Page 221 - LES DEUX BABYLONES
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Ainsi tout Mizraïm ou la Basse Égypte était sous l'eau. Cet état du pays provenait des débordements du Nil,
qui, pour adopter le langage de Wilkinson (vol. I, p. 89), "baignait autrefois le pied des montagnes
sablonneuses de la chaîne Lybienne".
Or, avant que l'Égypte n'offrit aux humains un séjour convenable, avant qu'elle ne devint ce qu'elle a été plus
tard, l'un des pays les plus fertiles, il était indispensable qu'on mît des limites aux débordements de la mer (car
le Nil était primitivement appelé du nom même d'Océan, ou Mer, DIOD. liv. I, p. 8), et que pour ce dessein
on ne contînt les eaux par de grandes chaussées. Si le fils de Ham amena alors une colonie dans la Basse-
Égypte et s'y établit, c'est sans doute lui qui fit ce travail. Quoi de plus naturel dès lors qu'un nom lui ait été
donné pour rappeler cette grande entreprise? Et où trouver un nom aussi caractéristique que "celui qui arrête
la mer" ou que le nom appliqué aujourd'hui à toute l'Égypte (WILKINSON, vol. I, p. 2), Musr ou Misr? Les
noms tendent toujours à être abrégés dans la bouche du peuple, par conséquent le pays de Misr est
évidemment "le pays de celui qui arrête la mer". Il s'ensuit qu'arrêter la mer, la retenir dans de certaines
limites, c'était en faire comme une rivière, autant que cela était possible dans la Basse Égypte. Le sujet étant
ainsi conçu à ce point de vue, quel sens admirable est renfermé dans le langage inspiré d'Ézéchiel (Ézéchiel
XXIX, 3), où le prophète dénonce les jugements divins contre le roi d'Égypte représentant de "Metzraïm, celui
qui arrêta la mer" à cause de son orgueil: "Voici, j'en veux à toi, Pharaon, roi d'Égypte, grand crocodile qui
te couches au milieu de tes fleuves, et qui dis: Mon fleuve est à moi, c'est moi qui l'ai fait!" Quand nous lisons
ce qui est rapporté des actions de Menés qui d'après Hérodote, Manetho et aussi Diodore, était le premier roi
historique de l'Égypte, et que nous comparons ce qui est dit de lui avec la simple explication du sens du nom
de Mizraïm, quelle lumière l'un ne jette-t-il pas sur l'autre! Voici comment Wilkinson (Les Égyptiens, vol.
I, p. 89) décrit le grand travail qui donna du renom à Menés qui, s'il faut en croire l'opinion générale, fut le
premier souverain du pays: "Ayant détourné le cours du Nil qui autrefois baignait les montagnes sablonneuses
de la chaîne Lybienne, il l'obligea à courir au centre de la vallée à peu près à une distance égale entre les deux
lignes parallèles des montagnes qui la bordent à l'est et à l'ouest; et il bâtit la ville de Memphis dans le lit de
l'ancien canal. Ce changement fut effectué par la construction d'une digue à environ cent stades au-dessus de
l'emplacement de la cité projetée dont les remparts élevés et les quais solides rejetaient l'eau à l'est, et
confinaient la rivière dans son nouveau lit. La digue fut soigneusement entretenue par les successeurs de
Menés et même lors de l'invasion des Perses, on y maintenait toujours une garde pour veiller sur les
réparations nécessaires et observer l'état des digues."
Quand nous lisons que Menés, le premier des rois Égyptiens reconnus par l'histoire, accomplit cette entreprise
indiquée parle nom de Mizraïm, qui peut résister à cette conclusion que Menés et Mizraïm sont deux noms
différents de la même personne? Et s'il en est ainsi, que devient la vision de Bunsen, "des puissantes dynasties
de souverains pendant une période de deux ou quatre mille ans" avant le règne de Menés, par lesquelles toute
la chronologie scripturaire de Noé et de ses enfants était anéantie, quand il devient évident que Menés doit
certainement avoir été Mizraïm, le petit-fils de Noé lui-même? Ainsi l'Écriture contient dans son propre sein
les moyens de se venger; ainsi ses déclarations les plus minutieuses, même lorsqu'il ne s'agit que de simples
faits, si on les comprend bien, jettent une lumière étonnante sur les parties les plus obscures de l'histoire du
monde!