certaine nuit où chacun allume en plein air un grand nombre de lampes autour de sa maison. Les lampes sont
          de petites coupes remplies de sel et d'huile, avec une mèche qui flotte au-dessus, et qui brûle toute la nuit.
          Cette fête est appelée la fête des lampes allumées. "Les Égyptiens qui ne peuvent s'y rendre observent aussi
          la fête chez eux et allument des lampes dans leur maison, de telle sorte que ce n'est pas seulement à Sais, mais
          dans  toute l'Égypte, qu'on fait ces mêmes illuminations. Ils disent que c'est par une raison sacrée qu'ils
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          célèbrent  la fête pendant cette nuit, et qu'ils l'entourent d'un semblable respect ." Wilkinson , citant ce
          passage  d'Hérodote, identifie cette fête avec celle des lamentations sur Osiris, et nous assure que
          l'accomplissement scrupuleux de cette cérémonie était réputé de la plus haute importance pour l'honneur de
          la divinité.

          Chez les Yezidis, ou adorateurs du diable, dans la Chaldée moderne, on célèbre aujourd'hui encore la même
          fête, avec des rites presque semblables, autant que les circonstances le permettent, à ceux d'il y a des milliers
          d'années, alors que dans ces mêmes pays, le culte de Tammuz était dans toute sa gloire. Voici la description
          exacte que donne M. Layard d'une de ces fêtes auxquelles il a assisté:






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                              HURD, Rites et Cérémonies, p. 346, c. 1. La date ne serait pas en elle-même une Preuve décisive de sa
                              coïncidence avec celle de la fête primitive de Tammuz. Un de mes amis ayant vécu pendant trois ans à
                              Constantinople m'informe que l'année turque et l'année solaire ne coïncidant pas, le jeûne du Ramazan
                              tombe dans des différents mois de l'année. Cependant, il est hors de doute qu'il y a une illumination
                              annuelle accompagnée de cérémonies religieuses.
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                              Voir p. 89.
                       14     PRESCOTT, Conquête du Pérou, vol. I, p. 69.
                       15     Histoires, liv. II, p. 176.
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                              HÉRODOTE, liv. II, ch. 6, p. 127.
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                              WILKINSON, vol. V, p. 308.
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