Page 91 - LES DEUX BABYLONES
P. 91

89
          Telle est la fête de la veille de la Saint-Jean, qu'on célèbre pendant deux jours en France et dans la catholique
          Irlande. Telle est la manière dont les sectateurs de Rome prétendent commémorer la naissance de celui qui
          vint "préparer la voie du Seigneur" en détournant son ancien peuple de toutes ses vaines manières de penser
          et  en le mettant dans la nécessité d'embrasser le royaume de  Dieu qui ne consiste pas dans les choses
          extérieures, "mais dans la justice, la paix et la joie par le Saint-Esprit". Nous avons vu que le spectacle même
          des  rites par lesquels on célèbre cette fête amena  sur-le-champ l'auteur dont nous avons parlé à cette
          conclusion, que ce qu'elle avait devant les yeux était vraiment un débris de l'ancien culte païen de Baal.
          L'histoire  de cette fête et la manière dont elle est  observée se prêtent une lumière réciproque. Avant
          l'introduction du christianisme dans les îles Britanniques, la fête païenne du 24 juin était célébrée chez les
          Druides par des feux éblouissants en l'honneur de leur grande divinité qui, nous l'avons vu, était Baal. "Ces
          feux et ces sacrifices de midsummer, la Mi-été, dit Toland dans ses relations sur les Druides, étaient destinés
          à obtenir une bénédiction des moissons de la terre, prêtes alors à être recueillies; comme ceux du premier jour
          de mai, afin qu'elles pussent croître et prospérer, tandis qu'au dernier jour d'octobre, c'était des actions de
                                      6
          grâces pour la fin de la récolte ." Parlant de nouveau des feux des Druides au milieu de l'été, il continue ainsi:
          "Pour en revenir à nos feux de Saint-Jean, c'était l'usage que le seigneur de l'endroit ou son fils, ou quelque
          autre personne de distinction prît dans ses mains les entrailles des animaux sacrifiés et marchât trois fois pieds
          nus sur les charbons après l'extinction des flammes, portant ces entrailles au Druide qui, recouvert d'une peau,
          officiait à l'autel. Si le seigneur sortait sain et sauf de l'épreuve, c'était un bon présage qu'on accueillait par
          de grandes acclamations; mais s'il était blessé, c'en était un mauvais pour lui-même et pour les habitants du
          village.  Ainsi,  dit Toland, j'ai vu en Irlande la foule courir et sauter dans les feux de Saint-Jean; et non
          seulement on était fier de les traverser sans blessure, mais comme si c'était une espèce de purification, on se
          croyait en quelque sorte béni par cette cérémonie, dont on ne connaissait point cependant l'origine dans cette
                                7
          imparfaite reproduction ."
          Nous avons déjà vu qu'il y a des raisons de conclure (p. 82) que Phoronée le premier mortel qui ait régné,
          c'est-à-dire Nemrod, et la déesse Romaine Feronia, ont des rapports communs. Si on les rapproche des feux
          de Saint-Jean, ces rapports sont encore mieux établis par les détails que l'antiquité nous fournit sur ces deux
          divinités; et en même temps s'explique l'origine de ces feux. Phoronée est dépeint de telle manière qu'il nous
          paraît se rattacher de près à l'origine du culte du feu. Voici comment Pausanias en parle – "Près de l'image
          de  Biton, les Argiens allument un feu car ils ne croient pas que le feu ait été donné aux hommes  par
                                                                     8
          Prométhée, ils croient que c'est Phoronée qui en est l'inventeur ." La mort de ce Phoronée inventeur du feu
          qui le premier réunit les hommes en sociétés, doit avoir eu quelque chose de tragique, car après avoir décrit
                                                                                                          9
          le lieu de son sépulcre, Pausanias ajoute: "Même de nos jours, on lui fait des cérémonies funèbres ." Ce
          langage montre que sa mort a été entourée d'honneurs comme celle de Bacchus. Le caractère du culte de
          Feronia coïncide avec celui du culte du feu; c'est ce qui ressort des rites pratiqués par les prêtres de la cité du
          pied du mont Soracte, appelée de son nom. "Les prêtres, dit Bryant s'appuyant à la fois sur l'autorité de Pline
                                                                                         10
          et de Strabon, marchaient sur un amas de cendres chaudes et de charbons brûlants ." Aruns, dans Virgile,
          parle du même usage lorsqu'il s'adresse à Apollon, le dieu soleil qui avait son sanctuaire à Soracte, où l'on
          adorait aussi Feronia: et c'était sans doute le même que Jupiter Anxur qu'on lui associait et qu'on appelait le
          jeune Jupiter, comme Apollon était nommé le jeune Apollon. Voici comment s'exprime Aruns: "Puissant
          Apollon, gardien du Soracte sacré, toi que nous adorons avant tous les dieux, toi pour qui nous entretenons
          la flamme de nos pins entassés; pour qui, dans notre zèle pieux, nous foulons avec confiance les charbons du
                11
          brasier ."





                       6
                              TOLAND, Les Druides, p. 107.
                       7
                              ibid. p. 112.
                       8
                              PAUSANIAS, liv. II, Corinthiaca, ch. 19.
                       9
                              ibid. ch. 20.
                       10     BRYANT, vol. I, p. 237.
                       11
                              VIRGILE, Enéide, liv. XI, v. 785. "Le jeune Apollon qui naquit pour introduire chez les Grecs l'ordre et
                              la loi fit, dit-on, son apparition à Delphes au milieu de l'été." MULLER, Les Doriens, vol. I, p. 295-296.
   86   87   88   89   90   91   92   93   94   95   96