ALLER A LA TABLE DES MATIERES DE FLAVIUS JOSEPHE

 

AVANT-PROPOS - LIVRE I - LIVRE II - LIVRE III - LIVRE IV - LIVRE V -

LIVRE XI - LIVRE XII - LIVRE XIII - LIVRE XIV - LIVRE XV

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

 

ANTIQUITES JUDAÏQUES

Flavius Josèphe

Traduction de Julien Weill

 Sous la direction de
Théodore  Reinach

Membre de l’Institut
 

1900
Ernest Leroux, éditeur - Paris

 

LIVRE 15

I

1. Vengeances d'Hérode ; faveur de Pollion et de Saméas. – 2. Exactions : supplice d’Antigone[1].

 

1. Comment Sossius et Hérode s'emparèrent par force de Jérusalem, et, de plus, tirent Antigone prisonnier. le livre précédent l'a montré ; nous passons maintenant à la suite des événements. Lorsque Hérode eut soumis à son pouvoir la Judée entière, il récompensa ceux du peuple qui, dans la ville, alors qu'il n'était que simple particulier, s'étaient montrés ses partisans; quant à ceux qui avaient pris le parti de ses adversaires, il ne laissait pas passer de jour sans les poursuivre de ses châtiments et de ses vengeances. Le Pharisien Pollion et son disciple Saméas furent surtout en honneur auprès de lui  pendant le siège de Jérusalem, ils avaient en effet conseillé à leurs concitoyens d'ouvrir les portes à Hérode, et ils reçurent de celui-ci le retour de leurs bons offices. Ce (Saméas[2]) était le même qui, lorsqu'Hérode autrefois avait passé en jugement sous une accusation capitale, avait prédit à Hyrcan et aux juges, en leur reprochant leur lâcheté, qu’Hérode, s'il était acquitté, chercherait un jour à se venger d'eux tous : c'est, en effet, ce qui arriva alors, Dieu ayant permis que les prédictions de Saméas se réalisassent.

 

2. Une fois maître de Jérusalem, Hérode ramassa tout ce qu'il trouva de richesses de toutes sortes dans le royaume ; de plus, en spoliant les riches, il put réunir de fortes sommes d'argent et d'or qu'il distribua entièrement en présents à Antoine et à son entourage. Il fit mettre à mort les quarante-cinq chefs les plus importants du parti d'Antigone et plaça des gardes aux portes de la ville pour que rien ne fût emporté avec les morts. Les cadavres étaient fouillés, et tout ce qu'on trouvait en or, argent ou objets précieux était porté au roi. Les maux de la nation étaient sans bornes : d'une part, l'avidité du maître, fort dépourvu, faisait main basse sur tout: de l'autre, l'année du sabbat, pendant laquelle il nous est défendu de faire des semailles, était survenue et empêchait de cultiver le sol[3]. Cependant Antoine, qui avait reçu Antigone prisonnier, voulait le garder dans les fers jusqu'au triomphe; mais quand il apprit que le peuple s'agitait et, en haine d'Hérode, restait favorable à Antigone, il décida de lui faire trancher la tête à Antioche; car les Juifs ne pouvaient pour ainsi dire rester en repos. Strabon de Cappadoce confirme mon récit, et s'exprime en ces termes : « Antoine fit décapiter le Juif Antigone, qui avait été amené à Antioche. Ce fut, ce semble, le premier Romain qui fit décapiter un roi. Il ne voyait pas d'autre moyen d'amener les Juifs à accepter Hérode, qui avait remplacé Antigone; les supplices mêmes ne pouvaient, en effet, les décider à le reconnaître comme roi, tant ils avaient gardé haute opinion du roi précédent. Antoine pensa que le supplice ignominieux d'Antigone obscurcirait le souvenir qu'il avait laissé et atténuerait la haine qu'on avait pour Hérode. » Ainsi s'exprime Strabon[4].

 

II

1-3. Hyrcan renvoyé à Jérusalem par le roi des Parthes. – 4. Ananel ci grand-prêtre. – 5-6. Intrigues d'Alexandre auprès d'Antoine. – 7. Réconciliation apparente d'Hérode avec Alexandre. Aristobule III grand-prêtre[5].

 

1. Le grand-prêtre Hyrcan, qui était prisonnier chez les Parthes, à la nouvelle qu'Hérode s'était emparé de la royauté, vint le rejoindre: il avait recouvré la liberté de la manière suivante. Barzapharnès et Pacoros, généraux des Parthes, après s'être emparés d'Hyrcan, d'abord grand-prêtre, puis roi, et de Phasaël, frère d'Hérode, les emmenèrent chez les Parthes, Phasaël, ne pouvant supporter la honte de la captivité et préférant à la vie une mort glorieuse, se tua lui-même, comme je l'ai dit plus haut[6].

 

2. Quant à Hyrcan, Phraate, roi des Parthes, auprès duquel il fut conduit, le traita avec douceur, car il avait appris à quelle noble race appartenait son captif. Il le délivra de ses chaînes et lui permit de se fixer à Babylone, où se trouvaient beaucoup de Juifs. Ceux-ci, ainsi que tous les Juifs habitant le pays jusqu'à l'Euphrate, témoignèrent à Hyrcan les égards qui lui étaient dus comme grand-prêtre et roi, à sa grande satisfaction. Lorsqu'il apprit qu'Hérode s'était emparé de la royauté, il reporta sur lui ses espérances, car il lui avait toujours témoigné de l'affection et il pensait qu'Hérode se rappellerait avec reconnaissance que, traduit en jugement et sur le point d'être condamné à mort, c'est à lui, Hyrcan, qu'il avait dû d'échapper au danger et au châtiment. Il en parla donc aux Juifs et témoigna un vif désir de se rendre auprès d'Hérode. Les Juifs le retenaient et le suppliaient de rester, faisant valoir le dévouement et la considération qu'il trouvait parmi eux, lui remontrant qu'ils lui prodiguaient tous les honneurs dus aux grands prêtres et aux rois, et, sérieux argument, qu’il ne pourrait plus en obtenir de pareils à Jérusalem, par suite de la mutilation qu'Antigone lui avait fait subir ; qu'enfin les rois ne rendent pas les services reçus par eux, simples particuliers, car le changement de fortune n’apporte pas en eux un changement médiocre.

 

3. Malgré ces représentations faites dans son intérêt même, Hyrcan souhaita partir. Hérode lui écrivit de prier Phraate et les Juifs de Babylone de ne pas lui envier le plaisir de partager la royauté[7] ; le moment était venu pour lui, Hérode, de s'acquitter envers Hyrcan, qui l'avait toujours bien traité, l'avait élevé, lui avait même sauvé la vie, et pour Hyrcan de recevoir le prix de ces services. En même temps qu'il écrivait à Hyrcan, Hérode envoya Saramallas en ambassade auprès de Phraate, avec de nombreux présents pour le prier de ne pas mettre obstacle à ce qu'il témoignât sa reconnaissance à son bienfaiteur en lui rendant à son tour les services qu'il en avait reçus. Ce n'était cependant pas là son véritable motif ; mais comme il ne devait pas le trône à son rang, il craignait des changements trop vraisemblables, et avait hâte de voir Hyrcan en son pouvoir, en attendant de se débarrasser complètement de lui, ce qu'il fit plus tard[8].

 

4. Hyrcan céda donc à ses sollicitations ; mis en liberté par le Parthe et pourvu d'argent par les Juifs, il arriva à Jérusalem. Hérode le reçut avec les plus grands égards, lui donna dans toutes les assemblées la première place, et, dans les festins, le lit d'honneur, l'appelant son père, sut enfin le tromper et lui enlever tout soupçon de ses projets contre lui. Mais en même temps, il prenait dans l'intérêt de son pouvoir différentes mesures qui amenèrent le trouble dans sa propre maison ; entre autres, pour éviter que le grand-prêtre ne fût choisi parmi les hommes de marque, il fit venir de Babylone un prêtre obscur, nommé Ananel, auquel il donna le sacerdoce suprême.

 

5. Cette injure parut insupportable à Alexandra, fille d'Hyrcan. Veuve d'Alexandre, fils du roi Aristobule, elle était mère de deux enfants : un fils appelé Aristobule, dans tout l'éclat de la jeunesse, et une fille, Mariamme, unie à Hérode, d'une beauté remarquable. Elle fut soulevée d'indignation à l'affront fait à son fils : lui vivant, un individu appelé de l'étranger être jugé digne de la grande-prêtrise ! Elle écrivit donc à Cléopâtre, à qui elle fit parvenir sa lettre par l'entremise d'un chanteur, la priant de demander à Antoine la prêtrise pour son fils.

 

6. Antoine fit quelques difficultés pour se laisser convaincre : mais son ami Dellius, venu en Judée pour certaines affaires, vit Aristobule, fut séduit par le charme du jeune homme et vivement frappé de sa taille et de sa beauté, non moins que de celle de Mariamme, femme d'Hérode ; il ne se cacha pas pour féliciter Alexandra d'avoir de si beaux enfants. Dans un entretien qu'elle eut avec lui, il lui persuada de faire peindre les portraits de l'un et de l'autre et, de les envoyer à Antoine, car dès que celui-ci les aurait vus, il ne refuserait plus aucune de ses demandes. Alexandra, encouragée par ces assurances, envoya les portraits à Antoine[9]. Dellius, de son côté, déclara avec enthousiasme que ces enfants lui paraissaient nés non de mortels, mais de quelque dieu. Son but était qu'Antoine, par son entremise, les fit venir pour servir à ses plaisirs. Antoine n'osa pas se faire envoyer la fille, parce qu'elle était mariée à Hérode et qu'on lui en ferait un crime auprès de Cléopâtre. Mais il demanda qu'on lui envoyât le garçon sous quelque honnête prétexte, si toutefois, ajoutait-il, la chose ne lui faisait point de peine. Hérode averti ne jugea pas prudent d'envoyer Aristobule, qui était alors brillant de tout le charme de la jeunesse - il avait seize ans - et qui appartenait à une famille illustre, auprès d'Antoine, le plus puissant de tous les Romains à ce moment, tout disposé à abuser de l'enfant, et libre, en raison de sa puissance, de se livrer sans mystère à tous ses désirs. Il répondît donc que, pour peu que le jeune homme quittât seulement le pays, tout serait plein de guerre et de désordre, parce que les Juifs concevraient l'espoir d'un changement et d'une révolution sous un autre roi.

 

7. Après s'être ainsi excusé auprès d'Antoine, Hérode résolut cependant ne pas tenir à l'écart de tous les honneurs l'enfant et Alexandra ; d'ailleurs, sa femme Mariamme le priait instamment de donner la grande-prêtrise à son frère, et lui-même jugeait conforme à son propre intérêt de mettre Aristobule, retenu par sa charge, dans l'impossibilité de quitter le pays. Il réunit donc un conseil de ses amis et commença par accuser vivement Alexandra, déclarant qu'elle aspirait secrètement à la royauté et intriguait par l'intermédiaire de Cléopâtre, pour que le pouvoir lui fût enlevé à lui-même et qu'Aristobule reçût d'Antoine sa succession : desseins injustes, ajoutait-il, puisqu'elle déposséderait du même coup sa fille de son haut rang et déchaînerait des troubles dans le royaume, qu'il avait conquis au prix de mille fatigues et de périls peu communs. Cependant, oubliant tous les torts qu'elle avait envers lui, il ne cesserait pas d'être juste pour elle et son fils ; il déclara donc qu'il donnait en ce jour la grande-prêtrise au jeune homme, et que s'il avait auparavant nommé Ananel à cette charge, c'est qu'Aristobule était encore tout à fait enfant. Il prononça ce discours non pas à la légère, mais après mûre réflexion et avec une habileté capable de tromper les deux femmes et les amis qu'il avait réunis. Transportée par la joie de ce bonheur inespéré, craignant en même temps d'avoir donné prise au soupçon, Alexandra se justifia tout en larmes : en ce qui concernait la grande-prêtrise, elle avouait avoir tout fait pour effacer l'injure faite à son fils, mais, quant à la royauté, elle n'y aspirait nullement, et lui fût-elle même offerte, elle ne l'accepterait pas ; elle se déclarait désormais suffisamment honorée par le pouvoir de son gendre et par la sécurité que donnait à toute sa famille le mérite qui l'avait désigné parmi tous pour le rang suprême. Vaincue par ses bienfaits, elle acceptait l'honneur fait à son fils, assurait qu'elle serait désormais un modèle de docilité et demandait qu'on l'excusât si son attachement à sa race et sa franchise naturelle l'avaient entraînée, dans son dépit de l'injustice commise, à quelque témérité. Après cet échange de paroles, ils se touchèrent dans la main[10] … et tout soupçon parut banni entre eux.

 

III

1. Déposition du grand-prêtre Ananel. - 2. Nouvelles intrigues d'Alexandra. - 3-4. Meurtre du jeune Aristobule. -5-8. Hérode, dénoncé par Cléopâtre, se justifie devant Antoine, - 9. Soupçons contre Mariamme. Exécution de Joseph.

 

1. Le roi Hérode enleva donc aussitôt la grande prêtrise à Ananel, qui était, comme nous l'avons dit, non pas un prêtre du pays, mais un des Juifs transportés par delà l'Euphrate car plusieurs myriades de ce peuple avaient été transportées en Babylonie. Ananel, qui venait de là, appartenait à la race des grands-prêtres[11], et depuis longtemps était intimement lié avec Hérode. Celui-ci l'avait comblé d'honneurs en montant sur le trône, puis il le déposa pour mettre un terme à des troubles domestiques : mesure illégale, car jamais grand-prêtre, une fois investi de sa charge, n'en avait été dépossédé. Le premier qui avait transgressé la loi sur ce point avait été Antiochus Epiphane, en déposant Jésus, pour le remplacer par son frère Onias[12], le second Aristobule, qui déposa son frère Hyrcan[13], le troisième Hérode, qui destitua le titulaire pour donner la charge au jeune Aristobule.

 

2. Hérode paraissait ainsi avoir porté remède à ses dissensions domestiques. Cependant, après la réconciliation, il ne s'abandonna pas, comme on pourrait le supposer, à la confiance ; il crut devoir, en raison des tentatives antérieures d'Alexandra et pour le cas où elle trouverait une occasion de nouveauté, se garder d'elle. Il lui ordonna donc de vivre dans son palais, lui interdit de faire acte d'autorité et la fit surveiller si jalousement qu’il n'ignorait rien des faits de sa vie journalière. Toutes ces précautions aigrirent peu à peu Alexandra et firent germer sa haine : son orgueil féminin se révoltait contre la surveillance soupçonneuse d'Hérode ; mieux valait n'importe quoi, pensait-elle, que de se voir privée de liberté et, sous apparence d'honneurs, condamnée à une vie de servitude et de crainte. Elle envoya donc à Cléopâtre pour se plaindre longuement de l'existence qu'on lui infligeait et la conjurer de faire tout son pouvoir pour lui venir en aide. Cléopâtre lui répondit de s'enfuir secrètement avec son fils et de se réfugier en Égypte auprès d'elle. Ce projet lui plut, et elle en prépara l'exécution de la façon suivante : elle fit préparer deux coffres, semblables à ceux dans lesquels on transporte les morts, et s'y enferma avec son fils, après avoir ordonné à ceux de ses serviteurs qui étaient du complot de les emporter pendant la nuit. Les fugitifs devaient gagner la côte, où un navire se tenait prêt à lever l'ancre pour l'Égypte. Mais un de ses serviteurs, Esope, ayant rencontré Sabbion, ami d'Alexandra, lui raconta tout, croyant avoir affaire à un complice. Sabbion était jusque-là fort mal vu d'Hérode, car il passait pour avoir trempé dans l'empoisonnement d'Antipater : il pensa qu'une dénonciation changerait la haine du roi en bienveillance et courut lui dévoiler les projets d'Alexandra. Hérode laissa celle-ci aller jusqu'à l'exécution et la surprit en flagrant délit d'évasion ; cependant il lui fit grâce, n'osant, malgré le vif désir qu'il en avait, prendre contre elle aucune mesure de rigueur, car Cléopâtre ne l'eût pas souffert, en raison de la haine qu'elle nourrissait contre lui ; il se donna donc les apparences de la générosité en paraissant pardonner par bonté. Il résolut cependant de se débarrasser du jouvenceau à tout prix, mais il lui sembla plus sûr, pour cacher son projet, de l'ajourner quelque peu après ce qui venait de se passer.

 

3. Comme la fête des Tabernacles approchait, qui est une de nos fêtes les plus solennelles, Hérode différa pendant tous ces jours l'exécution de ses plans et se livra avec tout le peuple à la joie. Mais dans ces fêtes mêmes sa haine grandissante trouva une raison de hâter l'accomplissement de son dessein. Lorsque le jeune Aristobule, qui avait dix-sept ans, monta à l'autel, suivant la loi, pour offrir les sacrifices, revêtu des ornements des grands-prêtres et accomplissant les cérémonies du culte, sa beauté, sa taille au-dessus de celle de son âge, ses traits respirant toute la noblesse de sa race, firent naître dans le peuple un élan de sympathie pour lui ; le souvenir des exploits de son grand-père Aristobule se présenta vivant à l'esprit de tous les assistants conquis et ils donnèrent peu à peu libre cours à leurs sentiments, à la fois joyeux et émus, poussant des acclamations mêlées aux prières, en sorte que l'affection si manifeste de la foule et cette unanimité à célébrer les services autrefois reçus pouvaient paraître un peu trop libres sous un roi. Pour toutes ces raisons, Hérode résolut d'en finir avec le jeune homme. La fête passée, il se rendit à Jéricho  pour assister à un banquet que leur offrit Alexandra ; là il témoigna à l'enfant la plus grande amitié, le poussa à boire[14] sans réserve, prêt à partager ses jeux, retrouvant sa jeunesse pour plaisanter avec lui. Comme l'endroit était excessivement chaud, les convives sortirent tous ensemble en flânant et vinrent chercher au bord des piscines - il y en avait de fort grandes autour de la cour - un peu de fraîcheur contre les ardeurs du soleil de midi. Tout d'abord ils regardèrent nager leurs familiers et leurs amis ; puis le jeune homme se joignit aux baigneurs, excité par Hérode ; alors certains des amis du roi, auxquels il avait donné ses instructions, à la faveur de l'obscurité croissante, pesant sans cesse sur le nageur et le faisant plonger comme par manière de jeu, le maintinrent sous l'eau jusqu'à ce qu'il fut asphyxié. Ainsi périt Aristobule, à peine âgé de dix-huit ans[15], il était depuis un an grand-prêtre, et Ananel recueillit de nouveau la charge après lui[16].

 

4. Dès que cette catastrophe eut été annoncée aux femmes, toutes bouleversées elles se répandirent en lamentations sur le cadavre, et leur chagrin fut sans bornes ; la ville, aussitôt la nouvelle connue, fut plongée dans la désolation, et à chaque foyer ce malheur fut déploré comme un deuil particulier. Alexandra fut surtout éprouvée par cette mort, dont elle comprit la nature ; sa douleur s'avivait de savoir comment les choses s’étaient passées ; mais il lui fallait supporter ce coup sans faiblir, dans la crainte d'un mal plus grand encore. Plusieurs fois elle fut sur le point de se donner elle-même la mort ; elle fut retenue par l'espoir que, vivante, elle pourrait peut-être venger son fils, victime de l'injustice et de la trahison ; cette idée l'encourageait à vivre, et elle pensa utile, pour faire naître une occasion favorable de revanche, de ne pas même laisser soupçonner qu'elle savait que la mort d'Aristobule était un meurtre. Elle dissimula donc avec fermeté ses soupçons. Hérode, de son côté, faisait tout pour persuader aux personnes du dehors que la mort du jeune homme n'avait pas été préméditée ; il ne se bornait pas aux manifestations de deuil, il versait des larmes, semblait vraiment ému jusqu'au fond de l'âme ; peut-être fut-il vraiment vaincu par la douleur, à la vue de tant de jeunesse et de beauté, bien qu'il regardât la mort du jeune homme comme assurant sa sécurité personnelle ; il était, en tout cas, évident qu'il cherchait à se justifier de tout soupçon. Cette préoccupation éclata surtout dans la magnificence des funérailles : il déploya un grand luxe dans le choix des cercueils, prodigua les parfums, ensevelit avec le cadavre nombre de précieux ornements, pour étourdir la douleur des femmes et l'adoucir un peu en lui offrant du moins cette satisfaction.

 

5. Aucune de ces démonstrations ne put cependant donner le change à Alexandra[17] ; le souvenir toujours présent et chaque jour plus vivant de son malheur rendait sa douleur farouche et impatiente de vengeance. Elle écrivit à Cléopâtre le guet-apens d'Hérode et le meurtre de son fils. Cléopâtre, qui depuis longtemps souhaitait d'exaucer ses prières et compatissait à son infortune, fit sienne l'affaire et ne cessa de presser Antoine de venger le meurtre du jeune homme : il n'était pas admissible qu'Hérode, qui devait à Antoine une royauté à laquelle il n'avait nul droit, pût commettre ouvertement de pareils méfaits envers ceux qui étaient vraiment de race royale. Antoine se laissa persuader et, lorsqu'il se rendit à Laodicée[18], envoya à Hérode l'ordre de venir se justifier des accusations relatives à Aristobule : car s'il était vraiment l'auteur de ce complot, il était sans excuse. Hérode, craignant les suites de cette accusation et la malveillance de Cléopâtre1 qui ne cessait d'exciter Antoine contre lui, résolut d'obéir - il ne pouvait d'ailleurs faire autrement - ; mais, en confiant à son beau-frère[19] Joseph la garde du pouvoir et le gouvernement de son royaume, il lui recommanda secrètement3 s'il lui arrivait malheur chez Antoine, de mettre immédiatement à mort Mariamme : car, disait-il, il aimait passionnément sa femme et redoutait comme un outrage que, son mari mort, sa beauté ne lui valût les hommages de quelque autre. En parlant ainsi, il visait Antoine, qui convoitait la reine, dont il avait depuis longtemps entendu vanter la beauté. Ces ordres donnés, Hérode, fort peu rassuré sur son avenir, se rendit auprès d'Antoine.

 

6[20]. Joseph, chargé du gouvernement du royaume, était par cela même constamment en relation avec Mariamme, tant à cause des affaires que des hommages qu'il lui devait comme reine ; il ne tarissait pas en conversations au sujet d'Hérode, de l'amour et de la passion du roi pour elle. Comme les deux princesses, et surtout Alexandra, le raillaient à la manière des femmes, dans son ardeur de leur montrer les sentiments du roi, il se laissa aller jusqu'à révéler ses instructions, comme une preuve qu'Hérode ne pouvait vivre sans sa femme et que, s'il lui arrivait malheur, il ne voulait pas être séparé d'elle même par la mort. Telle fut la déclaration faite par Joseph. Mais les femmes, comme il fallait s'y attendre, virent là, non pas l'indice de la violente passion d'Hérode, mais celui de sa cruauté, puisque, même lui disparu, son caprice tyrannique les condamnait à la mort et à la destruction ; aussi cette révélation leur devint-elle une pensée insupportable.

 

7. Cependant le bruit se répandit dans Jérusalem, propagé par les ennemis d'Hérode, qu'Antoine avait mis à mort celui-ci après l'avoir supplicié. Cette nouvelle, comme de juste, jeta le trouble parmi tous les familiers du palais, et surtout parmi les femmes. Alexandra voulut même persuader Joseph de quitter avec elles le palais et de se réfugier sous la sauvegarde des aigles de la légion romaine qui campait alors auprès de la ville, sous les ordres de Julius[21], pour protéger le royaume. Par cette précaution, tout d'abord, si quelque trouble s'élevait au palais, ils se trouveraient plus en sûreté, grâce à la bienveillance des Romains : de plus, Alexandra pouvait espérer tout obtenir d'Antoine s'il voyait seulement Mariamme, et par lui recouvrer le pouvoir avec toutes les prérogatives dues à ceux qui sont nés de race royale.

 

8. Au milieu de tous ces calculs, arriva une lettre d'Hérode sur ses affaires, contredisant les bruits et les nouvelles répandus de tous côtés. Aussitôt arrivé auprès d'Antoine, il l'avait, en effet, gagné par les présents apportés de Jérusalem, et dans leurs entrevues il l'avait rapidement amené à déposer tout ressentiment à son égard ; les discours de Cléopâtre n'avaient pu prévaloir contre ses flatteries. Antoine avait déclaré qu'il était inconvenant de demander des comptes à un roi sur des faits de son gouvernement, sans quoi ce ne serait plus un roi ; et qu'il était juste que ceux qui lui avaient donné honneur et pouvoir lui permissent d'en user. Il avait signifié à Cléopâtre qu'il trouvait mauvais qu'elle se mêlât indiscrètement des affaires d'Etat. Hérode racontait tout cela dans sa lettre et mentionnait tous les honneurs dont il était l'objet auprès d'Antoine, siégeant à ses côtés lorsqu'il jugeait, admis à sa table chaque jour, en dépit de l'animosité de Cléopâtre et des accusations qu'elle portait contre lui : car désirant posséder son pays, elle demandait pour elle-même son royaume et cherchait par tous les moyens à se débarrasser de lui. Mais Hérode, grâce à l'appui qu'il trouvait dans l'équité d'Antoine, n'avait plus aucun désagrément à redouter ; et il allait revenir prochainement après s'être assuré, plus active encore pour son royaume et ses affaires, la bienveillance d'Antoine. Quant à Cléopâtre, elle n'avait plus à garder d'espoir d'agrandissement, car Antoine lui avait donné, au lieu de ce qu'elle demandait, la Cœlé-Syrie[22], et l'avait ainsi apaisée, en même temps qu'il coupait court à ses prétentions sur la Judée.

 

9. L’arrivée de cette lettre à Jérusalem fit renoncer les princesses au projet qu'elles avaient formé de se réfugier auprès des Romains dans leur croyance à la mort d'Hérode ; mais leur intention ne put demeurer secrète. Lorsque le roi, après avoir escorté Antoine sur son chemin contre les Parthes[23], revint en Judée, sa soeur Salomé et sa mère lui dévoilèrent les plans d'Alexandra ; Salomé se plaignit aussi de sou mari Joseph, l'accusant calomnieusement de relations coupables avec Mariamme. Elle agit ainsi sous l'influence de la haine qu'elle portait depuis longtemps à cette dernière, qui, dans leurs différends, prenait des airs hautains et lui reprochait l'humble origine de sa famille. Hérode, toujours passionnément épris de Mariamme, fut aussitôt profondément troublé et ne put résister au soupçon ; il se contint cependant, pour que son amour ne l'entraînât pas à quelque imprudence, et, sous l'aiguillon de la souffrance et de la jalousie, il interrogea Mariamme en particulier sur ses relations avec Joseph. Celle-ci nia avec serment et allégua pour sa défense toutes les justifications que pouvait lui fournir son innocence. Le roi peu à peu se laissa persuader ; sa colère tomba ; vaincu par sa passion pour sa femme, il alla jusqu'à s'excuser d'avoir cru aux bruits qu'on lui avait rapportés et la remercia d'avoir fait preuve de tant de sagesse. Il renouvela toutes ses protestations passionnées d'amour, et tout finit, comme c'est l'ordinaire dans les discussions entre amants, par des larmes et des embrassements. Comme le roi renouvelait sans cesse ses assurances d'amour et tâchait d'en persuader sa femme : « Est-ce le fait d'un homme épris, lui dit Mariamme, l'ordre que tu as laissé, s'il t'arrivait malheur aux mains d'Antoine, de me mettre également à mort, moi qui ne suis coupable de rien ? » A ces paroles, le roi, violemment frappé, la rejeta loin de lui et se mit à pousser des gémissements en s’arrachant les cheveux, s'écriant qu'il avait là un indice évident du commerce de Joseph avec elle : car celui-ci ne lui aurait pas révélé des instructions secrètes, s'il n'avait existé entre eux une intimité étroite. Et peu s'en fallut, dans cet état d'esprit, qu'il ne tuât sa femme vaincu par son amour pour elle, il pût maîtriser ce mouvement par un pénible et violent effort sur lui-même mais, quant à Joseph, sans même le laisser paraître devant lui, il le fit mettre à mort ; il fit aussi enchaîner et emprisonner Alexandra, qu'il accusait d'être la cause première de tout.

 

IV

1. Convoitises de Cléopâtre ; Antoine lui donne le canton de Jéricho. - 2. Hérode repousse une tentative de séduction de Cléopâtre. - 3. Triomphe d'Antoine sur l’Arménie. - 4. Difficultés avec le roi des Arabes.

 

1[24]. Cependant la Syrie était en proie aux troubles, car Cléopâtre ne cessait d'exciter Antoine à entreprendre sur tous les souverains. Elle voulait, en effet, le persuader de les déposséder tous pour lui donner leurs territoires : or, elle pouvait beaucoup sur lui, grâce à la passion qu'elle lui inspirait. Elle était, d'ailleurs, par nature, âpre au gain, et il n'était violations de droits qu'elle n'eût commises. Elle avait empoisonné son frère, âgé de quinze ans, à qui elle savait que reviendrait la royauté elle avait fait tuer par Antoine sa soeur Arsinoé, réfugiée, suppliante, dans le temple d'Artémis, à Ephèse. Insatiable de richesses, sur le moindre soupçon de trésors, elle avait profané temples et tombeaux ; pas de sanctuaire qui lui parût si inviolable, qu'elle n'en ravit tous les ornements ; pas de lieu profane qui ne souffrit d'elle tous les excès, si le pillage devait contribuer à contenter l'avidité de cette reine injuste[25]. En somme, rien ne pouvait satisfaire cette femme, prodigue et esclave de ses désirs, et qui souffrait comme d'une privation si le moindre de ses souhaits ne se réalisait pas. Aussi poussait-elle toujours Antoine à enlever quelque chose aux autres pour le lui donner, et comme elle avait passé avec lui en Syrie, elle méditait de s'approprier cette province. Elle fut cause de la mort de Lysanias, fils de Ptolémée, en l'accusant d'avoir appelé les Parthes[26], et elle demanda à Antoine la Judée et l'Arabie, qu'elle voulait qu'il enlevât à leurs rois. Antoine se laissait toujours dominer par cette femme au point qu'elle semblait l'avoir assujetti non seulement par le commerce de ses charmes, mais encore par des philtres, à toutes ses volontés ; cependant ici l'injustice eût été si flagrante qu'il n'osa pas, en poussant la soumission jusqu'à ce point, s'exposer aux dernières fautes. En conséquence, ne voulant ni opposer un refus absolu à Cléopâtre, ni se déconsidérer publiquement en accomplissant tous ses ordres, il se contenta d'enlever aux deux rois quelques parcelles de leur territoire et lui en fit présent. Il lui donna également les villes situées en deçà du fleuve Eleuthère jusqu'à l'Egypte, à l'exception cependant de Tyr et de Sidon, qu'il savait libres de toute antiquité, et bien qu'elle insistât pour les obtenir[27].

 

2[28]. Cléopâtre ainsi pourvue, après avoir accompagné jusqu'à l'Euphrate Antoine, qui allait faire une expédition contre l'Arménie[29], revint sur ses pas et s'arrêta à Apamée et à Damas ; puis elle passa en Judée, où Hérode vint à sa rencontre ; il lui prit à ferme[30] les districts d'Arabie qu'elle tenait d'Antoine ainsi que les revenus du territoire de Jéricho : dans cette contrée pousse le baumier, - qui ne se trouve que là, et qui est le produit le plus estimé du pays - et le palmier y est abondant et magnifique. Profitant de son séjour et de ses relations quotidiennes avec Hérode, Cléopâtre essaya de faire du roi son amant ; elle était portée par son tempérament à rechercher sans retenue les plaisirs des sens ; peut-être aussi lui inspira-t-il une passion ; mais plus probablement elle désirait se ménager de nouvelles occasions d'intrigues en prenant pour prétexte la violence dont elle prétendrait avoir été victime. Quoi qu'il en soit, elle paraissait comme emportée par son désir. Mais Hérode, depuis longtemps mal disposé pour Cléopâtre, qu'il savait funeste à tous, trouva en cette circonstance qu'elle méritait son mépris, si c'était vraiment l'impudeur qui lui faisait ainsi perdre toute retenue, et que, si ces propositions cachaient un piège, il fallait prendre les devants en se vengeant d'elle. Il refusa donc de l'entendre et délibéra avec ses amis s'il devait la mettre à mort, profitant de ce qu'il l'avait en son pouvoir. Il épargnerait ainsi bien des malheurs à tous ceux qu'elle avait déjà lésés et qu'elle pourrait léser encore ; ce meurtre serait même profitable à Antoine, auquel elle ne resterait pas fidèle, le jour où quelque circonstance ou nécessité l'obligerait à compter sur elle. Tels étaient les projets d'Hérode. Ses amis l'arrêtèrent, en lui représentant tout d'abord l'imprudence qu'il y aurait à tenter une si grande entreprise et à s'exposer au plus manifeste des dangers ; ils le prièrent avec instance de ne rien faire par entraînement irréfléchi. Antoine ne supporterait pas, en effet, ce meurtre, lui mit-on même sous les yeux les avantages qu'il en retirait ; car son amour s'exaspérerait à la pensée que la violence et la ruse lui avaient enlevé sa maîtresse ; aucune justification ne paraîtrait suffisante pour un attentat commis sur la femme qui occupait la plus haute situation parmi celles de son temps ; quant aux avantages, pour se hasarder à les lui faire valoir, il y aurait à la fois présomption et condamnation implicite des sentiments d'Antoine. Il était donc évident qu'Hérode attirerait sur son trône et sur sa race des maux sans nombre et sans fin, alors qu'il pouvait, tout en écartant la faute que Cléopâtre voulait lui faire commettre, se tirer d'affaire avec honnêteté. En l'effrayant ainsi, en lui montrant le danger auquel vraisemblablement il s'exposerait, les amis d'Hérode purent l'empêcher d'exécuter son projet. Et le roi reconduisit en Égypte Cléopâtre, après l'avoir comblée de présents.

 

3[31]. Antoine, après s'être emparé de l'Arménie, envoya prisonnier en Égypte Artabaze, fils de Tigrane, avec ses fils et ses satrapes ; il les donna à Cléopâtre, avec toutes les richesses du royaume, qu'il avait enlevées. Artaxias, fils aîné d'Artabaze, qui avait pu s'échapper, monta sur le trône d'Arménie. Archélaüs et Néron César[32] le détrônèrent et ramenèrent, pour le nommer roi, Tigrane, son frère puîné ; mais ces événements ne se passèrent que dans la suite.

 

4. Pour les tributs qu'il devait sur les territoires donnés par Antoine, Hérode les paya exactement, jugeant prudent de ne pas fournir à Cléopâtre de motifs de ressentiment. Le roi d'Arabie[33], dont Hérode s'était chargé de garantir le tribut, lui paya pendant un certain temps ses deux cents talents ; mais dans la suite il montra du mauvais vouloir et mit de la lenteur à effectuer les paiements ; il soulevait toutes sortes de difficultés, ne payait qu'à grand'peine une partie de la somme, et cela même non sans chicane[34].

 

V

1. Guerre d'Hérode contre Malchos, roi des Arabes Nabatéen. Défaite de Canatha. - 2. Tremblement de terre en Judée. - 3-5. Nouvelle campagne ; victoire de Philadelphie.

 

1[35]. Hérode, voyant que l'Arabe se conduisait avec autant d'ingratitude et que finalement il refusait de remplir ses engagements, s’apprêta à marcher contre lui, mais fixa pour terme de cette entreprise la fin de la guerre romaine. On s'attendait, en effet, à la bataille d'Actium, qui eut lieu en la cent quatre-vingt-septième Olympiade[36], et César se préparait à disputer à Antoine l'empire du monde ; Hérode, qui se trouvait possesseur depuis longtemps d'un territoire riche en pâturages, et dont les revenus et la puissance s'étaient accrus, leva des soldats pour prêter secours à Antoine et apporta beaucoup de zèle à ses préparatifs. Mais Antoine lui fit dire qu'il n'avait nul besoin de son aide et lui ordonna de marcher contre l'Arabe, dont il venait d'apprendre par lui et Cléopâtre la mauvaise foi : c'est Cléopâtre qui lui avait suggéré cette décision, pensant que les deux adversaires s'affaibliraient mutuellement et qu'elle en profiterait. Sur cet ordre d'Antoine, Hérode revint sur ses pas et réunit son armée comme pour envahir immédiatement l'Arabie ; sa cavalerie et son infanterie prêtes, il se transporta sous les murs de Diospolis[37], où les Arabes s'étaient rassemblés : car les préparatifs de guerre d'Hérode ne leur avaient pas échappé. Une bataille meurtrière eut lieu, d’où les Juifs sortirent vainqueurs. Mais à la suite de ce combat, une importante armée d'Arabes se réunit à Cana[38], place forte de Cœlé-Syrie. Hérode prévenu marcha contre eux à la tête de la plus grosse partie de ses forces, et arrivé en un endroit favorable[39], il résolut de camper et de se fortifier pour attendre l'occasion d'en venir aux mains. Cette décision provoqua les réclamations de la multitude des Juifs, qui voulaient être menés sans retard contre les Arabes ; leur bâte venait de leur confiance dans leur bonne organisation ; les plus impatients étaient ceux qui avaient vaincu dans le combat précédent, où ils n'avaient pas même laissé leurs adversaires en venir aux mains[40]. Devant ce tumulte et l'ardeur montrée par ses troupes, le roi résolut de profiter des bonnes dispositions de l'armée, et, déclarant qu'il ne voulait pas montrer moins d'empressement qu'eux, il se mit à leur tête, en armes, suivi de tous ses soldats rangés par régiments. Les Arabes furent aussitôt frappés de terreur, et après une faible résistance, voyant les Juifs invincibles et pleins d'ardeur, ils reculèrent et prirent la fuite pour la plupart. Ils eussent été taillés en pièces si le stratège Athénion n'avait trahi Hérode et les Juifs. Il commandait, au nom de Cléopâtre, ce territoire, et, comme il était en désaccord avec Hérode, il attendait le résultat de l'action, son plan bien arrêté : si les Arabes accomplissaient quelque exploit, il était résolu à ne pas intervenir ; mais s'ils étaient battus - ce qui arriva - il se disposait, avec les troupes levées dans le pays, à tomber sur les Juifs. Lorsqu'il vit ces derniers fatigués et persuadés qu'ils avaient bataille gagnée, il les chargea à l'improviste et en fit un grand carnage ; car les Juifs, qui avaient dépensé toute leur ardeur contre leurs ennemis déclarés et usaient déjà sans défiance de leur victoire, succombèrent facilement à cette attaque et furent accablés de coups, sur un terrain peu favorable à la cavalerie, plein de pierres, et dont les assaillants avaient beaucoup plus l'habitude qu'eux. En les voyant en aussi mauvaise posture, les Arabes reprirent courage, revinrent sur leurs pas et massacrèrent les Juifs en déroute. Ceux-ci subirent donc de tous les côtés des pertes importantes ; bien peu des soldats dispersés purent se réfugier dans le camp. Le roi Hérode, désespérant de l'issue du combat, partit à cheval pour aller chercher du secours ; mais il ne put arriver à temps, malgré sa hâte, et le camp des Juifs fut pris. Les Arabes eurent ainsi le rare bonheur de remporter contre toute attente la victoire, alors qu'ils en étaient si éloignés, et de détruire un grand nombre de leurs adversaires. Après cela Hérode se borna au brigandage, parcourant le territoire des Arabes, qu'il dévastait par ses incursions ; campant dans la montagne, évitant les engagements réguliers, causant de réels dommages à l'ennemi par ses attaques incessantes et son activité, il amendait ses affaires et réparait de toutes façons son désastre.

 

2[41]. A ce moment, où se livra la bataille d'Actium entre César et Antoine, la septième année du règne d'Hérode[42], la Judée fut éprouvée par un tremblement de terre, comme on n'en avait encore, semble-t-il, jamais ressenti, et qui causa la mort d'un très grand nombre de bestiaux. Il y eut aussi environ trente mille personnes écrasées par la chute de leurs maisons ; mais l'armée, qui campait en plein air, ne fut pas atteinte par la catastrophe. Les Arabes, à cette nouvelle, que leur transmirent amplifiée bien au delà de la vérité tous ceux qui voulaient flatter leur haine en exagérant les faits, conçurent de grandes espérances, comme si, le territoire ravagé, les habitants détruits, il n'y eût plus désormais pour eux d'obstacle. Ils mirent à mort les envoyés des Juifs, venus pour faire la paix à la suite des derniers événements, et marchèrent pleins d'ardeur contre l'armée juive. Les Juifs ne voulurent pas d'abord les attendre ; découragés par leurs revers, ils délaissaient leurs affaires, dont ils étaient arrivés à désespérer complètement ; ils n'avaient plus, en effet, l'espoir de lutter à armes égales, après leurs défaites, ni de recevoir aucun secours, dans la situation où se trouvaient leurs affaires domestiques. Dans cette consternation, le roi entreprit de rendre confiance aux chefs par ses exhortations et d'essayer de relever leur courage abattu. Il commença par secouer et réconforter quelques-uns des meilleurs ; puis il osa parler à la foule, après avoir hésité dans la crainte de la trouver hostile, à la suite de tant de désastres. Il les exhorta donc dans les termes suivants :

 

3[43]. « Je n'ignore pas, mes amis, que depuis quelque temps nos entreprises n'ont abouti qu'à des échecs, et dans de pareilles circonstances, il est bien difficile aux plus énergiques de conserver leur courage. Mais, puisque la guerre nous presse, et que, de tous les malheurs survenus, il n'en est pas un auquel une seule victoire ne puisse remédier, j'ai voulu vous adresser quelques exhortations et vous dire comment vous pourrez rester dignes de votre grandeur d'âme naturelle. Je désire d'abord, au sujet de la guerre, vous montrer que nous la faisons justement, obligés que nous sommes par les insultes de nos ennemis : c'est là, si vous l'entendez bien, le plus grand stimulant pour votre ardeur. Puis, je veux vous faire voir qu'aucun des maux qui nous accablent n'est fait pour nous effrayer, et que nous avons encore les plus grandes espérances de victoire. Je commencerai par le premier point, vous prenant à témoin de ce que j'avance. Vous connaissez la perfidie des Arabes ; s'ils se sont toujours conduits, envers tous les autres peuples, avec toute la déloyauté qu'on pouvait attendre d’une nation barbare et dénuée de la connaissance de Dieu, c'est à nous surtout qu'ils s'en prirent, par avidité et par envie, épiant nos embarras pour nous attaquer à l'improviste. A quoi bon en dire plus long ? Et pourtant, lorsqu'ils faillirent perdre leur indépendance et passer sous la domination de Cléopâtre, qui donc, si ce n'est nous, les a délivrés de cette crainte ? C'est l'amitié qui me lie à Antoine, ce sont les bonnes dispositions de celui-ci à notre égard, qui leur ont épargné un malheur irrémédiable, Antoine mettant tous ses soins à ne rien faire qui pût éveiller notre défiance. Comme il voulait cependant donner à Cléopâtre quelques parties des deux royaumes, c'est encore moi qui négociai cette affaire, et qui, par de nombreux présents, pris sur mes propres biens, réussis à garantir à tous deux la sécurité ; je me chargeai des dépenses, donnant deux cents talents, me portant garant pour deux cents autres, qui ont été touchés par Cléopâtre, et dont les Arabes nous ont frustrés. Il était pourtant juste que les Juifs ne payassent à personne au monde aucun tribut, aucune dîme des produits de leur territoire ; encore moins devaient-ils le faire pour ces hommes que nous avons sauvés ; et il était souverainement injuste que ces Arabes, après avoir avoué avec force protestations et remerciements qu'ils croyaient nous devoir leur salut, nous fissent du tort en nous dépouillant, alors qu'ils étaient non nos ennemis, mais nos amis. La bonne foi, qu'on doit montrer même à l'égard des pires ennemis, est de la plus stricte obligation avec des amis ; il n'en est cependant pas ainsi chez ce peuple, qui ne voit rien au-dessus du gain, d'où qu'il vienne, et ne considère pas l'injustice comme blâmable, s'il peut en tirer quelque profit. Vous demanderez-vous donc encore s'il faut châtier des hommes sans foi, quand Dieu lui-même le veut et nous recommande de toujours haïr l'arrogance et l'injustice, et cela lorsque vous allez affronter une guerre non seulement juste, mais encore nécessaire ? Car ils ont commis, en égorgeant nos envoyés, l'acte qui, de l'aveu des Grecs et des barbares, est la pire des déloyautés. Les Grecs, en effet, ont déclaré les hérauts sacrés et inviolables ; et, nous-mêmes, c'est par des envoyés célestes que nous tenons de Dieu nos plus belles doctrines et nos plus saintes lois[44]. Ce nom seul a la vertu de faire apparaître Dieu aux hommes et de réconcilier les ennemis entre eux. Quel plus grand sacrilège pourrait-on donc commettre que de tuer des envoyés venus pour s'entretenir de justice ? et comment pourraient-ils encore être prospères dans la vie, victorieux à la guerre après un pareil attentat ? la chose me parait impossible. Peut-être dira-t-on que si le bon droit et la justice sont pour nous, nos ennemis ont pour eux le courage et le nombre. Mais tout d'abord il est impie de proférer de semblables paroles : ceux qui ont pour eux la justice ont aussi pour eux Dieu, et là où est Dieu, là sont le nombre et le courage. Que si nous considérons maintenant notre propre force, ne les avons-nous pas vaincus dans le premier combat ? à la seconde rencontre, ils n'attendirent même pas le choc et ils prirent la fuite, incapables de supporter notre élan et notre vaillance ; c'est lorsque nous étions vainqueurs qu'Athénion nous a attaqués sans aucune déclaration de guerre. Ont-ils fait là preuve de courage, ou, pour la seconde fois, de déloyauté et de ruse ? Pourquoi donc nous décourager, par les motifs mêmes qui devraient nous donner les plus grandes espérances ? pourquoi redouter des hommes qui ont toujours été vaincus en combat régulier et qui, lorsqu'on leur accorde la victoire, ne la doivent qu'à la perfidie ? Au cas, d'ailleurs, où vous croiriez à leur courage, comment cette pensée même n'est-elle pas pour vous un aiguillon ? car le vrai mérite ne consiste pas à attaquer un ennemi plus faible, mais à pouvoir vaincre même plus fort que soi. Enfin, si quelques-uns se laissent effrayer par tous nos malheurs domestiques et pour les effets du tremblement de terre, réfléchissez tout d'abord que ces malheurs mêmes servent à tromper les Arabes, qui croient le mal plus grand qu'il n'est en réalité. Songez ensuite qu'il n'est pas glorieux que là où ils trouvent des raisons d'audace, nous en voyions, nous, de lâcheté. Nos ennemis, en effet, ne doivent pas leur assurance à quelque supériorité personnelle, mais à l'espoir qu'ils ont de nous trouver accablés par nos malheurs. Si nous marchons contre eux, nous leur enlèverons toute leur arrogance, et nous-mêmes nous y gagnerons de combattre des ennemis ayant perdu confiance. Aussi bien nous n'avons pas été éprouvés autant qu'on le dit, et la catastrophe n'est nullement, comme le croient quelques-uns, un effet de la colère divine. Il n'y a là que de simples accidents, des cataclysmes physiques. Et si Dieu est l'auteur de nos désastres, il est bien évident que c'est aussi lui qui y a mis un terme, satisfait du résultat obtenu : s'il avait, en effet, voulu nous accabler encore davantage, il ne s'en serait pas tenu là. Qu'il veuille cette guerre et qu'il la trouve juste, lui-même nous en a bien donné la preuve. Quelques morts ont été causées dans le pays par le tremblement de terre, mais aucun des hommes sous les armes n'a eu de mal ; vous avez été tous sauvés, Dieu voulant ainsi montrer clairement que, si même vous étiez tous partis en campagne avec vos femmes et vos enfants, vous n'auriez souffert aucune perte irréparable. Pénétrés de toutes ces vérités, et plus encore de l'idée que vous avez en toute occasion Dieu comme défenseur, marchez, enflammés d'une juste ardeur, contre des hommes parjures à l'amitié, perfides dans le combat, sacrilèges à l'égard des ambassadeurs, et qui toujours ont été vaincus par votre valeur. »

 

4[45]. Ce discours releva beaucoup le courage des Juifs, qui ne demandèrent plus qu'à combattre. Hérode, après avoir offert les sacrifices suivant les rites, leva en hâte le camp et marcha contre les Arabes après avoir franchi le Jourdain[46]. Ayant posé son camp près des ennemis, il jugea bon de s'emparer d'un château situé entre les deux armées : il pourrait, en effet, s'en servir pour engager plus tôt la bataille, et, d'autre part, s'il fallait différer, il assurait ainsi la défense de son camp. Les Arabes avaient eu la même idée ; on se disputa donc la place, d'abord dans une escarmouche, puis avec des forces plus nombreuses engagées de chaque côté, jusqu'à ce que le parti arabe vaincu battit en retraite. Ce succès donna aussitôt grand espoir aux Juifs. [Hérode, à la tête] de ses troupes, [provoqua les ennemis au combat ; mais voyant leur armée frappée de terreur et leur chef Elthémos][47] disposé à tout plutôt qu'à engager la bataille, il ne mit que plus d'audace à arracher leurs palissades et à se rapprocher de leur camp ; forcés hors de leurs retranchements, les Arabes s'élancèrent en désordre, sans ardeur ni espoir de vaincre. Ils en vinrent cependant aux mains, ayant pour eux la supériorité du nombre et contraints par la nécessité à payer d'audace. La lutte fut très vive ; des deux côtés les morts furent nombreux. Enfin les Arabes lâchèrent pied et prirent la fuite, Dans leur déroute, il en périt un grand nombre, non seulement de la main de l'ennemi, mais par leur propre faute : les uns furent écrasés par la masse des fuyards qui se précipitaient sans ordre, d'autres tombèrent sur leurs propres armes. Ils perdirent cinq mille hommes. Le reste se réfugia en toute hâte dans les retranchements ; mais, même en sûreté, ils ne pouvaient espérer le salut, car ils manquaient de tout le nécessaire, et surtout d'eau. Les Juifs les poursuivirent ; mais n'ayant pu réussir à pénétrer avec eux dans le camp, ils s'établirent autour du retranchement et firent bonne garde pour empêcher ceux qui voudraient porter secours d'entrer, et ceux qui voudraient fuir, de sortir.

 

5[48]. Les Arabes, réduits à cette triste situation, envoyèrent des parlementaires auprès d'Hérode, d'abord pour traiter de la suspension des hostilités, puis, pressés par la soif, pour déclarer qu'ils acceptaient toutes les conditions, pourvu qu'on leur donnât immédiatement la liberté. Mais Hérode repoussa ambassade, offres de rançon[49] pour les prisonniers, et toutes autres conditions modérées, si ardent était son désir de tirer vengeance de leur conduite déloyale à l'égard des Juifs. Contraints donc par tant de causes et surtout par la soif, ils sortirent et vinrent se livrer à la captivité et aux chaînes. Après cinq jours, quatre mille hommes furent ainsi faits prisonniers ; le sixième jour, tous ceux qui restaient résolurent de faire une sortie régulière et d'attaquer l'ennemi, préférant, s'il devait leur arriver malheur, ne pas périr misérablement en détail. Ainsi décidés, ils sortirent des retranchements, mais furent incapables de se battre ; affaiblis de corps et d'âme, ils ne pouvaient fournir une belle résistance ; ils regardaient d'ailleurs la mort comme un bonheur, la vie comme une calamité. Au premier choc il en tomba environ sept mille[50]. Les Arabes, à la suite de ce désastre, perdirent toute leur ancienne assurance. Pleins d'admiration pour l'habileté dont Hérode avait fait preuve au milieu de ses propres calamités, ils s'inclinèrent désormais devant lui et le proclamèrent protecteur de leur nation. Hérode exalté par son succès revint dans son royaume, s'étant acquis la considération de tous par cet exploit.

 

VI[51]

1-4. Bataille d'Actium. Dangers d'Hérode. Il fait mourir Hyrcan. - 5-6. Il se rend à Rhodes et se concilie la faveur d'Octave. - 7. Ses services à l'armée d'Octave dans la campagne d'Égypte.

 

1. Tout avait donc bien pour lui, car il s'était rendu sur tous les points inattaquable, quand une crise survint qui remit tout en question, à la suite de la victoire de César sur Antoine à Actium. La situation parut alors désespérée à Hérode lui-même, comme aux ennemis et amis qui l'entouraient : il n'était pas vraisemblable, en effet, qu'il restât indemne, étant donnée l'amitié très étroite qui l'unissait à Antoine. Ses amis désespéraient de son salut ; ses ennemis feignaient en public de partager ses angoisses, mais éprouvaient une secrète joie, comptant sur une révolution avantageuse. Hérode, voyant qu'Hyrcan seul restait investi du prestige de la race royale, pensa qu’il importait de se débarrasser de lui il estimait que, s'il avait lui-même la vie sauve et échappait au danger, il garantirait sa sécurité en empêchant ce rival, plus digne que lui d'occuper le trône, de guetter le retour d'une pareille occasion : s'il lui arrivait, au contraire, malheur de la part de César, il souhaitait, par jalousie, faire disparaître le seul candidat possible à la royauté.

 

2. Telles étaient les pensées que ruminait Hérode, quand ses adversaires lui fournirent un nouveau motif d'agir. Hyrcan, de caractère paisible, n'avait, ni alors ni en aucun autre temps, voulu se mêler des affaires ou tenter des nouveautés, résigné à sa fortune et prêt à se contenter de ce qu’elle lui apportait. Mais Alexandra, qui était ambitieuse et qui ne pouvait réfréner son espoir d'un changement, suppliait son père de ne pas supporter jusqu'au bout les injustices d'Hérode à l'égard de leur famille ; elle l'exhortait à se mettre en sécurité, pour se réserver des espérances ultérieures et le priait d'écrire à ce sujet à Malchos, alors chef des Arabes, pour lui demander de les accueillir et de leur donner asile. Une fois eux partis, si les affaires d'Hérode tournaient comme le faisait prévoir l'hostilité de César, ils seraient seuls à recueillir le pouvoir, en raison de leur race et de la sympathie du peuple. Hyrcan repoussait ces conseils. mais Alexandra, avec sa passion de l'intrigue et sa ténacité de femme, ne lui laissa de repos ni jour ni nuit, revenant sans cesse sur ce sujet, sur les mauvaises intentions d'Hérode à leur égard ; elle fit si bien qu'il se laissa enfin persuader de confier à Dosithée, un de ses amis, une lettre par laquelle il priait l'Arabe de lui envoyer une escorte de cavaliers pour l'emmener et l'accompagner jusqu'au lac Asphaltite, distant de trois cents stades des frontières du territoire de Jérusalem. Il avait confiance en Dosithée, qui se montrait plein de dévouement pour lui et pour Alexandra, et qui avait de sérieuses raisons d'en vouloir à Hérode : car il était parent de Joseph, que le roi avait fait mettre à mort, et frère [de l'un] de ceux qui avaient été tués auparavant à Tyr par ordre d'Antoine[52]. Toutes ces raisons ne décidèrent cependant pas Dosithée à servir fidèlement Hyrcan ; estimant qu'il y avait moins à espérer de lui que du roi, il livra la lettre à Hérode. Celui-ci le remercia de son dévouement et le pria de lui rendre encore le service de porter la lettre, après l'avoir pliée et scellée, à Malchos et de rapporter la réponse : car il avait grand intérêt à connaître également les sentiments de Malchos. Dosithée s'acquitta avec zèle de la mission. L'Arabe répondit qu'il était prêt à recevoir Hyrcan, sa suite et tous les juifs ses partisans ; qu'il enverrait des troupes pour protéger leur fuite et que tout ce que demandait Hyrcan lui serait accordé. Dès qu'Hérode eut entre les mains cette seconde lettre, il envoya chercher Hyrcan et l'interrogea sur les engagements pris par lui avec Malchos. Hyrcan ayant nié, Hérode montra au Conseil leur correspondance et fit mettre à mort Hyrcan.

 

3. Nous avons suivi ici les mémoires du roi Hérode[53]. Mais les autres historiens ne s'accordent pas avec cette version. Ils croient que ce n'est pas pour les raisons alléguées, mais sur une accusation insidieusement intentée, à sa manière, qu'Hérode fit tuer Hyrcan. Voici leur récit. Au cours d'un banquet, Hérode, dans une conversation où rien ne pouvait éveiller le soupçon, demanda à Hyrcan s'il avait reçu des lettres de Malchos ; Hyrcan avoua avoir reçu des lettres de salutation. Hérode lui demanda encore s'il n'avait pas reçu quelque présent. Rien de plus, répondit Hyrcan, que des chevaux de selle, dont Malchos lui avait envoyé quatre (paires). Hérode en aurait pris prétexte pour l'accuser de corruption et de trahison, et aurait donné l'ordre de l'étrangler. Comme preuve qu'Hyrcan n'avait par aucune faute mérité cette mort, on allègue la douceur de son caractère, le fait que jamais ni dans sa jeunesse, ni lorsqu’il fut lui-même roi, ne montra de témérité ni d'audace, qu'il laissa même pendant son règne presque tous les soins de son gouvernement à Antipater. De plus, il avait alors quatre-vingt-un ans[54] ; il regardait le pouvoir d'Hérode comme assuré sans contestation possible, puisqu'il avait traversé l'Euphrate, abandonnant les Juifs habitant au delà du fleuve, qui l'entouraient de leur vénération, pour venir se mettre sans restriction sous les ordres d'Hérode. Il est donc invraisemblable et peu conforme à son caractère qu’il ait conspiré et cherché à faire une révolution, et cette accusation n'aurait été qu'un simple prétexte d'Hérode.

 

4. Telle fut la fin d'Hyrcan, qui avait connu dans le cours de son existence bien des fortunes diverses. Dès le début, sous le règne de sa mère Alexandra, nommé grand-prêtre du peuple juif, il occupa cette charge pendant neuf ans. Après la mort de sa mère, il monta sur le trône, mais n'y resta que trois mois ; chassé par son frère Aristobule, il fut rétabli par Pompée et recouvra tons ses honneurs, qu'il conserva pendant plus de vingt ans[55]. Renversé une seconde fois par Antigone, et mutilé par lui, il fut emmené prisonnier chez les Parthes. Il revint plus tard dans son pays, attiré par les espérances qu'Hérode faisait reluire à ses yeux. Aucun de ces changements ne se produisit selon son attente[56] ; sa vie ne connut que les déboires, mais le plus triste fut, comme nous l'avons dit plus haut, la mort qu'il trouva dans sa vieillesse. Il semble avoir été doux et modéré en tout ; il laissait à ses ministres la plus grande part dans le gouvernement, n'étant ni remuant, ni capable de régner ; c'est sa douceur même qui permit à Antipater et à Hérode d'arriver à la situation qu'ils occupèrent, et il n'y eut ni justice ni reconnaissance de leur part dans le sort qu'ils lui firent subir.

 

5. Hérode, après s'être ainsi débarrassé d'Hyrcan, fut obligé de se rendre en hâte auprès de César ; il ne pouvait conserver grand espoir pour son propre salut à cause de l'amitié qui le liait à Antoine et soupçonnait Alexandra de vouloir profiter des circonstances pour détacher de lui le peuple et susciter des troubles qui mettraient sa royauté en danger. Il remit donc la direction de toutes les affaires à son frère Phéroras, et envoya sa mère, Cypros, sa soeur et tous ses enfants à Masada, avec ordre à son frère, si l'on apprenait qu'il lui fût arrivé malheur, de se saisir du pouvoir. Quant à sa femme Mariamme, comme il était impossible, en raison de ses dissentiments avec sa belle-soeur et sa belle-mère de lui faire partager leur existence, Hérode l'établit à Alexandreion avec sa mère Alexandra ; il confia cette place à son intendant Joseph[57] et à l'Ituréen Soaimos, dont il avait éprouvé le dévouement depuis l'origine ; ces hommes, sous prétexte d'honneurs à rendre aux deux femmes, furent chargés de les surveiller. Hérode leur avait aussi laissé l'ordre, s'ils apprenaient quelque mauvaise nouvelle à son sujet, de faire périr les deux princesses et de s'efforcer de conserver la royauté à ses fils, de concert avec son frère Phéroras.

 

6. Ces instructions données, il partit pour Rhodes, où il devait rencontrer César[58]. Quand il eut débarqué, il quitta son diadème, sans rien abdiquer, du reste, de sa dignité. Et lorsqu'il fut admis à s'entretenir avec César, il s'appliqua encore plus à faire ressortir sa grandeur d'âme : loin de recourir aux supplications, comme on pouvait s'y attendre, loin de s'abaisser aux prières, comme un coupable, il rendit compte, sans s'excuser[59], de tout ce qu'il avait fait. Il dit à César qu'une étroite amitié l'avait lié avec Antoine, qu'il avait fait tout son possible pour que celui-ci fût vainqueur ; empêché par une diversion des Arabes de le joindre avec ses troupes, il lui avait envoyé de l'argent et des approvisionnements. Et il n'avait rempli là que les moindres de ses obligations, car lorsqu'on fait profession d'amitié pour un homme et qu'on le reconnaît pour son bienfaiteur, on doit se donner corps, âme et biens pour partager ses dangers ; lui n'en avait pas fait assez. Il avait, du moins, conscience d'avoir bien agi en ne l'abandonnant pas après la défaite d'Actium, en ne donnant pas une direction nouvelle à ses espérances quand la fortune elle-même changeait de camp ; il était resté pour Antoine, sinon un allié bien utile, du moins un conseiller avisé, en lui indiquant, comme seul moyen de se sauver et de ne pas tout perdre, la mort de Cléopâtre : « Celle-ci disparue, ajouta Hérode, il aurait eu quelque chance de garder son empire et de trouver à conclure avec toi un accord mettant fin à votre inimitié. Mais il n'a voulu examiner aucune de ces raisons ; il a préféré, à son grand dam et à ton grand avantage, n'écouter que son imprudence. Et maintenant, si, dans ta colère contre Antoine, tu condamnes aussi mon zèle pour lui, je ne saurais désavouer ma conduite ni rougir de dire publiquement mon attachement pour lui ; si au contraire, enlevant le masque[60], tu veux considérer comment je me comporte avec mes bienfaiteurs et quel ami je suis, ma conduite antérieure te permettra de me bien connaître : car, il n'y aura de changé qu'un nom, et tu apprécieras aussi bien que lui la solidité de mon amitié. »

 

7. Ce discours, qui dénotait si bien la franchise de son caractère, ne fit pas une médiocre impression sur César, qui avait l'esprit large et généreux ; ainsi les raisons mêmes dont on faisait un grief contre Hérode devinrent à César des motifs de lui accorder sa bienveillance. Il lui rendit son diadème, l'exhorta à ne pas se montrer moins attaché à lui qu'autrefois à Antoine, et lui prodigua les honneurs ; il ajouta que Quintus Didius lui avait écrit qu'Hérode l'avait secondé de tout son zèle dans l'affaire des gladiateurs[61]. Heureux d'avoir été l'objet d'une aussi flatteuse réception, Hérode vit, contre toute espérance, son trône consolidé grâce à la générosité de César et à un sénatus-consulte des Romains, que celui-ci lui fit obtenir pour plus de sécurité. Là-dessus, il accompagna César vers l'Egypte, le comblant, lui et ses amis, de présents, au delà même de ses moyens, et se montrant d'une rare générosité. Il demanda même la grâce d'Alexandre, un des familiers d'Antoine, mais il ne put l'obtenir, car César était lié par un serment antérieur[62]. Il revint ensuite en Judée, plus honoré et plus indépendant que jamais, au grand étonnement de ceux qui s'attendaient à un résultat tout opposé ; on eût dit qu'il sortait toujours des dangers avec plus de splendeur, grâce à la protection divine. Il s'occupa aussitôt de recevoir César, qui devait passer avec ses troupes de Syrie en Égypte[63]. Dès que celui-ci arriva, il le reçut à Ptolémaïs, avec toute la magnificence royale, distribua des présents de bienvenue à son armée et lui fournit en abondance tout le nécessaire. Il fut désormais compté parmi les plus fidèles amis de César, qu'il accompagnait à cheval dans les revues de troupes, et qu'il hébergea, ainsi que ses amis, dans cent cinquante chambres, ornées de toutes les richesses du luxe et meublées somptueusement. Et comme l'armée traversait le désert, il sut pourvoir à ses besoins. Si bien que ni le vin, ni l'eau, encore plus indispensable aux soldats, ne firent défaut. Il fit présent à César lui-même de huit cents talents, et l’impression générale fut qu'il s'était, dans tous ces bons offices, montré plus généreux et plus magnifique que ne le faisaient prévoir les ressources de son royaume. Cette conduite ajouta encore à la confiance qu'on avait en sa fidélité et en son zèle, et il tira surtout de grands avantages d'avoir su accommoder sa générosité aux besoins du moment. Au retour d'Égypte, les services qu'il rendit de nouveau ne le cédèrent en rien à ceux de l'aller.

 

VII

1-2. Démêlés d'Hérode avec Mariamme. – 3. Territoires attribués à Hérode par Auguste. - 4-6. Supplice de Soaimos et de Mariamme ; caractère de cette princesse. - 7. Douleur et maladie d'Hérode. - 8. Supplice d'Alexandra. - 9-10. Supplice de Costobaros et de ses complices.

 

1. A son retour dans son royaume, il trouva sa maison toute troublée et sa femme Mariamme et sa belle-mère Alexandra fort mécontentes. Persuadées, comme il y avait lieu de le soupçonner, qu'on les avait enfermées à Masada, non pour assurer leur sécurité personnelle, mais afin que, soumises à une étroite surveillance, elles ne pussent avoir la disposition de rien, même de ce qui leur appartenait, elles en étaient vivement irritées. Mariamme se persuadait, d'ailleurs, que l'amour du roi était une feinte et une duperie où il ne cherchait que son propre intérêt ; elle s'indignait à la pensée que, s'il arrivait malheur à Hérode, elle n'aurait plus, grâce à lui, aucun espoir de conserver la vie ; elle se rappelait les instructions données à Joseph[64] et ne négligeait aucune attention pour gagner ses gardiens, surtout Soaimos, dont elle savait que tout dépendait. Soaimos au commencement resta fidèle et se conforma à tous les ordres donnés par Hérode ; puis les deux femmes, par leurs discours et leurs présents, l'ayant patiemment circonvenu, il se laissa gagner peu à peu et finit par leur révéler toutes les instructions du roi, dans la persuasion où il était que celui-ci ne reviendrait pas avec la même puissance. Il pensait que, agissant ainsi, tout en échappant au danger du côté d'Hérode, il s'assurerait les bonnes grâces des deux femmes, qui bien probablement ne perdraient pas leur rang, mais gagneraient encore au change soit qu'elles régnassent elles-mêmes, soit qu'elles fussent très proches du roi. Il ne se flattait pas moins, au cas où même Hérode reviendrait toutes choses réglées à sa guise, que le roi ne pourrait rien refuser à sa femme, dont il le savait follement épris. Tels étaient les motifs qui le poussèrent à révéler les ordres reçus. Mariamme les apprit avec amertume, se demandant si jamais elle verrait le terme des dangers qu'elle avait à redouter de la part d'Hérode ; et elle se trouvait outrée envers lui, faisant des voeux pour que le roi échouât complètement dans sa mission, car elle jugeait que, s'il réussissait, la vie avec lui serait intolérable. Elle le montra, d'ailleurs, clairement dans la suite, et ne cacha rien de ses sentiments.

 

2. Hérode, aussitôt débarqué, au retour de ce voyage dont le succès avait dépassé toutes ses espérances, annonça à sa femme la première, comme de juste, la nouvelle de cet heureux résultat et courut embrasser celle qui passait pour lui avant tous en raison de son amour et de leur intimité. Mais Mariamme, en l'écoutant raconter ses succès, éprouvait moins de joie que de mécontentement, et ne put dissimuler ses impressions. Enflée de sa dignité, de l'orgueil persistant de sa haute naissance, elle répondait par des soupirs aux embrassements d'Hérode et faisait à ses récits mine plus chagrine que joyeuse. Ces sentiments, non plus soupçonnés, mais ouvertement manifestés, troublèrent Hérode. Il s'inquiéta de voir l'inexplicable aversion, nullement dissimulée, de sa femme à son égard ; il s'en indignait, et, impuissant à maîtriser son amour, il ne pouvait rester longtemps irrité ou réconcilié passant constamment d'un extrême à l'autre, il était, dans les deux cas, en proie à la plus grande perplexité. Ainsi flottant entre la haine et l'amour, plusieurs fois sur le point de punir Mariamme de son dédain, l'empire qu'elle avait pris sur son âme ne lui laissait pas la force de se séparer de cette femme. Finalement, malgré la satisfaction qu'il aurait eu à se venger, il y renonça dans la crainte, s'il la faisait mourir, que le châtiment ne fût, sans qu'il le voulût, plus dur pour lui-même que pour elle[65].

 

3. Quand elles le virent dans ces dispositions à l'égard de Mariamme, sa sœur et sa mère trouvèrent l'occasion excellente pour donner libre cours à leur haine contre celle-ci ; dans leurs entretiens, elles excitèrent Hérode par de graves accusations, propres à allumer chez lui l'aversion et la jalousie. Il écoutait volontiers ces propos, sans trouver le courage d'agir contre sa femme comme s'il y ajoutait foi ; cependant ses dispositions à l'égard de Mariamme devinrent toujours plus mauvaises et la discorde s'enflammait entre eux, Mariamme ne cachant nullement ses sentiments, et lui-même sentant chaque jour son amour se changer en colère. Et certainement il se serait laissé aller à quelque acte irréparable, mais à ce moment, comme on annonçait que César était vainqueur et que la mort d'Antoine et de Cléopâtre le rendait maître de l'Égypte[66], Hérode, pressé de se porter à sa rencontre, laissa en l'état ses affaires domestiques. Comme il partait, Mariamme lui amena Soaimos, déclara qu'elle lui devait une vive reconnaissance pour ses soins et demanda pour lui au roi une place de préfet ; Soaimos obtint ce poste. Cependant Hérode, arrivé en Égypte, eut avec César des entrevues pleines de cordialité, comme un ami déjà ancien, et fut comblé d'honneurs. César lui fit don de quatre cents Gaulois, choisis parmi les gardes du corps de Cléopâtre, et lui rendit le territoire que cette reine lui avait fait enlever ; il ajouta encore à son royaume Gadara, Hippos, Samarie, et, sur le littoral, Gaza, Anthédon, Jopé et la Tour de Straton.

 

4. Ces beaux succès rehaussèrent encore l'importance d'Hérode. Il accompagna César jusqu'à Antioche, puis revint chez lui. Mais autant à l'extérieur les choses tournaient à son avantage, autant ses affaires domestiques le faisaient souffrir, en particulier son mariage, qui jadis avait paru le rendre si heureux : car il éprouvait à juste titre pour Mariamme un amour qui ne le cédait en rien à celui des amants les plus célèbres. Celle-ci, d'ailleurs chaste et fidèle à son époux, avait dans le caractère un mélange de coquetterie et de hauteur ; elle se jouait volontiers d'Hérode, qu'elle savait esclave de sa passion, et, sans se rappeler, comme l'exigeaient les circonstances, qu'elle n'était qu'une sujette, à la discrétion d'un maître, elle l'offensait souvent gravement. Hérode prenait la chose en plaisanterie et supportait ses incartades avec fermeté. Mais Mariamme raillait ouvertement aussi la mère et la soeur du roi de leur humble origine et parlait d'elles en termes injurieux ; aussi ces femmes étaient-elles divisées par une discorde et une haine implacables et à ce moment s'accablaient-elles d'accusations. Les soupçons, ainsi entretenus, durèrent une année entière après le retour d'Hérode d'auprès de César. Alors la crise, préparée de longue main, éclata à l'occasion que voici. Le roi, certain après-midi, s'étant couché pour se reposer, fit appeler Mariamme qu'il adorait toujours. Elle vint, mais refusa de s'étendre auprès de lui, malgré le désir qu'il témoigna ; bien plus, elle se montra pleine de dédain, et lui reprocha d'avoir tué son père[67] et son frère. Hérode prit fort mal cette offense, et comme il était enclin à agir précipitamment, sa soeur Salomé, s'apercevant de son grand trouble, lui envoya son échanson, depuis longtemps gagné, avec ordre de lui dire qu'il avait été sollicité par Mariamme de l'aider à préparer un breuvage destiné au roi. Si Hérode s'inquiétait et s'informait de ce qu'était ce breuvage, l'échanson devait dire qu'[il l'ignorait], car c'était Mariamme qui le détenait et lui-même n'était chargé que de le présenter. Si le roi au contraire, ne témoignait à ce sujet aucune curiosité, l'échanson n'avait qu'à garder le silence ; il ne courrait ainsi aucun danger. Après lui avoir ainsi fait la leçon, Salomé choisit cette occasion pour l'envoyer la réciter. L'échanson se présenta, débitant avec zèle un récit vraisemblable, disant que Mariamme lui avait fait des présents pour le décider à donner certain breuvage au roi. Le roi s'émut et demanda quel était ce breuvage ; l'homme répondit que c'était une potion qu'elle lui avait remise et dont lui-même ignorait l'action ; et que, dès lors, il avait pensé plus sûr pour lui-même, et pour le roi de révéler le fait. Cette épouse augmenta encore l'inquiétude d'Hérode, et pour connaître la vérité sur ce breuvage, il fit mettre à la torture l'eunuque le plus fidèle de Mariamme, sachant que rien de grave ou d'insignifiant ne se faisait à l'insu de cet homme. L'eunuque, mis à la question, ne put rien dire sur le fait même, mais déclara que la haine de Mariamme pour le roi venait des rapports que lui avait faits Soaimos. Avant même qu'il eût fini de parler, le roi poussa un grand cri, disant que Soaimos, jusqu'alors si fidèle à sa personne et au royaume, n'aurait pas trahi les ordres donnés, si les relations entre lui et Mariamme n'étaient allées trop loin. Il fit aussitôt saisir et mettre à mort Soaimos. Puis il réunit ses plus intimes familiers et leur déféra en jugement sa femme ; l'accusation, qu'il poussa fort sérieusement, porta sur les philtres et breuvages dont elle aurait, selon ses calomniateurs, voulu faire usage. L'âpreté du langage d'Hérode, la colère qui troublait son jugement furent telles que les assistants, le voyant ainsi disposé, finirent par condamner Mariamme à mort. La sentence une fois portée, il vint à l'esprit d'Hérode et de quelques-uns de ceux qui étaient présents, de ne pas tuer la reine précipitamment, mais de l'enfermer dans l'une des places fortes du royaume[68]. Mais Salomé et son entourage mirent toute leur ardeur à se débarrasser d'elle et parvinrent à convaincre le roi, en lui remontrant la nécessité d'éviter les troubles qui éclateraient dans le peuple, si Mariamme restait vivante. En conséquence, elle fut conduite au supplice.

 

5. Alexandra, considérant la situation et conservant peu d'espoir de ne pas être traitée par Hérode de la même façon, changea lâchement de visage et prit une attitude tout opposée à son ancienne arrogance. Dans son désir de paraître avoir ignoré tout ce dont avait été accusée Mariamme, elle se précipita dehors et insulta sa fille en public, lui reprochant ses mauvais procédés et son ingratitude à l'égard de son mari, criant bien haut qu'elle subissait un juste châtiment de son audace, car elle n'avait pas su reconnaître comme il le fallait les bienfaits dont Hérode avait comblé toute la famille. Ces démonstrations hypocrites et inconvenantes - elle osa même lui arracher les cheveux - n'inspirèrent à tous que du dégoût pour son indigne fausseté ; mais ce sentiment fut surtout visible chez la condamnée, Mariamme, en effet, considéra d'abord, sans prononcer une parole, sans laisser paraître aucun trouble, la bassesse d'Alexandra, et, pleine de dignité, sembla surtout affligée de voir la faute que commettait sa mère en prenant publiquement une attitude aussi misérable. Elle-même marcha à la mort impassible et sans changer de couleur, et jusque dans cette extrémité, sa noblesse éclata aux yeux des spectateurs[69].

 

6. Ainsi mourut Mariamme, femme d'une vertu et d'une grandeur d'&me remarquables, mais perdue par son manque de modération et sa nature querelleuse. Par sa beauté, par la majesté de son main¬tien en société, elle surpassait plus qu'on ne saurait le dire les femmes de son temps; mais ce fut là surtout l'origine de ses malentendus avec le roi et de l'impossibilité pour elle de mener avec lui une vie agréable. Choyée, en effet, par lui, à cause de son amour pour elle, assurée qu'elle n'avait rien à craindre de fâcheux de sa part, elle s'arrogea avec lui une liberté de parole illimitée. Et comme le sort de ses parents l'affligeait, elle crût pouvoir dire sans réserve à Hérode son sentiment sur ce point; elle ne réussit qu'à se faire prendre en aversion par la mère et la soeur du roi et par le roi lui-même, le seul de qui elle crût en toute confiance n'avoir à attendre aucun ennui[70].

 

7[71]. Sa mort ne fit qu'aviver la passion du roi qui déjà précédemment, comme je l'ai dit, passait la mesure. Son amour, en effet, n'avait pas cette affection paisible qui naît de la vie commune. Follement épris dès le début, la liberté de satisfaire sa passion n'avait pas empêché celle-ci de croître de jour en jour. Cet amour sembla alors plus que jamais, par l'effet d'un châtiment divin pour la mort de Mariamme, s'emparer de lui  souvent il appelait sa femme à grands cris, ou bien il poussait de honteux gémissements ; il essaya de toutes les distractions possibles, rechercha les festins et les compagnies, mais rien ne réussit. Il refusait donc de s'occuper des affaires du royaume, et la douleur l'égarait au point qu'il ordonnait à ses serviteurs d'appeler Mariamme, comme si elle était encore vivante et pouvait les entendre. Telles étaient les dispositions d'Hérode, quand survint une maladie contagieuse qui fit de grands ravages dans le peuple, et parmi les plus considérés des amis du roi ; tous supposèrent qu'elle avait été suscitée par Dieu en ressentiment de l'injuste supplice de Mariamme. Les idées du roi en furent encore assombries; enfin, il se retira dans le désert, et là, sous prétexte de chasser, s'abandonnant tout entier à sa douleur, il ne put résister longtemps et tomba très gravement malade. Il était en proie à la fièvre, à de violentes douleurs dans la nuque, à des troubles cérébraux. Aucun des remèdes qu'il prit ne le soulagea; par un effet contraire, ils le mirent dans un état désespéré. EL tous les médecins qui l'entouraient, voyant l'opiniâtreté du mal et que le roi ne supportait dans son régime d'autre contrainte que celle de la maladie, décidèrent de satisfaire tous ses caprices et s'en remirent au hasard d'une guérison dont ils désespéraient dans ces conditions. C'est ainsi que la maladie retenait Hérode à Samarie, ville qui prit le nom de Sébaste[72].

 

8. Alexandra, qui se trouvait à Jérusalem, à la nouvelle de l'état du roi, fit tous ses efforts pour se rendre maîtresse des forts de la ville. Il y en avait deux, commandant l'un la ville proprement dite, l'autre le Temple, et quiconque en était le maître l'était aussi du peuple entier : car on ne pouvait, sans sa permission, offrir les sacrifices, et la pensée de ne pouvoir les offrir était insupportable pour tous les Juifs, qui préféraient la mort à l'impossibilité de rendre à Dieu le culte accoutumé. Alexandra fit donc des ouvertures aux gouverneurs, assurant qu'il était indispensable de lui livrer ces positions à elle-même et aux fils d'Hérode, de crainte que, si celui-ci venait à mourir, quelqu'autre ne pût les prévenir et s'emparer du pouvoir ; si, au contraire, il recouvrait la santé, personne ne les conserverait mieux au roi que ses plus proches parents. Mais ces raisons trouvèrent sourde oreille ; les chefs, fidèles jusqu'alors à Hérode, le demeurèrent plus encore en cette circonstance par haine d'Alexandra et parce qu'ils trouvaient impie de désespérer de l'état d’Hérode tant qu'il était encore vivant ; ils lui étaient, en effet, attachés de longue date, et l’un d'eux, Achiabos, était aussi cousin du roi. Ils lui dépêchèrent donc aussitôt un envoyé pour lui faire connaître les desseins d'Alexandra. Hérode, sans retard, donna l'ordre de la mettre à mort. Lui-même il échappa à la maladie à grand'peine et après de longues souffrances ; mais il resta ombrageux, aigri par ses douleurs d'esprit et de corps, et saisit plus volontiers tous les prétextes pour supplicier ceux qui lui tombaient sous la main. C'est ainsi qu'il mit à mort même ses plus intimes amis, Costobaros, Lysimaque, Antipater surnommé Gadias, et Dosithée[73] ; voici à quel propos.

 

9. Costobaros appartenait à une famille de l'Idumée : il était des premiers en dignité dans ce pays, et ses ancêtres avaient été prêtres de Cozé, que les Iduméens adoraient comme un dieu. Hyrcan (Ier) changea la forme du gouvernement des Iduméens, pour leur donner les coutumes et les lois des Juifs. Hérode, en prenant le pouvoir, nomma Costobaros gouverneur de l'Idumée et de Gaza, et lui fit épouser sa soeur Salomé, dont il avait tué, comme nous l'avons raconté, le premier mari, Joseph[74]. Costobaros accueillit avec joie ces faveurs inespérées ; mais exalté par son bonheur, il en vint petit à petit à juger indigne de lui d'obéir aux ordres qu'il recevait d’Hérode, indigne des Iduméens d'avoir changé leurs institutions contre celles des Juifs pour vivre sous la dépendance de ceux-ci. Il envoya donc un message à Cléopâtre, pour lui dire que l'Idumée avait toujours appartenu aux ancêtres de cette reine, qu'il était donc juste qu'elle demandât ce territoire à Antoine ; lui-même était prêt à reporter sur la reine tout son dévouement. S'il agissait ainsi, ce n'était pas qu'il fût plus désireux de se trouver sous la dépendance de Cléopâtre ; mais il pensait qu'une fois Hérode privé de la plus grande partie de ses ressources, il lui deviendrait facile de s'emparer lui-même du pouvoir sur les Iduméens, et d'arriver aux plus hautes destinées : il ne mettait, en effet, nulle borne à ses ambitions, ayant un soutien sérieux dans la noblesse de sa race et les richesses qu'il avait amassées avec une patiente avarice ; enfin, il ne roulait que de vastes projets. Cléopâtre demanda le territoire à Antoine, mais elle éprouva un refus. Hérode, informé de cette intrigue, fut sur le point de faire mourir Costobaros ; toutefois à la prière de sa soeur et de sa mère, il le relâcha et lui pardonna, mais sans désormais se confier à lui.

 

10. Quelque temps après, Salomé, ayant eu des discussions avec Costobaros, lui fit signifier par lettre la rupture de leur mariage, ce qui est contraire aux lois des Juifs : car ce droit est réservé chez nous au mari[75] ; la femme même répudiée ne peut de sa propre initiative se remarier sans le consentement de son premier mari. Salomé, au mépris de la coutume nationale et usant simplement de sa propre autorité, renonça à la vie commune et déclara à son frère Hérode que c'était par dévouement pour lui qu'elle se séparait de son mari ; car elle avait appris que celui-ci, avec Antipater, Lysimaque et Dosithée, conspirait contre lui. Elle donna comme preuve de ce qu'elle avançait l'existence des fils de Babas, que Costobaros gardait depuis douze ans. C'était la vérité et cette nouvelle inattendue fit une profonde impression sur le roi, frappé par le caractère extraordinaire du fait qu'on lui rapportait. Il avait autrefois, en effet, cherché à se venger des fils de Babas[76], qui s'étaient montrés hostiles ; mais depuis lors, tant de temps s'était écoulé, qu'ils lui étaient même sortis de la mémoire. Son animosité et sa haine à leur égard avaient l'origine suivante. Lorsque Antigone avait le pouvoir et qu'Hérode vint assiéger la ville de Jérusalem à la tête de ses troupes, pressés par toutes les calamités qui accompagnent un siège, la plupart des habitants faisaient appel à lui et inclinaient déjà vers lui leurs espérances. Mais les fils de Babas, qui occupaient une haute situation et avaient une grande influence sur le peuple, restèrent fidèles à Antigone ; ils dénigrèrent violemment Hérode et exhortèrent la multitude à conserver à ses rois un pouvoir qu'ils tenaient du droit de naissance. Telle fut l'attitude politique de cette famille, qui, d'ailleurs, suivait son intérêt. La ville prise et Hérode maître du pouvoir, Costobaros avait été chargé de barricader les issues et de surveiller la ville, pour empêcher l'évasion des citoyens obérés ou hostiles au roi ; sachant que les fils de Babas étaient tenus en haute estime et considération par le peuple tout entier et songeant que, s'il les sauvait, il pourrait jouer un rôle important dans une révolution future, il les fit enlever et les cacha dans des fermes qui lui appartenaient. A ce moment il détourna la méfiance d'Hérode - car la vérité fut soupçonnée - en l'assurant par serment qu'il ne savait rien sur leur compte. Puis, lorsque le roi, par des proclamations et promesses de récompense, mit tout en oeuvre pour les découvrir, il ne voulut rien avouer ; tout au contraire, persuadé qu'après ses premières dénégations il ne pourrait échapper au châtiment si l'on retrouvait ces hommes, il s'attacha, non plus seulement par bienveillance, mais encore par nécessité, à dissimuler leur retraite. Le roi, sur les révélations que lui fit maintenant sa soeur, envoya dans l'endroit qu'on lui avait indiqué comme leur résidence et les fit mettre à mort avec leurs complices, en sorte qu'il ne resta personne de la race d'Hyrcan[77] ; Hérode eut désormais un pouvoir absolu, n'y ayant plus de personnage en crédit qui pût s'opposer à ses violences[78].

 

VIII

1-2. Bâtiments d'Hérode à Jérusalem. Le théâtre et les jeux quinquennaux. Affaire des trophées. - 3-4. Complot de l'aveugle. -5. Réseau de forteresses. Reconstruction de Samarie-Sebaste.

 

1. Dès lors il s'éloigna de plus en plus des coutumes nationales et par l'introduction d'habitudes étrangères mina l'ancienne constitution, jusque-là inattaquable ; ce qui nous fit alors et depuis le plus grand tort, car on négligea tout ce que jadis était propre à entretenir le peuple dans la piété. Tout d'abord, en effet, il institua en l'honneur de César des jeux, qui devaient être célébrés tous les quatre ans ; il fit bâtir à Jérusalem un théâtre et dans la plaine un vaste amphithéâtre, édifices remarquables par leur magnificence, mais contraires aux habitudes des Juifs, car aucune tradition n'en autorisait l'usage ni les spectacles qu'on y donnait. Hérode cependant célébra avec le plus grand éclat cette fête quinquennale, pour laquelle il adressait des invitations aux voisins et convoquait tous les peuples[79]. Il avait fait venir de partout des athlètes et concurrents de toutes sortes, attirés par les prix proposés et par la gloire que donnerait la victoire ; et l'on réunit dans chaque ordre d'exercices les champions les plus illustres car d'importantes récompenses furent proposées non seulement aux exercices gymniques, mais encore aux musiciens et aux autres artistes thyméliques, et l'on mit tout en oeuvre pour que les plus célèbres vinssent les disputer. Des prix de grande valeur furent aussi donnés pour les courses de chars à quatre ou deux chevaux ainsi que pour les courses de cavaliers ; et toutes les recherches de luxe et de magnificence qui étaient déployées ailleurs furent imitées par Hérode dans son désir de donner des fêtes qui missent sa grandeur en relief. Tout autour du théâtre furent disposées des inscriptions en l'honneur de César, des trophées rappelant les peuples qu'il avait vaincus et conquis, le tout exécuté en or pur et en argent. Quant au matériel, il n’était vêtements coûteux ou pierres précieuses dont on ne donnât le spectacle en même temps que celui des jeux. On fit aussi venir des bêtes féroces, des lions en grand nombre, ainsi que d'autres animaux, choisis parmi les plus forts et les plus rares ; on les fit se déchirer entre eux, ou combattre avec des condamnés. Les étrangers furent frappés d'admiration par la somptuosité déployée, en même temps que vivement intéressés par les dangers de ce spectacle ; mais les indignes voyaient là la ruine certaine des coutumes en honneur chez eux : car il était d'une impiété manifeste de jeter des hommes aux bêtes, pour le plaisir que d'autres hommes trouvaient à ce spectacle, impie également d'abandonner les moeurs nationales pour en adopter d'étrangères. Mais ce qui surtout les chagrinait, c'était les trophées : croyant, en effet, qu’il y avait des figures enfermées dans les panoplies, ils s'indignaient, car leurs lois interdisaient d'honorer de semblables images.

 

2. Leur trouble n'échappa point à Hérode. Il jugea inopportun d'user de violence et se contenta de causer avec quelques-uns d'entre eux, de les raisonner pour essayer de les délivrer de leur scrupule religieux. Il ne put les convaincre, et dans leur ressentiment pour toutes les offenses dont il leur semblait coupable, ils déclaraient tout d'une voix que, tout le reste leur parût-il supportable, ils ne pourraient admettre dans la ville des représentations humaines - ils voulaient parler des trophées -, car elles étaient contraires aux coutumes nationales. Hérode, les voyant inquiets et pensant qu'il serait difficile de les faire changer d'avis, si l'on ne trouvait le moyen de les satisfaire, fit venir les principaux d'entre eux et les conduisit au théâtre ; là, leur montrant les trophées, il leur demanda ce qu'ils croyaient que ce pût être : ils s'écrièrent que c'étaient des figures humaines. Donnant alors l'ordre d'enlever tous les ornements qui les recouvraient, il leur montra l'armature de bois à nu. A les voir ainsi dépouillés, les mécontents ne purent retenir leurs rires, et ce qui contribua le plus à la détente, fut que déjà auparavant ils s'étaient moqués des images.

 

3. Quand Hérode eut ainsi détourné les soupçons du peuple et brisé l'élan de colère qui l'avait soulevé, la plupart des Juifs se tinrent tranquilles, changèrent de sentiment et revinrent de leur hostilité ; plusieurs cependant persistèrent dans le mécontentement que leur causait l'introduction d'habitudes étrangères. Persuadés que la dérogation aux coutumes nationales amènerait de grands malheurs, ils jugèrent qu'il était de leur devoir de s'exposer eux-mêmes au danger de mort plutôt que de paraître tolérer avec indifférence qu'Hérode, la constitution bouleversée, introduisît par la force des habitudes contraires aux moeurs juives, et fût en apparence le roi, en réalité l'ennemi du peuple entier. S'étant donc unis par le serment de ne reculer devant aucun péril, dix citoyens s'armèrent de poignards cachés sous leur manteau ; parmi les conjurés, se trouvait un aveugle, poussé par l'indignation que lui causaient les récits qu'il entendait ; incapable d'agir et de rien faire pour aider à l'exécution du complot, il était cependant prêt à payer de sa personne s'il arrivait malheur aux autres, et sa présence ne fut pas un médiocre encouragement pour ceux-ci.

 

4. Ainsi décidés, ils se rendirent, comme il était convenu, au théâtre, dans l'espoir qu'Hérode, attaqué par eux à l'improviste, ne pourrait leur échapper et qu'ils pourraient du moins, à défaut du roi, mettre à mort nombre des gens de sa suite ; ce résultat leur paraissait devoir suffire, si, même au prix de leur vie, ils amenaient le peuple et le roi lui-même à réfléchir à ses outrages. Tels étaient leur dessein et leur résolution bien arrêtés. Mais l'un des hommes chargés par Hérode de surveiller ces sortes d'affaires et de les lui dénoncer découvrit le complot et le dévoila au roi au moment où il se rendait au théâtre. La nouvelle ne parut nullement invraisemblable à Hérode, étant donné la haine dont il se savait l'objet de la part de la plupart des Juifs et les troubles survenus à chaque événement ; il rentra donc dans son palais et fit convoquer nominativement ceux qui étaient accusés. Surpris par ses serviteurs et saisis sur le fait, les conjurés, voyant qu'il n'y avait pour eux aucune chance de salut, s'appliquèrent à ennoblir leur mort inévitable par une inébranlable fermeté : sans défaillance, sans rétractation, ils montrèrent leurs poignards, bien que déjà maîtrisés[80], et déclarèrent qu'ils s'étaient conjurés dans un esprit de justice et de piété, ayant en vue, non pas quelque intérêt ou ressentiment personnel,mais avant tout la cause des coutumes nationales, que tous doivent observer ou défendre au prix de leur vie. Après cet aveu très franc du but de leur complot, entourés par les soldats du roi, ils furent entraînés, accablés de tourments et mis à mort. Peu après quelques Juifs s'emparèrent du dénonciateur et, non contents de le tuer, coupèrent son cadavre en morceaux, qu'ils donnèrent à manger aux chiens. Nombre de citoyens assistèrent au meurtre, mais personne ne le dénonça, jusqu'au jour où, Hérode ayant ordonné une enquête sévère et implacable, quelques femmes mises à la torture avouèrent les faits dont elles avaient été témoins. Les auteurs du crime furent alors punis, et Hérode se vengea sur toute leur famille de leur témérité. Cependant la ténacité du peuple et son inébranlable fidélité aux lois rendaient la situation difficile pour Hérode, s'il ne prenait d'énergiques mesures pour assurer sa sécurité ; aussi résolut-il de cerner le peuple de tous tes côtés, afin d'empêcher une révolte ouverte de la part des révolutionnaires.

 

5. Il commandait déjà la ville par le palais où il habitait, et le Temple par la forteresse appelé Antonia, qui avait été bâtie par lui. Il s'avisa de faire de Samarie un troisième rempart contre la population tout entière ; il lui donna le nom de Sébaste et pensa que cette place pourrait lui servir de forteresse contre la contrée, aussi utilement que les autres[81]. Il fortifia donc cette bourgade, distante de Jérusalem d'un jour de marche, et aussi bien placée pour tenir en respect la capitale que la campagne. Pour la défense du royaume entier, il releva la forteresse appelée jadis Tour de Straton, et à laquelle il donna le nom de Césarée[82]. Dans la grande plaine, sur la frontière de Galilée, il fonda une colonie militaire peuplée de cavaliers d'élite de sa garde, appelée Gaba ; il colonisa de même le territoire d'Hesbon dans la Pérée[83]. Ces fondations se firent successivement ; ainsi petit à petit il pourvoyait à sa sécurité, enfermant le peuple dans une ceinture de places fortes, pour lui enlever autant que possible toute facilité de se laisser entraîner aux troubles, comme il en avait l'habitude au moindre mouvement, et lui faire comprendre qu'à la première tentative de soulèvement il y aurait toujours à proximité des troupes qui sauraient en avoir connaissance et la réprimer. A l'époque où nous sommes, désireux de fortifier Samarie, il s'occupa de lui donner une population, composée de beaucoup de ses anciens compagnons d'armes et de nombreux habitants des territoires voisins ; son ambition était d'y élever un temple et, grâce à lui, de donner de l'importance à une ville qui n'en avait pas auparavant ; mais surtout il voulait assurer sa sécurité par sa magnificence[84]. Il changea le nom de la ville et l'appela Sébaste, distribua le territoire avoisinant, dont les terres étaient excellentes, aux colons, afin qu'aussitôt arrivés ils se trouvassent déjà prospères ; il entoura la ville d'une forte muraille, utilisant pour la défense la situation escarpée de la place, et traçant une enceinte, non pas de la dimension de l'ancienne, mais telle qu'elle ne le cédât en rien à celle des villes les plus renommées elle avait en effet vingt stades. A l'intérieur, au milieu même de la ville, il traça un enclos sacré d'un stade demi, orné avec beaucoup de recherche, et dans lequel il éleva un temple égalant les plus célèbres par ses dimensions et sa beauté ; peu à peu il prodigua dans la ville les embellissements, considérant, d'une part, les nécessités de sa défense personnelle et faisant de cette place par la solidité de sa muraille une forteresse de premier ordre, d'autre part désireux de passer pour aimer les belles choses et de laisser à la postérité des monuments de sa munificence[85].

 

IX

1-2. Famine ; habile générosité d'Hérode. - 3. Hérode renforce le corps expéditionnaire de Gallus. Son palais. Son mariage avec Mariamme II. - 4. Forteresse et ville d'Hérodion. - 5-6. Prospérité et largesses d'Hérode. Construction de Césarée.

 

1. Cette même année, qui était la treizième du règne d'Hérode[86], les plus grands malheurs s'abattirent sur le pays, soit que Dieu manifestât sa colère, soit que les fléaux reviennent ainsi dans certaines périodes déterminées. Il y eut d'abord des sécheresses continues, si prolongées que la terre ne porta ni moissons ni même aucun de ses produits naturels ; puis, à la suite du changement de nourriture nécessité par la rareté du blé, les habitants furent en proie aux maladies, ensuite à la peste, les maux se succédant sans trêve. Le manque de soins médicaux et de nourriture favorisa les progrès de la peste, dont les débuts avaient été terribles, et la mort des malheureux ainsi frappés jeta le découragement parmi les autres, impuissants à soulager leur détresse. La récolte de l'année perdue, les réserves de l'année précédente épuisées, il ne restait plus aucun espoir, car le mal se prolongeait au delà de toute prévision, menaçant de persister après l'année courante ; les hommes n'avaient donc plus aucune ressource, et les semences des plantes qui avaient résisté furent perdues à leur tour, la terre ne produisant rien pour la seconde fois. La nécessité s'appliquait à trouver des moyens nouveaux pour satisfaire les besoins. Le roi lui-même ne fut pas le moins éprouvé ; il ne touchait plus les tributs qu'il recevait sur les produits de la terre et se trouvait avoir dépensé ses richesses en          libéralités pour les villes qu'il bâtissait. Et rien ne paraissait capable d'apporter même quelque soulagement car le premier effet du mal avait été une recrudescence de la haine que portaient à Hérode ses sujets : l'insuccès fait toujours accuser les hommes au pouvoir.

 

2. Dans une pareille crise Hérode s'ingéniait à trouver un remède à la situation. La chose était difficile les peuples voisins ne pouvaient donner du blé, car ils n'étaient pas moins atteints ; et, d'autre part, il n'avait plus d'argent, à supposer que l'argent eût permis de trouver même de faibles ressources à grand prix. Cependant, pensant qu'il fallait ne négliger aucun moyen de venir en aide à son peuple, il fit mettre au creuset tous les ornements d'argent et d'or de son palais, sans épargner les pièces luxueuses de son mobilier ou les objets ayant une valeur d'art. Il envoya l'argent qu'il en retira en Égypte, dont Pétronius avait reçu de César le gouvernement. Pétronius, auquel s'étaient déjà adressés nombre de malheureux pressés par ce même besoin, était un ami personnel d'Hérode et désirait sauver ses sujets : il leur donna donc par préférence l'autorisation d'exporter du blé et s'occupa de l'achat et du transport, de telle sorte que ce secours fut en grande partie, sinon entièrement, son oeuvre. Hérode, une fois arrivé le convoi qui apportait ces ressources, sut attribuer à sa propre prévoyance tout le mérite de ce soulagement ; par là, non seulement il amena les moins bien disposés pour lui à changer d'opinion, mais encore donna les plus grandes preuves de son zèle et de sa sollicitude. A tous ceux qui étaient capables de préparer eux-mêmes leur pain, il distribua du blé, après avoir procédé à l'enquête la plus minutieuse ; mais comme il y avait nombre de malheureux que leur vieillesse ou quelque autre infirmité rendaient incapables d'apprêter leurs aliments, il pourvut à leurs besoins en employant des boulangers et en leur donnant leur nourriture toute prête. Il prit, de plus, des dispositions pour qu'ils pussent passer l'hiver sans danger, car le manque de vêtements se faisait aussi sentir, les troupeaux étant détruits et complètement perdus, de sorte qu'on n'avait ni laine, ni aucune des autres matières nécessaires pour l'habillement. Quand il eut pourvu ainsi aux nécessités de ses sujets, il s'appliqua à secourir également les villes voisines, en fournissant des semences aux Syriens. Il ne tira pas moins de profit de cette mesure, car sa générosité ranima leur sol fertile, et chacun se trouva suffisamment pourvu de vivres. Enfin, quand vint le moment de la moisson, il n’envoya pas moins de cinquante mille hommes dans la campagne, qu'il nourrit et entretint lui-même. En somme, il releva par sa libéralité et sa sollicitude son royaume fort éprouvé et soulagea ses voisins, qui souffraient des mêmes maux : car il n'y eut personne qui, poussé par la nécessité à s'adresser à lui, n'eût reçu de lui quelque secours approprié à ses besoins. Les peuples, les villes, les particuliers qui, pour avoir trop de monde à leur charge, se trouvèrent sans ressources, eurent, en recourant à lui, tout ce qui leur manquait ; il y eut au total dix mille cores de blé distribués hors du royaume - le core est une mesure qui vaut dix médimnes attiques[87] -, et environ quatre-vingt mille employés au soulagement du pays lui-même. Les soins d'Hérode, son opportune générosité firent une telle impression sur les Juifs et eurent un tel retentissement chez les autres peuples, que les haines soulevées jadis par la violation de quelques coutumes ou de certaines traditions de gouvernement disparurent complètement de la nation ; la libéralité dont il avait fait preuve dans ces terribles conjonctures parut racheter ses torts. Sa renommée s'étendit aussi à l'extérieur. Ainsi les malheurs incroyables qui l'assaillirent, s'ils éprouvèrent fortement son royaume, servirent d'autant plus sa gloire : en faisant preuve, en effet, dans de difficiles circonstances, d'une grandeur d'âme inattendue, il amena un revirement de l'opinion publique, si bien qu'il sembla avoir été dès le début de son règne, non pas le tyran que le montrait l'expérience du passé, mais le maître secourable que l'avait fait paraître sa sollicitude au moment du besoin.

 

3. Vers ce même temps[88], il envoya à César un corps auxiliaire de cinq cents hommes choisis dans ses gardes du corps, qu'Ælius Gallus emmena vers la mer Erythrée, et qui rendirent à ce général de grands services. Puis comme sa prospérité avait repris un nouvel essor, il se bâtit un palais dans la ville haute ; il y éleva d'immenses salles, qui reçurent la plus riche décoration, or, marbres, revêtements précieux ; chacune d'elles contenait des lits de table pouvant recevoir un grand nombre de convives et avait ses dimensions et sa désignation particulières[89] ; l'une s'appelait, en effet, salle de César, l'autre salle d'Agrippa. Puis il se remaria par amour, car aucune considération ne pouvait l'empêcher de vivre au gré de son plaisir. L'origine de son mariage fut la suivante. Il y avait à Jérusalem un prêtre notable, Simon, fils d'un certain Boéthos d'Alexandrie, et qui avait une fille qui passait pour la plus belle de ce temps. Comme on parlait beaucoup d'elle à Jérusalem, l'attention d'Hérode fut d'abord éveillée par ces ouï-dire; dès qu'il la vit, il fut frappé de l'éclat de la jeune fille. Il écarta cependant absolument l'idée d'abuser de son pouvoir pour la posséder[90], prévoyant à bon droit qu'on l'accuserait de violence et de tyrannie ; il pensa qu'il valait mieux l'épouser. Et comme Simon était trop obscur pour entrer dans sa maison, mais d'un rang cependant trop élevé pour qu'on pût le laisser de côté, le roi trouva que le moyen le plus convenable pour contenter son désir était de rehausser la noblesse de cette famille par de plus grands honneurs. Il enleva donc aussitôt le grand pontificat à Jésus, fils de Phabès, et le remplaça par Simon ; puis il célébra son alliance avec celui-ci[91].

 

4. Après son mariage, il construisit une nouvelle forteresse à l'endroit où il avait vaincu les Juifs, alors qu'il avait été chassé et qu'Antigone se trouvait au pouvoir[92]. Cet emplacement est distant de Jérusalem d'environ soixante stades ; il est naturellement fort et se prête admirablement à une pareille destination. C'est, en effet, une colline assez haute[93], artificiellement exhaussée et présentant dans son ensemble la forme d'un mamelon ; de distance en distance sont des tours rondes ; on y moule par un escalier roide, comptant environ deux cents marches de pierre polie. Intérieurement se trouvent des appartements royaux, luxueux, aussi bien aménagés pour la défense que pour l’agrément ; au pied de la colline furent exécutés des travaux remarquables, notamment pour l'adduction de l'eau, dont la place était dépourvue, et qui fut amenée de loin à grands frais. Les constructions élevées au pied de la colline, qui leur servait d'acropole, ne le cédaient en importance à aucune ville.

 

5. Tout lui ayant réussi au gré de ses espérances, Hérode ne soupçonnait pas que le moindre trouble pût s’élever dans son royaume ; il était, en effet, sûr de ses sujets, et par la terreur - car il était inflexible dans la répression, - et par la générosité qu'on savait pouvoir attendre de sa grandeur d'âme dans les circonstances difficiles. Il s'assurait aussi la sécurité à l'extérieur, comme un rempart pour son peuple : car il entretenait avec les villes des relations habiles et cordiales, savait à l'occasion flatter les princes, qu'il comblait de cadeaux, leur créant chaque jour de plus grandes obligations envers lui, et mettait à profit, pour consolider son trône, ses dispositions naturelles à la largesse ; en somme, de succès en succès, il savait tout faire servir à fortifier sa situation. C'est son vif désir d'atteindre ce but et son envie de complaire à César et aux plus influents des Romains qui le mirent dans la nécessité de transgresser les coutumes, de violer nombre d'usages consacrés. Son ambition le poussa notamment à bâtir des villes et à élever des temples ; il ne le fit pas sur le territoire juif, car les Juifs n'auraient pu le supporter, puisqu'il nous est interdit, par exemple, d'honorer, à la manière des Grecs, des statues et des figures modelées ; mais il choisit à cet effet des territoires et des villes hors de la Judée, alléguant auprès des Juifs qu’il agissait ainsi non de sa propre initiative, mais sur des instructions et des ordres formels, tandis qu'il déclarait à César et aux Romains qu'il sacrifiait même les coutumes nationales à son désir de les honorer ; au fond, il ne se préoccupait que de lui-même, s'efforçant de laisser pour la postérité de plus grands souvenirs de son règne. Et c'est là ce qui le poussait à reconstruire des villes et à dépenser, dans cette intention, sans compter.

 

6[94]. Il avait remarqué sur le bord de la mer un emplacement tout à fait propre à la fondation d'une ville : c'était le lieu autrefois appelé Tour de Straton. Il dressa un plan grandiose de la ville même et de ses édifices et la construisit entièrement, non pas de matériaux quelconques, mais en pierre blanche. Il l'orna de palais somptueux et de monuments à l'usage du public ; et, ce qui fut le plus important et exigea le plus de travail, la pourvut d'un port, parfaitement abrité, aussi grand que le Pirée, avec des quais de débarquement à l'intérieur et un second bassin. Le plus remarquable dans la construction de cet ouvrage, c'est qu'Hérode ne trouva sur les lieux mêmes aucune facilité pour le mener à bien, et qu'on ne put l'achever qu'avec des matériaux amenés à grands frais du dehors. La ville est, en effet, située en Phénicie, sur la route maritime d'Égypte, entre Jopé et Dora, petites marines, d'accès difficile à cause du régime des vents de sud-ouest qui arrivent du large chargés de sable dont ils couvrent le rivage, entravant le débarquement, si bien que le plus souvent les marchands sont obligés de jeter l'ancre en pleine mer. Hérode remédia aux inconvénients de ce régime ; il traça le port en forme circulaire, de façon que de grandes flottes pussent mouiller tout près du rivage, immergeant à cet effet des rochers énormes jusqu'à une profondeur de vingt brasses ; ces rochers avaient pour la plupart cinquante pieds de longueur, au moins dix-huit[95] de largeur et neuf d'épaisseur, quelques-uns plus, d'autres moins. Le môle, bâti sur ces fondements, qu'il projeta dans la mer, avait une longueur de deux cents pieds. La moitié, véritable rempart contre la grosse mer, était destinée à soutenir l'assaut des flots qui venaient s'y briser de tous côtés ; on l'appela donc le brise-lames. Le reste soutenait un mur de pierre coupé de distance en distance par des tours dont la plus grande s'appelle Drusus, très bel ouvrage, tirant son nom de Drusus, beau-fils de César, mort jeune. On construisit une série d'abris voûtés pour servir d'asile aux matelots ; sur le devant, on traça un large quai de débarquement, enveloppant dans son pourtour le port tout entier et offrant une promenade charmante. L'entrée et l'ouverture du port se trouvaient exposées au vent du nord, qui est le plus favorable. A l'extrémité de la jetée, à gauche de l'entrée, s'élevait une tour [bourrée de pierres ?][96], pouvant opposer une forte résistance ; à droite se dressaient, reliés entre eux, deux énormes piédestaux, plus grands que la tour d'en face[97]. Tout autour du port est une suite ininterrompue de bâtiments construits en pierre soigneusement polie ; au centre est une colline sur laquelle on bâtit le temple de César, visible de loin pour les navigateurs et renfermant les statues de Rome et de César. La ville elle-même reçut le nom de Césarée ; elle est remarquable par la qualité des matériaux employés et le soin apporté à la construction. Les souterrains et les égouts construits sous la ville ne furent pas moins soignés que les édifices élevés au-dessus d'eux. Les uns, espacés à intervalles réguliers, aboutissent au port et à la mer ; un autre, transversal, les réunit tous de façon à emporter facilement les pluies et les immondices et à permettre à la mer, lorsqu'elle est poussée par le vent du large, de s'étendre et de laver en dessous la ville entière. Hérode bâtit aussi un théâtre de pierre et, au sud du port et en arrière, un amphithéâtre pouvant contenir un très grand nombre de spectateurs et parfaitement situé, avec vue sur la mer. La ville fut terminée en douze ans[98], car le roi ne souffrit aucune interruption dans les travaux et n'épargna aucune dépense.

 

X

1. Les fils d'Hérode à Rome. Il reçoit la province affermée à Zénodore et réduit les brigands de la Trachonitide. - 2. Sa visite à Agrippa. Intrigues des Arabes. - 3. Auguste en Syrie. Plaintes des Gadaréniens. Hérode reçoit la tétrarchie de Zénodore. Temple de Panion. - 4. Système de gouvernement d'Hérode. Les Pharisiens refusent le serment. - 5. Son attitude envers les Esséniens ; prédiction de Manahem.

 

1. A ce moment, alors que Sébaste était déjà bâtie, Hérode résolut d'envoyer à Rome ses fils Alexandre et Aristobule, pour être présentés à César[99]. A leur arrivée ils descendirent chez Pollion, l'un de ceux qui témoignaient le plus d'empressement pour l'amitié d'Hérode, et ils reçurent la permission de demeurer même chez César. Celui-ci, en effet, reçut avec beaucoup de bonté les jeunes gens ; il autorisa Hérode à transmettre la royauté à celui de ses fils qu'il choisirait et lui fit don de nouveaux territoires, la Trachonitide, la Batanée et l'Auranitide ; voici quelle fut l'occasion de ces largesses[100]. Un certain Zénodore avait affermé les biens de Lysanias[101]. Trouvant ses revenus insuffisants, il les augmenta par des nids de brigands qu'il entretint dans la Trachonitide. Ce pays était, en effet, habité par des hommes sans aveu, qui mettaient au pillage le territoire des habitants de Damas ; et Zénodore, loin de les en empêcher, prenait sa part de leur butin. Les populations voisines, maltraitées, se plaignirent à Varron, qui était alors gouverneur [de Syrie] et lui demandèrent d'écrire à César les méfaits de Zénodore. César, au reçu de ces plaintes, lui manda d'exterminer les nids de brigands et de donner le territoire à Hérode, dont la surveillance empêcherait les habitants de la Trachonitide d'importuner leurs voisins. Il n'était pas facile d'y parvenir, le brigandage étant entré dans leurs moeurs et devenu leur seul moyen d'existence ; ils n'avaient, en effet, ni villes ni champs, mais simplement des retraites souterraines et des cavernes qu'ils habitaient avec leurs troupeaux. Ils avaient su amasser des approvisionnements d'eau et de vivres qui leur permettaient de résister longtemps en se cachant. Les entrées de leurs retraites étaient étroites et ne livraient passage qu'à un homme à la fois, mais l'intérieur était de dimensions incroyables et aménagé en proportion de sa largeur. Le sol au-dessus de ces habitations n'était nullement surélevé, mais se trouvait au niveau de la plaine : cependant il était parsemé de rochers d'accès rude et difficile, pour quiconque n'avait pas un guide capable de lui montrer le chemin ; car les sentiers n'étaient pas directs et faisaient de nombreux détours. Quand ces brigands se trouvaient dans l'impossibilité de nuire aux populations voisines, ils s'attaquaient les uns les autres, si bien qu'il n'était sorte de méfait qu'ils n'eussent commis. Hérode accepta de César le don qu'il lui faisait ; il partit pour cette région et, conduit par des guides expérimentés, il obligea les brigands à cesser leurs déprédations et rendit aux habitants d'alentour la tranquillité et la paix.

 

2. Zénodore, irrité en premier lieu de se voir enlever son gouvernement[102], et plus encore jaloux de le voir passer aux mains d'Hérode, vint à Rome pour porter plainte contre celui-ci. Il dut revenir sans avoir obtenu satisfaction. A celte époque Agrippa fut envoyé comme lieutenant de César dans les provinces situées au delà de la mer Ionienne[103]. Hérode, qui était son ami intime et son familier, alla le voir à Mytilène, où il passait l'hiver, puis revint en Judée. Quelques habitants de Gadara vinrent l'accuser devant Agrippa, qui, sans même leur donner de réponse, les envoya enchaînés au rot. En même temps les Arabes, depuis longtemps mal disposés pour la domination d'Hérode, s’agitèrent et essayèrent de se soulever contre lui, avec d'assez bonnes raisons, semble-t-il : car Zénodore, qui désespérait déjà de ses propres affaires, leur avait antérieurement vendu pour cinquante talents une partie de ses états, l'Auranitide. Ce territoire étant compris dans le don fait par César à Hérode, les Arabes prétendaient en être injustement dépossédés et créaient à ce dernier des difficultés, tantôt faisant des incursions et voulant employer la force, tantôt faisant mine d’aller en justice. Ils cherchaient à gagner les soldats pauvres et mécontents, nourrissant des espérances et des rêves de révolution, auxquels se complaisent toujours les malheureux[104]. Hérode, qui depuis longtemps connaissait ces menées, ne voulut cependant pas user de violence ; il essaya de calmer les mécontents par le raisonnement, désireux de ne pas fournir un prétexte à des troubles.

 

3[105]. Il y avait déjà dix-sept ans qu’Hérode régnait lorsque César vint en Syrie[106]. A cette occasion la plupart des habitants de Gadara firent de grandes plaintes contre Hérode, dont ils trouvaient l'autorité dure et tyrannique. Ils étaient enhardis dans cette attitude par Zénodore, qui les excitait, calomniait Hérode et jurait qu'il n'aurait de cesse qu'il ne les eût soustraits à sa domination pour les placer sous les ordres directs de César. Convaincus par ces propos, les habitants de Gadara firent entendre de vives récriminations, enhardis par ce fait que leurs envoyés, livrés par Agrippa, n'avaient même pas été châtiés : Hérode les avait relâchés sans leur faire de mal, car, si nul ne fut plus inflexible pour les fautes des siens, il savait généreusement pardonner celles des étrangers. Accusé de violence, de pillage, de destruction de temples, Hérode, sans se laisser émouvoir, était prêt à se justifier ; César lui fit, d'ailleurs, le meilleur accueil et ne lui enleva rien de sa bienveillance, malgré l'agitation de la foule. Le premier jour il fut question de ces griefs, mais les jours suivants l'enquête ne fut pas poussée plus loin : les envoyés de Gadara, en effet, voyant de quel côté inclinaient César lui-même et le tribunal et prévoyant qu’ils allaient être, selon toute vraisemblance, livrés au roi, se suicidèrent, dans la crainte des mauvais traitements ; les uns s'égorgèrent pendant la nuit, d'autres se précipitèrent d'une hauteur, d'autres enfin se jetèrent dans le fleuve. On vit là un aveu de leur impudence et de leur culpabilité, et César acquitta Hérode sans plus ample informé. Une nouvelle et importante aubaine vint mettre le comble à tous ces succès : Zénodore, à la suite d'une déchirure de l'intestin et d'hémorragies abondantes qui en résultèrent, mourut à Antioche de Syrie. César attribua a Hérode sa succession assez considérable, qui comprenait les territoires situés entre la Trachonitide et la Galilée, Oulatha, le canton de Panion et toute la région environnante[107]. Il décida, en outre, de l'associer à l'autorité des procurateurs de Syrie[108], auxquels il enjoignît de ne rien faire sans prendre l'avis d'Hérode. En un mot, le bonheur d'Hérode en vint à ce point que des deux hommes qui gouvernaient l'empire si considérable des Romains, César, et, après lui, fort de son affection, Agrippa, l'un, César, n'eut pour personne, sauf Agrippa, autant d'attention que pour Hérode, l'autre, Agrippa, donna à Hérode la première place dans son amitié, après César[109]. Profitant de la confiance dont il jouissait, Hérode demanda à César une tétrarchie pour son frère Phéroras, auquel il attribua sur les revenus de son propre royaume une somme de cent talents ; il désirait, s'il venait lui-même à disparaître, que Phéroras pût jouir paisiblement de son bien, sans se trouver à la merci de ses neveux[110]. Après avoir accompagné César jusqu'à la mer, Hérode, à son retour, lui éleva sur les terres de Zénodore un temple magnifique en marbre blanc, près du lieu qu'on appelle Panion. Il y a en cet endroit de la montagne une grotte charmante, au-dessous de laquelle s'ouvrent un précipice et un gouffre inaccessible, plein d'eau dormante ; au-dessus se dresse une haute montagne : c'est dans cette grotte que le Jourdain prend sa source. Hérode voulut ajouter à cet admirable site l'ornement d'un temple, qu'il dédia à César[111].

 

4. C'est alors aussi qu'il remit à ses sujets le tiers des impôts, sous prétexte de leur permettre de se relever des pertes qu'ils avaient éprouvées par la disette, en réalité pour se concilier les mécontents ; car beaucoup supportaient impatiemment l'introduction définitive de nouvelles habitudes, où ils voyaient la ruine de la piété et la décadence des mœurs ; et c'était là l'objet de toutes les conversations du peuple, en proie à l'irritation et au trouble. Hérode surveillait fort cet état d'esprit : il supprimait toutes les occasions possibles d'agitation, obligeant les habitants à toujours être à leur travail, interdisant toute réunion aux citadins, les promenades et les festins communs ; leurs moindres gestes étaient épiés. Quiconque se laissait prendre en faute était sévèrement puni ; nombre de personnes, arrêtées en public ou secrètement, étaient conduites à la forteresse Hyrcania et mises à mort ; dans la ville, sur les routes, des hommes apostés surveillaient tous les rassemblements. Hérode lui-même, dit-on, ne dédaignait pas de jouer ce rôle ; souvent, vêtu comme un simple particulier, il se mêlait, la nuit venue, aux groupes pour surprendre les appréciations sur le gouvernement. Ceux qui restaient des adversaires résolus des moeurs nouvelles étaient impitoyablement pourchassés par tous les moyens ; quant aux autres, il espéra les amener à la fidélité en leur faisant prêter serment et il les contraignit à s'engager solennellement à lui conserver, comme à leur souverain, leur dévouement ainsi juré. La plupart, par servilité et par crainte, se plièrent à ses exigences ; pour ceux qui montraient quelque fierté et s'indignaient contre cette contrainte, il s'en débarrassait à tout prix. Il voulut amener Pollion le Pharisien et Samaias, ainsi que la plupart de ceux de leur école, à prêter serment mais ils n'y consentirent pas et cependant ne furent pas châtiés comme les autres récalcitrants, car Hérode se montra indulgent pour eux, en considération de Pollion[112]. Furent également exemptés de cette obligation ceux qu'on appelle chez nous Esséens : c'est une secte qui mène une vie conforme aux préceptes qu'enseigna Pythagore chez les Grecs. Je parlerai d'eux ailleurs avec plus de détails[113], mais il est bon de dire pour quelle raison il les tenait en haute estime et leur témoignait plus de considération que n'en mériteraient de simples mortels ; cette explication ne paraîtra pas déplacée dans un livre d'histoire et fera comprendre l'opinion qu’on avait sur leur compte.

 

5. Il y avait parmi les Esséniens un certain Manahem, d'une honnêteté éprouvée dans la conduite de sa vie, et qui tenait de Dieu le don de prévoir l'avenir. Un jour qu'Hérode, alors enfant, allait à l'école, cet homme le regarda attentivement et le salua du titre de roi des Juifs. Hérode crut que c'était ignorance ou moquerie et lui rappela qu'il n'était qu'un simple particulier. Mais Manahem sourit tranquillement et lui donnant une tape familière[114] : « Tu seras pourtant roi, lui dit-il, et tu régneras heureusement, car Dieu t'en a jugé digne. Et souviens-toi des coups de Manahem, et que ce soit pour toi comme un symbole des revirements de la fortune. Ce te serait, en effet, un excellent sujet de réflexions, si tu aimais la justice, la piété envers Dieu, l'équité à l'égard des citoyens ; mais, moi qui sais tout, je sais que tu ne seras pas tel. Tu seras heureux comme personne ne l'a été, tu acquerras une gloire immortelle, mais tu oublieras la piété et la justice, et cet oubli ne saurait échapper à Dieu ; sa colère s'en souviendra à la fin de ta vie. » Sur le moment Hérode ne fit pas grande attention à ces prédictions, n'ayant aucun espoir de les voir se réaliser ; mais quand il se fut élevé peu à peu jusqu'au trône et à la prospérité, dans tout l'éclat du pouvoir, il fit venir Manahem et l'interrogea sur la durée de son règne. Manahem ne lui en dit pas le total ; comme il se taisait, Hérode lui demanda s'il régnerait dix ans. Manahem répondit oui, et même vingt, et trente, mais n'assigna aucune date à l'échéance finale. Hérode se déclara cependant satisfait, renvoya Manahem après lui avoir donné la main, et depuis ce temps honora particulièrement tous les Esséniens. J'ai pensé que, quelque invraisemblance qu'il y ait dans ce récit, je devais le faire à mes lecteurs et rendre ce témoignage public à mes compatriotes, car nombre d'hommes de cette espèce doivent au privilège de leur vertu d'être honorés de la connaissance des choses divines[115].

 

XI

1-2. Hérode décide la reconstruction du Temple. - 3. Description du Temple et des fortifications de la colline sacrée. - 4. La tour Antonia ; vicissitudes du vêtement du grand-prêtre. - 5. Les portes, le portique royal, les trois parvis. - 6-7. Fêtes de l'inauguration du nouveau Temple ; miracle des pluies nocturnes.

 

1. A ce moment, dans la dix-huitième année de son règne[116], après avoir fait tout ce qui précède, Hérode aborda une entre¬prise considérable, la reconstruction du Temple de Dieu. Il voulait agrandir l'enceinte et augmenter la hauteur de l'édifice pour le rendre plus imposant ; il pensait, avec raison, que cette oeuvre serait la plus remarquable de toutes celles auxquelles il aurait travaillé et qu'elle suffirait pour lui assurer une éternelle gloire. Mais sachant que le peuple n’était nullement préparé à cette grande entreprise et s'effrayerait de ses difficultés, il voulut tout d'abord l'amener par la persuasion à donner son concours à tout ce dessein. Il convoqua donc les habitants et leur parla en ces termes : « De tout ce que j'ai fait pendant mon règne, je crois inutile de rien dire, chers compatriotes, bien que j'en aie retiré moins d'honneur que vous-mêmes de sécurité. De même que, dans les conjonctures les plus difficiles, je n'ai jamais rien négligé de vos intérêts, ainsi dans toutes les constructions que j'ai élevées, je me suis préoccupé moins de mettre ma personne que vous tous à l'abri des injures : je crois donc, avec la volonté de Dieu, avoir amené le peuple juif à un degré de prospérité qu'il n'avait jamais connu auparavant. Vous rappeler tous les ouvrages exécutés l’un après l'autre en différents endroits du pays, toutes les villes construites sur notre ancien territoire ou dans mes acquisitions nouvelles, parure magnifique pour notre nation, me parait inutile, puisque tout cela vous est bien connu ; mais l'entreprise à laquelle je veux me consacrer aujourd'hui est la plus pieuse, la plus belle de toutes celles de mon règne et je veux en mettre la preuve évidente sous vos yeux. Notre Temple actuel a été élevé en l'honneur du Dieu Tout-puissant par nos pères, à leur retour de Babylone ; mais il lui manque en hauteur soixante coudées pour atteindre les dimensions qu'avait le premier Temple, celui qui fut bâti par Salomon[117]. Il ne faut pas en accuser la piété de nos pères : ce n’est pas leur faute si le Temple est trop petit ; c'est que les dimensions de l'édifice leur furent imposées par Cyrus et Darius, fils d'Hystaspe, dont ils furent les esclaves et ceux de leurs descendants, avant de l'être des Macédoniens ; ils n'eurent donc pas la possibilité d'égaler la grandeur du premier monument de leur piété[118]. Mais aujourd'hui que, par la volonté de Dieu, je détiens le pouvoir, et que nous jouissons d'une longue paix, de richesses, de revenus considérables, et surtout que les Romains, les maîtres du monde, ou peu s’en faut, nous témoignent de l'amitié et de la bienveillance, je veux essayer, en réparant les négligences que nous imposèrent jadis la nécessité et la servitude, de m'acquitter envers Dieu, par ce pieux hommage, de ses bienfaits et du don de la royauté. »

 

2. Ainsi parla Hérode. Ce discours inattendu étonna le peuple. Jugeant chimérique l'espoir exprimé par le roi, les Juifs y restèrent insensibles, se demandant avec inquiétude si Hérode, après s'être hâté de démolir tout l'édifice, aurait les ressources suffisantes pour mener à bonne fin son projet : le danger leur paraissait donc très grand, et l'entreprise d'une grandeur malaisée à réaliser. Le roi, les voyant dans ces dispositions, les rassura en leur promettant de ne pas jeter bas le Temple avant d’avoir réuni tous les matériaux nécessaires à l'achèvement des travaux. L'effet suivit la promesse : il fit préparer mille chariots pour transporter les pierres, choisit dix mille ouvriers des plus expérimentés, acheta pour mille prêtres des vêtements sacerdotaux[119], enseigna aux uns le métier de maçon, aux autres celui de charpentier ; et tous ces préparatifs ainsi soigneusement achevés, se mit à l'oeuvre.

 

3. Après avoir démoli les anciennes fondations, il en jeta de nouvelles sur lesquelles il éleva le Temple, qui mesura cent coudées en longueur [et en largeur][120] et vingt de plus dans la hauteur, excédant qui disparut plus tard par suite d'un affaissement survenu, avec le temps, dans les fondation ; il avait été décidé, du temps de Néron, de le rétablir[121]. Le Temple fut construit en pierre blanche très dure, dont chaque bloc mesurait vingt-cinq coudées de longueur, huit de hauteur et environ douze d'épaisseur. Dans le Temple, comme dans le portique royal[122], on tint les nefs latérales moins hautes et le bâtiment central plus élevé, il était visible à plusieurs stades de distance, pour les habitants de la campagne, surtout pour ceux qui demeuraient en face, ou s'avançaient dans cette direction. Les portes d'entrée, aussi hautes, avec leur linteau, que le Temple même, furent ornées de tentures bigarrées, offrant à l'œil des fleurs teintes en pourpre et des colonnes brodées, Au-dessus des portes, dans l'espace compris jusqu'au couronnement du mur, courait une vigne d'or aux grappes pendantes, merveille de grandeur et d'art, et dans laquelle la finesse du travail le disputait à la richesse de la matière. Hérode entoura le Temple de spacieux portiques, soigneusement proportionnés aux dimensions de l'édifice et beaucoup plus riches que ceux d'autrefois personne, semblait-il, n'avait jamais aussi magnifiquement orné le Temple. Les deux portiques étaient appuyés à un puissant mur, et ce mur lui-même était l'oeuvre la plus colossale dont on eût jamais entendu parler. L'emplacement du Temple est, en effet, une colline rocheuse, escarpée, qui monte cependant en pente douce, du côté des quartiers est de la ville, jusqu'au sommet Notre premier roi[123] Salomon, sous l'inspiration divine, y exécuta des travaux considérables. Sur le sommet, il fortifia par un mur tout le plateau ; dans le bas, il éleva à partir du pied même de la colline, qu'entoure au S.-O. un ravin profond, une seconde muraille en pierres liées par des scellements de plomb ; en s'avançant la muraille embrassait graduellement un morceau de la colline et s'élevait de plus en plus[124]. Toute cette construction, de plan carré, était d'une grandeur et d'une hauteur inimaginables : extérieurement, la vue ne s'arrêtait que sur les larges surfaces des pierres ; intérieurement des crampons de fer maintenaient l'appareil et lui assuraient une solidité à toute épreuve. Ce travail une fois poussé jusqu'au niveau du sommet de la colline, on égalisa soigneusement celui-ci, puis on combla sur tout le pourtour la cavité comprise entre le mur et le flanc de la colline, jusqu'à ce que l'on fût de plain-pied avec le plateau et l’on nivela la surface du remblai. Cet ensemble constitua l'enceinte, qui avait quatre stades de tour, chaque côté ayant un stade de longueur. En dedans de ce mur d'enceinte, un autre mur de pierre[125] suit le sommet lui-même ; le long de l'arête orientale, un portique double s'y appuie, de dimensions égales au mur, et s'ouvre sur les portes du Temple, placé au milieu[126]. Nombre de nos anciens rois embellirent ce portique, et tout autour du sanctuaire étaient suspendues des dépouilles barbares ; le roi Hérode les consacra toutes (à nouveau) après y avoir joint celles qu'il avait enlevées aux Arabes.

 

4. Du côté nord on avait construit, dans l'angle du péribole[127], une citadelle, admirablement fortifiée et pourvue d'excellents moyens de défense. Elle fut bâtie par les rois pontifes de la race ses Asamonéens, prédécesseurs d'Hérode, qui l'appelèrent Baris[128] et la destinèrent à abriter le vêtement sacerdotal que le grand-prêtre ne revêt que lorsqu'il doit offrir un sacrifice. Hérode laissa le vêtement au même endroit, mais, après sa mort, il fut sous la garde des Romains jusqu'au temps de Tibère César. Sous cet empereur, Vitellius, gouverneur de Syrie, étant venu à Jérusalem, y reçut du peuple un accueil magnifique ; désireux de le reconnaître par un témoignage de bienveillance, comme les Juifs lui demandaient de leur rendre la garde du vêtement sacré, il en écrivit à Tibère César, qui octroya leur requête ; et ils conservèrent la disposition de ce vêtement jusqu'à la mort du roi Agrippa. Après celui-ci, Cassius Longinus, alors gouverneur de Syrie, et Cuspius Fadus, procurateur de la Judée, ordonnèrent aux Juifs de déposer le vêtement dans la tour Antonia : les Romains, disaient-ils, devaient en être les maîtres, comme ils l'étaient auparavant. Les Juifs envoyèrent des ambassadeurs à l'empereur Claude pour lui adresser une requête à ce sujet. Lorsqu'ils furent arrivés à Rome, le roi Agrippa II, qui s'y trouvait alors, présenta la demande à l'empereur qui accorda l'autorisation sollicitée et envoya des ordres au proconsul de Syrie[129]. Auparavant, le vêtement se trouvait sous le sceau du grand-prêtre et des gardiens du trésor ; la veille de la fête, les gardiens du trésor se rendaient auprès du chef de la garnison romaine et, après avoir vérifié leur sceau, emportaient le vêtement. Puis, la fête passée, ils le rapportaient au même endroit et l'y déposaient, après avoir montré au commandant de la garnison que le sceau était bien le même. Mais je me suis laissé entraîner par le souvenir douloureux des événements ultérieurs à donner tous ces détails. A l'époque où nous sommes, le roi des Juifs, Hérode, fortifia encore cette tour Baris afin d'assurer la sécurité et la défense du Temple, et, en souvenir d'Antoine, son ami et le chef des Romains, il lui donna le nom d'Antonia[130].

 

5. Du côté de l'ouest, le mur d'enceinte du Temple avait quatre portes : l'une conduisait au palais, par un chemin qui franchissait le ravin intermédiaire ; deux autres menaient au faubourg[131] ; la dernière conduisait dans les autres quartiers de la ville, par un long escalier qui descendait jusqu'au fond du ravin, d'où il remontait ensuite : car la ville se trouvait en face du Temple, bâtie en amphithéâtre et entourée sur toute la partie sud par un profond ravin. Sur le quatrième front du mur d'enceinte, au midi, il y avait aussi des portes dans le milieu, et de plus le portique royal, qui s'étend en longueur, avec son triple promenoir, du ravin est au ravin ouest : on n'aurait pu le prolonger davantage. C'était l'ouvrage le plus admirable qui fût sous le soleil. Telle était déjà la profondeur du ravin qu'en se penchant pour en voir le fond on n'en pouvait supporter la vue ; Hérode cependant construisit sur le bord même un portique de dimensions immenses, au point que si l'on essayait, du haut du toit, de sonder cette double profondeur, on était saisi de vertige, l'oeil ne parvenant pas à mesurer l'abîme. Les colonnes furent disposées symétriquement sur quatre rangs, dont le quatrième était engagé dans le mur de pierre ; l’épaisseur des colonnes était telle qu'il fallait trois hommes, joignant leurs bras tendus bout à bout, pour les embrasser ; le périmètre à la base était de vingt-sept pieds, car un double tore s'enroulait sous le fût[132]. Il y avait en tout cent soixante-deux colonnes[133] ; les chapiteaux sculptés étaient de style corinthien, et le tout d'une magnificence frappante. Entre Ces quatre rangs de colonnes couraient trois promenoirs couverts. Les deux extrêmes, qui se faisaient pendant et étaient disposés de même façon, avaient chacun trente pieds de largeur, un stade de longueur, plus de cinquante pieds de hauteur ; l'allée du milieu avait la moitié en plus de largeur et une hauteur double : cette nef surpassait donc de beaucoup les deux voisines. Le plafond était orné de sculptures en plein bois figurant toutes sortes de dessins ; il était surélevé dans le milieu et soutenu par un mur formant corniche, qui reposait sur l'entablement de l'étage inférieur[134] ; ce mur était décoré de colonnes engagées, et le tout parfaitement poli : quiconque n'a pas vu ce travail ne peut s’en faire aucune idée, et ceux qui l'ont vu étaient frappés d'admiration. Tel était le premier parvis. Il en renfermait un second, assez peu éloigné, auquel on avait accès par quelques marches et qu’entourait une barrière de pierre ; une inscription en interdisait l'entrée aux étrangers sous peine de mort[135]. Le parvis intérieur avait au sud et au nord trois portails à quelque distance les uns des autres, et, au soleil levant, un seul, la grande porte, par laquelle nous autres Juifs, à la conditions d'être purs, entrions avec nos femmes. Au delà de cette enceinte il était défendu aux femmes de passer outre[136]. Un troisième parvis était contenu dans le précédent, où les prêtres seuls pouvaient pénétrer. Il renfermait le Temple et, devant celui-ci, l'autel sur lequel nous offrions nos holocaustes à Dieu[137]. Le roi Hérode n'eut accès à aucune de ces dernières parties de l'édifice[138], dont il était exclu parce qu'il n'était pas prêtre. Mais il s'occupa activement des travaux des portiques et des parvis extérieurs et les acheva en huit ans.

 

6. Le sanctuaire fut bâti par les prêtres en un an et six[139] mois. Tout le peuple fut rempli de joie pour ce prompt achèvement de l'oeuvre et en rendit grâces d'abord à Dieu, ensuite au zèle du roi ; la reconstruction fut célébrée par des fêtes et des bénédictions. Le roi offrit en sacrifice à Dieu trois cents bœufs ; quant aux autres, chacun fit suivant ses propres ressources, et il est impossible de dire le nombre des victimes, car on ne saurait approcher de la vérité. Il arriva en effet que le jour de l'achèvement du Temple coïncida avec l'anniversaire de l'avènement du roi, que l'on célébrait habituellement, et cette coïncidence donna à la fête le plus grand éclat[140].

 

7. Le roi se fit aussi creuser un passage souterrain, conduisant de la tour Antonia à l'enceinte sacrée intérieure, du côté de la porte est, au dessus de cette porte il se fit également construire une tour, dont il voulait avoir ainsi l'accès par des souterrains, pour se mettre à l'abri an cas de soulèvement populaire contre la royauté. On dit que tout le temps que dura la construction du Temple, il ne plut jamais pendant le jour ; il n'y eut d'averses que la nuit, de façon que les travaux ne furent pas interrompus[141]. Cette tradition nous a été transmise par nos pères, et la chose n'a rien d'incroyable si l'on considère tant d'autres manifestations de Dieu. C'est ainsi que le Temple fut reconstruit.

 


[1] Quelques traits de ce chapitre (récompenses et châtiments, cadeaux et à Antoine) sont réunis dans Guerre, I, § 358.

[2] Les mss. sauf E ont ici Pollion, mais cf. livre XIV, ix, 4.

[3] L'année 38/7 av. J.-C. Cf. livre XIV, xvi, 2.

[4] Josèphe ne parait pas s'apercevoir que cette version des causes de la mort d'Antigone est peu d'accord avec celle qu'il a donnée dans le livre XIV, xvi, 3, d'après Nicolas.

[5] Cf. pour le retour d'Hyrcan Guerre, I, § 433-4.

[6] Livre, XIV, xiv, 10.

[7] Texte incertain.

[8] L'intervention d'Hérode en faveur du retour d'Hyrcan, racontée ici, se concilie assez mal avec la section précédente où ce retour est attribué aux démarches d'Hyrcan lui-même. Destinon (op. cit., p. 110) soupçonne ici la « contamination » de deux versions distinctes, dont la première seule dériverait de Nicolas (la fin de cette section trahit, en effet, une source hostile à Hérode).

[9] Cf. Guerre où Mariamme est accusée d'avoir envoyé elle-même son portrait.

[10] Nous ne comprenons pas les mots xaÜ spoudaiñteron ° ytton:.

[11] Si Ananel était « de la race des grands-prêtres » (quel que soit le sens précis qu'on attache à ces mots), il n'était pas un « prêtre obscur » (ii, 4).

[12] Livre XII, v, 1.

[13] Livre XIV, i, 2. Ces deux précédents contredisent la formule, Ananel, qui…, citée plus haut.

[14] Nous lisons pñton avec P et la traduction latine, suivis par Naber (les autres mss. ont tñpon)

[15] Le récit, très abrégé, de Guerre est un peu différent. Après avoir mentionné la fête des Tabernacles et l'émotion du peuple, Josèphe écrit : « l'enfant fut envoyé de nuit à Jéricho et là tué, sur l'ordre du roi, par la main des Gelates (ou : des Gaulois), qui le plongèrent dans une piscine ». Il semble pourtant qu'Hérode n'ait eu des mercenaires gaulois qu'après la mort de Cléopâtre (vii, 3).

[16] Octobre 35 av. J.-C.

[17] Naber lit ¯p‹thse, les mss. ont °tthse «ne put fléchir Alexandra».

[18] Printemps 34 av. J.-C.

[19] Les mss. ont yeÝon. Joseph aurait donc été l'oncle paternel ou maternel d'Hérode ; mais plus loin (iii, 9) nous voyons qu’il était son beau-frère (le mari de sa soeur), ce qui est confirmé par Guerre, I, § 441. Naber propose donc avec raison d'écrire ici p¡nyeron ; déjà Arnaud a traduit ainsi.

[20] Pour le récit qui suit (sections 6-9) cf. Guerre, I, § 441-444. Mais c'est par erreur que le récit abrégé de Guerre fait périr Mariamme en même temps que Joseph.

[21] Personnage inconnu. Quelques mss. ont ußoè ƒIoéda.

[22] Selon Schürer (I3, 364) il s'agirait du royaume de Chalcis dans le Liban, mais la donation de ce royaume à Cléopâtre est placée par Plutarque, Dion et Porphyre en 36 av. J.-C. M. Bouché Leclercq (Histoire des Lagides, II, 73) pense au titre de Reine des rois conféré à Cléopâtre au retour de l'expédition d'Arménie, mais sans plus de vraisemblance. Nicolas a peut-être commis un anachronisme.

[23] Ce n'est pas précisément contre les Parthes que marchait alors Antoine, mais contre les Arméniens (Dion Cassius, XLIX, 39).

[24] Guerre, I, § 359-361.

[25] Texte mutilé.

[26] Il s'agit de Lysanias, dynaste de Chalcis en Liban (Iturée), fils et successeur de Ptolémée, fils de Mennaios. Son exécution se place en 36, à la veille de l'expédition d'Antoine contre les Parthes (Porphyre ap. Eusèbe, I, 170 Schœne). Cf. Kromayer, Zeit und Bedeutunq der ersten Schenkung Mark Antons an Kleopatra, dans l'Hermes, XXIX (1894), p. 571 suiv.

[27] Toutes ces donations se placent probablement en 36, soit avant l'expédition contre les Parthes (Plutarque), soit après (Dion) : Schürer (I, 380) les place en 34, et le langage de Josèphe (iv, 2) semble prouver que ce dernier a partagé cette opinion.

[28] Guerre, I, § 362.

[29] Printemps 34 av. J.-C.

[30] Au prix de 200 talents par an (Guerre, § 362 - cf. infra, v, 3). Mais en réalité, comme on le verra plus loin, en ce qui concerne les districts arabes Hérode ne faisait que l'avance du tribut dû par Malchos.

[31] Guerre, I, § 363.

[32] C'est-à-dire Archélaüs, roi de Cappadoce, et le futur empereur Tibère (Josèphe copie Nicolas sans savoir peut-être de qui il s'agit). Artaxias ne fut d'ailleurs pas détrôné par les Romains, mais par « ses proches » (Tacite, Ann., II, 3).

[33] C'était toujours Malchos ou Malichos (Guerre). Cf. livre XIV, xiv, 1.

[34] Le sens exact de zhmÛvw m'échappe.

[35] Guerre, I, § 364-369.

[36] La 187e Olympiade commença en juillet 32 av. J.-C. ; la bataille d'Actium est du 2 septembre 31, donc de la 2e année de cette Olympiade, à moins que les Olympiades de Josèphe ne commencent au 1er janvier qui suit leur véritable origine.

[37] Site inconnu. Faut-il corriger en Dium (DÝon pñlin au lieu de Diñspolin) ? C'est certainement dans cette région, à l'E. de la Décapole, qu'il faut placer la campagne.

[38] Kan dans Ant. ; KanŽya (Kanawat) dans Guerre. Mais peut-être faut-il lire Kanata (distinct de Kanatha), aujourd'hui Kerak, à l'O. du Haouran.

[39] En lisant avec Niese et les mss. PF ¢n xalÒ (Kan vulg.). L'endroit s'appelait Ormiza (Guerre).

[40] Texte douteux. Je lis avec les mss. ¤pitr¡cantew (Naber : ¤pitr¡contew)

[41] Guerre, I, § 370-372.

[42] Cette année va du printemps (Nisan) 31 au printemps 30. La catastrophe eut lieu (Guerre) au commencement du printemps, donc cinq mois avant la bataille d'Actium, xm‹zontow toè perÜ †Axtion pol¡mou (Guerre).

[43] Guerre, I, § 373-379 (développement très différent).

[44] La même idée est exprimée par saint Paul (Galates, iii, 19; Hébreux, ii, 2). Notre texte aurait dû être cité par Bousset dans son exposé de la doctrine angélologique à l'époque de Jésus (Religion des Judentums, p. 323 Suiv.).

[45] Guerre, I, § 380-383.

[46] Près de Philadelphie en Ammonitide (Guerre).

[47] La lacune du texte, marquée par Dindorf, a été remplie conjecturalement par Niese d'après le texte de Guerre.

[48] Guerre, I, § 384-385.

[49] Cinq cents talents, d'après Guerre.

[50] Six mille selon quelques mss.

[51] Guerre, I, § 388-395 (il n'y est pas question du supplice d'Hyrcan).

[52] Livre XIV, xiii, 2.- L’expression « parent de Joseph » achève de prouver que Joseph n'était pas oncle, mais simplement beau-frère d'Hérode (supra, iii, 5).

[53] Ces mémoires ou registres n’ont probablement jamais été publiés ; Josèphe les cite à travers Nicolas, qui a pu les connaître en qualité de secrétaire du roi.

[54] Ce chiffre est inexact ou altéré, comme l'a fait observer Wellhausen (Geschichte, 3e éd., p. 221), car le père d'Hyrcan, Alexandre Jannée, épousa Salomé, veuve de son frère mort en 103 ; Hyrcan est donc né au plus tôt en 102 et n'avait à sa mort (31) que 72 ans au plus.

[55] Le texte a quarante, mais entre le rétablissement d'Hyrcan par Pompée (fin 63 ou commencement 62 av. J.-C.) et l'usurpation d'Antigone (40) il ne s'est passé que 22 ou 23 ans.

[56] Sens douteux. Peut-être : « aucune de ces espérances ne se réalisa ».

[57] Le nom de ce personnage (qui ne reparaît pas dans la suite) a été suspecté ; on y a vu une confusion avec un épisode antérieur (supra, iii, 5).

[58] Printemps 30 av. J.-C.

[59] Œnupotim®tvw, sens probable (æpotÛmhosiw, excuse, justification en grec alexandrin).

[60] tõ prñsvpon nelÅn, sens douteux. Peut-être : « faisant abstraction des personnes ? »

[61] Q. Didius, gouverneur de Syrie (les mss. des Antiquités ont xataidiow, xapidiow, le Bellum xai Bentidiow ; la vraie leçon est due à Hudson), assisté par Hérode, avait arrêté une troupe de gladiateurs partis de Cyzique pour secourir Antoine. Josèphe, en abrégeant Nicolas, rend l'allusion inintelligible. Cf. Dion Cassius, LI, 7.

[62] Il s'agit d'Alexas de Laodicée, confident d'Antoine, qui l'avait envoyé à Hérode (Plut., Ant., 72).

[63] Déjà plus haut il a été dit prématurément qu'il accompagna Octave jusqu'à l'Égypte.

[64] Supra, iii, 5. C'est peut-être cette phrase (de Nicolas ?) qui a fait croire à Josèphe que cette fois encore un des gardiens de Mariamme s'appelait Joseph.

[65] Texte et sens extrêmement incertains. Nous suivons le texte de Niese (par€ aêtoè). Avec celui du Laurentianus (parƒ aét°w) le sens pourrait être : « que le châtiment ne fût disproportionné à l'offense ».

[66] Août 30 av. J.-C.

[67] Lapsus pour « grand-père ». A l'époque de l'exécution d'Alexandre, père de Mariamme (49 av. J.-C.), Hérode ne comptait pas. Deux mss. ont d'ailleurs p‹ppon au lieu de pat¡ra.

[68] Destinon (op. cit., p. 112) suppose non sans vraisemblance que parmi ces conseillers enclins à l'indulgence se trouvait Nicolas lui-même.

[69] Fin 29 av. J.-C.

[70] Si l'on compare ce récit de la mort de Soaimos et de Mariamme avec l'épisode raconté plus haut (iii, 6) qui amena l'exécution de Joseph, on ne peut manquer d'être frappé de l'étroite analogie de plusieurs circonstances des deux récits. Cette analogie est si grande que dans le récit abrégé de Guerre les deux épisodes paraissent être fondus en un seul, placé au moment du voyage d'Hérode auprès d'Antoine. Le gardien infidèle s'appelle Joseph, non Soaimos, et Hérode, irrité par les calomnies de Salomé, le fait mettre à mort avec Mariamme. Frappé de ces coïncidences, Destinon (op. cit., p. 113) a émis l'hypothèse que le double récit des Antiquités résulte d'une erreur : Josèphe ayant trouvé deux narrations du même fait, où le nom seul du gardien différait, en aurait fait deux épisodes différents. Pas plus que Schürer (I, 386), je ne puis admettre cette hypothèse ; l'erreur, si erreur il y a, a sûrement été déjà commise par Nicolas ; mais il y a plus probablement simple similitude des événements eux-mêmes. Toute fois rien ne prouve qu'Hérode ait sérieusement soupçonné Mariamme d'adultère avec Soaimos ; son accusation ne porte que sur la tentative d'empoisonnement.

[71] Guerre, I, § 444.

[72] Cette dénomination est prématurée, car Samarie a pris ce nom nouveau au plus tôt en janvier 27 av. J.-C., époque où Octave reçut le titre d'Auguste (Sebastñw) Cf. Schürer, I2, p. 366.

[73] Sans doute le même personnage qui avait trahi Hyrcan en vi, 2.

[74] Voir iii, 9.

[75] Deutéronome, ch. xxiv. La répudiation du mari est également condamnée par l'Évangile (Marc, x, 12).

[76] Niese préfère la leçon Sabbas du manuscrit P, mais le nom de Babas était commun alors. D'après une tradition rabbinique, c'est un Baba ben Bouta qui aurait conseillé à Hérode de reconstruire le Temple.

[77] Les « complices » des fils de Babas sont Costobaros, Lysimaque, Antipater et Dosithée, mais on ne sait qui parmi tous ces suppliciés appartenait « à la race d'Hyrcan ». Schürer fait, d'ailleurs, observer avec raison que la fille d'Antigone vivait encore vingt ans plus tard (Ant., XVII, 5, 2, fin).

[78] 26 ou 25 avant J.-C. (12 ans après la prise de Jérusalem par Hérode).

[79] En lisant Žpò pantòw (sans toè) §ynouw.

[80] xratoæmenoi, sens douteux (xratoæmena L et Niese).

[81] Texte corrompu.

[82] La construction commença en 22 av. J.-C. (infra, ix, 6, fin).

[83] Il faut lire avec Schürer ¤pÜ t» GalilaÛ& G‹ba etc. ; Gaba, dont l'emplacement n'est pas certain, était située au pied du Carmel (Guerre, III, iii, 1). Hesbon (Hesbdn) se trouvait à l'E. du Jourdain vis-à-vis de Jéricho.

[84] Le texte est fort douteux.

[85] Pour la reconstruction de Samarie-Sebaste, cf. Guerre, I, qui ajoute deux détails : le nombre des colons (6000) et la dédicace du temple à César (Auguste>.

[86] 25-24 av. J.-C.

[87] Le core (kar) ou homer est évalué par Benzinger à 364 litres ; le médimne attique (solonien) en vaut 52. L'évaluation de Josèphe est donc très inexacte. Peut-être a-t-il confondu le médimne avec le métrète, employé pour les liquides (39 litres).

[88] 25-24 av. J.-C. Le chiffre de 500 auxiliaires juifs est également donné par Strabon, XVI, 4, 23.

[89] Texte altéré que n'éclaire pas le passage parallèle de Guerre.

[90] Texte corrompu.

[91] Jésus, fils de Phabès, avait donc succédé à Ananel (XV, 3, 3) à une époque inconnue. D'après certains passages de Josèphe (XVII, 4, 2 etc.), le beau-père d'Hérode se serait appelé Boéthos, et non Simon, fils de Boéthos. Cf. Schürer, II3, p. 217. La fille s'appelait Mariamme (Guerre, I).

[92] Livre XIV, viii, 9. Josèphe omet de rappeler ici le nom de la forteresse, Hérodion, qui est donné dans la description parallèle de Guerre (liv. I). Pour le site, au N. de Thékoa (Guerre, IV, ix, 5), aujourd'hui Djebel el-Foureidis, cf. Schürer, I3, 390.

[93] ¢ggçw ¢pieixÇw xolvnñw, texte altéré ; le sens résulte de Guerre (liv. I).

[94] Pour la description de Césarée, cf. Guerre, I.

[95] Dix seulement d'après Guerre.

[96] Nenagm¡now, leçon des meilleurs mss., appelle un complément. Perihgm¡now (leçon de AMW) peut-il signifier « circulaire » ?

[97] La tour et les deux piédestaux supportaient des statues colossales (Guerre).

[98] L'an 10 avant J.-C. Ailleurs (XVI, 136) la durée du travail est évaluée à 10 ans.

[99] 24 ou 23 av. J-C.

[100] Pour l'épisode de Zénodore cf. Guerre, I, xx, 4. La donation eut lieu (Guerre) après la « première période actiaque » (période de célébration des jeux actiaques) c'est-à-dire après septembre 24 av. J.-C.

[101] Lysanias, fils de Ptolémée, prince de Chalcis, avait été mis à mort par Antoine en 34 (supra, iv, 1). Ce sont ses états, devenus vacants, que le gouvernement romain avait  baillés à ferme à Zénodore. L'origine de ce dernier est inconnue. Sur une inscription mutilée d'Héliopolis (Renan, Mission de Phénicie, 317) il parait être désigné comme fils de Lysanias ; mais il ne l'était peut-être que par une adoption posthume. Il possédait, indépendamment des territoires affermés, une tétrarchie propre.

[102] En effet, le don de César comprenait les 3 provinces de Lysanias (supra, x, 1 ; Guerre, I, xx, 4) et non pas simplement la Trachonitide. Voir infra.

[103] 23 av. J.-C. La visite d'Hérode à Mytilène se place probablement en 22.

[104] Tel me parait être le sens de cette phrase, dont le texte est altéré.

[105] Guerre, I, 399-400.

[106] 20 av. J.-C. (Dion, LIV, 7).

[107] Oulatha était près du lac Houleb, la Panias est sur le haut Jourdain. Ces territoires constituaient le domaine héréditaire de Zénodore (Dion, LIV, 9), qui sur ses monnaies prend le titre de ZhnodÅrou tetr‹rxou xaÜ rxier¡vw. Ils sont distincts, malgré les doutes de Schürer (I3, 715), des territoires de Lysanias, pris à ferme par Zénodore. La date 87 inscrite sur les monnaies (Wroth, Galatia, etc., p. 281) indique une ère commençant vers 115 av. J.-C. : c'est l'époque où ces territoires auront secoué le joug des Séleucides.

[108] ƒEpÛtropo désigne à proprement parler les procurateurs, non le gouverneur de la province. L’expression de Guerre (xat¡sthse dƒ açtòn xai SurÛaw dlhw [xoÛlhw ?] ¢pÛtropon) est sûrement exagérée.

[109] Phrase presque identique dans Guerre, I, xx, 4.

[110] Le voeu d'Hérode est exaucé (Guerre, I, xxiv, 5) ; la tétrarchie de Phéroras comprenait la Pérée ou une partie de cette région (ibid., xxx, 3).

[111] C'est le temple figuré sur les monnaies du tétrarque Philippe, fils d'Hérode (Madden, Coins of the Jews, p. 123 suiv.).

[112] Pour Pollion et Saméas (Abtalion ? et Schemaya ou Schammai ?) cf. supra, i, 1.

[113] Cf. livre XVIII, 1, 5, description d'ailleurs moins détaillée que celle de Guerre, II, viii, 2-13. La forme €EssaÝow que Josèphe emploie (Esséens) est celle que préfère uniformément Philon.

[114] Mot à mot : « lui tapant les fesses ».

[115] Ce récit (sect. 5) ne parait pas emprunté à Nicolas de Damas, mais à la tradition essénienne, comme les anecdotes semblables concernant les Esséniens Juda (Ant., XIII, ii, 2) et Simon (XVII, xiii, 3). On n'oubliera pas que Josèphe avait vécu chez les Esséniens et prédit l'empire à Vespasien.

[116] 20-19 av. J.-C. (Guerre dit à tort : la quinzième année).

[117] D'après I Rois, 6, 2 le temple de Salomon avait 30 coudées de haut ; mais la Chronique (II, 3, 4) donne au portique antérieur une hauteur de 120 coudées. D'autre part on a vu (livre XI, iv, 6) que le temple de Zorobabel, d'après les prescriptions de Cyrus, en avait 60. Josèphe, qui suit la Chronique, en a conclut que ce second temple avait 60 coudées de moins que le premier ; la correction de Bekker, ¡pt (d'après le ms. E), est donc à rejeter.

[118] Le texte parait altéré, mais le sens s'impose.

[119] ßeratixôw est un peu surprenant ; ne faudrait-il pas ¥rgatixñw (des vêtements de travail) ? Hérode dut employer des prêtres aux travaux du Temple proprement dit, parce que seuls les prêtres y avaient accès.

[120] Ces mots manquent dans les mss., mais cf. Guerre (V, v, 4) où la largeur de la façade est évaluée à 100 coudées.

[121] Cf. Guerre, V, i, 5.

[122] Cf. plus loin xi, 5

[123] Bizarre désignation.

[124] Nous traduisons au jugé, le texte est d'une obscurité désespérante. Pour b‹yow au sens de hauteur, cf. plus bas, xi, 5.

[125] C'est le mur de crête dont il a été déjà question plus haut.

[126] Josèphe à l'air de croire que le portique E. du péribole était l'oeuvre de Salomon, ce qui est invraisemblable.

[127] A l'angle nord-ouest.

[128] Elle existait déjà sous Aristobule Ier (livre XIII, xi, 2).

[129] Pour plus de détails sur ces épisodes, cf. Ant. XVIII, 4, 3 ; XX, 1. Dans notre passage la dernière phrase est ainsi conçue : ¢nteilam¡nou OæitellÛÄ tÒ t°w SurÛaw ntistrat®gÄ, mais le mot OæitellÛÄ est ou interpolé ou un lapsus de Josèphe, puisque le gouverneur était alors Cassius Longinus. La visite de Vitellius à Jérusalem est de 36 ap. J.-C., la décision de Claude est de l'an 45.

[130] Cf. Guerre, I, xxi, 1. Il est pourtant difficile d'admettre qu'Hérode ait appelé la tour de ce nom sous le règne d'Auguste, où la mémoire d'Antoine resta longtemps proscrite. Schürer, I3, 388, place en conséquence ce travail sous Antoine.

[131] Bezetha, au N. de la ville.

[132] M°xow ne désigne pas la hauteur de la colonne (qui était d'environ 50 pieds) mais le périmètre de la base. Le texte est peut-être mutilé. Un tronçon présumé d'une de ces colonnes est décrit par Clermont-Ganneau, Archaeol., Researches in Palestine, I, 254.

[133] Chiffre non divisible par 4. Faut-il corriger en 164 ? Saulcy suppose (Hérode, 234) que la dernière colonne de chacune des rangées intermédiaires était supprimée pour élargir l'accès du pont (?).

[134] Nous lisons avec la plupart des mss., peridedomhm¡nou (FV peritetmhm¡nou) toÝw ¢pistulÞoiw prometvpidÛou toÞxou et nous traduisons au jugé.

[135] Une de ces inscriptions (moulage au musée du Louvre, original à Constantinople) a été retrouvée en 1871 par M. Clermont-Ganneau. Cf. Rev. arch., 1872, t. XXIII, pl. X.

[136] Ce texte n'est pas clair. En réalité la seconde cour parait avoir été divisée par un mur N. S. en deux rectangles, dont celui de l'est était seul accessible aux femmes.

[137] Pour cette description cf. Guerre, V, 5 ; C. Apion, II, 8 ; Philon, De monarchia, II, 2 ; Mishna, Middoth, et parmi les travaux modernes Spiess, Der Tempel in Jerusalem nach Josephus, 1880, p. 46 suiv. et dans la Zeitschritf des deutschen Pal. Vereins, XV (1892), p. 234 suiv. ; Drüner, Untersuchungen über Josephus, Diss, Marburg, 1898. p. 57 suiv.; Hildersheim, Die Beschreibung des Herod's Tempel in Tractat Middot und bei Fl. Josephus, 1877.

[138] toætvn tÇn triÇn, c'est-à-dire, suivant Whiston, le 3e parvis, le Temple et le rayon de l'autel des holocaustes. Mais cette interprétation ingénieuse est bien forcée et le texte, comme l'a vu Hudson, sans doute altéré.

[139] Cinq mois selon P.

[140] Comme l'avènement effectif d'Hérode (son occupation de Jérusalem) tombe probablement dans l'été (juillet) 37 av. J.-C., les travaux du Temple auraient commencé d'après cela en janvier 39 av. J.-C. Nous ne savons pas si les 18 mois que dura la construction du Temple proprement dit sont compris dans les 8 ans cités plus haut ou s'y ajoutent.

[141] Voir les traditions rabbiniques analogues dans Derenbourg, p. 152 suiv. Talmud de Babylone, Taanith, 23 a, etc..