Page 194 - LES DEUX BABYLONES
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          Virgile parle aussi du même prodige:


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                             Dans les temples l'ivoire se couvre de larmes et l'airain de sueur .

          quand, sous le consulat d'Appius Claudius et de Marcus Perpenna, Publius Crassus fut égorgé dans une
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          bataille contre Aristonicus, la statue d'Apollon à Cumes pleura pendant quatre jours sans interruption . Les
          dieux avaient aussi leurs moments de bonne humeur comme leurs accès de larmes. Si Rome estime que le
          froncement des sourcils est une perfection divine pour la statue de la Madone, il était également admis que
          les statues païennes faisaient à l'occasion une petite grimace. Nous savons que le cas se produisait souvent:
          Psellus nous dit que, lorsque les prêtres faisaient usage de leur pouvoir magique, les statues riaient et les
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          lampes  s'allumaient d'elles-mêmes . Cependant quand les  statues étaient joyeuses, elles paraissent avoir
          inspiré d'autres sentiments que la joie à ceux qui les contemplaient.

          Les Théurgistes, dit Salverté, faisaient apparaître des dieux dans les airs au milieu d'une vapeur gazeuse, sans
          aucun feu. Le théurge Maxime faisait incontestablement usage d'un secret analogue à celui-là, lorsque, dans
          les fumées de l'encens qu'il brûlait devant la statue d'Hécate, on voyait la statue rire si naturellement qu'elle
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          terrifiait les spectateurs . Il y avait des jours cependant où elles inspiraient d'autres sentiments. La statue de
          la Madone jette-t-elle un regard favorable sur son adorateur privilégié pour le renvoyer avec l'assurance que
          sa prière a été entendue? Il en était ainsi pour les statues égyptiennes d'Isis. Elles étaient faites de telle manière
          que la déesse pouvait remuer le serpent d'argent qu'elle portait sur le front, et faire un signe de tête à ceux qui
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          avaient su faire leur demande d'une façon qui lui plût . Nous lisons que les saints de Rome montraient leur
          pouvoir miraculeux en traversant les rivières ou la mer de la manière la plus extraordinaire. Ainsi, Saint-
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          Raymond fut, dit-on, transporté sur la mer dans son manteau . Le paganisme ne le cède pas d'un iota au
          Romanisme sur ce sujet. On raconte, en effet, qu'un saint Bouddhiste, Sura Acharya, visitant son troupeau
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          à l'ouest de l'Indus, flottait au-dessus de l'eau sur son manteau . Les dieux et les grands prêtres du paganisme
          montraient  encore plus d'élasticité. Il y a aujourd'hui un saint de l'Église de Rome quelque part sur le
          continent, du nom de saint Cubertin; ce saint est tellement immatériel, que lorsqu'il fait ses dévotions, son
          corps ne peut pas demeurer sur terre, en dépit de toutes les lois de gravité, il s'élève à plusieurs pieds en l'air.
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          Ainsi étaient le fameux Saint François d'Assise , Pierre de Martuna  et François de Macerata  qui vivaient
          il y a aujourd'hui quelques siècles.
          Mais saint Cubertin et saint François sont loin d'être originaux dans cette dévotion surhumaine. Les prêtres
          et les magiciens des mystères Chaldéens les avaient devancé non pas seulement depuis des siècles, mais
          depuis des milliers d'années. Coelius Rhodigunus dit que d'après les Chaldéens, des rayons lumineux émanant
          de l'âme pénètrent quelquefois le corps d'une manière divine: dès lors il s'élève de lui-même au-dessus de la
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          terre; c'est ce qui arrivait pour Zoroastre . Les disciples de Jamblique affirmaient que souvent ils avaient vu



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                              VIRGILE, Géorgiques, liv. I, v. 480.
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                              AUGUSTIN, De Civitate Dei, liv. III, vol. IX, ch. 11, p. 90.
                       7      PSELLUS, Les Démons, p. 40-41.
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                              ENNAPIUS, p. 73.
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                              JUVÉNAL, Satires, VI, p. 73.
                       10     NEWMAN, Discours, 285-287, dans BEGG, Manuel de la papauté, p. 93.
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                              TODD, L'Inde occidentale, p. 277.
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                              SALVERTÉ, p. 37.
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                              Flores Seraphici, p. 158.
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                              ibid., p. 391.
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                              SALVERTÉ, p. 37. L'histoire de ce François de Macerata est la contrepartie exacte de celle de
                              Zoroastre, car non seulement il fut élevé pendant qu'il était en prière, mais son corps devint en même
                              temps lumineux, "flammam que capiti insidentem", une flamme surmontait sa tête. (Flores Ser, p. 391).
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