Page 90 - LES DEUX BABYLONES
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désigné pour la nativité cependant c'est la veille de Saint-Jean, c'est-à-dire le 23 au soir, que commencent les
fêtes et les solennités.
Maintenant si nous examinons ces fêtes en elles-mêmes, nous verrons à quel point elles sont simplement
païennes, et combien elles témoignent catégoriquement de leur véritable origine. Les solennités
caractéristiques de la veille de la Saint-Jean, sont les feux de la Mi-été. On les allume en France, en Suisse,
dans la catholique Irlande, et dans quelques-unes des îles écossaises de l'ouest encore asservies à la papauté.
On les allume dans toutes les terres des partisans de Rome, et on promène dans leurs champs de blé des
torches enflammées. Voici comment Bell dans ses Tableaux du dehors, décrit les feux de Saint-Jean de
Bretagne en France: "Chaque fête est marquée par des traits qui lui sont particuliers. Celle de Saint-Jean est
peut-être après tout la plus étonnante. Pendant le jour, les enfants quêtent des souscriptions pour allumer les
feux de Monsieur Saint-Jean. Vers le soir, un feu est d'abord suivi d'un autre, puis de deux, de trois, de quatre;
alors un millier de feux s'élancent, du sommet des collines, jusqu'à ce qu'enfin tout le pays apparaît enflammé.
Parfois, les prêtres allument le premier feu sur la place du marché; quelquefois il est allumé par un ange, qu'on
fait descendre par un mécanisme du haut de l'église avec un flambeau à la main: il met le feu au bûcher, et
disparaît ensuite. Les jeunes gens dansent autour de la flamme avec une rapidité vertigineuse; car ils disent
que si l'on danse autour de neuf de ces feux avant minuit on se mariera l'année suivante. On place des sièges
auprès des feux pour les morts dont les âmes dit-on, doivent venir se donner la triste satisfaction d'écouter
encore une fois leurs chants nationaux et contempler les joyeux ébats de la jeunesse. On conserve des
fragments de ces torches comme talismans préservatifs du tonnerre et des maladies nerveuses; et la couronne
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de fleurs qui surmonte le principal feu est tellement convoitée, qu'on se la dispute bruyamment ." Voilà
comment on célèbre la fête en France.
Passons maintenant en Irlande. "Le jour de cette grande fête des paysans irlandais, la veille de Saint-Jean,
nous dit Charlotte Élisabeth, décrivant une fête particulière dont elle avait été témoin, il est d'usage, au
coucher du soleil, d'allumer dans tout le pays des feux énormes qui s'élèvent comme nos feux de joie, à une
grande hauteur, et forment un bûcher composé de gazon, de roseaux et de toutes les substances inflammables
que l'on peut amasser. Le gazon donne un élément solide, substantiel, les roseaux une flamme excessivement
brillante, et l'effet de ces grands incendies allumés sur chaque colline est fort curieux. De bonne heure, le soir,
les paysans commencent à se réunir, tous vêtus de leurs plus beaux habits, brillants de santé, la figure remplie
de cette vive animation et de cet excès de joie qui caractérisent la foule enthousiaste de ce pays. Je n'avais
jamais rien vu de semblable; et je fus enchantée de voir ces figures jolies, intelligentes, joyeuses, la mine fière
des hommes, et la contenance folâtre mais modeste des jeunes filles, la vivacité des vieillards, et la gaieté folle
des enfants. Le feu allumé, un jet brillant de flamme s'élança dans les airs; et pendant un moment ils le
contemplèrent immobiles, la figure étrangement altérée par la vive lumière qui éclata quand on jeta les
roseaux dans le feu. Au bout de quelques instants, on fit place autour d'un vieux musicien aveugle, un type
idéal d'énergie, de bouffonnerie, de malice, qui, assis sur une chaise basse, une cruche bien remplie à portée
de sa main, éleva son chalumeau aux notes les plus gaies, et une gigue interminable commença. Mais il se
produisit un incident qui me surprit fort. Quand le feu eut brûlé pendant quelques heures et qu'il se fut abaissé,
alors eut lieu une partie indispensable de la cérémonie. Chacun des assistants s'élança au travers du feu, et
plusieurs enfants furent jetés au travers des cendres étincelantes; puis on apporta un appareil en bois de huit
pieds de long, terminé par une tête de cheval fixée à une extrémité et recouvert d'un grand drap blanc qui
cachait le bois et l'homme qui le portait sur sa tête. Ce mannequin fut acclamé aux cris bruyants de Cheval
blanc; et après avoir plusieurs fois lestement traversé le feu sans encombre, grâce à l'adresse de celui qui le
portait, il se mit à poursuivre la foule qui s'enfuyait dans toutes les directions. Je demandai ce que signifiait
ce cheval, on me dit qu'il représentait tout le bétail." "C'était là, ajoute l'auteur, l'ancien culte païen de Baal,
sinon de Moloch lui-même, pratiqué ouvertement et par tous, au coeur d'une nation qui se dit chrétienne, et
par des millions qui professaient nominalement le christianisme! J'étais stupéfaite, car je ne savais pas encore
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que la papauté n'est qu'une adroite adaptation des idolâtries païennes à son propre système ."
4 Tableaux du dehors, p. 225.
5 Souvenirs personnels, p. 112-115.