PRECIS D’HISTOIRE
J.-M. Nicole
ÉDITIONS DE L’INSTITUT BIBLIQUE
39 GRANDE RUE
F-94130 NOGENT-SUR-MARNE
***
Mise en pages par
Jean leDuc, Alexandre Cousinier, et Sébastien Manceau.
Janvier 2024
PREMIÈRE PARTIE : L'EGLISE APOSTOLIQUE
PREMIER SIÈCLE
INTRODUCTION. LES SOURCES.
LE MONDE ANCIEN À LA NAISSANCE DE L’ÉGLISE
LA FONDATION DE L’ÉGLISE
LES CONQUÊTES DE L’ÉVANGILE
LA DOCTRINE DE L’ÉGLISE APOSTOLIQUE
LA VIE ECCLÉSIASTIQUE
DEUXIÈME PARTIE : L'EGLISE DES MARTYRS
IIe et IIIe siècles.
LES PÈRES APOSTOLIQUES
LES GRANDES PERSÉCUTIONS
LES APOLOGISTES
LA THÉOLOGIE AUX IIe ET IIIe SIÈCLES
LA FORMATION DU CATHOLICISME PRIMITIF
LE CULTE
MORALE ET DISCIPLINE
PREMIÈRE PARTIE : L'EGLISE IMPERIALE
IVe et début Ve siècles.
L’ÉGLISE ET LES EMPEREURS ROMAINS
LA CONTROVERSE ARIENNE.
LES COURANTS THÉOLOGIQUES EN ORIENT
LA THÉOLOGIE EN OCCIDENT
L’ÉRUDITION CHRÉTIENNE
GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE ET CLERGÉ
DÉBUTS DU MONACHISME
LE CULTE
DEUXIÈME PARTIE : L'EGLISE PENDANT LES BOULEVERSEMENTS DU MOYEN-AGE
Ve à XIe siècles
L’EGLISE D’OCCIDENT EN FACE DES INVASIONS GERMANIQUES
LE MONACHISME EN OCCIDENT
L’EGLISE D’ORIENT AUX VIe ET VIIe SIÈCLES
LA POLITIQUE PAPALE AUX VIIe ET VIIIe SIÈCLES
L’ÉGLISE D’ORIENT AUX VIIIe ET IXe SIÈCLES
LA RENAISSANCE CAROLINGIENNE
L’ÉGLISE SOUS LA FÉODALITÉ
LE SCHISME D’ORIENT
LES DÉBUTS DE L’ÉGLISE RUSSE
LA PAPAUTÉ ET L’ÉTAT
LUTTE CONTRE LES INFIDÈLES
LES ORDRES RELIGIEUX
LA THÉOLOGIE
CULTE ET DISCIPLINE
PREMIÈRES RÉACTIONS CONTRE LE SYSTÈME CATHOLIQUE
L’INQUISITION
Quatrième partie : L'Eglise pendant le déclin du système catholique
XIVe et XVe siècles
Déclin de la puissance papale
DÉCLIN DES MANIFESTATIONS DE LA PUISSANCE CATHOLIQUE
LES MYSTIQUES
LES PRÉCURSEURS DE LA RÉFORME
3e PERIODE : L’Eglise renaissante 1517-1792
PREMIERE PARTIE : LA REFORME
Début du XVIe siècle
INTRODUCTION. LES CAUSES DE LA RÉFORME
LA RÉFORME LUTHÉRIENNE
LA RÉFORME CALVINISTE
LA RÉFORME ANGLICANE
LA RÉFORME DISSIDENTE
DEUXIÈME PARTIE : CONTRE-REFORME
FIN DU XVIe SIÈCLE
RÉORGANISATION INTÉRIEURE DU CATHOLICISME
LUTTE ENTRE LE CATHOLICISME ET LE PROTESTANTISME
HISTOIRE INTÉRIEURE DES EGLISES PROTESTANTES
XVIIe SIÈCLE
SUITE DES LUTTES RELIGIEUSES
LE CATHOLICISME AU XVIIe SIÈCLE
HISTOIRE INTÉRIEURE DES EGLISES PROTESTANTES
QUATRIÈME PARTIE : PERIODE DU RATIONALISME
XVIIIe SIÈCLE
LES ATTAQUES CONTRE LA FOI CHRÉTIENNE
LA LUTTE POUR LA TOLÉRANCE
AFFAIBLISSEMENT DE LA FOI
RÉVEILS DU XVIIIe SIÈCLE
4e PERIODE : L’Eglise missionnaire 1792 à nos jours
LE PROTESTANTISME DE LANGUE FRANÇAISE
LE PROTESTANTISME BRITANNIQUE
LE PROTESTANTISME AMÉRICAIN
LE PROTESTANTISME DE LANGUE ALLEMANDE
PAYS NORDIQUES
ÉVANGÉLISATION DES CATHOLIQUES ET DES ORTHODOXES GRECS
LES TRAVAUX D’ÉRUDITION
L’ACTION SOCIALE
EFFORTS DE CONCENTRATION
LE CATHOLICISME ROMAIN
LES EGLISES D’ORIENT
Le mot église est la transcription du grec Ekklésia, qui veut dire assemblée ; étymologiquement, ce mot vient de ek : hors et de kaléo : appeler. Ce terme indique donc la relation qui existe entre l’Eglise et son chef Jésus-Christ : elle est appelée, elle doit être unie à Lui. Il indique aussi la relation qui existe entre les divers membres, ils forment une assemblée, un tout. Il indique enfin la relation qui existe entre l’Eglise et le monde : ek, hors de, elle doit en être séparée, tout en agissant sur lui (Jean 17.15).
Ce que nous venons de dire s’applique essentiellement à l’Eglise invisible qui groupe tous les chrétiens vraiment régénérés de tous les temps. Mais l’histoire de l’Eglise invisible est elle-même invisible. Nous ne pouvons étudier que l’histoire de l’Eglise visible, c’est-à-dire des institutions qui ont groupé ceux qui se déclarent chrétiens, qu’ils fussent régénérés ou non.
Nous avons le droit, cependant, d’employer le mot Eglise pour désigner cet ensemble visible. Ce n’est pas sans raison que dans le Nouveau Testament le même terme désigne tantôt l’Eglise Universelle corps de Christ (premier exemple, Matth. 16. 18) tantôt une assemblée locale, nécessairement imparfaite (Matth. 18. 18, Jésus lui-même emploie le mot ekklésia dans ce sens), tantôt l’ensemble des églises visibles (Actes 9. 31).
PREMIÈRE PARTIE
PREMIER SIÈCLE
Pour connaître l’origine du christianisme, nous n’avons qu’un document, le Nouveau Testament.
Trois auteurs non chrétiens mentionnent l’existence des chrétiens au premier siècle, sans d’ailleurs nous apporter le moindre renseignement sur leurs doctrines ou sur leur vie.
Tacite (Annales XV 44), nous décrit les supplices endurés par eux sous Néron à la suite de l’incendie de Rome ;
Suétone (Claudius chap. 25) mentionne en outre l’édit promulgué par Claude contre les Juifs de Rome (cf. Actes 18. 2) à la suite des menées d’un certain Chréstus que certains commentateurs identifient avec le Christ ;
Josèphe dans un court passage d’une authenticité très douteuse (Antiquités XVIII 4. 3) présente Jésus comme le Messie et, un peu plus bas (Ant. XX 8.1), rapporte la mort de «Jacques, frère de Jésus, appelé le Christ ».
Tous ceux qui ont essayé de reconstituer l’histoire des origines chrétiennes sur d’autres bases que le respect absolu du texte sacré en ont été réduits à échafauder des hypothèses. Nous nous en tiendrons donc aux données scripturaires.
LE MONDE ANCIEN À LA NAISSANCE DE L’ÉGLISE
La situation générale à cette époque est un commentaire éloquent de la parole : « Quand les temps furent accomplis » (Gal. 4. 4).
1. Le monde païen. Politiquement, il était unifié sous le sceptre de Rome. Les Indes et la Chine étaient les seuls foyers de civilisation qui restassent en dehors de l'Empire. La paix générale et le bon état des routes favorisaient les voyages. La même langue, le grec, était comprise partout.
Moralement, le monde était tombé très bas. Le mariage était profané, la vie humaine méprisée. Il est à noter cependant que cette corruption excluait la propre justice ; le monde avait conscience de son péché plus qu’à d’autres époques.
Au point de vue religieux, les formes étaient observées, mais on avait cessé de croire aux divinités officielles. Les âmes se tournaient vers les religions orientales ou vers la philosophie, pour y chercher la satisfaction de leurs besoins religieux, sans d’ailleurs la trouver. N’empêche que certaines aspirations se faisaient jour, ainsi qu’en fait foi la quatrième églogue de Virgile avec son curieux espoir d’un retour de l’âge d’or.
2. Le monde juif. Politiquement, il était asservi. La Palestine était province romaine, et beaucoup de Juifs étaient dispersés dans les principales villes de l’empire, où ils avaient fondé des synagogues.
Au point de vue moral, les Juifs étaient très supérieurs aux autres peuples. Mais leur morale austère était sans élan et sans amour, et les commandements de Dieu étaient noyés dans les traditions humaines.
Au point de vue religieux, les synagogues où les scribes lisaient et expliquaient la loi, avaient pris une grande importance. Deux partis exerçaient une influence prépondérante sur le peuple : les Pharisiens, séparés, hostiles à tout ce qui était païen, attachés à la tradition et les Sadducéens, plus libéraux, qui avaient la haute main sur le temple. Il y avait aussi de petits cercles adonnés à la mystique et à l’ascétisme, comme les Esséniens.
Les Juifs de la dispersion avaient subi l’influence de la pensée grecque. Un Juif d’Alexandrie, Philon, est célèbre par ses spéculations sur le Logos en qui il voyait un intermédiaire entre Dieu et le monde. Il combinait une interprétation subtile de l’Ancien Testament avec la philosophie de Platon.
La religion d’Israël n’était pas sans exercer une certaine attraction sur les païens. Certains, les prosélytes, allaient jusqu’à se faire incorporer dans la communauté juive. D’autres, les « craignant Dieu », étaient simplement sympathisants. L’existence de synagogues réparties dans tout l’empire romain et autour desquelles gravitait une foule attirée par la foi juive, constituait une excellente base de départ pour l’évangélisation chrétienne.
Dans les cercles mystiques parmi les Pharisiens, comme au sein du peuple affligé par la domination étrangère, l’attente du Messie était vive. Mais bien peu se doutaient de la manière dont allait se réaliser l’espérance d’Israël.
Le retour de l’Age d’or.
Déjà arrivent les temps de la fin. De nouveau une suite de siècles grandioses est prête à commencer. La justice reprend son pouvoir. L'âge d'or réapparaît, une nouvelle race descend du haut des cieux. Grâce au nouveau-né, la race de fer fera place sur toute la terre à une race d’or qui va surgir. C’est sous ton consulat, Pollion, que celui qui fera la gloire de cette génération verra le jour, et que les grands mois débuteront. C’est sous tes auspices que les vestiges de nos crimes, s’il en reste, seront supprimés. Ainsi la terre sera délivrée de ses craintes incessantes. Cet enfant recevra la vie divine, il contemplera les héros mêlés aux dieux et lui-même siégera au milieu d’eux. Il gouvernera la terre pacifiée avec toutes les qualités de son père...
Oh ! puisse ma vie se prolonger jusqu'à ce moment ! Puissé-je avoir assez de souffle pour célébrer tes hauts faits, alors même les chants d’Orphée ne surpasseront point mes cantiques.
VIRGILE
Eglogue 4 dédiée à Asinius Pollion en 40 av. Jésus-Christ à la naissance de son fils.
L’histoire de l'Eglise présuppose la vie, la mort, la résurrection et l’ascension du Fondateur de l'Eglise. Cependant, nous ne pouvons pas esquisser ici une vie de Jésus, même sommaire. Pendant son ministère, Jésus a préparé ceux qui devaient former le noyau initial de son Eglise. Par sa mort et sa résurrection II a créé les conditions nécessaires à son existence. Mais la vie de Jésus ne fait pas partie de l’histoire ecclésiastique. Celle-ci commence à la Pentecôte.
Jésus a parlé de l'Eglise Universelle comme d’une entité qui n’avait pas encore commencé à exister : « je bâtirai mon Eglise » (Matth. 16.18).
Le baptême du Saint-Esprit, par lequel tous les croyants forment un seul corps (1 Cor. 12. 13) apparaît aussi comme une grâce qui n’était pas accordée avant la Pentecôte (Jean 7.39; Actes 1.5). Avant cela, il y avait des rachetés isolés les uns des autres. Depuis la Pentecôte, et seulement depuis, il y a un ensemble qui s’appelle l’Eglise.
Il est frappant de constater que la date de cet événement capital n’est pas tout à fait certaine. Les deux limites extrêmes entre lesquelles les historiens hésitent sont 28 et 33 de notre ère.
Les étapes avaient été fixées par Jésus Lui-même dans Actes 1. 8.
1. Jérusalem : Le travail dans cette ville remplit les chapitres 1-7 des Actes. Il fut d’ailleurs très fructueux, puisque des milliers furent amenés à la foi.
2. La Judée et la Samarie. A la suite d’une persécution, les disciples se répandirent dans ces régions. Le travail du diacre Philippe n’est sans doute qu’un exemple entre beaucoup d’autres (Actes 8).
3. Les extrémités de la terre. Ce n’est que peu à peu que les disciples ont été amenés à sentir la nécessité de prêcher l’Evangile à tous les peuples. Pierre, à la suite de révélations précises, ouvre la porte aux païens en baptisant Corneille (Actes 10). Puis des missionnaires inconnus évangélisent les païens d’Antioche (Actes 11). A la suite d’une révélation, Paul entreprend son premier voyage missionnaire (Actes 13). Ce n’est pas sans difficulté qu’il obtient au synode de Jérusalem que les païens convertis ne soient pas astreints à observer la loi juive (Actes 15). Mais une fois ce point acquis, l’évangélisation fait des progrès rapides, et à la fin du premier siècle, dans tout l’empire, il y a des églises. La destruction de Jérusalem en 70 par Titus acheva de donner la prépondérance aux églises issues du paganisme. Les chrétiens de Jérusalem purent pourtant s’enfuir à temps (Matth. 24.15-18).
4. Les persécutions. Les premières ont été suscitées par les chefs juifs, puis par le peuple dans son ensemble. Les autorités romaines ont d’abord observé une neutralité bienveillante. Quelquefois, elles ont été poussées par les Juifs dans la voie des violences. Sous Néron (52-68) éclata la première persécution officielle ; elle est atroce par les supplices infligés, mais elle est locale et accidentelle. Paul, et peut-être Pierre en furent victimes. Sous l’empereur Domitien (81-96) la persécution sévit de nouveau. Jean est envoyé dans les carrières de Patmos, mais il semble qu’il soit mort d’une mort naturelle.
Nous avons très peu de renseignements dignes de foi, en dehors du Nouveau Testament, sur l’activité des apôtres.
Nous savons que Pierre est mort martyr (Jean 21.19). La tradition rapporte qu’il aurait été crucifié la tête en bas à Rome. C’est possible. En tout cas le Nouveau Testament exclut qu’il ait longtemps exercé son activité dans cette ville.
Paul aussi est mort martyr (2 Tim. 4.6-8), probablement décapité puisqu’il était citoyen Romain.
Jacques, frère du Seigneur, évêque de Jérusalem, avait été surnommé « le Juste ». Il avait les genoux calleux à force d’avoir prié. Il fut lapidé par les Juifs peu avant la destruction de Jérusalem.
Quelques anecdotes sont racontées sur le compte de Jean, à la fin de sa vie à Ephèse. Il serait sorti précipitamment des bains publics, parce que Cérinthe s’y trouvait aussi, de peur que le bâtiment ne s’effondre sur cet affreux hérétique. Il aurait poursuivi jusque dans son repaire un jeune chrétien devenu chef de brigands et l’aurait ramené dans la bonne voie. Dans les assemblées où il se faisait transporter, il aurait inlassablement répété la phrase : « Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres », parce que c’était le commandement du Seigneur et parce que son observation implique tout le reste de la vie chrétienne.
Marc aurait fondé l’Eglise d’Alexandrie dont l’existence est en tout cas bien attestée dès le premier siècle.
Persécutions sous Néron.
(On accusait Néron d’avoir provoqué l’incendie de Rome.)
C’est pourquoi Néron, pour détruire ce bruit, supposa des coupables, et punit des supplices les plus barbares des hommes détestés pour leurs infamies, appelés vulgairement les chrétiens. Ils tiraient ce nom de Christ, qui sous le règne de Tibère avait été puni du dernier supplice par le procurateur Ponce Pilate. Cette pernicieuse superstition ayant été alors étouffée, reparaissait de nouveau, non seulement dans la Judée où elle avait pris naissance, mais dans Rome même, où tout ce qu’il y a d’affreux et d’infâme sur les divers points de la terre vient se réfugier et s’accroître. On commença par se saisir de ceux qui s’avouaient chrétiens ; et ensuite, sur leurs dépositions, une multitude immense fut moins convaincue du crime de l’incendie que de la haine du genre humain. On ajouta envers eux la dérision aux tourments. Couverts de peaux de bêtes féroces, ils étaient déchirés en lambeaux par les chiens, ou bien on les attachait à des croix, où enduits de résine ils étaient brûlés pendant la nuit pour servir de flambeaux au public. Néron avait offert ses jardins pour un tel spectacle ; et il y donnait les jeux du cirque, dans lesquels il se mêlait en habit de cocher parmi la populace, ou conduisait un char. Aussi, quoique ces malheureux fussent coupables et dignes du dernier supplice, on se sentait ému de pitié en voyant qu’ils étaient immolés, non à l’utilité publique, mais à la cruauté d'un seul homme.
TACITE Annales XV 44 Traduction Gallon de la BASTIDE.
LA DOCTRINE DE L’ÉGLISE APOSTOLIQUE
1. La base doctrinale. Le Nouveau Testament a été composé au cours de cette période ; mais au début, il n’existait pas encore. L’autorité suprême en matière de foi résidait donc :
a) Dans l’Ancien Testament qui a été la Bible des premiers chrétiens, comme il avait été celle de Jésus. Les apôtres invoquaient constamment l’Ancien Testament pour appuyer leurs messages.
b) Dans les paroles de Jésus. Avant d’être mises par écrit, elles étaient fréquemment citées dans la prédication et cela non seulement par les douze qui les avaient entendues directement, mais aussi par Paul (Actes 20. 35).
c) Dans l’enseignement apostolique (Actes 2. 42). Jésus avait conféré aux apôtres une autorité unique, celle de formuler la doctrine avec le secours du Saint-Esprit (Jean 16.12-14; 20.21-23). Paul revendique la même autorité (Gal. 1. 11-12).
On a échafaudé une théorie selon laquelle les apôtres n’auraient pas été d’accord dans leur message. On est même allé jusqu’à dire qu’à l’origine il y aurait eu plusieurs sortes de christianismes, un ou même deux christianismes palestiniens ayant pour chefs l’apôtre Pierre et Jacques le frère du Seigneur, et un christianisme hellénique dont Paul aurait été le protagoniste.
Ces théories ne tiennent pas en présence des textes. Sans doute chaque apôtre a apporté sa pierre particulière à l’édifice de la doctrine chrétienne, et cela suivant son tempérament et les besoins de ceux à qui il avait affaire. Il est vrai, également, que les Juifs convertis ont continué à se soumettre aux prescriptions de la loi, tandis que cette obligation n’était pas imposée aux anciens païens. Des divergences qui n’étaient que trop réelles ont surgi ici et là par l’action de ceux que l’Ecriture appelle les faux frères (Gal. 2. 4-5).
Mais en ce qui concerne les apôtres eux-mêmes, que ce soit Paul, Jean, Pierre ou Jacques, ils ont toujours manifesté un accord complet et n’ont jamais prêché qu’un seul Evangile, celui du salut en Jésus-Christ (Actes 15. 11). Paul laisse clairement entendre que son message ne diffère en rien de celui des autres apôtres, si ce n’est par la personne des destinataires (1 Cor. 15.11 ; Gal. 2.6-9). Aussi bien n’y a-t-il pas d’autre Evangile (Gal. 1.7).
d) Il est à noter qu’au fur et à mesure que les écrits du Nouveau Testament étaient composés, leur inspiration et leur autorité étaient reconnues. Pierre sanctionne les épîtres de Paul (2 Pierre 3. 15-16). Paul cite peut-être Luc (1 Tim. 5. 18). Les écrits apostoliques étaient lus au culte public (1 Thess. 5. 27 ; Col 4. 16) sans doute d’abord tel livre dans telle région, tel autre dans telle autre ; puis peu à peu, le cercle des lecteurs s’est étendu.
2. Les principales doctrines. Certaines doctrines étaient parfaitement bien développées dans l’Ancien Testament (l’unité de Dieu, sa justice, la chute, etc.). Les apôtres n’ont donc eu qu’à les rappeler en passant. D’autres sujets devaient être traités avec plus de détails :
a) La personne du Sauveur. La prédication apostolique était essentiellement un témoignage rendu à Jésus-Christ (Actes 1.8, 9. 20). Sa nature divine apparaît dans sa résurrection ; aussi les apôtres insistent-ils sur ce fait (Actes 4. 2).
b) L’Evangile de la grâce : l’homme est incapable de se sauver. Il ne peut être justifié que par la grâce de Dieu, manifestée à la croix, et acceptée par la foi (1 Cor. 2. 2).
c) La loi de la liberté. Affranchi de la loi de Moïse, quelle règle de conduite le chrétien doit-il observer ? Les apôtres ont insisté sur l’œuvre du Saint-Esprit dans le cœur du croyant, et sur les fruits qui en sont la conséquence (Jacq. 1. 25 ; Gal. 5. 13-25).
d) Le retour de Jésus-Christ. Cette doctrine a eu une grande influence pratique sur les cœurs à cette époque. Certains chrétiens semblent avoir été convaincus que le Christ reviendrait de leur temps (2 Thess. 2. 2), mais les apôtres n’ont jamais trempé dans cette erreur. Ils ont attendu leur Maître sans fixer la date de sa venue.
3. Les premières hérésies. Le mot hérésie signifie choix ou parti. L’hérétique est celui qui se détourne de la doctrine officiellement établie, pour s’attacher à un parti non orthodoxe.
Le judéo-christianisme a été condamné officiellement au concile de Jérusalem (Actes 15). Certains docteurs judaïsants n’en ont pas moins continué à troubler les églises, en particulier en Galatie et à Corinthe. Plus tard, en Asie Mineure, ils ont combiné leur légalisme avec des spéculations sur les anges. Ils ont trouvé un adversaire énergique en Paul.
Les Nicolaïtes (Apoc. 2) ont exercé leur activité en Asie mineure. Ils semblent avoir eu une indulgence coupable pour le culte des idoles et pour l’impureté.
Cérinthe contestait l’inspiration de l’Ancien Testament et professait des idées erronées sur la personne de Jésus. Pour lui, Jésus n’était qu’un homme né comme les autres, le Christ serait venu habiter en lui à son baptême et l’aurait quitté avant la crucifixion. Cette hérésie comme celle des Nicolaïtes a été violemment combattue par l’apôtre Jean.
Si la doctrine apostolique est très précise, l’organisation ecclésiastique était extrêmement souple.
1. Les églises. Les diverses églises locales semblent avoir été indépendantes les unes vis-à-vis des autres. Leur unité était basée sur l’intérêt mutuel (Rom. 1.8) et non sur une organisation administrative. Elles se soutenaient mutuellement par des dons financiers parfaitement libres et spontanés.
2. Les ministères. On ne sait pas le nombre de ceux qui ont porté le titre d’apôtre. Il est donné une fois à Barnabas (Actes 14.14). En tout cas, les douze avaient une place à part (Matth. 19. 28 ; Apoc. 21.14), et Paul était certainement sur le même pied qu’eux (2 Cor. 11.5). C’est à eux qu’incombait la tâche de formuler la doctrine chrétienne. Ils n’ont pas désigné de successeurs à ce point de vue.
A côté du titre d’apôtre, nous en rencontrons d’autres dans le Nouveau Testament : les prophètes, hommes et femmes, édifiaient les assemblées au nom de Dieu, parfois en prédisant l’avenir (Agabus). Leurs paroles n’étaient pas considérées comme infaillibles (1 Thess. 5. 20-21) et ils ne les prononçaient pas en transes, mais en pleine possession de leurs facultés (1 Cor. 14. 32). Les évangélistes, comme Philippe, annonçaient l’évangile à ceux qui ne le connaissaient pas. Les pasteurs avaient la tâche de paître les chrétiens, de les encourager, de les reprendre, de les conseiller. Les docteurs devaient les instruire. Le titre d'ancien semble avoir été donné à tous ceux qui exerçaient ces diverses fonctions. Le mot presbyteros a donné prêtre par une déviation regrettable du sens ; mais l’ancien dans l’église primitive n’avait aucune fonction sacerdotale, ou plutôt tous les chrétiens étaient prêtres. Les anciens semblent aussi avoir été appelés évêques (surveillants) (Tite 1. 5-7 ; Actes 20. 17 et 28). Les diacres, hommes et femmes, s’occupaient surtout des soins à donner aux pauvres. Une place officielle dans l’église semble avoir aussi été faite à certaines veuves.
Enfin, à côté de ces ministères réguliers, certains chrétiens avaient des dons miraculeux qu’ils exerçaient pour le bien des communautés, dons de guérison, des langues, d’interprétation ; les ministères miraculeux ont progressivement perdu de l’importance déjà à l’époque apostolique.
3. Le culte. Au premier siècle, nous ne trouvons pas trace de bâtiment spécialement affecté au culte chrétien. On se réunissait dans des maisons particulières.
Au début, à Jérusalem, le culte était célébré tous les jours (Actes 2. 46-47). Dans la suite, on a pris l’habitude de se réunir de préférence le premier jour de la semaine, qui rappelait la résurrection (Actes 20. 7 ; 1 Cor. 16. 2 ; Apoc. 1. 10).
Une grande spontanéité caractérisait le culte de l’Eglise primitive. On chantait les psaumes et des cantiques (sans doute composés par les chrétiens). On priait à haute voix, l’assemblée s’associant à la prière par l’amen (1 Cor. 14. 16). Ceux qui s’y sentaient poussés pouvaient adresser une parole d’exhortation ou d’enseignement. Sans doute les prophètes et les docteurs prenaient-ils la parole plus souvent que d’autres. D’ailleurs la liberté qui régnait n’empêchait pas l’ordre et la bienséance.
Deux rites institués par Jésus-Christ étaient célébrés : le baptême, signe du pardon des péchés, du renoncement à la vie mauvaise et de la résurrection en nouveauté de vie, qui était administré à ceux qui entraient dans l’église après avoir cru ; et la sainte cène, signe de la communion spirituelle avec le Christ, célébrée d’abord après un repas fraternel ou agape, puis pour éviter des désordres, administrée comme une cérémonie isolée.
4. Morale et discipline. Les premiers chrétiens se distinguaient par leur vie sainte du monde environnant. Cependant, dès le début, il y a eu dans le sein des églises des membres indignes. Les premiers parmi eux ont été frappés directement par Dieu (Actes 5. 1-11 ; 1 Cor. 11. 30). Dans la suite, les chrétiens ont dû eux-mêmes exercer la discipline. Le membre d’église infidèle était d’abord averti, sans doute à plusieurs reprises, puis, s’il ne s’amendait pas, dénoncé publiquement et les fidèles devaient couper toute relation avec lui (Matth. 18.15-17 ; 1 Thess. 5. 14 ; 2 Thess. 3. 14-15 ; 2 Jean 10. 11). Cette mesure n’était prise que s’il y avait péché grave ou erreur doctrinale importante. Pour les questions accessoires ou douteuses le support était recommandé (Rom. 15. 1).
Certains usages contraires à l’esprit de l’Evangile n’ont pas été proscrits. Ainsi nous ne trouvons rien dans le Nouveau Testament contre l’esclavage, les jeux de cirque, etc. Les apôtres n’étaient pas des réformateurs sociaux. Cependant l’influence tacite de l’Evangile a tendu, peu à peu, à faire sauter les vieux cadres de la société païenne.
Nous pouvons distinguer dans l’histoire de l’Eglise au premier siècle trois phases :
30- 45 La période de formation (Actes 1-12). Ministère de Pierre. Pentecôte. Prédication à Jérusalem, en Judée, en Samarie. Ouverture de la porte aux païens.
45- 70 La période de fixation (Actes 13-28 ; Epîtres de Paul). Ministère de Paul. Concile de Jérusalem. Extension de l’évangélisation dans l’Empire romain. Lutte contre le judéo-christianisme. Fixation de la doctrine. Organisation des églises. Persécution sous Néron.
70-100 La période d’affermissement (écrits de Jean). Ministère de Jean. Lutte contre les Nicolaïtes et contre Cérinthe. Persécution sous Domitien.
A la fin du siècle, l’évangile a été prêché à peu près dans tout l’Empire romain. La doctrine chrétienne a été formulée nettement, et sauvegardée en face des hérésies. Une organisation souple mais suffisante a été donnée aux communautés chrétiennes. Au milieu des épreuves et des difficultés, les apôtres ont été fidèles à l’ordre de leur Maître, en vertu de la puissance du Saint-Esprit qui leur avait été donnée.
DEUXIÈME PARTIE
IIe et IIIe siècles.
Après l’époque apostolique, l’Eglise traverse une période d’épreuves particulièrement violente. Au dehors, ce sont les persécutions de plus en plus vives, au dedans, elle est attaquée par l’hérésie et le formalisme. Il a fallu aux chrétiens de cette époque un courage tout spécial pour maintenir le témoignage en face de ces difficultés.
On donne ce nom aux Pères de l’Eglise qui ont été les disciples immédiats des apôtres.
1. Quelques écrits. La Didaché ou Doctrine des apôtres, est un ouvrage anonyme qui date du premier siècle et nous donne des renseignements précieux sur l’organisation des églises primitives, la liturgie, l’attitude des fidèles en face des ministres de l’évangile.
Longtemps perdu, cet ouvrage a été retrouvé en 1875. L’auteur distingue les ministres itinérants, apôtres, prophètes et docteurs, et les ministres sédentaires, évêques ou anciens, et diacres. Le baptême doit être administré par immersion, l’aspersion est prévue en cas de nécessité. La Cène n’est donnée qu’aux baptisés. Elle comporte une liturgie simple et précise.
Le pasteur d’Hermas est une vision, accordée à l’auteur, un certain Hermas, de Rome, qui vivait vers l’an 150. Son ange gardien se présente à lui sous la forme d’un vieillard et lui dit : « Je suis le pasteur auquel tu as été confié ». Cet ouvrage a joui d’une grande réputation dans l’Eglise primitive. On a failli le ranger dans le Nouveau Testament. A côté de belles images, il contient bien des longueurs et certaines erreurs doctrinales.
Dans sa vision, Hermas voit aussi l’Eglise sous les traits d’une femme âgée, car il pense que la fin du monde est proche. Il annonce un jour de repentance où les péchés commis après le baptême pourront être pardonnés. Il croit aux œuvres surérogatoires.
De la même période date une épître dite de Barnabas. C’est une mauvaise imitation de l’Epître aux Hébreux. L’Ancien Testament est interprété à coup d’allégories ahurissantes. Nous y trouvons un texte du Nouveau Testament introduit par la formule : « il est écrit ».
2. Quelques évêques. Clément de Rome a été évêque dans cette ville à la fin du premier siècle. Il a écrit une Epître aux Corinthiens. Il est partisan du renforcement de l’autorité ecclésiastique.
Cependant, il ne distingue pas les évêques et les anciens. Il combat les divisions qui s’étaient produites dans l’église de Corinthe, en recommandant l’humilité et l’obéissance à Jésus-Christ. Cette épître a parfois été considérée comme inspirée dans l’ancienne église.
Ignace d’Antioche était un disciple de Jean. Sommé d’abjurer sous l’empereur Trajan (98-117), il refusa et fut emmené à Rome, où il mourut martyr. Au cours de son voyage, il écrivit sept épîtres, remarquables par la ferveur avec laquelle il défend la vérité et par son désir de subir le martyre. Il donne à l’évêque une nette prééminence sur les anciens. Il est ainsi le premier témoin de l’organisation hiérarchique de l’Eglise. Il est aussi le premier à parler de l’église catholique.
De Smyrne, où il fut l’hôte de Polycarpe, il a écrit quatre lettres : aux Ephésiens, aux Magnésiens, aux Tralliens, aux Romains. De Troas, il a écrit : aux Philadelphiens, aux Smyrniotes, à Polycarpe. Il existe de ses lettres trois recensions : une longue avec des interpolations ; une courte avec des lacunes ; une moyenne qui est considérée comme authentique.
Polycarpe, lui aussi disciple de Jean, fut évêque de Smyrne. Il a écrit une épître aux Philippiens, où il déclare que lui et ses contemporains sont nettement inférieurs aux apôtres. Après avoir servi Jésus-Christ pendant 86 ans, 156 il mourut martyr sous le règne d’Antonin le Pieux (138-161).
Papias, évêque d’Hiérapolis, a peut-être aussi connu l’apôtre Jean. Il s’est rendu célèbre par ses travaux d’érudition sur les écrits au Nouveau Testament. Il a versé dans de regrettables exagérations à propos du millénium.
Vers le Martyre.
C’est de bon cœur que je vais mourir pour Dieu, si du moins vous, vous ne m’en empêchez pas. Je vous supplie, n’ayez pas pour moi une bienveillance inopportune. Laissez-moi être la pâture des bêtes, par lesquelles il me sera possible de trouver Dieu. Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour être trouvé un pur pain du Christ... Depuis la Syrie jusqu’à Rome, je combats contre les bêtes, sur terre et sur mer, nuit et jour, enchaîné à dix léopards, c'est-à-dire à un détachement de soldats... C’est maintenant que je commence à être un disciple. Que rien, des êtres visibles et invisibles, ne m’empêche par jalousie, de trouver le Christ. Feu et croix, troupeaux de bêtes, lacérations, écartèlements, dislocations des os, mutilation des membres, mouture de tout le corps, que les pires fléaux du diable tombent sur moi, pourvu seulement que je trouve Jésus-Christ.
IGNACE
Lettre aux Romains — Chap. 4 et 5. Traduit par P.T. CAMELOT.
86 ans au service de Jésus-Christ.
Le tumulte fut grand quand le public apprit que Polycarpe était arrêté. Le proconsul se le fit amener et lui demanda si c’était lui Polycarpe. Il répondit que oui, et le proconsul cherchait à le faire renier en lui disant : « Respecte ton grand âge » et tout le reste qu’on a coutume de dire en pareil cas ; « Jure par la fortune de César, change d’avis, dis : A bas les athées ». Mais Polycarpe regarda d’un œil sévère toute cette foule de païens impies dans le stade, et fit un geste de la main contre elle, puis soupirant et levant les yeux, il dit : « A bas les athées ». Le proconsul insistait et disait : « Jure, et je te laisse aller, maudis le Christ » ; Polycarpe répondit : « Il y a quatre-vingt-six ans que je le sers, et il ne m’a fait aucun mal ; comment pourrais-je blasphémer mon Roi qui m’a sauvé ? ».
Le Martyre de Polycarpe — Chap. 9. Traduit par P.T. CAMELOT.
1. Persécutions occasionnelles. Après les persécutions tout à fait accidentelles du premier siècle, nous entrons dans une période où, tout en restant occasionnelles, elles sont réglementées. La procédure est indiquée dans la correspondance de l’empereur Trajan (98-117) avec Pline, gouverneur d’Asie Mineure. Les chrétiens sont des suspects. Il ne faut pas les rechercher. Mais si l’on en dénonce un, il doit se purger du soupçon d’athéisme (en sacrifiant aux idoles), de lèse-majesté (en jurant par l’empereur ou en sacrifiant à l’empereur), et de christianisme (en reniant le Christ). Le chrétien qui abjure est immédiatement libéré. Mais ceux qui persistent dans leur foi sont mis à mort : les citoyens romains sont décapités, les autres sont brûlés vifs, crucifiés ou jetés aux bêtes. Les femmes sont souvent exilées ou vouées à l’infamie. Les assemblées chrétiennes pouvaient jouir parfois d’une certaine tolérance, mais elles n’avaient pas de statut légal et étaient à la merci de la première dénonciation venue.
Parfois aussi les chrétiens étaient accusés de pratiques infâmes dans leur culte, qui se célébrait à huis clos. Il est à remarquer que ce sont en général les empereurs les plus capables et les plus soucieux de l’ordre qui ont été les persécuteurs les plus violents.
Au début du second siècle, Ignace fut martyrisé sous Trajan. Dans la seconde moitié du siècle, Marc-Aurèle (161-180) persécuta les chrétiens. Ses principales victimes furent Justin Martyr ; et les martyrs de Lyon, l’évêque Pothin, la jeune Blandine, et l’esclave Bibliade, qui avait abjuré, mais qui sous la torture se souvint des peines de l’enfer, et mourut en confessant sa foi avec les autres. Au début du troisième siècle, Septime Sévère (193-211) fit tuer un certain nombre de chrétiens à Carthage, entre autres Perpétue et l’esclave Félicité, et à Alexandrie.
Maximin de Thrace (235-238) s’attaqua surtout aux évêques. L’évêque de Rome Pontien et son rival Hippolyte furent exilés en Sardaigne.
2. Persécutions générales. La première, heureusement fort courte, eut lieu en 250 sous Décius (249-251). Beaucoup de chrétiens abjurèrent et sacrifièrent aux idoles ; d’autres se firent donner des certificats de complaisance comme ayant abjuré, alors qu’ils ne l’avaient pas fait. La situation de ces lapsi, déchus, posa de graves problèmes aux églises. D’autres encore s’enfuirent dans les déserts. Plusieurs supportèrent héroïquement la persécution et toutes ses tortures ; citons parmi eux Origène. Quelques années plus tard la persécution 258 reprenait. Cyprien fut décapité. Puis l’Eglise eut environ 40 ans de paix.
En 303 commença la persécution la plus féroce. Dioclétien, poussé par son gendre Galère (305-311), rêvait d’exterminer le christianisme. Par ses quatre édits successifs, il ordonna la destruction des édifices du culte et des livres sacrés, il fit emprisonner tous les ecclésiastiques, il fit torturer ceux d’entre eux qui n’abjuraient pas, et enfin il obligea tous les chrétiens à sacrifier aux idoles. Cette persécution 305 dura dix ans, car ni l’abdication de Dioclétien, ni la mort de Galère, 311 qui, malade fit demander les prières des chrétiens, ne l’interrompirent. Le nombre des victimes fut énorme, surtout en Orient. Enfin, en 313, le triomphe de Constantin rendit la paix à l’Eglise. Le paganisme était vaincu par la douceur.
Décret de Trajan.
Tu as fait ce que tu devais faire, mon cher Pline, dans l’examen des poursuites dirigées contre les chrétiens. Il n'est pas possible d’établir une forme certaine et générale dans cette sorte d’affaires ; il ne faut pas faire de recherches contre eux. S’ils sont accusés et convaincus, il faut les punir. Si pourtant l’accusé nie qu’il soit chrétien et qu’il le prouve par sa conduite, je veux dire, en invoquant les dieux, il faut pardonner à son repentir, de quelque soupçon qu’il ait été auparavant chargé. Au reste, dans nul genre d’accusation, il ne faut recevoir de dénonciation sans signature : cela serait d’un pernicieux exemple et contraire aux maximes de notre règne.
Réponse de Trajan à Pline.
Traduit par S AC Y.
Les Martyrs de Lyon.
Quant à Sanctus, lui aussi se montrait supérieur. « Je suis chrétien ». C’était là ce qu’il confessait, successivement à la place de son nom, de sa cité, de sa race, à la place de tout, et les païens n'entendirent pas de lui d’autre parole. Aussi y eut-il une grande émulation du gouverneur et des bourreaux contre lui, si bien que, ne sachant plus que lui faire, ils finirent par appliquer des lames de cuivre rougies au feu aux parties les plus délicates de son corps... Son pauvre corps était le témoin de ce qui était arrivé : tout entier blessure et meurtrissure, contracté, privé de l'apparence d'une forme humaine...
Restait la bienheureuse Blandine... Après les fouets, après les fauves, après le gril, elle fut finalement jetée dans un filet et livrée à un taureau. Longtemps, elle fut projetée par l’animal, mais elle ne sentait rien de ce qui lui arrivait, à cause de l'espérance et de l’attente de ce en quoi elle avait cru et de sa conversation avec le Christ : elle fut sacrifiée elle aussi ; et les païens eux-mêmes avouaient que jamais chez eux une femme n’avait souffert d’aussi grandes et d’aussi nombreuses tortures.
Lettre des Eglises de Vienne et de Lyon citée par
EUSÈBE DE CESARÉE
Histoire Ecclésiastique Livre 5, chap. 1.
Traduit par Gustave BARDY.
On donne ce nom à ceux qui ont défendu le christianisme contre les attaques dont il était l’objet.
1. Justin Martyr. Il est né en Samarie au début du second siècle.
Après avoir étudié la philosophie sans y trouver le bonheur, il rencontra un chrétien âgé et se convertit. Il continua à porter la robe de philosophe de façon à pouvoir plus facilement lier conversation avec les gens, et dans ses nombreux voyages il amena un grand nombre d’âmes à la foi. Dans ses deux Apologies, dédiées l’une à l’empereur Antonin (138-161), l’autre à Marc-Aurèle (161-180), il donne un tableau très vivant de l’Eglise du second siècle. Il reconnaît qu’il y a dans le paganisme une part de vérité, et il cherche, en partant de ce point de départ, à amener ses lecteurs à embrasser la vérité totale qui resplendit dans l’Evangile. Il mourut martyr à Rome.
Nous avons encore de lui Le Dialogue avec Tryphon, où il défend la foi chrétienne contre les Juifs.
Les ouvrages de Justin nous renseignent sur la vie des églises du IIe siècle. Il distingue le Logos parfait, qui s’est incarné et le Logos spermatikos ou disséminé, qui se manifeste dans la raison humaine.
2. Autres apologistes grecs.
Au IIe siècle, nous pouvons mentionner Aristide, Théophile d’Antioche, le premier à user du mot Trinité, Athénagore, Méliton de Sardes et Tatien, ce dernier disciple de Justin, mais qui tomba dans l’hérésie gnostique.
Au troisième siècle, Clément d’Alexandrie, dans son Discours aux Païens (appelé aussi Protreptique) combattit le paganisme avec la même modération que Justin. Dans son ouvrage Contre Celse, Origène composa l’apologie la plus profonde du christianisme. Le païen Celse avait critiqué les évangiles, émis des blasphèmes sur Jésus et condamné la doctrine chrétienne comme absurde. Origène le réfute avec une précision et une justesse inégalables.
3. Apologistes latins. Tertullien, dans son Apologétique, rejette en bloc toute la philosophie païenne : son ironie mordante et sa logique juridique flagellent les hontes et les inconséquences du paganisme. Son style est souvent tourmenté, mais il a une vigueur splendide, et plusieurs phrases de lui sont restées universellement et justement célèbres.
Le contemporain et compatriote de Tertullien, Minucius Félix a composé une apologie sous forme de Dialogue entre un chrétien, Octavius, et un païen, Cécilius, qui se convertit à la fin de l’entretien.
Plus tard, Lactance (IIIe - IVe siècles) a composé un traité de doctrine dédié à Constantin, les Institutions divines. Son style est élégant, mais sa pensée est plus forte pour attaquer le paganisme que pour proclamer la vérité.
La Parole connue par les Philosophes.
Ils n’ont saisi qu’une partie de la raison disséminée partout ; et celle qui se trouvait à leur portée, ils l’ont exprimée d'une manière admirable.
Ce qu’ils ont dit d’admirable appartient à nous autres chrétiens, qui aimons, qui adorons après Dieu le Père, la Parole divine, le Verbe engendré de ce Dieu incréé, inénarrable.
A la faveur de la raison qu’il a mise en nous comme une semence précieuse, vos philosophes ont pu quelquefois entrevoir la vérité, mais toujours comme un faible crépuscule. Ce simple germe, cette légère ébauche de la vérité, proportionnée à notre faiblesse, peut-elle se comparer avec la vérité elle-même, communiquée dans toute sa plénitude et selon toute l’étendue de la grâce ?
JUSTIN
2me apologie. — Chap. 13.
Traduit par de GENOUDE.
Le sang des chrétiens, une semence.
Pour vous, dignes magistrats, assurés comme vous l’êtes des applaudissements du peuple, tant que vous lui immolerez des chrétiens, condamnez-nous, tourmentez-nous, écrasez-nous : votre injustice est la preuve de notre innocence ; c’est pourquoi Dieu permet que nous soyons persécutés. Dernièrement, condamnant une chrétienne à être exposée dans un lieu infâme plutôt qu'au lion, vous avez reconnu que la perte de la chasteté est pour nous le plus grand des supplices, et plus terrible que la mort même.
Mais vos cruautés les plus raffinées ne servent de rien : c’est un attrait de plus pour notre religion. Nous multiplions à mesure que vous nous moissonnez : notre sang est une semence de chrétiens.
TERTULLIEN
Apologétique ou Défense des chrétiens contre les gentils. — Chap. 50.
Traduit par GOURCY.
Les chrétiens remplissent la terre.
Cependant avez-vous remarqué que nous ayons jamais cherché à nous venger de cet acharnement qui nous poursuit au delà du tombeau ? Une seule nuit avec quelques flambeaux, c'en serait assez s’il nous était permis de rendre le mal pour le mal : mais à Dieu ne plaise qu'une religion divine ait recours à des moyens humains pour se venger, ou qu’elle se laisse abattre par les épreuves ! Si au lieu de nous venger sourdement, nous voulions agir en ennemis déclarés, nous ne manquerions ni de forces ni de troupes. Les Maures, les Marcomans, les Parthes même, quelque nation que ce soit, renfermée après tout dans ses limites, est-elle plus nombreuse qu’une nation qui n’en a d’autres que l’univers ? Nous ne sommes que d’hier, et nous remplissons tout, vos villes, vos îles, vos châteaux, vos bourgades, vos conseils, vos camps, vos tribus, vos décuries, le palais, le sénat, le forum : nous ne vous laissons que vos temples.
TERTULLIEN
Apologétique ou Défense des chrétiens contre les gentils. — Chap. 37.
Traduit par GOURCY.
LA THÉOLOGIE AUX IIe ET IIIe SIÈCLES
Les apôtres avaient parfaitement formulé la doctrine chrétienne. Il n’y avait rien de nouveau à y ajouter. Mais il appartenait aux docteurs des époques suivantes de la défendre contre les attaques des païens, de la maintenir en face des hérésies et de l’expliquer aux fidèles.
1. LES GRANDES HÉRÉSIES
1. Le judéo-christianisme. Il continue à sévir aux IIe et IIIe siècles, et même il se précise. Les diverses sectes judéo-chrétiennes niaient la divinité de Jésus-Christ et enseignaient le salut par les œuvres, en particulier les œuvres rituelles : circoncision, observation du Sabbat.
Les judéo-chrétiens avaient des écrits-apocryphes, Evangile des Hébreux, Constitutions apostoliques. Les principaux groupements étaient les Nazaréens, assez modérés, les Ebionites ou Pauvres, plus virulents, et les Elkesaïtes portés aux spéculations.
2. Le gnosticisme. Le mot gnose veut dire connaissance. Les gnostiques prétendaient connaître les mystères de l’existence. Leur principe fondamental consistait à identifier le bien avec l’esprit, et le mal avec la matière. En conséquence, ils étaient obligés de nier :
a) La création. Un Dieu esprit ne peut créer un monde matériel. Ils admettaient entre Dieu et les hommes une multitude d’éons, esprits intermédiaires, dont l’un, très inférieur, pouvait être le démiurge ou créateur. Aussi n’avaient-ils pas foi en l’autorité de l’Ancien Testament qu’ils considéraient parfois comme l’œuvre du diable.
b) L’incarnation. Un Dieu esprit ne peut devenir chair, Jésus n’est qu’un éon et son corps n’était qu’une apparence (docétisme).
c) La rédemption par le sang. Pour les gnostiques, on est sauvé par la connaissance, Jésus n’est qu’un révélateur. Comme les doctrines gnostiques étaient compliquées, seuls quelques-uns, les spirituels, étaient admis à les connaître. Les autres les psychiques, ne pouvaient espérer qu’un salut inférieur. Les matériels étaient perdus.
d) La morale chrétienne. Sur ce point les gnostiques se répartissaient en deux classes. Les uns, pour mater la matière mauvaise, se livraient à l’ascétisme ; ils jeûnaient, condamnaient le mariage, etc. Les autres, considérant que la matière importait peu, se livraient aux débordements de la chair (antinomiens).
Il y eut, surtout en Egypte, de multiples écoles gnostiques.
Les principales furent celles de Basilide, qui préconisait un ascétisme modéré.
De Valentin qui propagea ses idées jusqu’à Rome.
De Carpocrate qui était antinomien.
Des Ophites ou Nasseniens qui vénéraient le serpent.
En Syrie, nous pouvons mentionner Bardesane et Tatien, ce dernier d’abord disciple de Justin Martyr.
Les gnostiques avaient eux aussi, des écrits apocryphes, comme par exemple, l'Evangile des Egyptiens.
Le plus redoutable des gnostiques fut Marcion, originaire d’Asie Mineure, qui vint s’établir à Rome et se joignit à l’église. Il s’en 144 sépara pour fonder une église rivale, avec un clergé bien organisé, un canon des Ecritures bien délimité qui excluait l’Ancien Testament et une partie du Nouveau Testament. Il gardait Luc, en y faisant des coupures, et dix épîtres de Paul. Il est dualiste : le demiurge ou Dieu mauvais a donné la loi. le Dieu bon a envoyé Jésus-Christ comme Sauveur. Le demiurge l’a crucifié et a suscité les 12 apôtres. Mais le Dieu bon a inspiré Paul. Marcion pratiquait un ascétisme rigoureux. Le marcionisme a constitué une grave menace pour l’Eglise et s’est maintenu jusqu’au VIe siècle.
Marcion a composé un ouvrage, Antithèses, où il oppose l’Ancien au Nouveau Testament. Cet ouvrage nous est connu par le Contre Marcion de Tertullien.
3. Le montanisme. Cette hérésie a pris naissance en Asie Mineure au second siècle et doit son nom à un prophète Montanus, qui s’identifiait avec le Consolateur. Elle est une réaction violente contre le gnosticisme, et aussi contre le cléricalisme.
Les montanistes rejettent tout compromis avec la philosophie païenne. Ils acceptent la seule autorité du Saint-Esprit, qui a parlé par les Ecritures et qui parle encore par les prophètes et prophétesses montanistes. Ceux-ci doivent leur vocation, non à une nomination régulière, mais à une inspiration directe. Ils s’appellent spirituels par opposition aux psychiques de l’église officielle. Alors que les gnostiques envisageaient l’histoire comme une longue évolution, les montanistes annoncent le retour immédiat de Jésus et l’établissement d’un millénium assez matériel. Comme les gnostiques se vantaient de leur ascétisme comparé au relâchement qui caractérisait l’église officielle, les montanistes seront des ascètes et des rigoristes. Les secondes noces sont proscrites... Guerre au luxe ! Pas de ménagements pour les chrétiens déchus, ils doivent être exclus à jamais de l’Eglise.
Tertullien a été momentanément montaniste, ensuite il a fondé la secte des tertullianistes.
4. Les antitrinitaires. Parmi eux, les uns sont subordinatiens, c’est-à-dire qu’ils nient la divinité de Jésus et la personnalité du Saint-Esprit. 268 Le plus célèbre d’entre eux est Paul de Samosate, évêque d’Antioche, qui fut destitué par un synode d’évêques, et chassé de sa demeure épiscopale par Aurélien (270-275) à l’instigation des chrétiens orthodoxes.
Un autre subordinatien fut Théodote qui avait renié Christ pendant la persécution, et prétendait n’avoir pas renié Dieu. Il fut excommunié par l’évêque de Rome, Victor, en 190.
D’autres antitrinitaires appelés modalistes envisageaient que le Dieu unique avait été d’abord Père, sous l’ancienne Alliance, puis Fils pendant la vie de Jésus, puis Saint-Esprit, sous la nouvelle Alliance. Le plus célèbre de ces docteurs était Sabellius, qui vivait au IIIe siècle, et d’après lequel cette hérésie a été appelée sabellianisme.
Les premiers modalistes furent Noët, d’Asie Mineure, et Praxéas qui apporta cette doctrine à Rome. On appelait aussi les modalistes patripassiens parce qu’ils disaient que le Père avait souffert à la croix.
2. THÉOLOGIENS AYANT EXERCÉ LEUR MINISTÈRE EN OCCIDENT
1. Irénée. Originaire d’Asie mineure, il avait connu Polycarpe. Il succéda à Pothin comme évêque de Lyon à la fin du second siècle. Dans son grand ouvrage Contre les hérésies écrit en grec, il combat surtout les gnostiques. Il désire ramener les hérétiques et avertir les chrétiens. Il en appelle à l’Ecriture et à la tradition des Eglises apostoliques, en particulier celle de Rome, dans laquelle il voit une chaîne de témoins fédèles, mais sans lui donner la prééminence. Il insiste sur l’unité entre l’Ancien et le Nouveau Testament, sur la réalité de l’incarnation. Le Christ récapitule en sa personne l’humanité pour la réconcilier avec Dieu. Il attache beaucoup d’importance à l’eschatologie.
2. Hippolyte. Comme Irénée, il écrivit en grec. Il entra en conflit avec les évêques de Rome qu’il trouvait trop mous à l’égard du sabellianisme. Pour finir Calliste (217-222) l’excommunia lui et Sabellius, et il fonda une église rivale. Il mourut déporté en Sardaigne, en même temps que son rival l’évêque Pontien (230-235). Il a composé un ouvrage Contre toutes les hérésies (appelé aussi Philosophoumena), ainsi que le premier commentaire biblique connu, sur Daniel.
3. Tertullien. Né à Carthage, au milieu du 2e siècle, il devint juriste ; il se convertit vers l’âge de 40 ans et mit au service de la foi toute la fougue de sa nature passionnée. Avant de devenir lui-même hérétique, il a combattu l’hérésie, en particulier le gnosticisme. Il ne veut pas discuter avec les hérétiques en se basant sur l’Ecriture. Il se borne à les condamner en s’appuyant sur la tradition dans ses Prescriptions contre les hérétiques.
Comme premier écrivain chrétien latin, il a rendu de grands services à l'Eglise, en créant la terminologie théologique latine (Trinité, sacrement, etc.).
Déjà pendant sa période catholique, il se montre très rigoriste en morale, par exemple dans son traité Des spectacles. Il combat le service militaire et les ornements féminins. Devenu montaniste, il attaque vivement les secondes noces et entra en conflit avec l’évêque de Rome Calliste au sujet de la réconciliation des pécheurs. La fin de sa vie est peu connue.
Voici une liste de quelques autres ouvrages de Tertullien :
Contre Marcion ; Contre Praxeas, où il affirme la personnalité du Saint-Esprit .־ De la chair du Christ ; De l’Ame ; De la fuite dans la persécution ; De la couronne, il réprouve le service militaire à cause de l’idolâtrie qui s'y attache ; Du baptême ; De la pénitence ; De la pudicité, contre la réintégration des pécheurs dans l'église.
4. Cyprien. Issu d’une bonne famille de Carthage, il se convertit et devint évêque de cette ville au milieu du IIIe siècle. Il était plein d’amour pour les fidèles, mais il savait les maintenir dans l’obéissance. Pour lui, « hors de l’Eglise, il n’y a pas de salut ». L’unité de l’Eglise repose sur l’apôtre Pierre, mais tous les évêques sont les héritiers de son autorité. Il dit que la tradition n’est valable que si elle est d’accord avec l’Ecriture.
Après la persécution sous Décius, il a eu de grosses difficultés avec les lapsi qui voulaient se faire réintégrer sans pénitence ecclésiastique, grâce à des billets de recommandation des martyrs.
Il entra en conflit avec l’évêque de Rome Etienne Ier au sujet de la validité du baptême des hérétiques. Il croit à la régénération par le baptême, ce qui correspondait à son expérience personnelle, et recommande le baptême des enfants.
La partie la plus intéressante de son œuvre est sa Correspondance, ainsi que l’ouvrage De l’unité de l’Eglise.
258 II mourut martyr décapité à Carthage.
Voici encore quelques ouvrages dus à la plume de Cyprien :
A Donatus, où il parle de son expérience personnelle ; Au sujet des lapsi ; Exhortation au martyre ; De la peste.
3. ÉCOLE CATÉCHÉTIQUE D’ALEXANDRIE
1. Origine. On donnait dans toutes les églises une instruction religieuse à ceux qui voulaient se faire baptiser. A Alexandrie, grand centre de philosophie, cet enseignement a donné naissance à une célèbre école, dont le fondateur, Pantène, finit par devenir missionnaire dans ce que l’on appelait alors les Indes, c’est-à-dire les régions extérieures à l’Empire romain.
2. Clément d’Alexandrie. Comme Justin, c’est après avoir étudié les philosophes qu’il embrassa le christianisme. Successeur de Pantène, il exerça son activité aux IIe et IIIe siècles. Dans son Discours aux Païens, il défend le christianisme contre les attaques du dehors. Dans son Pédagogue, il initie à la vie chrétienne les catéchumènes : il y présente une morale très détaillée. Enfin il a composé un ouvrage de doctrine, sans ordre, à l’usage des chrétiens déjà avertis, les Stromates (Tapis).
Sa grande érudition et son esprit libéral lui donnent une place importante parmi les docteurs de l’ancienne Eglise. Il est très attaché à l’autorité des Ecritures. Il a bien montré que l’amour de Dieu est la notion centrale du christianisme.
Il distingue deux catégories de chrétiens, les simples fidèles qui en restent à la foi, et les parfaits qui ont la connaissance. Ainsi, aux gnostiques hérétiques, il peut opposer des gnostiques orthodoxes.
202 3. Origène. Son père Léonidas est mort martyr sous Septime Sévère. A 18 ans, en pleine persécution, il a été appelé à remplacer Clément d’Alexandrie dans l’école catéchétique. Il vivait très pauvrement, dormait peu et travaillait sans se lasser. Dans son enseignement, il passait d’abord en revue les sciences profanes, puis la philosophie, pour aboutir à l’étude des Ecritures. Il s’intéressait personnellement à ses élèves. Des foules venaient l’entendre, non seulement parmi les catéchumènes, mais même parmi les chrétiens et aussi les païens. Beaucoup se convertissaient. Après plusieurs années, il fut 231 destitué par l’évêque d’Alexandrie Démétrius, parce qu’il s’était fait consacrer prêtre en Palestine. Il ouvrit une école à Césarée et continua son activité bienfaisante. Sous Décius, il fut mis en prison ; les tortures n’eurent pas raison de sa foi ; mais il ne survécut guère aux mauvais traitements qu’il avait subis.
Il a écrit plus que d’autres ne peuvent lire. Nous avons déjà parlé de son ouvrage Contre Celse. Il a rétabli le texte du Nouveau Testament dans lequel, à son époque, des fautes de copistes s’étaient glissées ; il a fait des commentaires sur toute la Bible, dans lesquels il a posé les bases de l’exégèse. Il a composé plus de mille Homélies. Il entretenait une vaste correspondance.
Son ouvrage Des Principes est particulièrement important. C’est le premier grand essai de systématisation de la doctrine chrétienne. La première partie est consacrée à la doctrine de Dieu ; il développe le mystère de la Trinité et de la création, qu’il considère comme éternelle. Dans la seconde partie, il aborde le monde, le péché, l’incarnation et la rédemption. La troisième partie est consacrée au problème de la responsabilité ; Origène défend le libre arbitre contre les déterministes. Enfin dans la quatrième partie, il établit l’inspiration des Ecritures et donne des règles pour leur interprétation ; les textes bibliques peuvent, selon lui, avoir trois sens, un sens littéral, un sens moral, et un sens allégorique, correspondant aux trois parties de l’être humain : corps, âme et esprit.
Malgré son attachement à l’Ecriture, Origène s’est quelquefois laissé entraîner par la spéculation. Ceci l’a amené à affirmer la préexistence de l’âme humaine, la possibilité d’un salut universel après la mort, et à considérer que le sacrifice de Jésus-Christ était une rançon payée à Satan en échange de la perdition des pécheurs. Il était difficile de ne jamais errer dans un premier ouvrage de dogmatique. Cependant, comme Père de l’introduction à la Bible, de l’exégèse, et de la théologie systématiques, Origène a rendu des services incalculables à l’Eglise de tous les temps.
4. Autres théologiens orientaux. Parmi les disciples d’Origène, il faut mentionner Denys d’Alexandrie, d’abord directeur de l’Ecole catéchétique, puis évêque d’Alexandrie. Dans son désir de spiritualiser l’espérance chrétienne et son aversion pour la doctrine du millénium, il émit des doutes sur l’authenticité de l’Apocalypse. Il se montra très courageux pendant les persécutions de Décius et de Valérien. Il combattit le sabellianisme, mais se montra dans ce conflit trop subordinatien, ce pourquoi il fut repris par Denys de Rome. Il reconnut humblement son erreur.
On peut encore citer Grégoire le Thaumaturge qui fut disciple d’Origène à Césarée. Il favorisa le culte des saints. Pamphile de Césarée continua les travaux d’Origène sur le texte du Nouveau Testament.
Méthodius, évêque du Tyr, attaqua violemment la mémoire d’Origène.
4. RÉSULTATS DU TRAVAIL THÉOLOGIQUE
1. Doctrines universellement admises. Ce sont celles qui sont exprimées dans le symbole des apôtres, formule baptismale de Rome. Irénée a une belle page sur l’unanimité de l’église à proclamer ce message.
2. Doctrines encore flottantes. Certains dogmes, aujourd’hui reconnus dans toute l’Eglise fidèle, n’étaient pas encore bien fixés. Nous avons déjà souligné les idées particulières d’Origène. Certains croyants attendaient un millénium terrestre ; d’autres n’y voyaient qu’une allégorie spirituelle. D’autre part, si certains livres du Nouveau Testament étaient universellement acceptés (Evangiles, Actes, Epîtres de Paul, 1 Pierre, 1 Jean), d’autres étaient encore contestés par quelques chrétiens, rejetés par les uns et acceptés par les autres. Quelques chrétiens désiraient aussi joindre au Nouveau Testament des livres comme le pasteur d’Hermas, la Didaché ou l’épître de Barnabas, qui, fort heureusement, n’y ont finalement pas été admis.
3. Début des erreurs romaines. Déjà à cette époque, on donnait une valeur excessive à la tradition ; on parlait de Marie en termes trop élogieux ; certains docteurs enseignaient même le salut par les œuvres, en particulier les rites ecclésiastiques. Toutes ces erreurs ne sont qu’ébauchées, timidement, et nous ne pourrions rendre les chrétiens des IIe et IIIe siècles responsables des déviations subséquentes. Cependant nous sommes obligés de constater certaines orientations dangereuses.
La doctrine chrétienne au II siècle
L'Eglise donc, disséminée par tout le monde jusqu’aux extrémités de la terre, a reçu des apôtres et de leurs disciples cette foi en un seul Dieu, Père tout-puissant, qui a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, et en un seul Jésus-Christ, fils de Dieu, incarné pour notre salut, et en l’Esprit Saint qui a annoncé par les prophètes les dispositions de Dieu, la venue, la naissance d'une vierge, la passion, la résurrection des morts et l’ascension corporelle dans les cieux de notre bien aimé Jésus-Christ, notre Seigneur, et sa venue des cieux dans la gloire du Père pour la récapitulation universelle et la résurrection de toute chair de tout le genre humain, afin que devant le Christ Jésus notre Seigneur, notre Dieu, notre Sauveur et notre Roi, conformément au bon plaisir du Père invisible, tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers et que toute langue le loue, et qu'il juge tous les êtres avec équité : les esprits du mal et les anges rebelles, les hommes tombés dans l'apostasie, les impies, les injustes, les iniques, les blasphémateurs, qu’il les envoie au feu éternel ; mais les justes, les saints et ceux qui obéissent à ses préceptes et qui persévèrent dans son amour, soit depuis le début, soit depuis leur conversion, il leur donnera en grâce la vie, leur conférera l’incorruptibilité et les entourera d’une gloire éternelle.
Cette prédication qu’elle a reçue, et cette foi, comme nous l'avons dit plus haut, l’Eglise bien que disséminée dans le monde entier les garde avec diligence, comme si elle habitait une seule maison : et de même elle croit à toutes ces choses comme si elle n’avait qu’une âme et un cœur, et elle les prêche, les enseigne et les transmet d’une seule voix, comme si elle ne possédait qu’une seule bouche. Si les langues que l’on parle dans le monde sont diverses, la force de la tradition est une et toujours la même. Ni les églises qui ont été établies en Germanie n’ont d’autre foi ou d’autre tradition, ni celles qui sont chez les Ibères, ni celles qui sont chez les Celtes, ni celles qui sont en Orient, en Egypte, en Libye, ni celles qui sont au milieu du monde. Mais de même qu’il n’y a dans tout le monde qu’un seul et même soleil, créé par Dieu, de même la prédication de la vérité brille partout et illumine tous les hommes qui veulent parvenir à la connaissance de la vérité. Et ni celui qui excelle en discours ne dit autre chose que cela, car personne n’est au-dessus du maître ; ni celui qui est faible en paroles ne minimise la tradition. Car de même qu’il n’y a qu’une seule et même foi, celui qui peut en parler beaucoup ne l’augmente pas et celui qui en dit moins ne la diminue pas.
IRÉNÉE
Contre les hérésies.
Livre I, chap. 10.1,2.
Traduit par A. GARREAU.
Ecriture et tradition
D’ailleurs la dispute sur les Ecritures n’est bonne qu’à épuiser la tête et les poumons.
... Il ne faut donc pas en appeler aux Ecritures ni hasarder un combat où la victoire sera toujours incertaine, du moins le paraîtra. Mais quand même ce ne serait point là l'issue de toutes les disputes sur l’Ecriture, l’ordre des choses demanderait encore qu’on commençât par examiner ce qui va nous occuper : à qui appartiennent les Ecritures et la foi, de qui est-elle émanée, par qui, quand, et à qui a été donnée la doctrine qui fait les chrétiens ? Car où nous verrons la vraie foi, la vraie doctrine du christianisme, là indubitablement se trouvent aussi les vraies Ecritures, les vraies interprétations, les vraies traditions chrétiennes.
... Les apôtres établirent des Eglises, d’abord dans la Judée ; ensuite s’étant partagé l’univers, ils annoncèrent la même foi et la même doctrine aux nations, et fondèrent des Eglises dans les villes.
C’est de ces Eglises que les autres ont emprunté la semence de la doctrine, et qu'elles l'empruntent encore tous les jours, à mesure qu’elles se forment:
... Mais qu'ont prêché les apôtres, c’est-à-dire que leur a révélé Jésus-Christ ? Je prétends, fondé sur la même prescription, qu’on ne peut le savoir que par les Eglises que les apôtres ont fondées, et qu’ils ont instruites de vive voix, et ensuite par leurs lettres. Si cela est, il est incontestable que toute doctrine qui s’accorde avec la doctrine de ces Eglises apostoliques et matrices, aussi anciennes que la foi, est la véritable, puisque c’est celle que les Eglises ont reçue des apôtres, les apôtres de Jésus-Christ, Jésus-Christ de Dieu ; et que toute autre doctrine par conséquent ne peut être que fausse, puisqu’elle est opposée à la vérité des Eglises, des apôtres, de Jésus-Christ et de Dieu.
TERTULLIEN
Les Prescriptions contre les Hérétiques. Chap. 16, 19, 20, 21.
Traduit par GOURCY.
LA FORMATION DU CATHOLICISME PRIMITIF
1. RENFORCEMENT DE L’ORGANISATION
1. La notion d’Eglise catholique. Le mot catholique, qui veut dire universel, est appliqué pour la première fois à l’Eglise dans une lettre d’Ignace (aux Smyrniotes 8. 2). Il tend, de plus en plus, à désigner les fidèles qui sont restés dans la vérité et qui se trouvent dans tout l’Empire romain et au-delà, par opposition aux hérétiques et aux schismatiques qui en général sont limités à une région géographique.
Dès le IIe siècle, des questions d’ordre général amènent la convocation de conciles provinciaux. Ainsi le montanisme et plus tard l’hérésie de Paul de Samosate furent condamnés par des conciles qui groupaient plusieurs évêques.
2. Recul des ministères charismatiques. Encore pratiqués à la fin du Ier siècle, et attestés dans la Didaché, ces ministères perdent de leur importance. La tentative faite par Montanus de les revaloriser n’aboutit qu’à les discréditer tout à fait dans l’Eglise officielle.
3. L’épiscopat. Le mot évêque ou surveillant, au temps du Nouveau Testament, était synonyme d’ancien. C’est encore le cas chez Clément de Rome et dans la Didaché. Avec Ignace, la hiérarchie à trois étages s’établit. L’évêque devient le pasteur unique de l’Eglise locale, et même il se trouve à la tête de plusieurs paroisses qui forment un diocèse. Les anciens (ou presbytres) tendent à devenir des prêtres. Les diacres occupent le troisième rang. Les Eglises anciennes étaient fières d’avoir une série ininterrompue d’évêques qui remontait au temps des apôtres (succession apostolique).
L’ignorance des fidèles et leur nombre grandissant, la nécessité de prendre des mesures rapides en temps de persécution, la lutte contre les hérésies qui demandait une connaissance avertie de la vérité, certains excès du montanisme, et, il faut le dire, les qualités personnelles de plusieurs évêques ont favorisé le développement de ce régime épiscopal.
4. Les ordres mineurs. Certains laïques avaient une part active au culte ; les lecteurs, chargés des livres saints, les exorcistes qui imposaient lés mains aux candidats au baptême pour en chasser le démon ; les portiers chargés de la discipline du culte, les chantres et les acolythes.
2. PRÉTENTIONS DE L’ÉVÊQUE DE ROME
1. Les débuts. En écrivant aux Corinthiens, Clément de Rome n’assumait pas plus d’autorité papale qu’Ignace en écrivant à diverses églises d’Asie Mineure.
Irénée recommandait l’accord avec Rome, mais uniquement parce que la tradition apostolique s’y était maintenue.
Le titre même de pape ne distinguait pas l’évêque de Rome, car d’autres pouvaient le recevoir.
C’est à la fin du IIe et au IIIe siècle que les prétentions romaines se font jour.
2. La controverse pascale. Victor (189-199) menaça d’excommunier les églises d’Asie Mineure, parce qu’elles célébraient Pâques le 14 nisan, et non le 1er dimanche après la pleine lune du printemps. Irénée intervint et Victor usa de modération. Peu à peu l’usage occidental prévalut.
Irénée fit valoir qu’un demi-siècle auparavant, Polycarpe et l’évêque Anicet (155-166) de Rome avaient communié ensemble malgré cette divergence.
3. Le baptême des hérétiques. Etienne 1er (254-257) entra en conflit avec Cyprien, parce que ce dernier rebaptisait les hérétiques, ce qui était contraire à l’usage romain. Cyprien qui tenait à ses pratiques pour raison doctrinale et qui n’admettait pas qu’un évêque empiète sur le domaine d’un autre, serait probablement tombé dans le schisme, si Etienne n’était pas mort. Son successeur (Sixte II, 257-258) se montra plus coulant et le conflit s’apaisa. Dans la suite, l’usage romain finit par s’imposer.
L'évêque au début du IIe siècle
Suivez tous l'évêque, comme Jésus-Christ suit son Père, et le presbytérium comme les apôtres ; quant aux diacres, respectez-les comme la loi de Dieu. Que personne ne fasse, en dehors de l’évêque, rien de ce qui regarde l’Eglise. Que cette eucharistie seule soit regardée comme légitime, qui se fait sous la présidence de l'évêque ou de celui qu’il en aura chargé. Là où paraît l’évêque, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Eglise catholique. Il n’est permis en dehors de l’évêque ni de baptiser, ni de faire l’agape, mais tout ce qu’il approuve, cela est agréable à Dieu aussi. Ainsi tout ce qui se fait sera sûr et légitime.
IGNACE
Lettre aux Smyrniotes. — Chap. 8. Traduit par P.T. CAMELOT.
Hors de l’Eglise pas de salut.
... L’épiscopat est un, et chaque évêque en possède solidairement une portion. L’Eglise de même est une, et elle se répand par sa fécondité en plusieurs personnes... Elle étend ses branches par tout le monde, et fait couler ses ruisseaux de tous côtés ; et néanmoins c’est un seul tronc, une seule origine et une seule mère extrêmement féconde et abondante. C’est elle qui nous fait naître, qui nous nourrit de son lait, et qui nous anime de son esprit. L’épouse de Jésus-Christ ne peut pas être corrompue, car elle est chaste et incorruptible... Quiconque se sépare de l'Eglise et s’unit à une adultère, n’a point de part aux promesses qui lui ont été faites. Celui qui abandonne l’Eglise de Jésus-Christ ne recevra jamais les récompenses de Jésus-Christ. C’est un étranger, c’est un profane, c’est un ennemi. Celui-là ne peut avoir Dieu pour Père, qui n’a point l’Eglise pour mère. Si quelqu'un s'est pu sauver hors de l’arche de Noé, on se peut sauver aussi hors de l’Eglise. Notre Seigneur dit : « Celui qui n’est point avec moi, est contre moi, et celui qui ne recueillie point avec moi, dissipe. » Celui qui rompt la paix et la concorde de Jésus-Christ, se déclare contre Jésus-Christ ; celui qui recueille hors de l’Eglise, dissipe l’Eglise du Seigneur... Ce sacrement de l’unité, ce lien indissoluble de la concorde, est marqué dans l’Evangile, lorsque la robe de Jésus-Christ n’y est point divisée, mais tirée au sort et possédée tout entière par un seul.
CYPRIEN
de l’Unité de l’Eglise
Traduit par LAMBERT.
La Tradition conservée à Rome
Or la tradition des apôtres, qui est manifestée dans tout le monde peut être considérée dans toute église par tous ceux qui veulent voir les choses vraies. Et nous pouvons énumérer ceux qui ont été institués évêques par les apôtres, dans les églises, et leurs successions jusqu’à nous : ils n'ont rien enseigné ni connu de ces divagations hérétiques.
Mais comme il serait très long dans un tel volume d’énumérer les successions de toutes les églises, nous parlerons de l'église très grande, très connue et très antique parmi toutes, fondée et constituée par les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul à Rome, de celle qui a la tradition des apôtres et la foi annoncée aux hommes, parvenue à nous par des successions d’évêques, et nous confondrons tous ceux qui d’une manière quelconque, soit par outrecuidance, soit par vaine gloire, soit par aveuglement et jugement faux se rassemblent inopportunément ailleurs.
C’est avec cette église, à cause de sa principauté plus forte qu'il est nécessaire que s’accorde toute église1, c’est-à-dire ceux qui sont des fidèles de partout, elle en qui toujours, par ceux qui viennent de partout, a été conservée cette tradition tenue des apôtres.
IRÉNÉE
Contre tes hérésies. — Livre 3.
Traduit par Albert GARREAU.
1 Beaucoup pensent, avec raison, qu’il conviendrait de traduire : « C’est vers cette église, à cause de la principauté plus forte (c’est-à-dire parce que le gouvernement impérial y réside) qu’il est nécessaire que se rende toute église (c’est-à-dire que des membres d’autres églises ont l’occasion de faire le voyage de Rome) ».
1. Le lieu du culte. Les assemblées devenaient trop nombreuses pour se réunir encore dans des maisons privées. On construit des édifices spéciaux, grandes salles allongées, divisées en deux parties, le narthex ouvert à tous, et la nef accessible aux seuls membres communiants.
2. Jours et fêtes. Le culte se célébrait tous les jours. Le culte du dimanche était plus solennel. On commence à observer la fête de Pâques et celle de Pentecôte.
3. Liturgie. Les éléments assez spontanés du culte primitif se figent pour aboutir à une liturgie rigide. La première partie du culte, a laquelle tous peuvent assister, a pour élément principal la prédication, qui est en général une homélie sur la péricope choisie par l’évêque, et qui est propre à instruire les catéchumènes. La seconde partie, qui a pour centre la sainte cène, est réservée aux seuls baptisés. Les chants, les prières, les répons y alternent.
4. Sacrements. Le baptême est considéré de plus en plus comme coïncidant avec la régénération. On s’y prépare par deux ou trois ans d’instruction appelée catéchuménat. La cérémonie est précédée d’un jeûne, d’une confession de foi ressemblant au symbole des apôtres, et de l’exorcisme ; elle s’accomplit par triple immersion ; et elle est suivie de l’imposition des mains ou confirmation. Les malades pouvaient se faire baptiser par aspersion. Certains différaient leur baptême jusqu’à leur lit de mort, pour être sûrs de ne pas pécher après l’avoir reçu. Le baptême des enfants est attesté par Tertullien, qui le combat, par Origène et Cyprien qui le recommandent.
La sainte-Cène est en général appelée eucharistie, à cause de l’importance des paroles d’action de grâce. On commence à y voir le renouvellement du sacrifice de Jésus-Christ.
5. Souvenir des défunts. Les chrétiens enterraient leurs morts dans des galeries appelées catacombes, qui né servaient sans doute pas au culte. On y trouve des inscriptions et des dessins touchants, en particulier des scènes bibliques, mais, fait à noter, jamais le Christ en croix. On commence à célébrer l’anniversaire de la mort des martyrs, et aussi à prier pour les autres morts.
Baptême et Cène dans l’Eglise primitive
Pour ce qui est du baptême, donnez-le de la façon suivante : après avoir enseigné tout ce qui précède, « baptisez au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (Matth. 28.19) dans de l’eau vive. S’il n’y a pas d’eau vive, qu’on baptise dans une autre eau ; et à défaut d’eau froide, dans de l'eau chaude. Si tu n’as ni de l'une ni de l’autre, verse de l’eau sur la tête trois fois « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ». Qu'avant le baptême, jeûnent le baptisant, le baptisé et d’autres personnes qui le pourraient ; du moins ordonne au baptisé de jeûner un jour ou deux auparavant.
Pour ce qui est de l’eucharistie, rendez grâce ainsi : d’abord sur le calice : Nous te rendons grâces, notre Père, pour la sainte vigne de David ton serviteur, que tu nous as fait connaître par Jésus ton serviteur. — A toi la gloire pour les siècles.
Puis, sur le pain rompu : Nous te rendons grâces, notre Père pour la vie et là connaissance que tu nous as fait connaître par Jésus ton serviteur. — A toi la gloire pour les siècles. Comme ce pain rompu, d’abord dispersé sur les montagnes, a été recueilli pour devenir un, qu’ainsi ton Eglise soit rassemblée des extrémités de la terre dans ton royaume. Car à toi appartiennent la gloire et la puissance (par Jésus-Christ) pour les siècles.
Que personne ne mange ni ne boive de votre eucharistie, si ce n’est les baptisés au nom du Seigneur ; car c’est à ce sujet que le Seigneur a dit : « Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens » (Matth. 7. 6).
La Didaché. — Chap. 7 et 9.
Le culte chrétien au IIe siècle
Le jour qu’on appelle jour du soleil, tous les fidèles de la ville et de la campagne se rassemblent en un même lieu ; on lit les écrits des apôtres et des prophètes, aussi longtemps qu’on en a le loisir ; quand le lecteur a fini, celui qui préside adresse quelques mots d’instruction au peuple et l’exhorte à reproduire dans sa conduite les grandes leçons qu’il vient d’entendre. Puis nous nous levons tous ensemble et nous récitons des prières. Quand elles sont terminées, on offre, comme je l’ai dit, du pain avec du vin mêlé d’eau ; le chef de l’assemblée prie et prononce l'action de grâces avec toute la ferveur dont il est capable. Le peuple répond : Amen. On lui distribue l’aliment consacré par les paroles de l’action de grâces, et les diacres le portent aux absents.
JUSTIN MARTYR
7™ Apologie. — Chap. 67.
Traduit par de GENOUDE.
1. La pénitence. Lorsqu’un chrétien commettait un péché grave, il était exclu de l’église visible pour une période plus ou moins longue. Il devait donner des signes de sa contrition, bonnes œuvres, larmes, prières, etc. Ce n’est qu’après avoir accompli cette pénitence qu’il était réintégré par l’imposition des mains de l’évêque. La pénitence était considérée comme une seconde planche de salut, la première étant le baptême. Certains tentèrent d’abréger leur pénitence en se recommandant des martyrs.
Déjà dans le Pasteur d’Hermas, nous voyons apparaître la pénitence, mais limitée à un jour spécial, ceci en liaison avec l’idée que seul le baptême efface les péchés. Hermas d’ailleurs distingue toutes sortes de degrés dans la culpabilité des chrétiens. Plus tard, l’usage de la pénitence se généralisa et prit même l’allure d’un sacrement.
2. Les péchés irrémissibles. Certaines fautes graves, l’apostasie, le meurtre, l’adultère entraînaient au 2e siècle l’exclusion définitive de l’Eglise. Au 3e siècle, des atténuations se produisirent. Malgré les protestations d’Hippolyte et de Tertullien, l’évêque de Rome, Calliste (217-222) réadmit des impudiques. Plus tard, après la persécution sous Décius, à Rome comme à Carthage, on réadmit les apostats.
Cette mesure provoqua à Rome le schisme de Novatien (251), qui voulait une Eglise pure, exempte de chrétiens ayant apostasié. L’évêque de Rome, Corneille, fut soutenu par Cyprien et par Denys d’Alexandrie, et son point de vue l’emporta dans l’Eglise. Cependant, les schismatiques, qui avaient suivi Novatien, et qui s’appelaient Cathares (purs), se maintinrent pendant plusieurs siècles.
3. Les métiers interdits. Tout naturellement, un chrétien ne pouvait exercer le métier de prêtre païen. D’autres métiers provoquaient la réprobation, ceux d’acteur, de gladiateur. Les serments exigés des magistrats et des soldats créaient aussi des difficultés aux chrétiens, sans que cela soit considéré comme incompatible avec la foi.
Tertullien préconise l’objection de conscience surtout à cause des cérémonies païennes liées à la vie militaire (de la couronne des soldats). Origène admet que l’empire doit être défendu, mais il recommande aux chrétiens de le faire par leurs prières, et non par les armes.
4. Tendances ascétiques. Dans les périodes de paix, la morale des fidèles se relâchait parfois. Par réaction, d’autres voulurent se distinguer par leur austérité. Les jeûnes se multiplient, et ils finissent par être imposés à tous le mercredi, le vendredi et pendant le carême. On commence à trouver le célibat supérieur au mariage, sans cependant l’exiger des ecclésiastiques. Une classe de vierges se constitue dans l’église, et l’on exige d’elles un célibat perpétuel.
Voyez comme ils s’aiment !
Je vais montrer maintenant ce que sont les chrétiens : il faut les faire connaître.
Unis ensemble par les nœuds d’une même foi, d’une même espérance, nous ne faisons qu’un corps. Nous nous assemblons pour prier Dieu ; nous prions pour les empereurs, pour leurs ministres, pour toutes les puissances, pour la paix. Nous nous assemblons encore pour lire les Ecritures où nous puisons les lumières et les avertissements dont nous avons besoin : cette sainte parole nourrit notre foi, relève notre espérance, affermit notre confiance.
Chacun fournit tous les mois, ou au moment de sa convenance, une somme modique, s’il le veut et s’il le peut ; on n’y oblige personne ; rien de plus libre que cette contribution ; c'est un dépôt de piété employé à nourrir et à enterrer les pauvres, à soulager les orphelins sans bien, les domestiques cassés de vieillesse, les malheureux qui ont fait naufrage. S’il y a des chrétiens condamnés aux mines, détenus dans les prisons ou relégués dans les îles pour la cause de Dieu, ils y sont entretenus par la religion qu’ils ont confessée.
Il se trouve néanmoins des gens qui insultent à cette charité. « Voyez, disent-ils, comme ils s’aiment ,* voyez comme ils sont prêts à mourir les uns pour les autres ».
TERTULLIEN
Apologétique. — Chap. 39.
Traduit par GONTHIER.
Nous pouvons, dans l’histoire de l’Eglise, distinguer six phases au cours des deuxième et troisième siècles.
90-140 Période des Pères apostoliques. Persécutions sous Trajan. 140-180 Période des premiers apologistes, en particulier Justin, et des grands gnostiques. Persécutions sous Marc-Aurèle.
180-220 Période de réaction contre le gnosticisme. Réaction Hérétique : montanisme, Tertullien. Réaction orthodoxe : Irénée. Ecole catéchétique. Clément d’Alexandrie. Persécutions sous Septime Sévère.
220-270 Période de renforcement de l’autorité cléricale. Hippolyte, Origène, Cyprien, Denys d’Alexandrie. Controverse anti-trinitaire. Persécutions sous Décius.
270-300 Période de paix et de relâchement. 300-313 Persécution sous Dioclétien.
Cette époque se présente comme une époque de lutte. L’Eglise est attaquée au dehors par la persécution et par la polémique. Par ses martyrs et ses apologistes, elle remporte une victoire complète. Au dedans, elle est attaquée par les hérésies. Elle en triomphe ; la vérité chrétienne sort intacte des diverses controverses. L’Eglise a moins bien su discerner les dangers du cléricalisme et du formalisme. Il y a eu des protestations contre ces tendances ; mais ces protestations sont restées vaines. On ne peut cependant rendre les chrétiens des IIe et IIIe siècles responsables de tous les excès ultérieurs du cléricalisme, excès qu’eux-mêmes auraient été les premiers à déplorer. Surtout il ne faut pas oublier qu’il y a peu de périodes où Satan se soit autant acharné contre l’Eglise de Dieu. Et nous avons une grande dette de reconnaissance envers tous ceux, martyrs, apologistes, docteurs, évêques, qui nous ont, à travers cette époque tourmentée, transmis l’héritage apostolique. Le Seigneur a merveilleusement manifesté sa présence au milieu des siens, en sorte que l’histoire de cette période peut et doit être un puissant stimulant pour notre fidélité et notre foi.