Page 86 - VERSIONS ET RÉVISIONS DE LA BIBLE
P. 86
morceau de bravoure car une telle approche ne considère
pas l'étymologie. C'est une pratique qui a eu vent en
poupe les siècles précédents. L'infini du sens engendre
donc l'infini du possible des traductions. Une sorte de
gigantesque tour de Babel pour accéder à la perfection de
la traduction. Le texte biblique fut écrit par des hommes
qui avaient à leur disposition leur langue. Et au-delà de la
langue, c'est le miracle divin: Antoine Berman, dans
«L'Épreuve de l'Étranger», un essai qu'il consacre à
l'histoire de la traduction et à ses théories, s'oppose
fermement à la «négation systématique de l'étrangeté de
l'œuvre étrangère». Il explique que l'on n'a pas le droit,
lorsque l'on traduit un texte, de détacher un texte de la
culture dans laquelle il est né. Ce texte est le fruit d'un
autre; et en même temps nous partageons avec lui
quelque chose qui est tout simplement notre expérience
du monde, notre expérience du langage. Selon Walter
Benjamin, le langage est pure essence, et donc au-delà
des langues il y a un universel du langage: pour les
romantiques allemands, la traduction est l'occasion de
renouveler sa propre langue et d'enrichir sa littérature par
le biais de l'original. Nous sommes donc ramené à nous-
mêmes quand nous traduisons un texte, et ce d'autant
plus dans le cas de la Bible, puisque se joue notre
expérience de Dieu. Car s'il est certain qu'un texte
littéraire de Racine engage des réalités extrêmement
complexes, tant du point de vue sociopolitique que
littéraire, la Bible, elle aussi, est marquée historiquement
84