Page 208 - LES DEUX BABYLONES
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place qu'occupaient ces rites de Teitan ou de Satan était en effet capitale; on en jugera par le fait que Pluton,
dieu de l'enfer (qui sous son caractère postérieur devint précisément le grand adversaire), fut considéré avec
terreur comme le grand dieu sur lequel reposait surtout la destinée humaine dans le monde éternel; c'est à lui,
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disait-on, qu'il appartient de purifier les âmes après la mort . Le purgatoire ayant été dans le paganisme,
comme il l'est aujourd'hui dans la papauté, le grand pivot de la fraude cléricale et de la superstition, quel n'est
pas le pouvoir attribué au dieu de l'enfer par une pareille doctrine! Il n'est donc pas étonnant que le serpent,
le grand instrument du démon pour séduire l'humanité, fût sur toute la terre adoré avec un respect si
extraordinaire; car il est écrit dans l'Octateuch d'Ostanes, que les serpents étaient les chefs des dieux et les
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princes de l'univers . Il n'est pas étonnant que l'on en vînt enfin à croire que le Messie, sur lequel reposaient
toutes les espérances du monde, fût lui-même la semence du serpent! Ce fut évidemment le cas en Grèce, car
on répandit l'histoire que le premier Bacchus fut mis au monde par suite du rapprochement de sa mère avec
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le père des dieux sous la forme d'un serpent tacheté . Ce père des dieux était évidemment le dieu de l'enfer,
car Proserpine, mère de Bacchus, qui conçut et enfanta miraculeusement l'enfant merveilleux dont
l'enlèvement par Pluton occupait une si grande place dans les mystères, fut adoré comme la femme du dieu
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de l'enfer (nous l'avons déjà vu) sous le nom de la sainte Vierge . L'histoire de la séduction d'Ève par le
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serpent est entièrement transportée dans cette légende, comme Julius Firmicus et les premiers apologistes
chrétiens l'ont jeté à la face des païens de leur temps, mais la parole divine donne sur ce sujet des détails bien
différents de la légende païenne (Genèse III, 1-6). Ainsi le grand trompeur, avec son habileté ordinaire,
comme un joueur qui pipe les dés, au moyen des hommes qui tout d'abord manifestèrent une grande horreur
pour son caractère, se fit presque partout reconnaître en réalité comme le "dieu de ce monde". Telle était la
profondeur et la puissance de l'influence que Satan s'était efforcé d'exercer sous ce caractère sur le monde
ancien, qui même le jour où le christianisme apparut dans l'humanité et où la véritable lumière brilla du ciel,
la doctrine que nous avons étudiée se répandit parmi ceux-là mêmes qui faisaient profession d'être les
disciples du Christ.
Ceux qui acceptaient cette doctrine s'appelaient Ophiens ou Ophites, c'est-à-dire adorateurs du serpent. "Ces
hérétiques, dit Tertullien, honorent le serpent au point de le préférer même à Christ; car il nous a donné,
disent-ils, la première connaissance du bien et du mal. C'est parce qu'il devina son pouvoir et sa majesté que
Moïse fut amené à élever le serpent d'airain, afin que quiconque le regarderait fût guéri. Christ, lui-même,
affirment-ils, sanctionne dans l'Évangile le pouvoir sacré du serpent, lorsqu'il dit: Comme Moïse éleva le
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serpent dans le désert, de même il faut que le fils de l'homme soit élevé (Nombres XXI, 9; II Rois XVIII,
4). Ils prononcent ces paroles lorsqu'ils bénissent l'Eucharistie." Ces hérétiques adoraient ouvertement l'ancien
serpent ou Satan comme étant le grand bienfaiteur de l'humanité: c'est lui, qui, disent-ils, a donné aux hommes
la connaissance du bien et du mal. Mais ils avaient apporté cette doctrine avec eux de l'ancien monde païen,
d'où ils étaient sortis, ou des mystères, tels qu'ils étaient reçus ou célébrés à Rome. Quoique Teitan à l'époque
d'Hésiode, et dans la Grèce primitive, fût un nom injurieux, cependant à Rome, aux jours de l'empire et
auparavant, il était devenu exactement le contraire. "Le splendide ou glorieux Teitan", telle était la manière
dont on parlait de lui à Rome. C'était le titre donné ordinairement au soleil, à la fois comme globe du jour et
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TAYLOR, Pausanias, vol. III, p. 321, note.
33 EUSÈBE, Proepamtio Evang., liv. I, vol. I, p. 50.
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OVIDE, Métam., liv. VI, v. 114. Les païens croyaient si bien que la semence du serpent était le grand roi
du monde que lorsqu'on divinisait un homme, il fallait absolument montrer qu'il était vraiment de la race
du serpent. Ainsi, quand Alexandre le Grand prétendit aux honneurs divins, on sait que sa mère
Olympias déclara qu'il n'était pas issu du roi Philippe son mari, mais de Jupiter sous la forme d'un
serpent. De même, dit l'auteur de Rome au XIX siècle, vol. I, p. 388, l'empereur romain Auguste
prétendit être le fils d'Apollon et disait que le dieu avait pris la forme d'un serpent pour lui donner
naissance. Voir SUET. AUGUTUS.
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Voir p. 188-189.
36 Nous lisons que Sémélé, mère du Bacchus grec, avait été identifiée avec Ève, car le nom d'Ève lui avait
été donné. Photius nous dit en effet, que Phérécyde appelait Sémélé, Hué (Phot. lex, P. II, p. 616.) Hué
est précisément le nom hébreu d'Ève sans les points voyelles.
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TERTULLIEN, De proescipt. adv. Hoereticos, vol. II, ch. 47, p. 63-64.