Page 146 - LES DEUX BABYLONES
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                                           Article 5 - Les lampes et les cierges



            Un autre trait caractéristique du culte romain, c'est l'emploi des lampes et des cierges. Si la Madone et
          l'enfant sont mis dans une niche, il leur faut une lampe qui brûle devant eux; pour célébrer une messe, même
          en plein jour, il faut allumer des cierges sur l'autel; de même une grande procession est incomplète s'il n'y a
          pas de cierges allumés pour en embellir le pompeux spectacle. L'usage de ces lampes et de ces cierges vient
          de la même origine que tout le reste de la superstition papale. La même raison qui fit représenter le coeur par
          du feu lorsqu'il devint un emblème du Fils incarné, fit naître l'usage des lampes et des cierges allumés dans
          le culte de ce Fils; car suivant les rites établis par Zoroastre, c'est ainsi qu'on adorait le dieu Soleil. Quand
          chaque Égyptien, à un jour fixé, était tenu d'allumer une lampe en plein air sur sa porte, c'était un hommage
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          rendu au soleil qui avait caché sa gloire en revêtant une forme humaine . Quand aujourd'hui les Yezidis du
          Kourdistan célèbrent chaque année leur fête des lampes allumées, c'est aussi en l'honneur du Sheik Shems,
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          ou du soleil . Or, ce qui se faisait sur une grande échelle dans des occasions importantes, se faisait également
          dans le culte individuel: chacun allumait des lampes et des cierges devant son dieu favori. À Babylone, cette
          coutume était fort répandue, si l'on en croit le livre de Baruch. "Les Babyloniens, dit-il, allument devant leurs
          dieux des lampes innombrables, bien plus qu'ils ne le font pour eux-mêmes, quoique les dieux ne puissent
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          en voir une seule, et qu'ils soient aussi insensibles que les poutres de leur maison ."

          Dans la Rome païenne on pratiquait la même coutume. Licinius, empereur romain, avant de se battre avec
          Constantin, son rival, convoque une réunion de ses amis dans un bois épais, offre des sacrifices à ses dieux
          et leur allume des cierges; en même temps dans son discours il leur déclare que s'ils ne lui font pas remporter
          la victoire sur Constantin son ennemi et le leur, il se verra forcé d'abandonner leur culte et de ne plus allumer
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          de cierges en leur honneur . Dans les processions païennes à Rome, les cierges figuraient partout. Dans ces
          solennités,  (dit le Dr. Middleton invoquant l'autorité d'Apulée), dans ces solennités le magistrat en chef
          siégeait souvent en robe de cérémonie, assisté des prêtres en surplis avec des cierges à la main, portant sur
          un  trophée ou "thensa", les statues de leurs dieux revêtues de  leurs plus beaux vêtements. Ils étaient
          ordinairement suivis de l'élite de la jeunesse en vêtements de toile blanche ou en surplis, chantant des hymnes
          en l'honneur des dieux dont ils célébraient la fête, accompagnés de personnes de toute sorte qui étaient initiées
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          à la même religion; tous avaient à la main des flambeaux ou des cierges . Or, cette coutume d'allumer des
          lampes et des cierges en plein jour est si entièrement et si exclusivement païenne que nous trouvons des
          écrivains chrétiens comme Lactance au IVe siècle, qui montrent l'absurdité de cette pratique, et se moquent
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          des Romains "qui allument des cierges pour Dieu comme s'il vivait dans l'obscurité ". Si cette coutume avait
          déjà  tant soit peu pénétré chez les chrétiens, Lactance ne l'aurait jamais tournée en ridicule comme une
          coutume particulière au paganisme. Mais ce qui lui était inconnu à l'Église chrétienne au commencement du
          IVe  siècle commença bientôt après à s'y introduire, et forme  aujourd'hui l'une des particularités les plus
          frappantes de cette communion qui se vante d'être la mère et la maîtresse de toutes les Églises.

          Si Rome emploie à la fois les lampes et les cierges dans les cérémonies sacrées, il est certain cependant qu'elle
          attribue à ces derniers, bien plus encore qu'à tout autre objet, une vertu extraordinaire. Jusqu'à l'époque du
          Concile  de Trente, voici  comment elle  priait la veille de Pâques, à la bénédiction des cierges: "Nous
          t'invoquons  dans tes oeuvres, sainte veille de Pâques, et nous offrons très humblement ce sacrifice à ta




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                              Voir p. 177.
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                              Identifié avec Sheik Adi. Voir Ninive et Babylone, et Ninive et ses ruines, vol I.
                       3      BARUCH, VI, 19, 20. Le passage ci-dessus est de la traduction de Diodati. La version ordinaire, au

                              moins pour le sujet qui nous occupe, est au fond identique.
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                              EUSÈBE, Vita Constantini, liv. II, 5, p. 183.
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                              MIDDLETON, Lettre de Rome, p. 189. APULÉE, vol. I, Métam., ch. IX et ch. X.
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                              LACTANCE, Institut., liv. VI, ch. 2, p. 289.
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