Page 196 - LES DEUX BABYLONES
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première bête qui montait de la terre et qui faisait des miracles devant la première bête, cela montre que la
bête qui vient de la terre c'est le faux prophète, en d'autres termes c'est Nebo. Si nous examinons l'histoire de
l'empire Romain nous trouvons aussi un accord exact entre le type et la figure correspondante. Quand la
blessure mortelle du paganisme fut guérie, et que l'ancien titre païen de pontife fut restauré, ce fut par le
moyen du clergé corrompu, symbolisé, comme on le croit généralement, et comme cela était tout naturel, sous
l'image d'une bête à cornes, comme un agneau, suivant la parole de Nôtre-Seigneur: "Prenez garde aux faux
prophètes qui viendront à vous sous des vêtements de brebis et qui au-dedans sont des loups ravissants."
(Matthieu VII, 15).
Le clergé, comme corporation, se composait de deux parties, le clergé régulier et le clergé séculier,
correspondant aux deux cornes ou aux deux pouvoirs de la bête, et réunissant aussi, à une époque très reculée,
les pouvoirs temporels et spirituels. Les évêques, chefs de ce clergé, avaient de grands pouvoirs temporels
longtemps avant que le pape n'eût sa couronne temporelle. Nous en trouvons la preuve à la fois dans Guizot
et dans Gibbon. Après avoir montré que déjà avant le Ve siècle, le clergé était non seulement distinct, mais
indépendant du peuple, Guizot ajoute: "Le clergé chrétien avait cependant une autre source d'influence. Les
évêques et les prêtres devinrent les principaux magistrats municipaux. Si vous ouvrez le code, soit celui de
Théodose, soit celui de Justinien, vous trouverez beaucoup de règles qui remettent les affaires municipales
au clergé et aux évêques." Guizot fait plusieurs citations. L'extrait suivant du code de Justinien suffit à
montrer l'étendue du pouvoir civil des évêques. "Quant aux affaires annuelles des cités, soit celles qui
concernent les revenus ordinaires de la ville, soit qu'il s'agisse de fonds provenant de sa propriété ordinaire
ou des dons et des legs, ou de quelqu'autre ressource; soit qu'il s'agisse de travaux publics, de dépôts de
provisions ou d'aqueducs, de l'entretien des bains, des ports ou de la construction de murs ou de tours, de la
réparation des ponts ou des routes; ou de procès dans lesquels la cité peut être engagée pour des intérêts
publics ou privés, nous ordonnons ce qui suit: le très pieux évêque et trois notables choisis parmi les premiers
de la cité, se réuniront chaque année, ils examineront les ouvrages exécutés; ils prendront soin que ceux qui
les conduisent ou qui les ont conduits les règlent avec précision, rendent leurs comptes, et montrent qu'ils ont
rempli leurs engagements dans l'administration des affaires, soit qu'il s'agisse des monuments publics, soit
qu'il s'agisse des sommes dépensées pour les approvisionnements, pour les bains, ou des dépenses dans
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l'entretien des routes, des aqueducs, ou de tous autres travaux ." Voilà une bien grande liste des fonctions
laissées aux soins spirituels du très pieux évêque; mais pas une seule n'est mentionnée dans l'énumération des
devoirs d'un évêque, telle que la fait la Parole de Dieu (I Timothée I, 7; Tite I, 5, 9). Comment les évêques qui
furent dans l'origine désignés pour des objets purement spirituels s'efforcèrent-ils de s'emparer d'une telle
étendue de pouvoirs temporels?
Gibbon nous fournit la lumière sur la vraie origine de ce que Guizot appelle "ce prodigieux pouvoir". L'auteur
de "Déclin et chute" montre que peu de temps après Constantin, l'Église (et par conséquent les prêtres, plus
spécialement, quand ils essayèrent de former un corps distinct de l'autre clergé) obtint un grand pouvoir
temporel par le droit d'asile qui avait appartenu aux temples païens, et fut transféré par les empereurs aux
églises chrétiennes. Voici ses paroles: "Il était permis aux fugitifs et même aux coupables d'implorer la justice
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ou la pitié de la déesse et de ses ministres ." Ainsi furent jetés les fondements de l'envahissement sacerdotal
dans les droits des magistrats civils, ainsi le clergé fut encouragé a s'emparer des pouvoirs de l'état. Ainsi,
comme le fait justement remarquer l'auteur de "Rome au XIXe siècle", à propos du droit d'asile, les autels,
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par une étrange perversion, protégèrent les crimes mêmes qu'ils devaient faire disparaître du monde . C'est
un fait bien frappant, qui montre combien le pouvoir temporel de la papauté dans ses origines était fondé sur
l'illégalité, et c'est une preuve de plus, après toutes celles qu'on peut invoquer, que la tête du système romain
à laquelle tous les évêques sont soumis, est véritablement "ô ocvo|HoÇ", l'impie, prédit dans l'Écriture comme
le chef reconnu du "mystère d'iniquité". Tout ce pouvoir temporel vint dans les mains d'hommes qui, se disant
22 GUIZOT, Histoire de la Civilisation, vol. I, sect. II, p. 36-37.
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GIBBON, vol. III, ch. 20, p. 287.
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Rome au XIXe siècle, vol. I, p. 246-247.