Page 7 - Dictionnaire de la Bible J.A. Bost 1849
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de chimères, de se payer de mots, les déchirements intérieurs sont plus visibles, plus sensibles, plus
apparents, et l'on peut compter et classer nos diverses Églises. Mais ce travail de décomposition, ce travail
qui se fait partout, n'est que le prélude nécessaire de la recomposition: la déformation annonce non
seulement une réformation, mais une transformation. L'énigme est posée, mais elle n'est pas encore
résolue, le mot n'en est pas encore trouvé. Ce que l'on peut affirmer seulement, c'est que c'est autour de la
Parole de Dieu que l'Église chrétienne se constituera, des fragments de tous ces corps qui auront été brisés
entre les deux écueils de la superstition et de l'irréligion, du fanatisme et de l'incrédulité: la Parole de
Dieu sera la seule autorité de l'Église nouvelle, parce que seule elle est infaillible et spirituelle, parce que
son autorité a déjà subi toutes les épreuves sans ployer et sans rompre sous aucune. C'est même une
chose assez remarquable déjà, quoiqu'on ne puisse pas en conclure tout ce que les prémices feraient
attendre, que la Bible se soit créé un public en dehors du monde religieux qui fait reposer sur elle ses
espérances et sa foi. Les sciences profanes, la philosophie, la philologie, l'histoire naturelle, étudient cet
antique document d'un vieux monde passé, et viennent tour à tour lui rendre hommage; nos grands
historiens cherchent dans la divinité la clef, le secret de l'histoire; c'est dans la religion que les littérateurs
vont puiser leurs plus belles inspirations; les politiques, les économistes en appellent à la Bible, et les
journalistes même, dans l'examen des questions sociales, empruntent à la législation hébraïque, aux
discours de Jésus, aux enseignements des apôtres des arguments dont le point de départ, du moins,
aurait bien étonné les encyclopédistes, et les désorienterait tout à fait s'ils n'avaient pas, pour se retrouver
en chemin, le point commun d'arrivée et de but. La Bible a rompu les digues que les hommes avaient
élevées pour la contenir, elle est entrée dans le domaine public, le principe de la réforme a triomphé
comme triomphe toujours tout principe véritable; il reste maintenant à le développer, à l'appliquer. C'est
le moment de la crise. Tous les partis ont fait cette expérience qu'il est plus aisé de remporter une victoire
que d'en profiter, et que l'organisation définitive est bien rarement accomplie par les mêmes mains qui
ont fait la conquête.
Quels que soient les hommes nouveaux de cette œuvre nouvelle, et quels que soient leurs devoirs, ce n'est
que dans la Bible qu'ils pourront trouver et leur raison d'être et leurs moyens d'action. Ils ne seront pas
appelés à créer ou à inventer; leur but peut être immense, mais leur tâche continuera d'être modeste; ils
auront à comprendre la théologie, à l'appliquer, mais ils ne pourront pas en faire une nouvelle. Ils
devront autant se garder de faire quelque chose de moderne, que d'évoquer les traditions de l'ancienne
scolastique. La simple, mais consciencieuse et savante étude de la Bible doit toujours plus devenir à cet
égard le grand juge des controverses, la règle de la foi, le mobile de la vie; et cette étude n'est autre que la
théologie. Qu'il y ait encore bien des choses à comprendre, et même à apprendre, c'est ce qui est évident
pour tous ceux qui n'auront pas un parti pris d'avance de ne rien apprendre, et de ne rien oublier. L'étude
des prophéties et plusieurs points de la dogmatique renferment des obscurités qui ne doivent point être
éternelles, et l'on ne saurait avoir tout dit, quand on a dit: C'est un mystère. Dans la pratique le degré du
renoncement à soi-même, le degré de l'amour que l'on doit avoir pour son prochain (degré est un triste
mot pour des choses qu'on aime à se représenter comme devant être sans limites), les rapports des
hommes les uns avec les autres, des riches avec les pauvres, les droits et les devoirs d'un État chrétien, le
point où la désobéissance à l'État devient un devoir pour le chrétien (dans la question du service militaire
par exemple), les divertissements légitimes, etc., sont autant de sujets sur lesquels il faut réfléchir encore,
autant de points sur lesquels la théologie prononcera plus sûrement encore quand elle sera débarrassée
des préoccupations personnelles, des langes du passé, et de l'ignorance accidentelle ou systématique de
ceux que l'on pourrait quelquefois croire ses représentants.
La théologie! ce mot ne sera guère bien vu de tout le monde. On l'a condamné pour l'abus qu'on en a fait.
Aux uns il rappelle la scolastique du moyen âge; pour les autres il est le synonyme d'idéologie; c'est pour
plusieurs une vaine théorie, une science faussement ainsi nommée, la foi sans les œuvres, ou une
pédantesque érudition. C'est une chose assez ordinaire de faire porter aux systèmes la peine des fautes de
leurs partisans; le christianisme a été attaqué souvent à cause de la conduite des chrétiens; la théologie, au
même titre, a dû pâtir des fautes des théologiens; mais l'imputation n'est pas plus juste dans un cas que
dans l'autre. La théologie ne diffère pas plus du christianisme que la foi ne diffère des œuvres; la

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