Page 9 - Dictionnaire de la Bible J.A. Bost 1849
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Et qu'on ne dise pas que cette étude suffise à elle seule et sans aucune espèce de secours. L'Écriture a beau
être simple et claire comme le jour, pour tout ce qui concerne les points essentiels de la morale et de la foi,
elle n'en renferme pas moins des difficultés de fait, matérielles, résultant pour nous des temps et des lieux
où elle a été écrite. On dira sans doute, pour pouvoir continuer de dormir, que les détails importent peu
lorsqu'on est sûr de l'ensemble, et que, pourvu que les points fondamentaux soient solidement acquis, et
clairs à entendre, on peut se passer de l'intelligence de tout ce qui n'est que matériel, lettre, et non esprit.
Avec ce faux spiritualisme, invoqué déjà par les docètes, avec cette spirituelle paresse, avec ce dédain
pour les faits et pour les détails, on ira, et l'on a été déjà plus loin qu'on ne voulait. Le Verbe éternel du
Père a été mis dan un corps humain: les Juifs n'ont crucifié que la matière. La Parole divine a été incarnée
dans un livre: ceux qui le brûlent ne brûlent que la matière, du papier. On reconnaît la divinité du Saint-
Esprit, mais on nie sa personnalité; on garde l'esprit, on ne repousse que la forme: on n'a plus qu'un pas à
faire pour prétendre, avec Strauss, conserver l'esprit du christianisme et rejeter le Christ historique, le
mythe, la forme, la matière. Mais, comme en général on est trop faible, trop inconséquent pour pousser
jusqu'au bout les principes, on taxera d'exagération ces déductions, car la pratique habituelle ne les
justifie pas. Eh bien! l'on aura autre chose. Vous aurez un bon frère du Béarn qui lira, dans une assemblée
chrétienne, la parole de Jacques: «L'homme est justifié par les œuvres et non par la foi seulement», et qui,
pour tout commentaire de la doctrine de l'apôtre, vous dira simplement «qu'il y a là sans doute une faute
d'impression.» Vous aurez tel autre bon frère de la Suisse française, qui fera un commentaire de dix
minutes sur la chrétienne naïveté de saint Paul qui nous dit: «Il vaut mieux se marier que de se brûler.»
Vous aurez surtout cette foule de petits docteurs qui ont le bonheur de ne douter de rien, qui, non
seulement, ne diront pas avec Socrate: Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien; mais qui ne diront
pas même avec saint Paul: Je ne veux savoir autre chose que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié. Docteurs
irréfragables, mais non pas angéliques, ils savent tout, affirment tout, et n'admettent pas même qu'on
puisse avoir un autre sentiment que le leur. Si vous leur faites quelque objection, ils vous citeront, avec
plus de mémoire et de piété que d'intelligence et de sens, une foule de passages qu'ils comprendront peu,
mais dont ils refuseront de discuter la signification réelle; genre de controverse facile, et dont on trouve
des exemples ailleurs que chez ceux qui sont simples de langage, de fortune, de titres ou de position. Et si
c'est à l'orthodoxie qu'on peut surtout adresser ce reproche, c'est que, seule aussi, elle risque de tomber
dans cet excès: l'indifférence religieuse a tout l'aplomb de la sagesse et les plus parfaits dehors de la
langueur et du marasme. Les uns ont un zèle sans connaissance, on le leur reproche souvent; les autres
n'ont ni zèle ni connaissance, et c'est ainsi qu'ils se maintiennent en équilibre. Les premiers lisent la Bible,
mais ils ne l'étudient pas; les autres ne lisent rien, ou bien ils lisent des romans ou des journaux. Il serait
instructif, sous ce rapport, de comparer le nombre des protestants de langue française, avec l'écoulement
moyen des publications qui leur sont adressées, en ne prenant même que les publications hors ligne par
le talent, et qui s'adressent à toutes les intelligences, à toutes les consciences, à toutes les convictions. Quoi
qu'il en soit, on lit peu; on ne se nourrit pas, il semble que chacun tienne à ne se plus nourrir que de sa
propre substance, et l'on aura beau dire, ce ne sera jamais une nourriture fort substantielle; les individus
languissent, et l'Église! l'Église elle-même, elle a fait ses preuves, et le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle
languit aussi, c'est qu'elle est affaiblie, c'est que ces temps généreux et forts des Dubosc, des Jurieu, des
Basnage, des Dumoulin, des Drelincourt, des Duplessis-Mornay, sont passés et n'ont laissé aux siècles qui
devaient suivre qu'un souvenir toujours vénéré, mais qu'on n'a ni le courage, ni parfois même le désir
d'imiter.
Nous possédons d'excellents ouvrages de controverse, de dogmatique, d'histoire, d'excellents recueils de
sermons; notre littérature religieuse a des richesses de circonstance: elle possède aussi quelque travaux
d'un intérêt général, mais il y en a peu dans le nombre qu aient directement pour objet l'étude et
l'explication de l'Écriture sainte.
Cette lacune, j'ai essayé de la combler, du moins en partie. L'empressement avec lequel l'annonce de cette
publication a été reçue presque généralement, prouve qu'un travail de ce genre était désiré, et que le
Dictionnaire de la Bible répond à un besoin réel et senti. L'ouvrage est maintenant entre les mains du
public; je n'ai plus à en expliquer la nature, et chacun pourra voir si j'ai réalisé les promesses de mon

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