Page 222 - LES DEUX BABYLONES
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                                        Note C, p. 21 - Shing-Moo et Ma-Tsoopo



            Si nous comparons le nom de Shing-Moo, la sainte Mère des Chinois, à un autre nom de cette déesse dans
         une autre province de Chine, nous pourrons conclure que Shing-Moo est précisément un synonyme de l'un
          des noms bien connus de la déesse-mère de Babylone. Gillespie (Pays de Sinim, p. 64) déclare que la déesse-
          mère des Chinois, ou la reine des cieux, dans la province de Fuh-Kien, est adorée par les marins sous le nom
          de Ma-Tsoopo. Or, Ama-Tzupah veut dire la mère qui contemple, et il y a de fortes raisons de croire que
          Shing-Moo veut dire la même chose; en effet, Mû est l'une des formes sous lesquelles Mut ou Maut, la Grande
          Mère, apparaissait en Égypte (BUNSEN, Vocabulaire, vol. I, p. 471) et Shugh, en chaldéen, veut dire regarder
          ou contempler. L'Égyptien Mû ou Maut était symbolisé par le vautour, ou par un oeil entouré d'ailes de
          vautour (WILKINSON, vol. V, p. 203). Le sens symbolique du vautour peut être fourni par une expression
          scripturaire: "Il y a un chemin que nul oiseau de proie ne connaît, et que l'oeil du vautour n'a point vu." (Job
          XXVIII, 7). Le vautour était renommé pour son oeil perçant, et de là, l'oeil entouré d'ailes de vautour montrait
          que pour une raison ou pour une autre, la grande mère des dieux, en Égypte, avait été appelée "celle qui voit".
          Mais l'idée contenue dans le symbole Égyptien avait été évidemment empruntée à la Chaldée; car Rhéa, un
          des noms les plus connus de la mère Babylonienne des dieux, est exactement la forme chaldéenne de l'hébreu
          Rhaah, qui veut dire à la fois une femme qui contemple et un vautour. L'hébreu Rhaah lui-même peut aussi
          se prononcer Rheah, suivant une variation de dialecte, de là le nom de la grande déesse-mère d'Assyrie était
          quelquefois Rhéa, et quelquefois Rheia. En Grèce, la même idée était attachée à Athéné ou Minerve qui était
          appelée parfois "la mère des enfants du Soleil" (note 6, p. 36). Un de ses titres était Ophthalmitis (SMITH,
          Dict.  class., Athena, p. 102). On la désignait par là comme la déesse de l'oeil. C'était évidemment pour
          indiquer  le même fait, que,  comme l'Égyptienne Maut portait un vautour sur la tête, ainsi la Minerve
          d'Athènes était représentée comme portant un casque avec deux yeux, ou des trous pour les yeux dans le front
          du casque (VAUX, Antiquités, p. 186).


          Maintenant que nous avons dépeint, dans tous les pays, la mère qui contemple, nous demandera-t-on: d'où
          vient qu'on a donné un nom pareil à la mère des dieux? Un fragment de Sanchoniathon, sur la mythologie
          Phénicienne, nous fournit une réponse satisfaisante. Il nous dit que Rhéia conçut de Kronos, son propre frère,
          qui cependant était connu comme le père des dieux: elle mit au monde un fils qui fut appelé Muth, c'est-à-
          dire, comme Philo-Byblius interprète justement ce nom, Mort. Comme Sanchoniathon distingue expressément
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          le père des dieux d'avec Hypsistos, le Très-Haut , nous nous rappelons naturellement ce qu'Hésiode dit à
          propos de Kronos, le père des dieux qui, pour une certaine action coupable, fut appelé Titan, et précipité au
          fond de l'enfer (Theogonia, 1. 207, p. 18).


          Le Kronos auquel Hésiode fait allusion est évidemment au fond un Kronos différent du père humain des dieux
          ou Nemrod, dont l'histoire occupe dans cet ouvrage une si grande place. Il est évident qu'il n'est autre que
          Satan lui-même, le nom de Titan ou Teitan, n'était autre chose (p. 409) que la forme chaldéenne de Sheitan,
          nom ordinaire du grand adversaire chez les Arabes, dans le pays même où les mystères chaldéens furent
          primitivement élaborés, – cet adversaire qui fut plus tard le vrai père de tous les dieux païens, – et qui (pour
          lui approprier aussi le titre de Kronos, le cornu) fut symbolisé par le Kerastes ou serpent à cornes. Tous les
          frères  de ce père des dieux impliqués dans sa rébellion contre son propre père, le Dieu du ciel, étaient
          également  flétris du nom de Titans; mais comme chef de la rébellion,  il était naturellement Titan par
          prééminence. Dans cette rébellion de Titan, la déesse de la terre fut compromise, et de là (en écartant la figure
          sous laquelle Hésiode a déguisé le fait) cette impossibilité que le Dieu du ciel eut des enfants sur la terre
          (allusion à la chute). Or, si nous tenons pour avéré que c'est là le père des dieux, dont Rhéa (ordinairement
          appelée la mère des dieux, et identifiée à Gé ou la déesse de la terre) eut l'enfant appelé Muth ou la Mort, qui



                       1      Quand on lit cet auteur, il faut se rappeler ce que Philo-Byblius, qui 1'a traduit affirme à la fin de son
                              Histoire de la Phénicie, savoir, que l'histoire et la mythologie sont mêlés dans cet ouvrage.
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