2e PERIODE

L’Eglise dominatrice

313-1517

Jusqu’en 313, l’Eglise a quelquefois été tolérée tacitement ; mais elle était toujours menacée de persécutions, et souvent persécutée. L’hostilité entre elle et le monde était visible. Dès 313, les persécu-tions cessent. L’Eglise sera favorisée par l’Etat, puis unie à ce dernier.

Jusqu’en 313, l’Eglise Se composait d’adhérents librement convain-eus. Dès 313, l’Eglise étant unie à l’Etat, on aura tout avantage à entrer dans l’Eglise. Bientôt il sera dangereux de ne pas en faire partie. Aussi l’Eglise devient-elle une Eglise de multitude. Il n’y a pratiquement plus de différence entre l’Eglise visible et le monde christianisé.

En même temps, les erreurs et les pratiques dangereuses de l’épo-que précédente s’accentuent. Il y a toujours eu une différence entre l’Eglise visible et l’Eglise invisible ; mais cette différence devient de plus en plus grande de 313 à 1517, en sorte qu’à la fin, pour être fidèle aux principes de l’Eglise invisible, il faudra sortir de l’Eglise visible officielle.

 

PREMIÈRE PARTIE

L'EGLISE IMPERIALE

IVe et début Ve siècles.

INTRODUCTION.

Cette époque est une époque de transition. Le grand bouleversement religieux se produit au début ; c’est à partir de 313 que l’union de l’Eglise et de l’Etat se consomme. Le grand bouleversement politique se produit à la fin ; l’Empire romain subsiste jusqu’au milieu du Ve siècle, bien que divisé en empire d’Orient et empire d’Occident.

Les controverses doctrinales avant 313 s’étaient réglées surtout par écrit. Celles, très nombreuses, des IVe et Ve siècles seront résolues par des conciles, faciles à réunir à cause de la protection de l’Etat et de l’unité politique relative.

 

Chapitre premier

L’ÉGLISE ET LES EMPEREURS ROMAINS

1. Constantin-le-Grand (305-337). Fils d’un collègue de Dioclétien, il fut d’abord César des Gaules, et tâcha d’y limiter les méfaits 312 de la persécution contre les chrétiens. A la veille de la bataille au Pont Milvius contre un usurpateur, il eut une vision de la croix accompagnée d’un ordre : « Remporte la victoire par ce signe ». Dès lors il prit le labarum comme emblème. Devenu maître de tout l’Occident, il promulgua avec l’empereur d’Orient Licinius en 313 peut-être d’abord à Milan, ensuite à Nicomédie, un édit de tolérance pour les chrétiens. Tout en gardant son titre païen de souverain pontife, il 324 favorisa le christianisme, surtout lorsqu’après sa victoire sur Licinius il devint seul empereur. Il rendit obligatoire le chômage du dimanche, donna le droit de propriété aux Eglises, reconnut l’autorité des tribunaux ecclésiastiques et restreignit certains usages païens. Cependant 337 il ne se fit baptiser que peu avant sa mort par Eusèbe de Nicomédie. 341 Ses fils, qui avaient été élevés dans la roi chrétienne, interdirent 346 de sacrifier aux idoles, puis ordonnèrent de fermer les temples païens.

Des trois frères, Constantin II régna peu de temps (337-340). Constant le plus capable, domina sur l'Occident (337-350), Constance (337-361) après avoir d’abord régné sur l'Orient, finit par devenir seul empereur.

2. Julien l'Apostat (361-363), neveu de Constantin, renia l’éducation chrétienne qu’il avait reçue, abolit les privilèges dont les chrétiens jouissaient, et tenta de rétablir le paganisme. Il n’y eut pas de persécution officielle, mais bien quelques violences locales. Le règne de Julien fut court et ses efforts vains. Il mourut, dit-on, en s’écriant : « Galiléen, tu as vaincu. »

3. Théodose. Les successeurs de Julien se hâtèrent de rétablir le christianisme. A la fin du IVe siècle, l’empereur Théodose (379-395) interdit le culte païen, assimila les sacrifices et la divination au crime de lèse-majesté, et toléra que les moines fanatiques détruisissent les temples. Le paganisme se réfugia dans les campagnes reculées. (Le mot païen, paganus, veut dire paysan). En même temps, Théodose cherchait à combattre l’hérésie. Son respect pour l’Eglise se manifesta surtout par l’humilité avec laquelle, après l’injuste massacre de Théssalonique, il se soumit à la pénitence que lui imposa l’évêque Ambroise de Milan. La lettre que ce dernier lui écrivit est un modèle de fermeté, de prudence et de douceur.

L’union de l’Eglise avec l’Etat fut un bien pour la société. L’immoralité diminua. Mais l’Eglise se mondanisa, au désespoir des âmes pieuses.

Il est affligeant de constater que si peu de temps après avoir été persécutés, les chrétiens sont devenus à leur tour persécuteurs. C’est ainsi qu’une femme de distinction, Hypatie, professeur de philosophie païenne, fut sauvagement maltraitée et tuée par des moines d’Alexandrie. En Gaule, Martin de Tours (t 397) tâchait au contraire de gagner les païens par la douceur. Originaire de Hongrie, il se rendit en Gaule en qualité de soldat. Sa vocation date d’un acte de charité qu’il accomplit en coupant son manteau pour en donner la moitié à un mendiant d'Amiens. A la suite d’une vision qu'il eut la nuit suivante, il se fit baptiser, renonça au métier des armes, et après avoir fréquenté quelque temps Hilaire de Poitiers, il fut élu évêque de Tours. Il parcourait inlassablement tout le pays pour détruire les temples païens et pour instruire les populations. Il se faisait aussi le défenseur des pauvres et des opprimés.

4. Les Eglises en dehors de l'empire romain. L’Arménie fut évangélisée par Grégoire l’Illuminateur à la fin du troisième siècle. Le souverain lui-même se convertit et voulut imposer le christianisme par la loi. Après une réaction païenne, vers 400 le premier ministre Miesrob se convertit et traduisit la Bible en arménien. L’attachement à l’Ecriture permit à l’Eglise arménienne de subsister jusqu’à nos jours malgré la pression de l’Islam.

En Perse, des Eglises furent fondées dès le IIIe siècle ; elles eurent à subir des persécutions de la part des Mazdéens.

En Ethiopie, dès le IV' siècle, des Eglises se constituent sous l’égide de l’évêque d’Alexandrie.

Les Goths furent évangélisés par l’évêque arien Ulphilas au IVe siècle. Il traduisit la Bible en gothique.

Edit de Nicomédie.

Lorsque moi, Constantin Auguste, et moi Licinius Auguste, nous sommes venus sous d’heureux auspices à Milan et que nous y recherchions tout ce qui importait à l’avantage et au bien publics, parmi les autres choses qui nous paraissaient devoir être utiles à tous à beaucoup d’égards, nous avons décidé, en premier lieu et avant tout, de donner des ordres de manière à assurer le respect et l’honneur de la divinité, c’est-à-dire nous avons décidé d’accorder aux chrétiens et à tous les autres le libre choix de suivre la religion qu’ils voudraient, de telle sorte que ce qu’il peut y avoir de divinité et de pouvoir céleste puisse nous être bienveillant, à nous et à tous ceux qui vivent sous notre autorité.

Et, en outre, voici ce que nous décidons en ce qui regarde les chrétiens. Leurs locaux, où ils avaient coutume de s’assembler auparavant, si des gens paraissent les avoir achetés, soit à notre fisc, soit à quelque autre, qu’ils les restituent auxdits chrétiens sans paiement et sans réclamer aucune compensation, toute négligence et équivoque étant mise de côté. Et si certains ont reçu ces locaux en présent, qu’ils les restituent au plus vite auxdits chrétiens. Ainsi si les acquéreurs de ces dits locaux ou ceux qui les ont reçus en présent réclament quelque chose à notre bienveillance, qu’ils se présentent au tribunal du magistrat local, afin que, par notre générosité, une compensation leur soit accordée. Tous ces biens devront être rendus au corps des chrétiens par tes soins sans aucun retard et intégralement.

Et, afin que les termes de notre présente loi et notre générosité puissent être portés à la connaissance de tous, il est convenable que ce que nous avons écrit soit affiché par ton ordre, soit publié partout et parvienne à la connaissance de tous, de telle sorte que la loi due à notre générosité ne puisse échapper à personne.

EUSEBE DE CESAREE

Histoire Ecclésiastique

Livre 10, chap. 5

traduit par Gustave BARDY.

 

Chapitre 2

LA CONTROVERSE ARIENNE.

1. Origine. Arius était un prêtre d’Alexandrie, qui niait la divinité de Jésus-Christ, en particulier sa préexistence éternelle. Il le considérait comme le premier être créé. Il fut déposé par son évêque, Alexandre, mais trouva des appuis chez d’autres évêques, en particulier Eusèbe de Nicomédie qui était très en faveur à la cour. L’Eglise d’Orient était donc divisée.

2. Concile de Nicée. Pour rétablir la paix, Constantin convoqua un concile à Nicée en 325. Deux cent cinquante à trois cents évêques y prirent part, en grande majorité orientaux. Cependant Osius de Cordoue y joua un rôle important, ainsi qu’un jeune diacre d’Alexandrie, Athanase. Une formule équivoque fut proposée par Eusèbe de Césarée, qui appartenait à la majorité désireuse d’un compromis. Mais la minorité orthodoxe fit savoir qu’ainsi la question ne serait pas réglée. En conséquence le concile adopta le symbole de Nicée qui proclame la divinité et la préexistence éternelle du Fils, engendré et non créé, consubstantiel (homoousios) au Père, et qui prononce l’anathème sur les ariens. Les deux évêques qui refusèrent de signer cette formule et Arius lui-même furent exilés.

Eusèbe de Nicomédie qui avait signé la formule, mais qui retira ensuite sa signature, fut banni, lui aussi, pendant quelque temps.

3. La lutte. Mais les ariens ne se tinrent pas pour battus. Ils s’unirent aux membres du parti du centre qui avaient signé le symbole de Nicée sans grande conviction, et à qui le terme de consubstantiel surtout ne plaisait guère. Ils se rendirent compte que le principal adversaire à combattre était Athanase, devenu peu après le concile 335 évêque d’Alexandrie (328-373). Ils le destituèrent au concile de Tyr sous des prétextes ignobles et le discréditèrent dans l’esprit de Constantin qui le bannit à Trêves. Arius fut rappelé, mais mourut la veille du jour où il devait être solennellement réintégré dans l’Eglise, à Constantinople.

L’avènement des fils de Constantin fut marqué par une amnistie générale, grâce à laquelle Athanase revint à Alexandrie. Mais Constance qui régnait en Orient était très favorable aux ariens. Athanase 341 fut de nouveau destitué, sous prétexte qu’il n’avait pas été réinstallé par l’autorité ecclésiastique, et dut se réfugier à Rome où il jouissait de fortes sympathies.

Un évêque arien, Grégoire de Cappadoce, occupa le siège d’Alexandrie et se livra à de telles violences qu’il finit par être assassiné par la populace. Les évêques orientaux, réunis en concile à Antioche, proposèrent aux occidentaux diverses formules ambiguës que ceux-ci repoussèrent. Pour éviter le schisme, les empereurs convoquèrent en 343 un concile à Sardique, où quatre-vingt-dix occidentaux et quatre-vingts orientaux se présentèrent. Mais la plupart des orientaux quittèrent le concile parce qu’Athanase y siégeait, et les occidentaux réaffirmèrent le symbole de Nicée. Par crainte de son frère Constant, Constance permit qu’Athanase retourne à Alexandrie (346).

Devenu seul empereur, Constance reprit la lutte contre l’orthodoxie. 355 Au concile de Milan, il fit condamner Athanase par les évêques occidentaux. Ceux qui refusèrent, Libère de Rome, Osius de Cordoue, Hilaire de Poitiers furent exilés. Athanase fut chassé d’Alexandrie 356 par la troupe et remplacé par un évêque arien.

Celui-ci nommé Georges, se discrédita par des violences inouïes. Athanase se réfugia auprès des moines de Haute-Egypte, ses amis.

359 Au concile de Sirmium, même Libère de Rome et Osius de Cordoue consentirent à condamner Athanase et à signer une formule qui, sans être hérétique prêtait à confusion, moyennant quoi tous deux purent rentrer de l’exil.

Par voie de compensation, le concile condamnait quelques ariens notoires. Hilaire de Poitiers resta ferme dans son orthodoxie.

D’ailleurs les adversaires de la formule de Nicée étaient loin d’être d’accord entre eux. A côté des ariens qui prétendaient que le Fils était dissemblable (anomoïos) du Père, il y avait les semi-ariens qui le déclaraient semblable (homoïos) ou encore de substance semblable (homoïousios). Ces derniers, après leur victoire à Sirmium, furent rapidement effrayés des progrès réalisés par les ariens.

Aussi beaucoup d’entre eux se rallièrent-ils à l’orthodoxie quand Athanase leur en donna l’occasion. Julien l’Apostat avait permis à (372) tous les proscrits de rentrer chez eux. Au concile d’Alexandrie, Athanase tendit la main à tous ceux qui signeraient le symbole de Nicée, quelle qu’ait été leur attitude auparavant.

Certains orthodoxes intransigeants, comme Lucifer de Cagliari, trouvèrent cette mesure trop clémente, et firent schisme à ce moment. Julien l’Apostat de son côté, effrayé du regroupement des forces chrétiennes, bannit Athanase qui se retira en Haute-Egypte, mais revint après la mort de Julien.

4. Triomphe de l’orthodoxie. Cependant, une nouvelle génération de théologiens se levait, guidée par les Cappadociens, Basile-le-Grand, Grégoire de Naziance et Grégoire de Nysse. Ils acceptaient sans réserve le symbole de Nicée, et tout en maintenant l’unité de la substance divine, soulignaient la distinction des Personnes. Côte à côte avec Athanase, ils combattaient aussi efficacement ceux qui niaient la divinité du Saint-Esprit. L’empereur Valens (364-378) qui était arien, persécuta encore les orthodoxes ; mais ses violences achevèrent de déconsidérer son parti.

Athanase fut frappé pour la cinquième fois de l’exil, mais le désordre devint tel à Alexandrie, que Valens lui permit de revenir. Par des menaces, il obtint plusieurs défections dans les rangs orthodoxes, mais ne vint pas à bout de la fermeté de Basile-le-Grand. On appelait pneumatomaques ceux qui niaient la divinité du Saint-Esprit.

Quand Valens mourut, Théodose devint empereur en Orient (379-395). Dès le début, il favorisa ouvertement l’orthodoxie. Il convoqua en 381 le concile de Constantinople, où seuls ceux qui acceptaient le symbole de Nicée furent admis. Le concile compléta la formule par une clause qui proclamait la divinité du Saint-Esprit.

L’arianisme disparut de l’empire romain. Mais dans l’intervalle, l’évêque Ulphilas l’avait introduit chez les Goths, et pendant plusieurs siècles il devait se maintenir de ce fait parmi les Germains.

Symbole de Nicée-Constantinople.

Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles.

Nous croyons en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré et non créé, consubstantiel au Père et par qui tout a été fait ; qui, pour nous les hommes et pour notre salut, est descendu des cieux et s’est incarné par le Saint-Esprit dans la vierge Marie et a été fait homme. Il a été crucifié pour nous sous Ponce-Pilate, il a souffert et il a été enseveli ; il est ressuscité des morts le troisième jour, d’après les Ecritures ; il est monté aux cieux ; il siège à la droite du Père. De là, il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts et son Règne n’aura pas de fin.

Nous croyons en l’Esprit-Saint, qui règne et donne la vie, qui procède du Père (et du Fils), qui a parlé par les Prophètes, qui avec le Père et avec le Fils est adoré et glorifié ; nous croyons une seule Eglise, universelle et apostolique. Nous confessons un seul baptême pour la rémission des péchés ; nous attendons la résurrection des morts et la vie du siècle à venir. Amen.

Cruautés de l’évêque Georges de Cappadoce à Alexandrie.

Il était nuit ; le peuple était dans l’église pour y attendre la fête du lendemain. Le chef militaire Syrianus apparut tout à coup avec des soldats, au nombre de plus de cinq mille, ayant des épées nues, des arcs, des flèches, des lances. Il fit investir l’église. Ne voulant pas abandonner le peuple dans cette cruelle conjoncture, et jugeant que mon devoir était de m'exposer le premier au péril, j’ordonnai au diacre de lire le psaume : la miséricorde de Dieu demeure éternellement. J’invitai le peuple à y répondre, après quoi je lui demandai de se retirer chacun dans sa maison...

Lorsque la plus grande partie du peuple fut hors de l’église, je sortis sous la conduite du Seigneur, et j’échappai sans être reconnu, glorifiant Dieu de ce que je n’avais pas abandonné mon peuple, et de ce que, l’ayant mis d’abord en sûreté, j’avais pu être sauvé moi-même, et me dérober aux mains qui me poursuivaient... Dans la semaine après la Pentecôte, le peuple s’était assemblé au cimetière pour faire ses dévotions, ne voulant avoir aucune communion avec Georges. Celui-ci l’ayant appris, anima contre eux Sébastien. Il fit allumer un grand feu, auprès duquel il fit placer de saintes vierges ; et il voulut les contraindre à déclarer qu’elles suivaient la foi d’Arius. Les ayant trouvées inébranlables dans leur fidélité aux saines doctrines, et insensibles au feu dont il les menaçait, il les fit dépouiller et battre au visage de telle sorte qu’elles en furent toutes défigurées et longtemps méconnaissables. Il traita avec non moins de barbarie des hommes, au nombre de quarante, qu’il fit déchirer avec des branches de palmier fraîchement cueillies, hérissées de leurs pointes, qui entraient si profondément dans la chair, que plusieurs moururent, soit par le supplice même, soit par les suites de l’opération qu’il leur fallut subir.

ATHANASE

Apologie de sa fuite.

Traduction de GONTHIER.

 

Chapitre 3

LES COURANTS THÉOLOGIQUES EN ORIENT

1. LES THÉOLOGIENS ALEXANDRINS

1. Tendances générales. Ces théologiens sont les héritiers de la mystique d’Origène. Ils interprètent l’Écriture dans un sens allégorique. Ils insistent sur l’union étroite de la nature divine et de la nature humaine en Jésus-Christ, et sur le fait que par la rédemption nous devenons nous-mêmes participants de la nature divine. Pour eux la mort du Christ est un sacrifice offert à Dieu.

2. Athanase (mort en 373). Nous avons relaté les faits principaux de sa vie en parlant de la controverse arienne. Il n’était guère porté vers la spéculation, mais il avait une clarté de pensée incomparable pour grouper toutes les doctrines chrétiennes autour du thème central de la révélation de Dieu en Christ. Il était très attaché à l’Ecriture et contribua beaucoup à faire accepter dans toute l’Eglise le canon complet du Nouveau Testament. La plupart de ses œuvres traitent de l’incarnation et de la Trinité, avec une pointe de polémique contre les ariens.

Nous pouvons citer :

le Discours sur l'incarnation du Verbe ; le Discours contre les ariens ; le Traité des Synodes (pour combattre des formules ambiguës destinées à supplanter celle de Nicée) ; diverses Apologies et Lettres, en particulier celles adressées au clergé de son diocèse ; la 39eme Lettre festale contient le canon du Nouveau Testament.

3. Cyrille d’Alexandrie. Evêque de cette ville (412-444), il a consacré sa vie à la lutte contre ceux qui séparaient la nature humaine du Christ de sa. nature divine. Il a déployé dans ce combat plus de violence et de diplomatie qu’on n’aurait souhaité, mais la cause qu’il défendait était vitale pour la doctrine chrétienne de la rédemption.

Parmi les ouvrages de Cyrille, citons un Traité de la foi orthodoxe, des Commentaires, des Homélies et des Lettres.

2. LES CAPPADOCIENS

Leurs tendances sont sensiblement les mêmes que celles des Alexandrins. Ils ont joué un rôle important pour le triomphe de l’orthodoxie.

1. Basile-le-Grand. Il s’est illustré dans tant de domaines qu’il est embarrassant de savoir dans quel chapitre placer le récit de sa vie. Né dans une famille chrétienne, il a fait de brillantes études aux écoles païennes d’Athènes. Sous l’action de sa sœur, il s’est converti, et après quelques années passées dans la solitude et les études, il a été nommé évêque de Césarée en Cappadoce (370-379).

Il a été, par son courage invincible en face des menaces du pouvoir civil et par ses écrits, un champion de l’orthodoxie contre l’arianisme. Son traité Sur la divinité du Saint-Esprit a influencé les décisions du concile de Constantinople. Il était plein de charité pour les pauvres auxquels il donna tous ses biens. Il flagellait dans ses Sermons la cupidité des riches. Il fonda un des premiers hôpitaux chrétiens, la Basiliade, où les malades et les étrangers étaient hospitalisés gratuitement. Dans sa vie personnelle, il pratiquait un ascétisme rigoureux. Sa correspondance est importante.

2. Grégoire de Naziance. Il a fait ses études à Athènes, où il se lia d’amitié avec Basile. Après avoir assisté son père, qui était évêque de Naziance, il fut pendant quelque temps évêque de Constantinople, et comme tel présida le concile de cette ville, puis lassé des intrigues du concile, il se retira dans sa ville natale. Il a laissé des Discours, des Lettres et des Poésies.

Dans cette période d’âpres discussions, il a su faire preuve de douceur et de modération en même temps que de fermeté doctrinale. La postérité l’a surnommé, à cause de ses travaux, le Théologien, surnom qu’il partage avec l’apôtre Jean seulement.

3. Grégoire de Nysse. C’était le frère de Basile-le-Grand ; il subit son influence. Cependant, il conservait aussi plusieurs idées particulières d’Origène, spécialement la théorie de la rédemption comme une rançon offerte au diable, et l'universalisme. Son Discours catéchétique est l’un des rares exposés systématiques de la doctrine chrétienne dans son ensemble, parus à cette époque.

3. LES ANTIOCHIENS

1. Tendances générales. Les théologiens de l’école d’Antioche sont surtout les héritiers du rationalisme d’Origène. Ils interprètent l’Ecriture dans son sens littéral. Ils insistent avant tout sur la parfaite humanité du Christ, en la distinguant soigneusement de sa divinité. Aussi dans leur doctrine de la rédemption, s’attachent-ils surtout à l’exemple de Jésus, que nous devons suivre pour être sauvés.

2. Théodore de Mopsueste (mort en 428). C’est le théologien le plus vigoureux de l’école. Il rejetait certains livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. C’était un commentateur remarquable. Il soulignait qu’en Christ il y avait deux natures, et que seule sa nature humaine avait souffert pour le salut des hommes. La plupart des ouvrages de Théodore sont perdus.

3. Jean Chrysostome (mort en 407). C’est le plus grand nom de l’école d’Antioche. Cependant c’est surtout comme orateur qu’il est remarquable. Au point de vue théologique, nous pouvons souligner son attachement à l’Ecriture, la solidité de son exégèse, sa fermeté sur la doctrine de la Trinité, ainsi que son insistance sur la nécessité de la grâce, malgré certaines déclarations regrettables sur le salut par les œuvres.

4. Théodoret de Cyr (mort en 457). Il s’est surtout distingué par l’énergie avec laquelle il a maintenu qu’en Christ les deux natures, tout en étant inséparables, subsistent sans se confondre. Son collègue Ibas d’Edesse défendait le même point de vue.

5. Autres théologiens. Cyrille de Jérusalem (mort en 386) a composé des Catéchèses. Il était attaché à la doctrine de la divinité du Christ, mais refusait le mot consubstantiel comme non biblique.

Son contemporain Ephrem qui écrivait en syriaque a reçu de ses compatriotes le titre de « docteur du monde ». Très fidèle dans sa foi, il ne s’est pas mêlé aux controverses de son temps. II a refusé de devenir évêque. Ses sermons et ses poésies montrent l'importance qu’il attachait au jugement et à la miséricorde de Dieu, ainsi qu’à la repentance et à l’humilité chez les hommes.

Epiphane (mort en 403) évêque de Salamine en Chypre a composé un ouvrage appelé Panarion où il combat avec une grande violence quatre-vingts hérésies, dont vingt antérieures à l’ère chrétienne. Il a surtout poursuivi avec acharnement la mémoire d’Origène.

4. CONTROVERSES CHRISTOLOGIQUES

1. La controverse apollinariste. Apollinaire était au début un ami d’Athanase. Pour mieux, affirmer la divinité de Jésus-Christ, il diminua son humanité. Jésus, selon lui, aurait eu un corps et une âme, mais le Logos aurait pris en lui la place que l’esprit humain occupe chez les autres hommes. Cette hérésie, combattue déjà par Athanase, fut condamnée au concile de Constantinople en 381.

2. La controverse nestorienne. Nestorius, évêque de Constantinople (428-431), admettait que Jésus fût vrai Dieu et vrai homme, mais il considérait que les deux natures en Jésus étaient juxtaposées sans une véritable union, au point de former deux personnalités. Violemment attaqué par l’évêque Cyrille d’Alexandrie, il fut condamné et exilé lors du Concile d’Ephèse en 431.

La querelle entre les deux évêques avait éclaté à propos des hésitations de Nestorius pour reconnaître à Marie le titre de mère de Dieu, employé déjà par Athanase, et destiné à souligner la divinité de Jésus-Christ jusque dans son incarnation. Nestorius et Cyrille s’adressèrent tous deux à l’évêque de Rome Célestin Ier. Celui-ci, qui donnait à Marie le titre de mère de Dieu, et qui, de plus avait été indisposé par l’attitude conciliante de Nestorius pour les Pélagiens, donna raison à Cyrille. Le Concile d’Ephèse fut convoqué par l’empereur Théodose II. Cyrille, appuyé par les délégués de Rome, fit condamner Nestorius avant que les évêques syriens aient eu le temps d'arriver à Ephèse. Furieux, ceux-ci, dès leur arrivée, s’assemblèrent à part et destituèrent Cyrille. Théodose exila les deux protagonistes dos à dos. Mais Cyrille ne tarda pas à signer une formule de compromis avec les théologiens d'Antioche, et put ainsi retourner à Alexandrie. Nestorius, abandonné de ses amis et poursuivi par ses ennemis, alla de lieu en lieu et, mourut misérablement.

Ses partisans, chassés de l’Empire, se réfugièrent en Perse et entreprirent de grands voyages missionnaires en Asie, jusqu’aux Indes et en Chine. Ces communautés se maintinrent pendant le Moyen-Age.

3. La controverse eutychienne. Eutychès, moine de Constantinople, par réaction contre le nestorianisme, affirma que les deux natures de Christ étaient confondues. La nature humaine étant absorbée par la nature divine. Il fut soutenu par l’évêque Dioscure d’Alexandrie, qui, à l’aide de moines et de soldats, obtint la condamnation des adversaires d’Eutychès, en particulier Théodoret de Cyr, au second concile d’Ephèse, appelé concile des brigands. Mais le pape Léon Ier (440-461) prit fait et cause contre lui, et au concile de Chalcédoine en 451 l’eutychianisme fut condamné ; le concile des brigands fut flétri, les Antiochiens réhabilités et Dioscure destitué. Le concile confessa les deux natures de Jésus-Christ, « sans confusion, sans transformation, sans division, sans séparation ».

Bien des détails dans ces controverses sont loin d’être édifiants. Nous devons cependant ne pas oublier que l’âpreté des docteurs provenait en bonne partie de la profondeur de leur conviction, qui elle-même était due à leur désir de connaître la Personne du Christ, et de ne pas voir Sa gloire diminuée. Remarquons aussi l’équilibre de l’Eglise dans son ensemble. Elle a su se préserver des écueils qui la menaçaient de part et d’autre, et se maintenir dans la vérité scripturaire.

Un sermon de Basile le Grand.

Quel tort fais-je — direz-vous — de garder ce qui est à moi ? Comment à vous ? Où l’avez-vous pris ? D’où l’avez-vous apporté dans ce monde ? C'est comme si quelqu’un s’étant emparé d’une place dans les spectacles publics, voulait empêcher les autres d’entrer, et jouir seul, comme lui étant propre, d’un plaisir qui doit être commun. Tels sont les riches. Des biens qui sont communs, ils les regardent comme leur étant propres, parce qu’ils s’en sont emparés les premiers. Que si chacun, après avoir pris sur ses richesses de quoi satisfaire ses besoins personnels, abandonnait son superflu à celui qui manque du nécessaire, il n’y aurait ni riche ni pauvre. Vous qui engloutissez tout dans le gouffre d’une insatiable avarice, vous croyez ne faire tort à personne, lorsque vous privez du nécessaire tant de misérables. Quel est l'homme injustement avide ? N’est-ce point celui qui n’est pas satisfait lorsqu’il a suffisamment ? Quel est le voleur public ? N’est-ce pas celui qui prend pour lui seul ce qui est à chacun ? N'es-tu pas un homme injustement avide, un voleur public, toi qui t’appropries seul ce que tu as reçu pour le dispenser aux autres ? On appelle brigand celui qui dépouille les voyageurs habillés, mais celui qui ne revêt pas l’indigent nu, mérite-t-il un autre nom ? Le pain que vous enfermez est à celui qui a faim ; l’habit que vous tenez dans vos coffres est à celui qui est nu ; la chaussure qui se gâte chez vous, est à celui qui n’en a pas ; l’or que vous enfermez est à celui qui est dans le besoin. Aussi vous faites tort à tous ceux dont vous pourriez soulager l’indigence. Voilà de beaux discours, dites-vous, mais l’or est plus beau... Que ne puis-je donc vous mettre sous les yeux toute la misère du pauvre, afin que vous sentiez de quels gémissements et de quelles larmes vous composez votre trésor !

Je vous ai parlé pour vos vrais intérêts : si vous suivez mes conseils, vous êtes assurés des biens qui vous sont destinés et promis ; si vous refusez de m'écouter, vous savez quelles sont les menaces de l’Ecriture : je souhaite que vous ne les connaissiez point par expérience, mais que vous preniez de meilleurs sentiments, afin que vos richesses deviennent pour vous la rançon de vos péchés, et que vous puissiez parvenir aux biens célestes qui vous sont préparés par la grâce de Celui qui nous a appelés tous à son royaume, à qui appartiennent la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Amen.

BASILE

Discours contre tes Mauvais riches.

Traduit par KERMANN

Définition de la foi par le Concile de Chalcédoine.

Suivant donc les saints Pères, tous à l’unanimité, nous enseignons de confesser notre Seigneur Jésus-Christ un seul et le même Fils, le même parfait en divinité et le même parfait en humanité, vraiment Dieu et le même vraiment homme (composé) d'une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité et le même consubstantiel à nous selon l’humanité, en tout semblable à nous à l’exception du péché ; avant les éons, d’une part, engendré du Père selon la divinité, dans les derniers jours, d’autre part, le même (engendré), à cause de nous et de notre salut, de Marie la vierge, la Mère de Dieu selon l'humanité ; un seul et le même Christ, Fils, Seigneur, Unique, connu en deux natures sans (qu’il y ait) confusion, transformation, division, séparation (entre elles), la différence des natures n’étant nullement supprimée à cause de l’union, mais la propriété de chaque nature étant plutôt sauvegardée et concourant dans une seule personne et une seule hypostase ; (aussi nous confessons un Fils) non pas divisé ou séparé en deux personnes, mais un seul et le même Fils unique, Dieu Verbe, Seigneur Jésus-Christ, selon ce que, dès le commencement, les prophètes (ont dit) à son sujet, selon ce que Jésus-Christ lui-même nous a enseigné et selon ce que le Symbole des Pères nous a transmis.

D’après HÉFÉLÉ-LECLERCQ

Histoire des Conciles II/2.

 

Chapitre 4

LA THÉOLOGIE EN OCCIDENT

1. LES GRANDES CONTROVERSES

1. La controverse manichéenne. Le fondateur du manichéisme, le Perse Mani (mort 275), désirait concilier le zoroastrisme et le christianisme. Il fut mis à mort dans son pays à cause de ses idées, mais celles-ci se répandirent dans l’Empire romain, surtout en Afrique et en Italie. Les manichéens admettent deux principes éternels, la lumière et les ténèbres. L’œuvre rédemptrice du Christ est noyée dans des élucubrations incompréhensibles. Dans leurs cercles, ils distinguaient entre les élus, qui étaient ascètes et célibataires, et les auditeurs, qui devaient une obéissance exacte aux élus. Les églises manichéennes avaient un chef, des évêques et des diacres. Le manichéisme eut une grande vogue au 4e siècle. Augustin entra en contact avec eux. Après sa conversion 392, il les combattit par la plume et dans deux discussions publiques. Malgré les persécutions violentes aux 4e et 5e siècles, les manichéens ne disparurent pas entièrement.

Les principaux ouvrages d’Augustin contre le manichéisme sont : Des mœurs de l’Eglise catholique et des mœurs des manichéens ; De la Genèse ; Contre Faustus et Les comptes-rendus des disputes publiques avec Fortunatus et avec Felix.

Par réaction contre le fatalisme manichéen, Augustin a insisté dans ces ouvrages sur la liberté et la responsabilité de l’homme. Plus tard il fut amené à modifier son point de vue sur cette question.

2. La controverse priscillianiste. L’Espagnol Priscillien avait fondé des cercles d’étude biblique en marge de l’Eglise officielle. Tout en admettant les écrits canoniques comme seuls inspirés, il attribuait aux apocryphes du Nouveau Testament une certaine valeur. Ses adeptes se distinguaient par un ascétisme rigoureux. Il fut accusé, à tort, de manichéisme. Harcelé par des adversaires sans scrupules, il finit par être mis à mort à Trêves 385 par l’usurpateur Maxime qui espérait ainsi gagner les orthodoxes à sa cause. Cette mesure provoqua la réprobation de tous les évêques fidèles, Ambroise, Martin de Tours, et la colère des priscillianistes, qui se maintinrent en Espagne jusqu’aux invasions arabes.

3. La controverse donatiste. Les donatistes aspiraient à former une église pure. A leurs yeux, tout acte ecclésiastique accompli par un ministre indigne était invalidé. Aussi refusèrent-ils de reconnaître l’autorité de l’évêque de Carthage, Cécilien, qui avait été consacré par l’évêque Felix d’Aptonge, soupçonné d’avoir livré les Ecritures pendant la persécution de Dioclétien, et ils nommèrent un antiévêque, Donat. Le schisme s’étendit à toute l’Afrique du Nord, dès le début du 4e siècle, et gagna la majorité de la population.

Donat n’avait pas été l’initiateur du mouvement. C’est un évêque de Numidie qui avait contesté l’élection de Cécilien, et qui dans un concile convoqué à Carthage, l’avait fait destituer. Le concile avait élu comme anti-évêque Majorin. Les évêques africains firent appel aux évêques des Gaules comme arbitres, et chargèrent Donat de défendre leur cause. Cécilien obtint gain de cause aux synodes de Rome (313) et d’Arles (314), puis auprès de Constantin lui-même. Donat cependant devenu non seulement le défenseur, mais le chef du mouvement, fut élevé par ses partisans au siège épiscopal (schismatique) de Carthage en 316.

Constantin commença par les persécuter. Puis quand ils répondirent à la violence par la violence, il leur accorda un édit de tolérance.

Augustin reprit la lutte contre eux. Après avoir cherché vainement à les convaincre par ses écrits, il convoqua une conférence publique à Carthage, à laquelle six cents évêques, tant catholiques que donatistes, prirent part. En se basant sur les paraboles de l’ivraie et du filet, il affirma que l'Eglise contiendrait jusqu’à la fin des membres indignes, mais que cela n’enlevait rien à la sainteté de l’Eglise dans son ensemble qui, par les sacrements, possède les seuls moyens de sanctification : Il distinguait l’Eglise visible, institution groupée autour de la hiérarchie, et l’Eglise invisible, ensemble des prédestinés. D’autre part, il déclara que nul ne peut être sauvé s’il ne fait partie du corps de Christ ; donc tout schismatique est perdu, car il pèche contre l’unité de l’amour, comme les hérétiques pèchent contre l’unité de la foi. Enfin il souligna le caractère universel et apostolique de l’Eglise catholique, face aux donatistes qui se limitaient à l’Afrique du Nord et qui n’existaient que depuis peu. Les commissaires impériaux qui présidaient à la dispute donnèrent raison à Augustin, et les persécutions recommencèrent. Augustin qui d’abord s’y était opposé, finit par les approuver, en se basant sur le texte : « Contrains-les d’entrer » (Luc 14. 23). Les donatistes disparurent complètement.

Voici les principaux ouvrages d'Augustin contre eux :

Psaume contre les donatistes ; Du baptême ; De l'unité de l’Eglise ; Aux donatistes après la conférence.

4. La controverse pélagienne. Pélage, originaire de Bretagne, niait le péché originel. A ses yeux, l’homme est bon par nature comme Adam ; il ne devient pécheur que par imitation. Par conséquent, il est capable de faire le bien par lui-même et n’a pas besoin d’être régénéré. La grâce n’est qu’un secours, qui n’est pas indispensable pour le salut. Tout dépend donc du libre-arbitre de l’homme. Pélage diminuait aussi la valeur des sacrements, du baptême en particulier, qui n’est qu’un acte de consécration, sans efficacité pour le salut.

Augustin sentit bien le danger de cette hérésie. Il formula avec rigueur le dogme du péché originel. En Adam, toute la race a péché. Par conséquent, dès sa naissance, l’homme est tout à la fois coupable et corrompu, incapable de faire le bien. Seule la grâce de Dieu, imméritée, peut le sauver. Cette grâce, qui est irrésistible, Dieu l’accorde à quelques-uns, les élus, par pure miséricorde. Les autres constituent une masse de perdition, que rien, pas même l’Eglise et ses sacrements, ne peut sauver. Les élus ne sont cependant pas sauvés sans les sacrements, car Dieu fait qu’ils entrent en contact avec l’Eglise, qu’ils soient baptisés et soient libérés par-là même du péché originel, que leur volonté accepte la grâce et qu’ils produisent ensuite de bonnes œuvres méritoires. Dieu leur accorde ensuite la persévérance finale.

Voici les titres de quelques-uns des ouvrages qu’Augustin a composés au cours de cette controverse :

De l’esprit et de la lettre ; De la nature et de la grâce ; De la grâce du Christ et du péché originel ; De la grâce et du libre-arbitre ; De la grâce irrésistible ; De la prédestination des saints ; Du don de la persévérance.

Les péripéties de la controverse ont moins d’importance que les principes engagés. Pélage s’était rendu à Rome et cherchait à réveiller le zèle pour les bonnes œuvres. Il gagna un certain Célestius qui répandit à Carthage les idées pélagiennes, avec fougue. Il fut excommunié, en 411, surtout pour avoir nié que le baptême des enfants efface le péché originel. Pélage qui était parti pour Jérusalem, fut jugé dans un synode de Palestine. Beaucoup plus prudent que Célestius, il fut absous en 415. Aussitôt Augustin fit condamner Célestius et Pélage aux conciles de Carthage et Milève en 416 et fit ratifier la décision par Innocent Ier. Pélage s'adressa lui aussi à Rome, où Zozime avait succédé à Innocent. Zozime le déclara orthodoxe et blâma les Africains de leur jugement précipité. Mais ceux-ci renouvelèrent leur verdict au concile de Carthage en 418, et Zozime s’inclina. L’évêque Julien d’Eclane reprit la lutte contre Augustin par la plume. Puis il chercha l’appui de Nestorius à Constantinople. Cette démarche acheva de perdre les Nestoriens en Occident et les Pélagiens en Orient, et le concile d’Ephèse en 431 condamna définitivement les uns et les autres.

5. La controverse semi-pélagienne. La condamnation de Pélage, à Carthage et à Ephèse, n’empêcha pas de nouveaux problèmes de surgir. Les moines gaulois, en particulier Vincent de Lérins, ne s’accommodaient pas de la prédestination absolue ni de la négation du libre-arbitre. Pour eux la volonté de l’homme n’est pas totalement dévoyée, mais malade. La grâce lui vient en aide, mais l’élection repose sur la préconnaissance des mérites.

Parmi les adversaires de la doctrine augustinienne, on peut mentionner le moine Cassien, l’évêque Faustus de Riez, parmi ses défenseurs Prosper d'Aquitaine.

Césaire d’Arles réussit à faire condamner le semi-pélagianisme au concile d’Orange 529. Celui-ci déclara que c’est la grâce qui nous incite à croire, à vouloir, à demander et non le contraire, et que tout bien que nous faisons, c’est Dieu qui le fait en nous. Il se taisait cependant sur la prédestination.

Nous pouvons regretter qu’Augustin soit lui-même tombé dans l’erreur sur certains points, à cause de sa conception de l’Eglise et des sacrements. Toutefois, en maintenant que le salut est un don de la grâce, et non le résultat des efforts humains, il a remis en valeur le principe fondamental de l’Evangile qui avant lui avait été souvent obscurci. Son influence a quelque peu freiné le glissement du catholicisme romain vers la conception du salut par les œuvres, et même elle a préparé la Réforme.

2. PRINCIPAUX THÉOLOGIENS OCCIDENTAUX

1. Hilaire de Poitiers (mort 368). D’origine païenne, heureux père de famille, il se convertit en lisant la Bible, et sitôt baptisé fut nommé par acclamation évêque de Poitiers. Il fut en Occident le défenseur le plus énergique de l’orthodoxie au cours de la controverse arienne, si bien qu’on le surnomma l’Athanase de l’Occident ; il fut exilé par Constance pendant quatre ans en Asie Mineure. Il y composa son grand ouvrage De la Trinité ainsi qu’une diatribe où il compare Constance à Néron et le présente comme le précurseur de l’anti-christ.

Hilaire avait des idées curieuses sur l'incarnation. Il pensait que Jésus ne tenait pas son corps de la Vierge Marie et qu’il était insensible à la douleur.

2. Ambroise de Milan (mort 397) s’est distingué comme évêque plus que comme théologien. Il était gouverneur de Milan. L’évêché de cette ville étant vacant, et des contestations s’étant élevées entre ariens et non-ariens, le peuple décida de nommer Ambroise 374. Celui-ci accepta, fut baptisé en hâte et s’acquitta de ses fonctions avec beaucoup d’énergie et de dévouement. La puissance de sa prédication provoqua l’intérêt d’Augustin et fut pour beaucoup dans la conversion de ce dernier. Il savait traiter d’égal à égal avec les empereurs, et se servit de ses bons rapports avec le pouvoir civil pour favoriser la cause du christianisme orthodoxe. Il a porté son attention sur la doctrine de la Trinité, sur la valeur de la mort du Christ, considérée comme une satisfaction surabondante, et surtout sur les sacrements dans son ouvrage Des mystères. Il pense que les paroles sacramentelles opèrent une transformation du pain et du vin.

3. Jérôme (mort 419) était un érudit plus qu’un théologien. Cependant, il a été mêlé à plusieurs controverses. Après avoir eu d’abord une immense admiration pour Origène, il prit ensuite le parti des anti-origénistes et se brouilla de ce fait avec son ami Rufin. Il a défendu avec âpreté la virginité perpétuelle de Marie (contre Helvidius et Jovinien) et le culte des reliques (contre Vigilance). Il ne croyait pas à l’inspiration des apocryphes de l’Ancien Testament et aurait voulu les supprimer de la Bible latine.

4. Augustin. Si dans l’ensemble, les théologiens d’Orient ont été plus remarquables que ceux d’Occident, Augustin fait exception. Né à Tagaste 356 en Afrique du Nord, il avait un père païen, mais sa mère, Monique, était chrétienne. Cependant il ne fut pas baptisé comme enfant. Assez jeune, il se rendit à Carthage où il fut étudiant, puis professeur de rhétorique. Il participa quelque peu à la vie dissolue de la grande ville. D’une liaison hors mariage il eut un fils qu’il éleva d’ailleurs avec tendresse. Il était tiraillé entre les passions charnelles et des aspirations vers le bien. Il fréquenta pendant quelques années les milieux manichéens, mais finit par percer à jour tout ce que leur enseignement avait de creux; Fixé à Rome, il n’eut pas le même succès qu’à Carthage et, assez découragé, il se rendit à Milan, où la réputation d’éloquence d’Ambroise l’attirait. Ses luttes intérieures devinrent toujours plus vives. 386 Il fut brusquement saisi par la grâce de Dieu, en entendant les paroles : « Prends et lis » et en ouvrant l’épître aux Romains (13.14). «Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ et n’ayez pas soin de la chair. » Il s’était déjà séparé de sa maîtresse. Il se fit baptiser avec son fils et décida de vivre désormais dans le célibat.

396 Rentré en Afrique, il ne tarda pas à être nommé évêque d’Hippone (aujourd’hui Bône). Malgré ses occupations, il était toujours d’un abord facile. Nous avons parlé de ses succès dans les controverses manichéenne, donatiste et pélagienne. 430 Il mourut pendant le siège d’Hippone par les Vandales.

Outre ses sermons et sa correspondance, il a composé plus de cent ouvrages. Nous avons énuméré plus haut ses traités de polémique. 410 Nous devons mentionner ici la Cité de Dieu, écrite après le sac de Rome, et où il souhaite que la société civile soit soumise à l’Eglise, son ouvrage De la Trinité, où il proclame l’égalité totale des trois Personnes ; et surtout son autobiographie, les Confessions. Son style est parfois un peu recherché, mais toujours vif et saisissant.

Chez Augustin, la ferveur mystique s’allie à la vigueur de la pensée. Dieu est le bien suprême : « Tu nous as fait pour toi, et notre cœur est agité, jusqu’à ce qu’il se repose en toi ». Très attaché à l’Ecriture qu’il considère comme sans erreur, il a contribué, lors des conciles d’Hippone (393) et de Carthage (397 et 419) à faire admettre dans l’Église le canon du Nouveau Testament. Ses idées sur la présence spirituelle du Christ dans la sainte cène font prévoir celles de Calvin. Après avoir été millénariste, il en est venu à croire que le règne de mille ans devait se comprendre sous la forme des bénédictions spirituelles dont nous jouissons depuis la venue du Christ. Nous trouvons chez lui une première ébauche de la doctrine du purgatoire.

Il faudrait encore mentionner ses ouvrages philosophiques :

De l'immortalité de l’âme ; les Soliloques ; Contre les Académiciens

(lui-même penchait plutôt vers la philosophie platonicienne).

Des œuvres doctrinales :

De la vraie religion ; l’Enchiridion ; Du symbole, destiné aux catéchumènes.

Des traités de morale :

De la continence ; Du lien du mariage ; De l’œuvre des moines ; Ses Commentaires, sur divers livres de l’Ecriture ; enfin ses Rétractations, écrites au soir de sa vie, et dans lesquelles il corrige ou met au point ce qui, dans ses ouvrages antérieurs, pouvait prêter à confusion.

Il est difficile de surestimer l’influence exercée par la pensée d’Augustin. Il résume l’antiquité et domine le Moyen-Age. Il est le père du catholicisme par sa doctrine de l’Eglise et le père du protestantisme par sa doctrine de la grâce.

5. Vincent de Lerins était, comme la plupart des moines occidentaux, partisan du mérite des œuvres. Indirectement, il a contesté la doctrine d’Augustin, en soutenant que l’opinion d’un seul docteur n’était pas concluante, mais que la vérité est ce qui a été cru partout, toujours et par tous. Cette formule a fait fortune.

6. Léon-le-Grand s’est surtout distingué comme pape (440-461), mais il a influencé théologiquement le concile de Chalcédoine par ses affirmations équilibrées sur les deux natures de Jésus-Christ. A ce titre il mérite une mention ici.

La conversion d’Augustin.

Quand de l'abîme mystérieux de mon âme, un profond examen de conscience eut amené et rassemblé toute ma misère sous le regard de mon cœur, il s'y éleva une grande tempête, porteuse d'une abondante pluie de larmes ; afin de les laisser couler, je me levai et m’écartai d’Alypius. La solitude me paraissait plus commode pour pleurer, et je m’éloignai assez pour n'être plus gêné par sa présence.

Tel était mon état, il s’en rendit compte, car j’avais proféré je ne sais quelle parole d'une voix déjà grosse de pleurs. Je m'étais donc levé. Il resta là où nous étions assis, prodigieusement stupéfait. Quant à moi, je fus m’étendre, je ne sais comment, sous un figuier ; je ne retins plus mes larmes et les fleuves de mes yeux débordèrent, sacrifice agréable à ton cœur. Et je te dis mille choses, non pas en ces termes, mais en ce sens : « Et toi, Seigneur, jusques à quand ? jusques à quand, Seigneur, seras-tu en colère ? Oublie mes iniquités passées. » Car je sentais qu’elles me tenaient encore. Je poussais des cris pitoyables : « Combien de temps, combien de temps, dirai-je demain et encore demain ? Pourquoi pas à l'instant ? pourquoi ne pas en finir, sur l’heure, avec ma honte ? »

Je parlais ainsi et je pleurais dans la très amère contrition de mon cœur. Et voici que j’entends, qui s’élève de la maison voisine, une voix, voix de jeune garçon ou de jeune fille, je ne sais. Elle dit en chantant et répète à plusieurs reprises : « Prends et lis ! Prends et lis ! » Et aussitôt changeant de visage, je me mis à chercher attentivement dans mes souvenirs si ce n’était pas là quelque chanson qui accompagnât les jeux enfantins, et je ne me souvenais pas d'avoir entendu rien de pareil. Je refoulai l’élan de mes larmes et me levai. Une seule interprétation s'offrait à moi : la volonté divine m’ordonnait d’ouvrir le livre et de lire le premier chapitre que je rencontrerais.

Je revins donc en hâte à l'endroit où était assis Alypius : car j’y avais laissé, en me levant, le livre de l’Apôtre. Je le pris, l’ouvris et lus en silence le premier chapitre où tombèrent mes yeux : « Marchons honnêtement, comme en plein jour, loin des excès et de l’ivrognerie, de la luxure et de l’impudicité, des querelles et des jalousies. Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ, et n’ayez pas soin de la chair pour en satisfaire les convoitises ». Je ne voulus pas en lire davantage, c’était inutile. A peine avais-je fini de lire cette phrase, qu’une espèce de lumière rassurante s’était répandue dans mon cœur, y dissipant toutes les ténèbres de l’incertitude.

AUGUSTIN

Confessions, Livre VIII, ch. 12.

Traduit par TRABUCCO.

 

Chapitre 5

L’ÉRUDITION CHRÉTIENNE

1. Eusèbe de Césarée (mort 340). Nous avons parlé de son rôle au concile de Nicée. Il nous a laissé une Histoire ecclésiastique des origines à 313, qui est notre principale source pour la connaissance de l’Eglise primitive. Il y a conservé beaucoup de documents précieux. Il donne des détails particulièrement abondants sur la persécution sous Dioclétien, à laquelle il a assisté, et dont il a souffert. La Vie de Constantin est aussi une importante source d’information, malgré la partialité dont il fit preuve pour son héros.

L’œuvre historique d’Eusèbe fut continuée par Socrate le Scolastique, Sozomène et Théodoret de Cyr en Orient, par Rufin et Sulpice Sévère en Occident pour le IVe et le début du Ve siècles.

2. Jérôme est né dans la première moitié du IVe siècle en Dalmatie.

Il se convertit à Rome, fit un grand nombre de voyages en Orient, et au contact de divers maîtres il acquit une érudition prodigieuse. Il revint quelque temps à Rome, en qualité de prêtre, mais après la mort de son protecteur le pape Damase Ier (366-384), il alla se fixer à Bethléhem. Il vivait en ermite dans une grotte, d’où il dirigeait une communauté de moines. Il avait aussi entraîné dans la vie monastique plusieurs dames romaines qui vinrent s’établir à Bethléhem. 419 C’est là qu’il mourut à un âge très avancé. D’un caractère irritable et susceptible, il s’est trouvé mêlé à plusieurs controverses. Il tenait beaucoup à sa réputation d’orthodoxie et se soumettait à cet effet sans réserve à l’avis du pape.

Sa connaissance de l’hébreu lui permit de refaire la traduction latine de l’Ancien Testament laquelle avant lui avait été faite d’après les LXX. Son respect pour le texte hébreu l’amena à rejeter les apocryphes. II révisa aussi la traduction latine du Nouveau Testament. Tout ce travail, entrepris à la demande du pape Damase, l’absorba pendant vingt ans. Au début sa traduction fut mal accueillie, puis elle se répandit si bien qu’on l’appela la Vulgate. Ses commentaires et surtout sa correspondance méritent aussi de retenir l’attention.

 

Chapitre 6

GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE ET CLERGÉ

1. La notion d’Eglise. Déjà au IIIe siècle, on avait insisté sur l’unité de l’Eglise visible dirigée par ses évêques. Cette notion s’accentue au IVe. L’unité administrative est réalisée. L’Eglise est considérée comme seule dépositaire des moyens de grâce qui régénèrent et sanctifient. Elle est appelée catholique en tant que répandue dans tous les pays. Elle est en possession des traditions apostoliques. Grâce à la paix intérieure et extérieure, on peut facilement convoquer des conciles, où les évêques réunis prennent, en matière de foi et de discipline, des décisions valables pour toute une région et même au-delà. Quatre conciles (Nicée 325, Constantinople 381, Ephèse 431, Chalcédoine 451) ont été appelés œcuméniques, et leurs décisions furent considérées comme infaillibles. Ils sont la manifestation visible de l’autorité ecclésiastique.

2. Séparation entre clergé et laïques. Les IVe et Ve siècles voient se creuser cette séparation, déjà trop sensible au IIIe. L’on ne pouvait confier aux immenses foules mal affermies de responsabilité dans l’Eglise, et il était nécessaire de les diriger d’une main ferme.

Une place spéciale est réservée aux ecclésiastiques dans le lieu de culte. Ils commencent à porter un vêtement spécial, même en dehors de l’exercice de leurs fonctions. La tonsure s’introduit. Le célibat, sans être imposé, leur est recommandé. D’autre part le clergé se mondanise, malgré les actes des conciles, qui donnent des règles de plus en plus précises à son sujet.

3. Développement hiérarchique. La puissance des évêques ne s’accroît pas beaucoup. Même avec l’afflux des nouveaux convertis et la généralisation du baptême des enfants, l’administration des sacrements incombe de plus en plus aux simples prêtres. La confirmation et l’ordination restent du ressort des évêques qui ont pleine autorité pour nommer, déplacer ou révoquer les prêtres et diacres de leur diocèse. Ajoutons que certains évêques ont beaucoup accru l’importance de leur rôle par leurs qualités personnelles. Qu’on pense par exemple à Athanase, Basile-le-Grand, Grégoire de Naziance, Chrysostome, Cyrille en Orient, à Martin de Tours, Ambroise ou Augustin en Occident.

Les évêques des grandes villes (ou métropoles), appelés métropolitains, s’arrogent le droit de confirmer dans leurs fonctions les évêques de leur région, bien que l’élection se fasse encore souvent par acclamation populaire.

Les métropolitains les plus en vue entrèrent en contestation les uns avec les autres pour porter le titre de patriarche. Pour finir, ce dernier fut réservé, par le concile de Chalcédoine, aux évêques de Rome, de Constantinople, d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem. Le même concile stipula que « le siège de la nouvelle Rome devait jouir des mêmes privilèges que celui de l’ancienne ». Le pape refusa d’enregistrer ce dernier canon.

4. Essor de la papauté. Plusieurs circonstances ont favorisé l’accroissement du pouvoir exercé par les évêques de Rome au cours de cette période. D’abord, contrairement à leurs collègues orientaux, ils n’avaient pas de concurrent en Occident. Ensuite ils étaient souvent pris comme arbitres dans les conflits qui opposaient les patriarches de Constantinople, d’Alexandrie et d’Antioche. Les injustices notoires commises par certains conciles provinciaux firent que souvent l’on en appela de leur autorité à celle de Rome. Enfin les papes ont su se garder d’hérésies criantes, si bien que leur siège apparaissait comme le rempart de l’orthodoxie. Dès cette époque, ils monopoliseront le titre de papes, qui autrefois était donné à tout dignitaire ecclésiastique important.

Voici quelques jalons de la marche ascendante de la papauté.

Sous Jules Ier (337-352), le concile de Sardique (343) décida qu’un évêque condamné par un concile pouvait s’adresser au pape, lequel jugeait s’il y avait lieu de réexaminer le cas et désignait à cet effet des arbitres.

Pendant le pontificat de Damase Ier (366-384), l’empereur Gratien (375-383) enjoignit en 378 aux autorités civiles de tout l'Occident de faire comparaître à Rome les évêques rebelles à une décision synodale.

Sirice (384-399) fut le premier à communiquer ses avis aux autres évêques sous forme de décrétales.

Léon Ier, le Grand (440-461) a été le promoteur le plus averti de l’autorité papale. Il a fait triompher l’orthodoxie au concile de Chalcédoine. Il a, en revanche, refusé d’accepter un canon de ce concile qui proclamait l’égalité entre les patriarches de Rome et de Constantinople. Il se disait le successeur de Pierre et semble être le premier à vouloir monopoliser au profit de l’évêque de Rome les promesses faites par Jésus à l’apôtre (Matth. 16.18-20). Sous son pontificat l’on a falsifié le 6e canon de Nicée en ajoutant ces mots : « Rome a toujours eu la primauté ». Son intervention auprès d’Attila, roi des Huns, qu’il amena à rebrousser chemin, le fit apparaître comme le principal personnage politique de l’Italie. Il a été surnommé avec raison « le premier pape ».

Il est possible que déjà Calliste et Etienne au IIIe siècle aient lancé l’interprétation romaine de Matth. 16.18-20. Nous pouvons aussi signaler en passant le conflit entre Léon-le-Grand et l’évêque Hilaire d’Arles qui revendiquait, comme primat des Gaules, une autorité particulière.

 

Chapitre 7

DÉBUTS DU MONACHISME

Le mot moine dérive du grec monachos, qui signifie solitaire.

1. Anachorètes. On donna ce nom ou celui d’ermite à ceux qui se retiraient dans une solitude complète. Quelques chrétiens avaient donné l’exemple, pour fuir la persécution de Décius. L’Egyptien Antoine rechercha la solitude, non pour sa sécurité, mais pour obéir à l’ordre donné par Jésus au jeune homme riche. Il vendit ses biens, et tout seul, se livra à de terribles austérités pour résister aux tentations qui l’assaillaient. D’autres imitèrent son exemple. 356 Il mourut à 105 ans. Athanase, à qui son orthodoxie le rendait sympathique, raconta sa vie.

Certains anachorètes au 5e se retirèrent au haut d’une colonne. On les appela stylites. Le plus célèbre fut Siméon (mort 459), qui pratiqua cette existence pendant 37 ans. On venait de loin pour le consulter et de nombreux miracles lui étaient attribués.

2. Cénobites. Les chutes graves de certains anachorètes discréditèrent ce genre de monachisme. Pachôme (mort 346) eut l’idée de réunir plusieurs moines dans une même maison. Cette vie commune, qui leur valut le nom de cénobites, devait leur faciliter la pratique de la sainteté. 320 Le premier monastère fut fondé sur la rive du Nil, à Tabenne.

Le chef avait le titre de père, Abbas, d’où notre mot abbé. Pachôme imposa aux cénobites certaines règles. Les repas étaient pris en commun et l’emploi du temps fixé d’avance. D’autres couvents se fondérent comme autant de succursales de la maison mère. Marie, la sœur de Pachôme, fonda un couvent de nonnes...

Basile le Grand a favorisé le monachisme ; alors que les premiers moines étaient parfois méprisants envers l’Eglise officielle jugée trop mondaine, et qu’ils étaient considérés avec suspicion par les évêques, Basile a su canaliser le mouvement au sein de l’Eglise. Il préconisait de petites communautés de moines, et non d’immenses couvents comme ceux des Tabennites. Il composa des règles qui sont encore en usage en Orient. Les moines basiliens passaient par un noviciat et prêtaient, avant d’être admis, des vœux de pauvreté, de chasteté et de résidence au monastère. Ce vœu n’était d’ailleurs pas perpétuel. Ils avaient la tête rasée en signe d’esclavage. Ils pratiquaient entre eux la confession de leurs péchés et contribuèrent à généraliser cet usage dans l’Eglise. Ils n’étaient pas considérés comme membres du clergé, mais les ecclésiastiques se sont souvent recrutés parmi eux.

3. Premiers mouvements monastiques en Occident. Le monachisme s’est développé plus tardivement en Occident. Cependant, dès le IVe siècle, Ambroise groupa des ascètes à Milan, Jérôme à Bethléhem. Martin de Tours fonda un monastère à Ligugé, puis un autre à Marmoutiers, destinés à répandre l’Evangile parmi le peuple. Au Ve siècle, Augustin favorisa le mouvement. Honorât, évêque d’Arles, fonda le monastère de Lérins, remarquable par l’érudition de ses moines.

4. Appréciation. L’idéal monacal est en contradiction avec le désir de Jésus de ne pas voir les siens quitter le monde (Jean 17.15). Ce qui s’y manifeste trop souvent, c’est le désir humain de faire son Salut par des austérités. Il y a là également un triste indice de la mondanité qui s’était infiltrée dans l’Eglise, puisque tant d’âmes pieuses ne voyaient que dans cette évasion la possibilité de vivre saintement. Cependant, beaucoup de moines de ce temps étaient vraiment sincères, et se sont montrés, à leur façon, de fidèles témoins de l’Evangile.

Les joies de la solitude à Bethléem.

Mais pour revenir à notre petit bourg de Béthléem et à la demeure de Marie (car on se fait un plaisir de louer ce qu’on possède), quelle idée assez grande puis-je vous inspirer de cet endroit où le Sauveur du monde est né, et de cette crèche où il jeta ses premiers cris ? Il vaut mieux ne rien dire d’un lieu si saint, que de n’en point dire assez. Où sont ces vastes galeries, ces lambris dorés, ces maisons magnifiques qui ne sont ornées, pour ainsi dire, que des sueurs des malheureux et des travaux des criminels ? Où sont ces superbes palais que des citoyens bâtissent, pour procurer à une créature méprisable le plaisir de se promener dans des appartements richement meublés et d’en considérer la beauté plutôt que celle du ciel ; comme si le firmament n’était pas le plus agréable de tous les objets et le plus digne d’attirer nos regards ? C’est à Bethléem, c’est dans ce petit coin de la terre que le Créateur du ciel a voulu naître ; c’est là qu’il a été enveloppé de langes ; c’est là que les bergers l’ont vu, que l’étoile l’a fait connaître, que les mages l'ont adoré. Peut-on douter que ce lieu, tout petit qu’il est, ne soit plus saint que le mont Tarpéin, qui n’a été si souvent frappé de la foudre que parce que Dieu l’avait en aversion ? Il est vrai que l’Eglise de Rome est sainte, qu’on y voit les tombeaux des Apôtres et des martyrs, que c’est là qu'ils ont prêché l’Evangile et rendu témoignage à Jésus-Christ, et que la gloire du nom chrétien s’élève tous les jours sur les ruines mêmes du paganisme. Mais au reste, la magnificence, la pompe, la grandeur de cette ville ; l’envie qu'on a de voir et d’être vu, de faire des politesses et d’en recevoir, de louer et de médire, d'écouter et de parler ; cette foule de monde qu’on y trouve tous les jours, tout cela est entièrement contraire à la profession et au repos des solitaires. Car si on reçoit de la société, on est obligé de rompre le silence ; si on ne veut voir personne, on passe pour un orgueilleux ; si on veut rendre les visites qu’on a reçues, il faut aller à la porte des grands du monde et entrer dans des antichambres dorées, au milieu d’une foule d’esclaves qui vous critiquent en passant.

A Bethléem tout est champêtre, et le silence n’y est interrompu que par la psalmodie. De quelque côté qu'on se tourne, on entend le laboureur chanter alleluia, le moissonneur tout en eau psalmodier pour alléger son travail, et le vigneron réciter quelques psaumes de David en taillant sa vigne. Voilà les airs, et, comme on dit communément, les chansons amoureuses que l’on entend ici. Adieu en Jésus-Christ.

JÉROME

Lettre à Marcella.

Traduit par Guill. ROUSSEL.

 

Chapitre 8

LE CULTE

1, CARACTÈRES GÉNÉRAUX

1. Edifices. En raison de l’augmentation du nombre des fidèles, les petites églises du IIIe siècle ne suffisent plus. On construit de grandes basiliques somptueuses, divisées en plusieurs nefs, décorées de peintures, de fresques, de mosaïques. A mesure que le baptême des enfants se généralise, le narthex devient de plus en plus petit.

2. Fêtes. Nous avons déjà parlé du fait que le dimanche devient un jour de fête légal. Les fêtes annuelles prennent une importance plus grande que précédemment. Le concile de Nicée fixa pour toute l’Eglise la date de Pâques au premier dimanche après la pleine lune du printemps. On se met à célébrer Noël le 25 décembre, surtout en Occident, et l’Epiphanie en souvenir du baptême de Jésus, le 6 janvier, surtout en Orient.

3. Eléments. Le culte en deux parties de la période précédente subsiste. La liturgie, surtout en Orient, devient de plus en plus Iongue et pompeuse. Les liturgies les plus importantes de cette époque sont celle de Basile et celle de Chrysostome. Ambroise voua ses soins au chant sacré, auquel, selon lui, l’assemblée devait prendre part. La prédication prend une grande importance, à cause de la nécessité d’instruire les foules mal affermies. Les prédicateurs de cette époque prononçaient en général des homélies, qui permettaient de faire connaître et comprendre un texte assez étendu des Ecritures. Ambroise est le premier à employer le terme de messe pour désigner l’office religieux.

4. Sacrements. Le baptême est considéré, surtout depuis Augustin, comme effaçant le péché originel et opérant la régénération. La conséquence a été la généralisation de l’usage de baptiser les enfants, les parrain et marraine prenant les engagements à la place de l’enfant. L’habitude de se faire baptiser à l’article de la mort a toujours été découragée par l’Eglise. Les baptistères de ce temps montrent que l’immersion était encore pratiquée en général. La confirmation, qui autrefois suivait immédiatement le baptême, en est dissociée en Occident. Elle est administrée quand l’enfant atteint l’âge de raison, ou encore lorsqu’un baptisé infidèle doit être réadmis dans l’Eglise. Cette cérémonie est réservée à l’évêque, qui seul est censé pouvoir transmettre le Saint-Esprit.

L’eucharistie est entourée d’une superstition de plus en plus grande. On y voit la présence réelle du Christ et le renouvellement de son sacrifice.

La pénitence n’aboutit plus aussi régulièrement à une confession publique de la faute. L’usage de la confession privée s’introduit chez les moines d’abord, et de là dans le reste de l’Eglise.

5. Déviations du culte. Avec l’introduction des masses plus ou moins païennes dans l’Eglise, le culte se paganise. Le culte de Marie, des apôtres, des martyrs se substitue à l’ancien polythéisme. Les églises et même les individus étaient placés volontiers sous la protection d’un saint ; bientôt dans chaque autel on désira placer une relique sacrée. Les moines inaugurèrent un trafic scandaleux de reliques vraies ou fausses. Le culte des images, les pèlerinages, les processions satisfaisaient aussi le goût du faste et la superstition qui animaient les foules. Ceux qui protestaient contre ces déviations étaient traités d’impies, et leur réaction resta sans résultat.

Nous pouvons mentionner parmi eux Vigilance, âprement combattu par Jérôme. Un fait qui contribua beaucoup au culte des reliques, fut la prétendue découverte en 326 de la vraie croix par l’impératrice Hélène, mère de Constantin, à Jérusalem.

2. GRANDS PRÉDICATEURS

1. Divers. Etant donné l’importance de la prédication, nous ne sommes pas surpris de voir surgir un grand nombre de prédicateurs remarquables. Athanase, Ephrem le Syrien, Basile le Grand, les deux Grégoire, Cyrille en Orient, Ambroise et Augustin en Occident se sont distingués dans cet art. Augustin en particulier manifesta au fur et à mesure qu’il prenait de l’expérience, toujours moins de recherche oratoire et toujours plus de simplicité évangélique.

2. Chrysostome. Jean, surnommé Chrysostome, c’est-à-dire Bouche d’or, a été le plus remarquable de tous. Né à Antioche, il reçut de sa pieuse mère une excellente éducation ; il fréquenta les meilleures écoles. Malgré son désir d’être solitaire, il fut consacré prêtre. 387 Après une insurrection à Antioche, il prêcha une série de sermons sur la repentance et provoqua un vrai réveil. Contre son gré, 397 il fut nommé évêque de Constantinople. Il acquit dans cette ville une immense popularité, qui lui valut bien des jalousies. Il provoqua la colère de l’impératrice Eudoxie par sa sévérité vis-à-vis de tout ce qui était mondain. 403 A la suite de basses intrigues, il fut destitué par le concile du Chêne près de Chalcédoine, et exilé ; mais la colère populaire et une tempête frappèrent tellement les esprits, qu’il fut rappelé immédiatement. 404 Peu après, pour avoir protesté contre une fête mondaine organisée par Eudoxie, et pour n’avoir pas été réinstallé par un 407 concile, il fut exilé une seconde fois. Il fut entraîné de lieu en lieu par des gardiens brutaux et mourut en Asie Mineure. Ses restes furent transportés solennellement dans l’Eglise des apôtres, à Constantinople.

Son oeuvre comprend de nombreux traités ; ce sont surtout ses sermons qui lui ont valu sa célébrité. Ils forment une sorte de commentaire oratoire sur plusieurs livres de la Bible. Il est simple, ardent, inflexiblement sévère pour le péché, mais débordant d’amour pour ses ouailles. Ses images sont saisissantes, ses applications toujours directes. Ses sermons ont probablement moins vieilli que ceux qui datent d’il y a cent ou deux cents ans.

Un des adversaires les plus acharnés de Chrysostome était l’évêque Théophile d’Alexandrie (mort 412), oncle de Cyrille. Une fois de plus, les rivalités entre les deux sièges orientaux s’étaient manifestées.

Le réveil à Antioche.

L'Eglise n'est point un théâtre où l’on vienne écouter pour se divertir. Il n'en faut sortir que pour en emporter d’utiles avantages. Il est bon de la quitter riche d’un bien plus considérable et plus solide que celui-là. Ne serait-ce pas venir ici vraiment en pure perte si, après des enseignements donnés tout exprès pour la réflexion de nos âmes, nous en sortions sans un profit réel, sans aucun avantage ? Que me rapportent à moi vos applaudissements ? Quel avantage me revient-il de vos éloges et de vos acclamations ? Mon éloge, il est dans votre docilité à tous mes conseils. Je me trouverai digne d'admiration, je serai heureux, non quand vous m'aurez applaudi, mais quand avec toute l'ardeur du plus grand zèle, vous aurez mis en pratique les enseignements que vous recevez de notre bouche.

CHRYSOSTOME

(2me Homélie des statues, §4, pp. 17 ss) Traduit par JEANNIN.

Sermon de Chrysostome à son retour de l’exil.

Quelles paroles, quel discours puis-je avoir sur les lèvres ? Béni soit le Seigneur ! Telle était mon exclamation à mon départ, je ne cessai de la répéter dans mon exil, et je n’en ai point d’autre à mon retour. Ne vous souvenez-vous pas qu’alors je vous rappelai l’image de Job et cette parole de sa bouche : Qu’il soit béni à jamais le nom du Seigneur ! C’est le gage que je vous laissai, c’est l'action de grâces que je vous rapporte. Oui, béni soit à jamais le nom du Seigneur ! Les circonstances ont changé, mais notre hymne est le même. Exilé, je bénissais ; rappelé, je bénis encore. Les saisons sont diverses, mais l’été et l’hiver ont le même but, la fertilité de la terre. Béni soit Dieu qui a permis mon exil, béni soit Dieu qui ordonne mon rappel. Béni soit Dieu quand II déchaîne les orages ; qu'il soit béni de même quand Il dissipe la tempête et fait revenir la sécurité. Si je répète ces paroles, c’est pour vous exciter à bénir Dieu de tous les événements. La prospérité vous arrose, bénissez Dieu pour qu’elle soit durable. Les épreuves vous frappent-elles ? Bénissez-le tout de même, et sa bonté y mettra fin. Voyez Job : Dans son opulence, il rend grâces à Dieu, dans la misère, il le glorifie encore... Les temps changent, mais son cœur jamais... Voyez, mes Frères, le résultat des embûches de nos adversaires ! Ces persécuteurs n’ont fait qu'enflammer votre amour, surexciter votre passion, et multiplier mes amis... Autrefois, l'église seule était remplie, maintenant la place publique est transformée en église et du fond de la place jusqu’ici, on dirait une seule assemblée, une seule tête ! Nul ne commande le silence, et tous sont silencieux et recueillis... Il y a jeux au cirque, et personne n’y assiste ; mais comme un torrent on se précipite vers la maison de Dieu... Voyez maintenant si j’avais tort de vous dire : qui supporte l’épreuve avec courage en recueillera les plus grandes bénédictions.

CHRYSOSTOME

Traduit par JEANNIN.

 

CONCLUSION

Nous pouvons, au cours des 150 ans que nous venons de parcourir, distinguer cinq phases.

313-337 Règne de Constantin. Fin des persécutions. Eusèbe de Césarée. Débuts du donatisme et de l’arianisme. Nicée, 1er exil d’Athanase. Mouvement des anachorètes. Débuts des Cénobites.

337-379 Suite de la controverse arienne. 2e à 5e exils d’Athanase. Réaction païenne de Julien. Hérésie d’Apollinaire. Basile le Grand, débuts de Grégoire de Naziance, Voyages de Jérôme. Organisation des Cénobites. Hilaire de Poitiers.

379-395 Règne de Théodose. Triomphe de l’orthodoxie sur l’arianisme et l’apollinarisme. Concile de Constantinople. Grégoire de Naziance. Grégoire de Nysse. Activité de Chrysostome à Antioche. Jérôme, collaborateur de Damase. Ambroise. Martin de Tours. Controverse priscillienne.

395-430 Episcopat d’Augustin. Fin des controverses manichéenne et donatiste. Controverses pélagienne et semi-pélagienne. Jérôme achève la Vulgate. Chrysostome à Constantinople. Théodore de Mopsueste.

430-461 Controverses nestorienne et eutychienne. Conciles d’Ephèse et de Chalcédoine. Cyrille. Théodoret de Cyr. Léon le Grand. Vincent de Lérins. Nombre des patriarches fixé à cinq. Stylites.

Cette partie de l’histoire de l’Eglise est certainement une des plus brillantes.

Elle est remarquable par l’achèvement de la défaite du paganisme.

Elle est remarquable par la disparition des anciennes hérésies et par l’élimination d’hérésies nouvelles. Par le travail des conciles, le flottement qui subsistait sur certains points de la doctrine chrétienne a disparu. Désormais, pour être en communion avec l’Eglise, il faudra admettre :

le canon tout entier du Nouveau Testament, délimité par les efforts d’Athanase et d’Augustin ;

la divinité absolue et l’humanité du Christ ;

la corruption radicale de la nature irrégénérée et le salut comme une grâce imméritée (par opposition aux théories de Pélage).

Elle est remarquable par le grand nombre de chrétiens qui se sont illustrés tout à la fois par leurs talents, leur fermeté doctrinale et leur piété. Jamais en si peu de temps il n’y a eu au sein de la chrétienté tant d’hommes remarquables.

D’autre part, nous sommes obligés de constater une série de déficits graves qui annoncent la décadence.

Avec les masses irrégénérées, le paganisme envahit l’Eglise. L’autorité de la Bible est obscurcie par celle de l’Eglise. La doctrine du salut par grâce est obscurcie par la notion du mérite des œuvres et celle de la valeur des sacrements. Le monothéisme chrétien est obscurci par le culte des saints. La spiritualité chrétienne est obscurcie par les pompes du culte. La moralité baisse.

Les âmes pieuses, les chefs de l’Eglise ont bien su constater et déplorer ces déviations. Seulement les uns ont cherché à les fuir en se réfugiant dans la vie monacale, et ont été par là infidèles à l’Evangile. Les autres, pour combattre les tendances fâcheuses de la masse, ont fait appel au pouvoir civil, ce qui aboutit au césaro-papisme désastreux des siècles futurs, ou ils ont fortifié les droits du clergé, ce qui porta dans ce corps les ambitions, les intrigues, les rancunes qui sont attachées à l’esprit de domination ; le clergé au lieu d’être un lien est devenu plutôt une barrière entre le Christ et les âmes.

Ainsi, tandis que dans la période précédente, nous assistions à la victoire de l’Eglise sur le monde, ici, malgré tout ce que cette période a de magnifique, nous assistons à la victoire du monde sur l’Eglise. Nous devons cependant nous garder de passer une condamnation trop massive sur ceux qui, tout en commettant certaines erreurs, avaient pourtant des intentions très pures, et qui, dans cette période où tout l’Evangile risquait d’être emporté par les flots du monde envahissant, ont su au moins préserver l’essentiel et le transmettre aux générations suivantes.

 

DEUXIÈME PARTIE

L'EGLISE PENDANT LES BOULEVERSEMENTS DU MOYEN-AGE

Ve à XIe siècles

 

INTRODUCTION

Des origines au Ve siècle, la situation politique était restée sensi-blement la même. L’Empire romain couvrait tout le bassin de la Méditerranée.

Au Ve siècle, la coupure définitive entre l’Orient et l'Occident, puis les invasions des peuples germaniques, d’une civilisation très inférieure, bouleversent la vie politique, économique et religieuse de l’Europe. Au VIT siècle, les conquêtes musulmanes viendront encore aggraver le désarroi.

Dans ce monde désorganisé, le témoignage de l’Eglise n’était pas facile. Elle participe à sa façon au recul de la civilisation. Il faut remarquer cependant que malgré ses défaillances incontestables, elle a su maintenir un peu de culture et de piété dans le monde.

 

 

Chapitre premier

L’EGLISE D’OCCIDENT EN FACE DES INVASIONS GERMANIQUES

1. Dislocation de l’Empire ; les grandes invasions. A sa mort en 395, Théodose partagea l’empire romain entre ses deux fils. L’un eut l’Orient, l’autre l’Occident. Les deux parties ne devaient plus jamais être réunies. L’Empire d’Orient (ou Byzantin) subsistera jusqu’en 1453. L’Empire d’Occident, envahi par les peuples germaniques, s’effondra bientôt et le dernier empereur fut destitué en 476. Cela favorisa le prestige du pape, qui devenait le premier personnage de Rome.

Des royaumes germains s’installent en Occident :

Les Vandales se fixent en Afrique du Nord.

Les Visigoths se fixent en Espagne et en Aquitaine.

Les Ostrogoths se fixent en Italie.

Les Burgondes s’établissent dans la vallée de la Saône et du Rhône (Bourgogne).

Les Francs conquièrent le Nord de la Gaule.

Les Anglo-Saxons, appelés à l’aide par les Bretons, s’établissent sur leurs terres.

2. Politique catholique en face des invasions ariennes. La plupart de ces peuples germaniques étaient ariens. Les Anglo-Saxons et les Francs étaient encore païens. Les seules régions qui restaient aux mains des catholiques en Occident étaient donc les pays bretons et l’Irlande. En général les envahisseurs ariens se montrèrent tolérants pour leurs sujets orthodoxes. Cependant les Vandales d’Afrique du Nord se livrèrent à des persécutions.

Les catholiques cherchèrent l’appui de l’empire d’Orient. L’empereur Justinien (527-565) réussit à défaire complètement le royaume vandale. 534 Il s’attaqua ensuite aux Ostrogoths et les anéantit avec un peu plus de difficulté. 552 Il remporta quelques succès en Espagne contre les Visigoths et s’empara d’une bande de territoire dans le Sud.

Les orthodoxes trouvèrent un autre appui chez les Francs. Clovis leur roi (481-511), dont la femme Clothilde était catholique, passa directement du paganisme au catholicisme. Il se fit baptiser par Rémi de Reims en 496 avec trois mille de ses guerriers. La légende prétend qu’il avait fait un vœu dans ce sens au cours d’un combat contre les Allamans. Du coup la monarchie franque devenait la fille aînée de l’Eglise, et la papauté favorisa son expansion. Les Francs conquirent 507 le royaume des Burgondes qui avaient d’ailleurs déjà embrassé le catholicisme, et le territoire que les Visigoths avaient au Nord des Pyrénées.

586 Pour conserver le reste de son pays, leur roi Récarède se convertit au catholicisme, et l’on convoqua en 589 à Tolède un concile qui proclama le catholicisme religion d’Etat et jeta l’anathème sur l’arianisme. Ce concile affirma que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils.

3. Formation d’Eglises nationales. En despotes absolus, les rois Francs prirent l’habitude de publier des lois ecclésiastiques (capitulaires), et des édits. Ils nommèrent aussi les évêques et les abbés, surtout que les évêques possédaient souvent des terres (données comme récompenses) et étaient de ce fait seigneurs temporels en même temps que spirituels. Aussi les rois Francs manifestèrent un certain césaro-papisme. Ils convoquèrent des conciles dont les décisions étaient influencées par les désirs du roi. Souvent des seigneurs fondaient des églises particulières sous leur juridiction. Il se constitua donc une église nationale qui, au point de vue administratif, dépendait du pape d’une manière assez lâche.

Un des principaux dignitaires de l’Eglise franque est l'évêque Grégoire de Tours (mort 594) qui s’est distingué comme historien de cette époque.

En Espagne il se produisit le même phénomène, mais les évêques visigoths eurent une indépendance plus grande, et même formèrent une aristocratie empiétant sur l’autorité des rois dans le domaine politique. L’Eglise d’Espagne fut illustrée par l’évêque Isidore de Séville ( mort 636) qui dans de savantes compilations conserva pour ses compatriotes la pensée des âges précédents.

 

Chapitre 2

LE MONACHISME EN OCCIDENT

Le monastère de Lérins continue à constituer un centre de vie intellectuelle et théologique. Il est la pépinière où se recrutent la plupart des dignitaires de la Gaule du Sud, entre autres Césaire d’Arles qui mena la controverse semi-pélagienne à bonne fin. Cependant deux mouvements nouveaux voient le jour au Ve et au VIe siècles.

1. Le monachisme irlandais. Patrick (Ve siècle), après s’être formé à Marmoutiers, fonda en Irlande des quantités de couvents qui étaient autant de centres d’évangélisation dans le pays païen. L’Eglise d’Irlande devint ainsi une église de moines.

Trois grands noms sont à retenir : Colomba (VIe siècle), qui a fondé le couvent de Iona en Ecosse ; Colomban (fin du VIe, début VIIe siècle) qui a fondé des couvents en Gaule et en Italie : Luxeuil dans les Vosges, Bobbio en Italie, où il mourut ; Gall, disciple de Colomban, qui a fondé le couvent de St-Gall, d’où l’Evangile se répandit en Allemagne.

L’Eglise iro-bretonne était assez indépendante de la papauté ; l’autorité épiscopale y était faible ; les églises étaient simples, sans images ; la prédication se faisait en langue vulgaire ; on y reconnaissait l’autorité de l’Ecriture seule, sans s’attacher à la tradition ; on y avait conservé l’usage de célébrer Pâques le 14 nisan, quel que soit le jour de la semaine. La discipline y était très sévère, avec pénitences nombreuses (jeûnes, prières, flagellation ; réclusion dans un monastère).

Les monastères irlandais ont été des centres de culture et de piété, en même temps que d’activité missionnaire.

2. Le monachisme bénédictin. Le fondateur du mouvement monastique occidental fut cependant l’Italien Benoît de Nursie (480-543). Après avoir vécu quelques années en anachorète, il fonda un monastère au Mont-Cassin, au début du VIe siècle. Il composa pour les moines une règle sévère. Avant d’entrer dans l’ordre, le futur moine accomplissait un noviciat prolongé ; puis il devait prêter les trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Ces vœux, contrairement à ceux des moines basiliens, étaient perpétuels. Le moine devait à son abbé une obéissance aveugle comme à Dieu même.

Les moines bénédictins se sont répandus dans toute l’Europe Occidentale et ont rendu en leur temps des services considérables. Ils ont défriché des régions inhospitalières et sauvages. Au milieu de l’ignorance grandissante, les monastères ont été des foyers de vie intellectuelle.

Le mérite d’avoir orienté les Bénédictins vers l’étude revint en particulier à Cassiodore qui, après avoir joué un rôle auprès du roi Ostrogoth Théodoric, se retira dans un couvent et composa un gros ouvrage d’histoire.

L'obéissance des moines.

La première étape de l’humilité, c’est l’obéissance sans délai. Elle convient à ceux qui estiment qu'il n’y a rien de plus cher, pour eux, que le Christ. A cause du service saint dont ils ont fait profession, à cause de la crainte de l’enfer et de la gloire de la vie éternelle, à peine le supérieur a-t-il commandé quelque chose, qu’ils ne savent souffrir aucun délai dans l’exécution, tout comme si l’ordre venait de Dieu. C’est d'eux que le Seigneur dit : « Dès que son oreille m’a entendu, il m’a obéi ». Et il dit aussi à ceux qui enseignent : « Qui vous écoute m’écoute »...

Ainsi, ne vivant pas à leur guise et n’obéissant pas à leurs désirs ni à leurs inclinations, mais marchant selon le jugement et le commandement d’un autre, ils désirent vivre en communauté, et avoir un abbé à leur tête. Sans aucun doute, de tels hommes suivent la sentence du Seigneur, qui dit : « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé ».

Mais cette même obéissance sera alors bien reçue de Dieu et douce aux hommes, si ce qui est ordonné est exécuté sans trouble, sans lenteur, sans murmure, sans réplique ni refus, car l'obéissance qu’on rend aux supérieurs, on l’adresse à Dieu. Lui-même a dit, en effet : « Qui vous écoute m’écoute ». Et il faut qu’elle soit offerte de bon cœur par les disciples, « car Dieu aime celui qui donne avec joie ».

De ce fait, si le disciple obéit de mauvais gré, et s’il murmure non seulement de bouche, mais aussi dans son cœur, même s’il exécute l’ordre, cependant ce ne sera plus agréable à Dieu, qui voit le cœur murmurer, et pour un tel acte, il n’obtient aucune récompense. Bien au contraire, il encourt la peine des murmurateurs, s’il ne fait satisfaction et ne se corrige.

Règle de St Benoît, § 5.

Traduit par Dom Ant. DUMAS.

 

Chapitre 3

L’EGLISE D’ORIENT AUX VIe ET VIIe SIÈCLES

1. Justinien. (527-565). C’était un homme capable, énergique, lucide, très attaché aux questions doctrinales. C’est le type de l’empereur césaro-papiste. Il nommait et destituait les évêques, influençait les conciles.

Il n’hésita pas à destituer le pape Sylvère et à faire nommer à sa place ses créatures, Vigile (537-555), puis Pélage Ier (555-560), qui de ce fait rencontrèrent de l’opposition auprès de leurs fidèles.

Malheureusement pour lui, il avait épousé une danseuse intrigante, Théodora, qui prit une part active et funeste à sa politique.

II a combattu le paganisme. 529 Il ferma l’Académie, fondée 8 siècles auparavant par Platon. 530 Il a enlevé aux païens leurs droits d’héritage. 531 Enfin il a promulgué la peine de mort pour les renégats baptisés.

Il construisit de beaux édifices, en particulier la basilique de Sainte-Sophie à Constantinople, qui est considérée comme le chef-d’œuvre du style byzantin. Ce style est caractérisé par un plan en général carré ; la partie principale a la forme d’une croix grecque. Une coupole centrale couronne l’église. L’autel est caché par un paravent décoré, appelé iconostase. L’édifice ne contient pas de statues, mais il est orné de peintures et de mosaïques, représentant le Christ et les saints, et appelées icônes.

Parmi les théologiens de cette époque, mentionnons Léonce de Byzance (mort 543) qui tâcha de concilier la pensée d’Aristote avec la foi chrétienne. La mystique apparaît dans des ouvrages placés sous le nom de Denys l’Aréopagite ; elle vise à la divinisation de l’homme et s’inspire du néoplatonisme. Le moine Denys de Petit, (mort 540) originaire d’Orient mais qui a passé sa vie à Rome, a inauguré l’habitude de compter les années à partir de la naissance de Jésus-Christ. Il s'est d’ailleurs trompé de 4 ans en fixant l’an 1.

2. Controverse monophysite. Malgré la décision du concile de Chalcédoine, un grand nombre de chrétiens en Orient continuaient à professer des idées eutychiennes. Parce qu’ils ne voyaient qu’une nature en Jésus-Christ, on les appela monophysites. Ils étaient d’ailleurs divisés en plusieurs écoles.

Avant Justinien, l’empereur Zénon avait tâché de résorber la dissidence monophysite en promulguant l’Hénotique qui approuvait les trois premiers conciles, mais se taisait sur celui de Chalcédoine. Le patriarche Acace signa ce document. Il en résulta un schisme (484-519) entre l'Orient et l’Occident, sans que les monophysites se rallient. Les rapports entre Rome et Constantinople ne se rétablirent que lorsque l’autorité du concile de Chalcédoine eut été de nouveau proclamée en Orient.

Justinien voulut gagner les monophysites par voie de conciliation ; ceux-ci trouvaient d’ailleurs un appui secret auprès de l’impératrice Théodora. Il pensa que le meilleur moyen était de flétrir la mémoire du principal théologien de l’école d’Antioche, rivale de celle d’Alexandrie, savoir Théodore de Mopsueste, et de condamner deux écrits de Théodoret de Cyr et d’Ibas d’Edesse qui avaient eu des controverses avec Cyrille.

Il publia à cet effet un ouvrage intitulé : Contre les trois chapitres. Un bon nombre de monophysites se rallia en Orient. En Occident, le pape Vigile opposa une certaine résistance. On le fit venir à Constantinople, où il prit la défense des trois théologiens incriminés, puisque Théodore était mort dans la communion de l’église, et que Théodoret et Ibas avaient été réhabilités à Chalcédoine. En 553, un Concile œcuménique convoqué par Justinien à Constantinople, se prononça dans le même sens que l’empereur sur les trois chapitres. Vigile, pour pouvoir rentrer à Rome, dut se soumettre et avouer que sa résistance à Justinien lui avait été inspirée par le diable. D’ailleurs plusieurs évêques occidentaux protestèrent, et il en résulta un schisme en Occident qui dura plusieurs années. Le schisme en Orient n’était pas résorbé. Le Concile de Constantinople porta aussi une condamnation rétrospective sur les écrits d’Origène.

3. Controverse monothélite. Au VIIe siècle, l’Empereur Héraclius (611-641) voulut reprendre la question. Il publia un ouvrage :

l'Ecthèse, où il disait que Jésus-Christ avait deux natures mais une seule volonté. 638 Le pape Honorius Ier (625-638) le soutint. Ce fut la controverse monothélite.

En Orient et surtout en Occident, la résistance fut forte.

En 680, on convoqua un concile œcuménique à Constantinople qui condamna le monothélisme, et la mémoire du pape Honorius comme hérétique.

Cet anathème sur Honorius fut confirmé par les papes Agathon (678-681) et Léon II (681-683).

Dans l’intervalle les Arabes avaient envahi l’Egypte et la Syrie et ces pays échappaient au pouvoir et à l’influence de Constantinople.

Il y eut quatre églises monophysites :

l’Eglise Grégorienne d’Arménie (en souvenir de Grégoire l’illuminateur, qui avait évangélisé le pays au IIIe siècle)

l’Eglise Jacobite de Syrie, ainsi nommée à cause de Jacob Baradai (le mal vêtu) qui regroupa les monophysites.

l’Eglise Copte d’Egypte, qui tourna le dos à la culture grecque et s’appuya sur la population égyptienne.

l’Eglise d’Ethiopie qui dépendait du patriarche d’Alexandrie.

L’hérésie monothélite aboutit au schisme de l’Eglise maronite, fondée par Jean Maron d’Antioche.

Le résultat de toutes ces controverses est consigné dans un texte rédigé en Occident: Le Symbole dit d’Athanase (VIe siècle) sur la Trinité, ainsi que sur la divinité et l’humanité de J.-C.

4. Conquêtes musulmanes. Au cours du VIIe siècle, Damas, Jérusalem puis l’Egypte tombèrent sous le joug musulman. En Egypte, les Arabes furent appelés par les monophysites qui étaient persécutés par les orthodoxes. La liberté de réunion était donnée aux chrétiens, mais ils ne pouvaient faire de la propagande ; ils étaient soumis à des impôts vexatoires, et le résultat fut une régression du christianisme. Au Liban seulement, les chrétiens ont une faible majorité aujourd’hui.

Condamnation des monothéistes.

Mais puisque celui qui dès le début est l’inventeur du mal a trouvé maintenant aussi des organes appropriés pour ses propres desseins, nous voulons dire Théodore, qui a été évêque de Phara, Sergius, Pyrrhus, Paul, Pierre, qui ont été présidents de cette ville royale ; et en plus Honorius qui a été pape de l'ancienne Rome ; il n’a pas manqué par eux de susciter pour l’ensemble de l’Eglise les scandales de l’erreur, et de semer l’erreur nouvelle selon laquelle il y aurait une volonté et une opération dans les deux natures de l’une des Personnes de la Sainte Trinité, Christ notre Seigneur.

Nous prêchons qu’il y a en Lui deux volontés naturelles et deux opérations naturelles, sans division, sans transformation, sans séparation, sans confusion, selon la doctrine des saints Pères, et que ces deux volontés ne sont pas contraires comme l’ont prétendu les hérétiques impies, à Dieu ne plaise, mais que sa volonté humaine suivait sans résistance et sans opposition sa volonté divine et toute puissante et s’y soumettait.

Concile de Constantinople

MANSI XI, pp. 636, 637.

Lettre de Léon II, pape.

C’est pourquoi, comme nous recevons et prêchons fermement les cinq saints conciles œcuméniques, celui de Nicée, celui de Constantinople, celui d’Ephèse, celui de Chalcédoine et celui de Constantinople, que toute l’Eglise de Christ approuve et suit ; de même nous recevons avec le même respect et la même approbation le sixième saint concile qui a été célébré récemment dans cette ville impériale... comme expliquant ces conciles et comme les suivant...

Nous anathématisons de même les inventeurs de la nouvelle erreur. Théodose, évêque de Phara, Cyrus d’Alexandrie, Sergius, Pyrrhus, Paul, Pierre, usurpateurs plutôt que présidents de l’église de Constantinople, et de plus Honorius qui n’a pas illustré cette église apostolique en y enseignant la doctrine apostolique, mais qui a essayé de renverser la foi immaculée par une trahison profane.

MANSI T. XI, pp. 730, 731.

Le Symbole dit d’Athanase.

Quiconque veut être sauvé doit avant toutes choses professer la foi catholique ; et à moins de conserver cette foi tout entière et sans tache, il sera certainement perdu éternellement.

Et voici la foi catholique : Nous adorons un Dieu dans la Trinité, et la Trinité dans l’Unité, sans confusion des Personnes et sans division de la substance. Car le Père est une Personne, et le Fils une autre, et le Saint-Esprit une autre. Mais la divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit est une, leur gloire est égale, et leur majesté co-étemelle. Tel est le Père, tel est le Fils, et tel est le Saint-Esprit. Le Père est incréé, le Fils est incréé, et le Saint-Esprit est incréé. Le Père incompréhensible, le Fils incompréhensible, et le Saint-Esprit incompréhensible. Le Père éternel, le Fils éternel, et le Saint-Esprit éternel. Et cependant il n’y a pas trois Etres éternels, mais un seul Etre éternel, comme il n’y a pas trois Etres incompréhensibles, ni trois Etres incréés, mais un seul Etre incréé, et un seul Etre incompréhensible.

De même le Père est tout puissant, le Fils est tout puissant et le Saint-Esprit est tout puissant. Cependant il n'y a pas trois Etres tout puissants, mais un seul Tout puissant. Ainsi le Père est Dieu, le Fils est Dieu, et le Saint-Esprit est Dieu, et cependant il n’y a pas trois Dieux, mais un Dieu. De même le Père est Seigneur, le Fils est Seigneur, et le Saint-Esprit est Seigneur, et cependant il n’y a pas trois Seigneurs, mais un seul Seigneur.

En effet, de même que la vérité chrétienne nous oblige à reconnaître que chaque Personne prise isolément est Dieu et Seigneur, de même la religion catholique nous interdit de déclarer qu’il y a trois Dieux ou trois Seigneurs.

Le Père n’a été fait par personne, ni créé, ni engendré. Le Fils tient son existence du Père seul, Il n’est pas fait, ni créé, mais il est engendré. Le Saint-Esprit tient son existence du Père et du Fils, il n'est pas fait, ni créé, ni engendré, mais il procède. Ainsi il y a un Père et non trois Pères, un Fils et non trois Fils, un Saint-Esprit et non trois Saints-Esprits.

Dans cette Trinité aucune des Personnes n'est avant ou après une autre, aucune supérieure ou inférieure à l’autre. Mais les trois Personnes sont co-éternelles et égales. De telle sorte qu’ainsi que nous l’avons dit il faut adorer l'Unité dans la Trinité et la Trinité dans l’Unité. Celui qui veut donc être sauvé, doit avoir cette opinion touchant la Trinité.

De plus, il est nécessaire pour son salut éternel qu’il croie correctement à l’incarnation de notre Seigneur Jésus-Christ. Car la Foi correcte, c’est que nous croyons que Notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, est Dieu et homme ; Dieu de la substance du Père, engendré avant les mondes, et homme de la substance de Sa mère, né dans le monde ; Dieu parfait et homme parfait constitué par l'âme raisonnable et par une chair humaine ; égal au Père, par sa divinité, inférieur au Père, par son humanité ; qui tout en étant Dieu et homme, cependant n’est pas deux, mais un seul Christ ; un, non par changement de la divinité dans la chair, mais par assomption de l’humanité en Dieu ; un, absolument sans confusion des substances, mais par l’Unité de la Personne.

Car de même que l’âme raisonnable et la chair sont un seul homme, Dieu et l'homme sont un seul Christ.

Il a souffert pour notre salut, il est descendu aux enfers, il est ressuscité des morts le troisième jour, il est monté au ciel, il est assis à la droite du Père, le Dieu tout puissant, d'où il reviendra pour juger les vivants et les morts. A sa venue, tous les hommes ressusciteront avec leurs corps, et rendront compte de leurs œuvres. Ceux qui ont fait le bien iront à la vie éternelle, et ceux qui ont fait le mal iront au feu éternel.

C'est là la Foi Catholique, si l'homme n’y croit pas fidèlement, il ne peut être sauvé.

 

Chapitre 4

LA POLITIQUE PAPALE AUX VIIe ET VIIIe SIÈCLES

1. Grégoire le Grand (590-604). Moine, puis archidiacre à Rome, il devint pape à la fin du VIe siècle. Intelligent, plein d’autorité, il trouva une situation politique délicate en Italie. Les Lombards avaient envahi l’Italie 568. Ils étaient ariens. Les successeurs de Justinien défendaient mal leurs possessions italiennes. Cela donnait au pape une certaine indépendance vis-à-vis de l’Orient. Il chercha à protéger Rome en acquérant de vastes terrains qui furent l’embryon des futurs Etats pontificaux.

Grégoire fit des efforts pour amener les Lombards à l’orthodoxie. La reine de Lombardie Théodelinde l’appuyait, ainsi que Colomban qui fonda le couvent de Bobbio. Ce n’est pourtant que plus tard 653 que le roi Aribert embrassa la foi catholique.

Grégoire fut l’initiateur de l’évangélisation des Anglo-Saxons, en envoyant Augustin chez eux. Celui-ci baptisa le roi du Kent et devint le premier évêque de Canterbury. L’avantage était double: 1. ces païens étaient christianisés. 2. une église directement soumise à la papauté était créée dans les îles britanniques, face à l’Eglise irlandaise toujours un peu indépendante.

Bède le Vénérable (mort 735) illustra l’Eglise anglo-saxone. Il composa des ouvrages d’histoire, d’exégèse et de science. C’est d’Angleterre que partirent aussi les apôtres de la Germanie, Winfrid, surnommé Boniface, et Willibrord.

Au point de vue doctrinal, Grégoire fixa la doctrine du Purgatoire. Il voua son soin à la liturgie, au chant sacré (musique grégotienne ou plain chant), à la prédication, encouragea l’usage des images dans les églises. Il dirigeait d’une main ferme l’Eglise d’Occident. Son ouvrage le plus utile est la Règle Pastorale, à l’intention des prêtres.

Le patriarche de Constantinople voulut se faire appeler «patriarche œcuménique ». Grégoire le remit en place. Lui-même s’intitulait « serviteur des serviteurs de Jésus-Christ ». Son pontificat n’en marque pas moins une étape importante dans l’ascension de la papauté.

Grégoire le Grand a encore composé des Moralités sur Job, ainsi que plusieurs sermons. Sa correspondance est très instructive.

2. Avance des Arabes en Occident. Ils ont conquis l’Afrique du Nord sans difficultés (2e moitié du VIIe siècle). L’Eglise fut presque complètement balayée. Ce phénomène unique est peut-être dû à l’ignorance de la Bible.

648 Ils traversèrent le détroit de Gibraltar et conquirent l’Espagne, sauf le royaume des Asturies (Golfe de Gascogne). La population resta chrétienne. Ils envahirent l’Aquitaine et furent arrêtés par Charles Martel, Maire du Palais, à Poitiers en 732.

3. Lutte contre le particularisme. Les papes étaient opposés à l’indépendance des églises. Au VIIIe siècle, ils eurent un émissaire, Boniface (676-755). Chez les Francs, il essaya d’introduire plus de discipline et de soumission à l’autorité papale. Boniface contrecarra l’influence des missions irlandaises en Allemagne. Il y fonda des églises directement sous l’autorité du pape et, pourvu du titre d’archevêque, créa divers évêchés. Le particularisme iro-breton fut ainsi éteint peu à peu.

Le culte devait se prêcher toujours selon le même rite et toujours en latin. La chose se comprenait dans les pays romanisés dont les langues nationales n’étaient au début que des patois. Mais les papes imposèrent le latin même en Allemagne.

4. Relations entre la papauté et Pépin le Bref (752-772). Pépin était Maire du Palais, mais désirait devenir roi des Francs. Le Pape cherchait un appui contre les Lombards. Pépin se fit nommer roi 752 des Francs, avec l’assentiment du Pape. Il combattit les Lombards et fit don au Pape Etienne II (752-757) des territoires autour de Rome et de Ravenne. Ce fut le patrimoine de Saint-Pierre. Le pape devint donc un souverain temporel, reconnu par le prince le plus puissant d’Europe.

Plus tard on a forgé un faux document par lequel Constantin aurait donné à Sylvestre Ier la domination temporelle sur Rome et ses environs.

 

Chapitre 5

L’ÉGLISE D’ORIENT AUX VIIIe ET IXe SIÈCLES

1. Gains et pertes. L’Eglise continue à lutter contre l’Islam et se maintient en Asie Mineure. Elle fait des conquêtes en pays slaves, par

les efforts de Cyrille (mort 869) et Methodius (mort 885), qui travaillèrent en Bulgarie et en Serbie. Ils ont traduit la Bible en slavon et ont posé les bases de cette langue. Ils évangélisèrent aussi la Moravie et la Tchéquie.

Les Slaves du Sud restèrent attachés à l’Eglise d’Orient, mais ceux du Nord passèrent plus tard à l’Eglise latine.

2. Controverse iconoclaste. Le culte des images s’était développé. On embrassait les icônes, on faisait brûler des cierges, on se prosternaît devant elles. Cela choquait les monophysites et les Musulmans. Certains chrétiens voulaient donc freiner le culte des images.

L’Empereur Léon III (717-741) l’Isaurien prit la tête du mouvement. 726 Par un premier édit, il fit enlever les images de la portée des fidèles. 730 Par un deuxième édit, il interdit la fabrication des images, et ordonna qu’on enterre ou recouvre celles qui existaient. On l’appela iconoclaste (briseur d’image).

Les papes Grégoire II (715-731) et Grégoire III (731-741), ainsi que l’évêque Germanos de Constantinople protestèrent. Ce dernier démissionna, et Anastase, son successeur, encouragea les tendances iconoclastes.

Constantin V (741-775), successeur de Léon III, condamna par le Concile de Constantinople 754 le culte des images comme un acte de polythéisme, une invention du diable et une hérésie. Pendant tout son règne, il persécuta les adorateurs d’images.

L’impératrice Irène, régente pendant la minorité de son fils, à qui elle fit crever les yeux et qu’elle fit périr, convoqua en 787 un Concile à Nicée. Les délégués de l’évêque de Rome influencèrent les débats, et on déclara le précédent Concile de Constantinople hérétique. On rétablit le culte des images, on distingua :

— le culte de latrie, réservé à Dieu

— le culte de dulie, adressé aux saints

— le prosternement respectueux dû aux images.

802 Peu après les iconoclastes reprirent le dessus et l’impératrice fut exilée. L’Église grecque la vénère comme une sainte martyre.

L’Empereur Léon V (813-820) l’Arménien combattit lui aussi le culte des images, mais la veuve d’un de ses successeurs, Théodora, le rétablit. 842 Elle fixa la fête de l’orthodoxie, célébrée encore aujourd’hui ; on y prononçait l’anathème contre tous les hérétiques de tous les temps, et l’on y proclame les vertus de l’Eglise greco-byzantine.

3. Hérésie paulicienne. Elle naît au 7e siècle en Asie mineure. On accusait les Pauliciens d’être manichéens : il y avait là une exagération, car ils ne se livraient pas aux spéculations des anciens manichéens. D’autre part, ils reprenaient à leur compte l’opposition entre esprit bon et matière mauvaise. Ils rejetaient l’Ancien Testament et une partie du Nouveau. Ils étudiaient surtout Luc, Jean, Paul. Ils n’attribuaient pas une grande valeur aux sacrements, ils étaient hostiles au baptême des enfants, très anticléricaux et très hostiles au culte des images.

Un certain Constantin de Samosate fut l’initiateur du mouvement. Le général Siméon, envoyé pour les réprimer, se convertit.

Au VIIIe siècle, ils se maintinrent en Asie-Mineure, soutenus par Léon III, qui en transplanta en Thrace, d’où ils évangélisèrent la Bulgarie. Mais Théodora les persécuta très violemment.

En Bulgarie et en Bosnie, ils gagnèrent à leurs idées une partie notable de la population. Ils y prirent le nom de Bogomiles (amis de Dieu) et se maintinrent jusqu’aux invasions musulmanes (XIVe et XVe siècles).

4. Jean Damascène (VIII siècle). C’est le théologien classique de l’Eglise orthodoxe. Il recueillit les déclarations des Pères du IVe siècle et composa un ouvrage sur la Trinité, où il développa la doctrine de la périchorèse ou circumincession qui affirme que chacune des trois Personnes de la Trinité est présente dans les deux autres.

C’était un adversaire des iconoclastes. Il préconisait le culte des images, en se basant sur le fait que le Fils est l’image du Dieu invisible.

Les deux principaux ouvrages de Jean Damascène sont Les sources de la connaissance, où il examine successivement la philosophie, les hérésies et la doctrine orthodoxe, et Les saints parallèles qui exposent la doctrine des théologiens du IVe siècle, en particulier celle des Cappodociens. Cet ouvrage fut traduit en latin et de ce fait influença les théologiens scholastiques d'Occident.

5. Vie intérieure de l’Eglise d’Orient. Les dissidences monophysites et monothélites, puis les invasions arabes réduisirent à peu près à rien l’importance des patriarches orthodoxes d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem. De ce fait, le patriarche de Constantinople apparaissait comme le seul chef de l’Eglise d’Orient et pouvait s’intituler patriarche œcuménique. Mais il n’avait aucune indépendance en face de l’empereur qui intervenait dans les nominations et qui prononçait des destitutions. La théologie se perdait dans des discussions « byzantines » sur des points de détail. Le culte restait très pompeux. La vénération pour les reliques encourageait la pratique des pèlerinages, en particulier à Jérusalem. Les moines, toujours très nombreux, favorisaient la superstition. Certains se rendirent utiles par des travaux manuels, l’exercice de l’hospitalité et des ouvrages d’érudition. Ceux du Mont Athos, par exemple, se distinguèrent comme copistes. Le niveau très bas de la moralité à la cour impériale, dans l’Eglise et dans la population allait précipiter la décadence.

La vénération des images.

Nous décrétons la restauration des saintes images qui doivent être vénérées comme l’a été de tout temps le signe de la croix. Elles seront rétablies dans les églises, sur les vases du culte, sur les vêtements sacerdotaux, sur les murailles, sur les tableaux séparés, dans les maisons et dans les rues ; car plus on voit ces saintes figures, plus l’esprit s’élève jusqu’à la mémoire et au respect qui sont dus aux personnages qu’elles représentent. Nous décrétons qu’on s’en approchera pour les baiser, pour se prosterner devant elles, sans entendre toutefois par là qu’on leur rendra le véritable culte, qui n’est dû qu’à la nature divine. On ne fera pour elles que ce que l’on fait pour le signe de la croix, pour les saints évangiles et autres objets sacrés. On leur rendra aussi l’honneur de l’encens et des cierges selon l’usage pratiqué pieusement depuis un temps immémorial ; car toute démonstration extérieure de respect accordée à l'image passe à celui dont elle reproduit les traits, et le fidèle qui salue cette image vénère le personnage qu’elle représente.

Concile de Nicée

MANSI T. XIII, p. 377.

 

Chapitre 6

LA RENAISSANCE CAROLINGIENNE

Sous l’impulsion de Charlemagne (771-814), successeur de Pépin, il y eut une véritable période de renaissance, d’inspiration nettement chrétienne.

1. La conversion des Saxons. Charlemagne mit fin au royaume lombard, combattit les Musulmans et les repoussa au-delà de l’Ebre, puis attaqua les Saxons. Il voulait les convertir au christianisme. Ils furent écrasés par la supériorité militaire de Charlemagne, qui les obligea, sous peine de mort, à se faire baptiser. C’était le début des conversions obtenues par la violence.

2. Cesaro-papisme de Charlemagne. Charlemagne se considérait comme le maître de l’Occident à tous points de vue. Il a la charge de régir l’Eglise, se mêle de questions de doctrine, d’administration ecclésiastique ; il nomme des évêques et convoque des conciles ; il surveille la moralité des prêtres ; il recommande la prédication en langue vulgaire et fait traduire le credo et l’oraison dominicale.

Parvenu au faîte de sa puissance, Charlemagne pensa que le moment était venu de rétablir l’Empire romain d’Occident. Le pape Léon III (795-816) déposa la couronne impériale sur la tête de Charlemagne le jour de Noël 800.

Son fils Louis le Débonnaire (814-840), sur l'ordre de son père, se couronna lui-même, mais consentit ensuite à ce que le pape Etienne IV (816-817) renouvelle la cérémonie du couronnement. Louis proclama 823 plus tard la suprématie de l'empereur sur le pape, mais il était d'un caractère trop faible pour appliquer ce principe.

3. Vie intellectuelle. Charlemagne a favorisé l’instruction ; il créa de nombreuses écoles, car les illettrés étaient extrêmement nombreux. II recourut pour cela aux moines et surtout à l’Anglo-Saxon Alcuin (mort 804), qu’il chargea de réorganiser les écoles. A ceux qui étaient instruits on devait accorder des places importantes.

Le moine lombard Paul Diacre (mort 795) et le Franc Eginhard (mort 840) furent aussi les collaborateurs de Charlemagne dans le domaine de l'instruction.

On enseignait le trivium : grammaire, rhétorique, dialectique, et le quadrivium : arithmétique, géométrie, astronomie, musique.

Au palais de Charlemagne, il y avait une école supérieure, nommée palatine, mais il encourageait surtout l’instruction élémentaire dans les villages et les villes. L’ignorance recula donc.

4. Activité théologique. Charlemagne s’intéressait aux questions doctrinales. Il fit ajouter au symbole de Nicée-Constantinople une clause comme quoi le Saint-Esprit procède du Père et du Fils (Filioque), conformément à ce qu’avait déjà affirmé le Concile de Tolède. La question du Filioque sépara désormais l’Eglise d’Orient de celle d’Occident en ce qui concerne le Saint-Esprit.

Charlemagne condamna l’adoptianisme, théorie soutenue par quelques évêques espagnols, et selon laquelle, Jésus, en tant que Fils de la Vierge, aurait été adopté par Dieu.

Les principaux promoteurs de l’adoptianisme furent Elipand et Félix d'Urgel. Ils furent condamnés aux Conciles de Ratisbome (792), de Francfort (794) et d'Aix-la-Chapelle (799).

Charlemagne fut l’adversaire du culte des images, il fit publier à cet effet les Livres Carolins. 794 Le Concile de Francfort condamna les décisions du Concile tenu quelques années auparavant à Nicée.

Il y eut en ce temps-là quelques hommes que l’on peut considérer comme des précurseurs de la réforme protestante : Agobart, archevêque de Lyon (mort 841), qui supprima dans la liturgie tout ce qui n’était pas dans la Bible, et Claude, archevêque de Turin (mort 839), très attaché à la Bible, de tendance augustinienne, qui fut soupçonné d’hérésie, mais pas inquiété. Tous deux étaient très hostiles au culte des images.

 

Chapitre 7

L’ÉGLISE SOUS LA FÉODALITÉ

La renaissance carolingienne ne fut guère durable. Les fils de Louis le Débonnaire se partagèrent l’Empire, et la brillante civilisation carolingienne s’effondra.

Trois grands royaumes, puis mille petits états, s’élevèrent sur les débris de l’Empire.

1. Essor et affaissement de la papauté. Il restait en Occident un seul pouvoir incontesté, celui du pape. Un faux document vint à ce moment ajouter à son prestige. Depuis longtemps on avait pris l’habitude de recueillir les décrétales par lesquelles les papes prenaient position sur des questions de dogme ou de discipline. Vers 850, l’on ajouta à la collection une série de fausses décrétales attribuées à des évêques de Rome des IIe, IIIe et IVe siècles, et par lesquelles ceux-ci auraient proclamé l’indépendance de l’Eglise sur le pouvoir civil et l’autorité absolue du pape sur tous les ecclésiastiques. Ces écrits ont grandement favorisé les ambitions papales jusqu’au moment où l’on reconnut leur fausseté.

Sur ce, un pontife très énergique et capable, Nicolas Ier (858-867) devint Pape. Il intervint dans la vie privée du roi Lothaire II qui voulait répudier sa femme Theutberge pour en épouser une autre. Nicolas Ier destitua les archevêques de Cologne et de Trêves qui soutenaient le roi, et ce dernier dut se soumettre. Il imposa sa loi aux grands dignitaires, comme l’archevêque Hincmar de Reims, et tâcha de faire valoir son autorité même à Constantinople.

Hincmar de Reims avait destitué son suffragant Rothade de Soissons (860). Celui-ci fit appel au pape qui le rétablit dans ses fonctions.

 

Jean VIII (872-882) conféra en 875 la dignité impériale à Charles le Chauve qui appartenait à la lignée cadette. Ainsi le pape semblait pouvoir disposer à son gré de la couronne et la donner à qui lui plaisait.

Mais dès la fin du siècle, la papauté tomba sous la coupe des grandes familles de Rome, souvent très corrompues. Ce fut la période de la « pornocratie ». S’il y a des doutes sur l’existence à cette époque d’une « papesse Jeanne », les scandales inouïs de la cour de Rome ne sont que trop bien attestés.

Etienne VI (896-897) fit déterrer le corps de son prédécesseur Formose (891-896) pour faire son procès et le jeter dans le Tibre.

Jean XII (956-964) était à son avènement un tout jeune garçon. Il fut accusé d’adultère, d’inceste et de sacrilège ; il buvait à la santé du diable et invoquait les dieux païens.

A ce moment, les souverains d’Allemagne intervinrent, dans l’intention de réformer l’Eglise et de reconstituer à leur profit l’empire de Charlemagne.

Othon le Grand (936-973) se fit couronner empereur par Jean XII, puis il se brouilla avec lui, le destitua et fit nommer le pape Léon VIII par un synode (963-964). En Allemagne même, il fit don de vastes territoires aux évêques et aux abbés qui, de la sorte, devenaient princes temporels et prêtaient le serment d’allégeance au souverain. Celui-ci restait maître des territoires et pouvait de ce fait investir les ecclésiastiques. Ses successeurs, Othon II (973-983) et Othon III (983-1002) manifestèrent également des tendances césaro-papistes. Les évêques furent d’ailleurs tentés dès lors plus que jamais de négliger leurs devoirs spirituels au profit de leurs intérêts terrestres.

Au XIe siècle, la papauté retomba dans l’anarchie. Il y eut jusqu’à trois papes rivaux. Henri III d’Allemagne (1039-1056) les destitua tous les trois et fit nommer Clément II (1046-1047). Il stipula que désormais la nomination d'un pape devait être soumise à l’approbation de l’empereur.

2. Conquêtes. Les pays Scandinaves furent évangélisés : la Suède par Ansgar au IXe siècle, le Danemark, la Norvège, l’Islande au Xe siècle. Peu après l’an 1000, le paganisme était officiellement aboli dans les quatre pays.

994 Adalbert de Prague porta l’Evangile aux Hongrois, population mongole émigrée dans la plaine du Danube au Xe siècle. Il baptisa Etienne, l’héritier de Hongrie, qui fut couronné quelques années plus tard à Gran 1000. La Hongrie se constitua en état vassal du Saint Siège.

Le duc de Bohême Venceslas Ier (928-935) introduisit le christianisme latin dans son pays qui avait d’abord subi l’influence de l’église grecque.

966 Un peu plus tard, le duc de Pologne Miezislav établit la religion chrétienne dans ce pays. Au début, l’église polonaise dépendait de l’archevêché allemand de Magdebourg, mais dans la suite le roi Boleslav (992-1025) fonda un archevêché polonais à Gniezno (Gnesen).

Adalbert de Prague contribua à fortifier le christianisme de rite romain en Bohême et en Pologne. 997 Il mourut martyr en Prusse.

3. Réforme de Cluny. La vie monastique s’était dégradée avec les siècles. Sous le règne de Louis le Débonnaire, Benoît d’Aniane essaya de rétablir dans les couvents la règle bénédictine. Chrodegang de Metz entreprit de réglementer la vie des chanoines.

Au Xe siècle, l’abbé Bernon fonda, près de Châlon s. Saône, l’abbaye de Cluny 910 où il voulait observer la règle de Benoît de Nursie et restaurer une vie sévère. A cet effet, il ne plaça pas la maison sous l’autorité des évêques, mais directement sous celle du pape. Son successeur, Odon de Cluny (926-942) obtint de pouvoir placer d’autres monastères sous la dépendance de la maison mère. Ainsi l’abbé de Cluny se trouvait à la tête de tout un ensemble de maisons où le même idéal était recherché. Ce furent des centres de piété, de travail, d’érudition, de bienfaisance et dont le rayonnement influença l’organisation de l’Eglise entière.

Le mouvement bénéficia des longs « règnes » de ses abbés.

Odilon (994-1048) eut l’idée de La Trêve de Dieu : tous les combats devaient s’interrompre du jeudi matin au dimanche soir. Elle fut adoptée et bien observée en France et ailleurs.

Hugues le Grand (1048-1109) favorisa les pèlerinages, surtout à Saint-Jacques de Compostelle (Espagne). Ce fut l’amorce de la reconquête de l’Espagne. Des églises romanes s’élevèrent le long des routes qui y conduisaient.

Les Empereurs d’Allemagne firent appel à des moines de Cluny pour réformer l’Eglise ; plusieurs d’entre eux devinrent papes, et préparèrent l’essor de l’Eglise pendant la période suivante.

4. La théologie. Au IXe siècle, un moine de Corbie Pascase Radbert (mort 865) avance l’idée de la transsubstantiation : le pain et le vin deviennent le corps et le sang que Jésus-Christ avait reçus de la vierge Marie. Il fut combattu par Ratramne, aussi moine de Corbie, qui croyait à une présence et à une nourriture spirituelles.

Une controverse sur la prédestination surgit entre divers théologiens au IXe siècle. Un moine de Fulda, Gottschalk (mort 868), reprit les idées d’Augustin, en les accentuant. Ses idées prévalurent en partie, mais il ne put empêcher l’Eglise dans son ensemble de glisser sur la pente de la doctrine du salut par les œuvres.

Gottschalk fut combattu par les archevêques Raban Maure de Mayence et Hincmar de Reims 849 qui le firent condamner par un concile, battre de verges et enfermer dans un couvent. Hincmar chargea Scot Erigène d'attaquer le dogme de la prédestination ; mais celui-ci le fit avec tant de désinvolture et des tendances si évidemment pélagiennes, 859 qu’il fut condamné à son tour. Ratramne et l’archevêque Rémi de Lyon intervinrent en faveur de l'augustinisme, et Hincmar lui-même finit par accepter que le salut des élus était dû à une grâce spéciale de Dieu.

Jean Scot Erigène était plus philosophe que théologien. Il penchait vers le rationalisme et le panthéisme. Pour lui l’Ecriture doit être a priori en accord avec la raison. Originaire d'Irlande, il fut appelé en France par Charles le Chauve qui aimait l’avoir à sa cour.

Contrairement à ce qu’on pense, il n’y eut pas de grands remous vers l’an 1000 à la pensée d’un prochain retour de Jésus-Christ. Il n’y eut que quelques prédications isolées dans ce sens.

 

Chapitre 8

LE SCHISME D’ORIENT

1. Les causes. En Orient, la langue et la mentalité grecques, en Occident la langue et la mentalité latines dominaient. La séparation politique concourait aussi à une séparation ecclésiastique. L’empereur d’Orient ne désirait pas que l’Eglise de ses Etats dépendît d’un pouvoir étranger.

Au point de vue doctrinal, l’Orient admettait que le Saint-Esprit procédait du Père seul ; l’Occident avait compris qu’il procédait du Père et du Fils.

L’Orient proscrivait le célibat, la tonsure et le rasage des prêtres que l’Occident préconisait. En Orient on prenait l’eucharistie avec au pain levé, en Occident, avec du pain azyme. En Orient on baptisait par immersion, en Occident par aspersion. Les icônes orientales étaient toujours des peintures ou des mosaïques, alors qu’en Occident on n’hésitait pas à faire des statues. La cause essentielle du schisme fut cependant l’absolutisme papal qui voulait exercer la domination sur le patriarche de Constantinople, tandis que celui-ci refusait catégoriquement de se soumettre.

2. Les démêlés au IXe siècle. Sous Nicolas 1er (858-867), le patriarche Ignace de Constantinople fut déposé par l’empereur dont il censurait la vie licencieuse. Photius qui était un savant linguiste et commentateur, fut mis à sa place par l’empereur. Nicolas Ier lança l’anathème sur Photius. Il en résulta un schisme de quelques années, qui prit fin quand Photius fut déposé et Ignace rétabli.

869 Photius fut condamné par un concile à Constantinople rangé par l’Eglise romaine au nombre des conciles œcuméniques. D’ailleurs, après la mort d’Ignace, Photius fut rétabli.

3. Le schisme définitif (1054). Le schisme éclata entre le patriarche de Constantinople Michel Cerularius (1045-1058) et le pape Léon IX (1049-1054).

1053 Le premier écrivit à un évêque grec d’Italie une lettre où il se prononçait vivement contre le pape, qui envoya des délégués à Constantinople. Après une dispute violente, le légat Humbert déposa le 16 juillet 1054 sur l’autel de Sainte-Sophie une formule d’excommunication contre le patriarche. Michel Cérularius convoqua alors un synode qui excommunia le pape.

4. Tentatives de rapprochement (XIe-XVe s.). Les Croisades, dès la fin du XIe siècle, amenèrent nécessairement des rapports, pas toujours cordiaux, entre l’Eglise d’Orient et celle d’Occident.

1204 Une Croisade s’attaqua à l’Empire Grec et les Croisés prirent Constantinople, la pillèrent et installèrent un Empire Latin en Orient (1204-1261).

1274 Une tentative de réconciliation eut lieu au Concile de Lyon. Les délégués orientaux acceptèrent toutes les propositions, mais le peuple se révolta 1283 et les délégués furent condamnés.

1439 Devant l’avance des Turcs, au Concile de Florence, une nouvelle tentative fut amorcée, sans plus de résultats. Seuls les Italo-Grecs restèrent ralliés à l’Eglise romaine.

En 1453, Constantinople tombait sous le coup des Turcs. Sainte-Sophie fut transformée en mosquée. Les Turcs laissèrent subsister le patriarcat de Constantinople, mais en substituant au césaro-papisme de l’empereur Byzantin celui du Sultan.

5. Vie intérieure de l’Eglise grecque. Il n’y a pas grand chose à signaler à cet égard. L’Eglise se fige peu à peu et ne changera plus guère jusqu’à nos jours. Le formalisme et la superstition étouffent toujours plus la vie spirituelle. L’on ne peut mentionner aucun théologien de quelque envergure.

Les dogmes antibibliques, comme ceux du purgatoire ou de la transsubstantiation, sont moins nettement formulés que dans l’Eglise latine, mais sans qu’il y ait de différence appréciable entre les conceptions des uns et des autres. L’usage de la langue du peuple (p. ex. le syriaque et le slavon) peut aussi être considéré comme à l’actif de l’Eglise d’Orient. Mais ces langues elles-mêmes, comme le grec ancien, ne tardent pas à devenir des langues mortes, si bien que le culte ne peut plus être compris de la masse des fidèles.

La mystique orientale se manifeste par l’existence d’une iconostase, paravent pourvu de portes et décoré d’icones, derrière lequel se trouve l’autel.

L’Eglise grecque a sept mystères qui correspondent aux sacrements de l’Eglise romaine. Ce sont :

le baptême, administré par triple immersion des enfants 40 jours après la naissance ;

la confirmation qui suit immédiatement le baptême ;

l’eucharistie, donnée avec du pain levé et du vin à tous les fidèles, enfants compris ;

la pénitence qui comporte la confession suivie d’absolution ;

le mariage ;

l’ordination que l’évêque seul peut conférer ;

Ponction d’huile administrée en vue de la guérison, en cas de maladie grave.

Le schisme d’Orient.

Humbert, par la grâce de Dieu cardinal évêque de la Sainte Eglise Romaine, à tous les fils de l’Eglise catholique.

« Que Michel, abusivement patriarche, néophyte qui a reçu l’habit de moine seulement par une crainte humaine, et qui a été discrédité par des crimes affreux, et qu’avec lui Léon, le prétendu évêque d’Acrida, et que le trésorier de Michel, Constantin, qui a foulé de ses pieds profanes l’hostie des Latins, et que tous ceux qui les suivirent dans les dites erreurs et propositions téméraires, Soient anathème, Maranatha, avec les Simoniaques, les Valériens, les Ariens, les Donatistes, les Nicolaïtes, les Sévériens, les Pneumatomaques, les Manichéens, et les Nazaréens, et avec tous les hérétiques, bien plus avec le diable et ses anges, à moins qu’ils ne reviennent à des sentiments plus sages. Amen. Amen. Amen.

HUMBERT.

Migne Patrologie grecque

Tome 120, pp. 741-746.

Il a été décidé que le premier jour de la semaine prochaine, 24me jour du présent mois de juillet, où l’on doit lire en présence du public, selon la coutume, l’ecthèse du 5me synode, on prononcera l’anathème sur cet écrit impie et sur ceux qui l’ont exposé, écrit et qui ont donné leur approbation ou leur conseil pour sa réduction. L’original de cet écrit profane et exécrable jeté par les impies n'a pas été brûlé, mais il a été déposé dans le saint secret du bibliothécaire comme pièce à conviction perpétuelle contre ceux qui ont prononcé de tels blasphèmes contre Dieu, et pour leur condamnation certaine.

MICHEL CÉRULARIUS

Edit synodal

Migne Patrologie, Tome 120, p. 748.

 

Chapitre 9

LES DÉBUTS DE L’ÉGLISE RUSSE

1. Origine de l’Eglise russe. Les premiers débuts de cette église datent du voyage que la princesse Olga 957, veuve du Grand-Prince Igor, fit à Constantinople.

988 A la fin du Xe siècle, le Grand Prince Vladimir se fit baptiser avec la population à Cherson. Dès lors, le christianisme oriental fut la religion officielle de la Russie. La piété était au début superficielle et mêlée de superstition païenne. Au lieu de vénérer le dieu du tonnerre et la Terre nourricière, on vénérait saint Elie et la Mère de Dieu.

Au début, la dépendance vis-à-vis de l’Eglise Grecque était nette : des métropolites grecs résidaient à Kiev après avoir été consacrés à Byzance. Quelques évêques et des prêtres (popes) souvent très ignorants, administraient l’Eglise. La Bible et la liturgie avaient été traduites en slavon.

Les moines ont pris une grande importance. Ils avaient seuls droit d’entendre la confession. Un certain Théodose fonda des couvents dans les grottes de Kiev.

2. L’émancipation de l’Eglise russe (XIe-XVe siècles). Aux XIe et XIIe siècle, l’Eglise russe avait des sentiments cordiaux pour l’Eglise d’Occident. La prise de Constantinople par les Croisés fut considérée comme un sacrilège. D’autre part, les attaques des Polonais, Allemands, Suédois, contre l’Etat russe indisposa la population. L’Eglise russe se durcit donc dans une attitude hostile à Rome.

Au XIVe siècle, Moscou devint capitale. Le métrépolite résidait dès lors à Moscou, tout en étant titulaire du siège de Kiev.

mort 1378            Alexis travailla à centraliser l'Eglise et l’Etat.

mort 1392           Serge de Radoneje renforça le monachisme et créa le couvent de la Trinité.

Après le concile de Florence, les Russes furent irrités des concessions faites par les Orientaux. 1448 Isidore de Kiev dut quitter Moscou, et son successeur, le métropolite Jonas de Moscou, fut nommé sans l’assentiment du patriarche de Constantinople. L’indépendance était désormais complète. Comme seul peuple orthodoxe indépendant des Turcs, les Russes devinrent les protecteurs naturels de leurs frères opprimés.

 

CONCLUSION

Chronologiquement, le plus simple est de diviser cette période par siècle.

Ve siècle. Invasion des Vandales, Visigoths, Ostrogoths, Burgondes (Ariens) et des Anglo-Saxons et Francs (Païens). Chute de l’empire d’Occident. Fondation de l’Eglise irlandaise. Conversion des Francs au catholicisme.

VIe siècle. Justinien. Fin des royaumes vandale et ostrogoth. Controverse monophysite. Concile de Constantinople. Conquêtes franques. Benoît de Nursie. A la fin du siècle, invasion lombarde. Passage des Visigoths au catholicisme. Concile de Tolède. Grégoire Ier. Conversion des Anglo-Saxons au catholicisme. Doctrine du purgatoire. Mission irlandaise.

VIIe siècle. Conquêtes musulmanes. Controverse monothélite. Concile de Constantinople. Débuts de l’hérésie paulicienne.

VIIIe siècle. Arrêt de la conquête musulmane. Jean Damascène. Controverse iconoclaste. Concile de Nicée. Pépin et Charlemagne. Patrimoine de Saint-Pierre. Boniface en Allemagne. Conversion violente des Saxons. Condamnation de l’adoptianisme.

IXe siècle. Seconde controverse iconoclaste. Missions grecques en Bulgarie et Moravie. Agobart. Claude de Turin. Division de l’empire de Charlemagne. Controverses sur la transsubstantiation et sur la prédestination. Fausses décrétales. Nicolas Ier. Pornocratie.

Xe siècle. Mission grecque en Russie. Féodalité. Cluny. Missions latinés en Scandinavie, Bohême, Pologne, Hongrie. Jean XII. Césaro-papisme. Empereurs d’Allemagne.

XIe siècle. Bogomiles, Trêve de Dieu, Pèlerinages à Saint- Jacques de Compostelle. Suite de la Réforme de Cluny. Schisme d’Orient. Après la brillante période précédente, celle-ci apparaît terne.

Elle est cependant très importante. Le christianisme a perdu des territoires qu’il n’a jamais pu reprendre. Il a achevé, à peu près, la conquête de l’Europe, et atteint des limites qu’il n’a jamais dépassées jusqu’à la découverte du Nouveau Monde. C’est pendant cette période que se sont établis dans le catholicisme certains des grands abus que nous déplorons aujourd’hui : doctrine du purgatoire, activité politique du pape, culte dans une langue incompréhensible, ignorance de la Bible. La superstition et le cléricalisme se sont considérablement aggravés.

Malgré bien des témoins fidèles (moines, missionnaires, certains évêques, les iconoclastes), cette période marque un recul effrayant par rapport à l’Eglise primitive. En Orient, l’engourdissement, en Occident l’égarement vont croissant. En 1054 les deux branches de la chrétienté se séparent, mais ont toutes deux un Evangile obscurci et une morale relâchée.

 

TROISIÈME PARTIE
L'EGLISE A L'APOGEE DE LA PUISSANCE PAPALE
XIe à XIIIe siècles

INTRODUCTION

Après la désorganisation féodale, nous assistons, du XIe au XIIIe siècles, à des efforts destinés à rétablir un ordre stable. Les rois de France et d’Angleterre entreprennent de limiter le pouvoir de la noblesse et de créer des états centralisés et bien organisés ; les souverains d’Allemagne essaient de grouper tout l'Occident autour de la couronne impériale, dont ils se sont emparés à l’exemple de Charlemagne ; mais ils ne parviennent même pas à assujettir la noblesse de leur propre pays.

Dans cette Europe divisée et qui cherche son unité, la puissance qui avait été le moins ébranlée par le régime féodal, c’était l’Eglise. C’est aussi elle qui est la première à se ressaisir. Elle parvient, au cours de ces deux siècles et demi, à grouper tout l'Occident sous son sceptre comme jamais auparavant et jamais depuis. Toute la vie politique, artistique, littéraire, intellectuelle gravite autour de l’Eglise romaine et de son représentant, le pape.

 

Chapitre premier

LA PAPAUTÉ ET L’ÉTAT

1. Grégoire VII (1073-1084). Déjà avant de monter sur le trône pontifical, le moine Hildebrand a été le conseiller de plusieurs papes et les a influencés pour faire prévaloir dans toute l’Eglise la réforme de Cluny.

Léon IX (1049-1054) se mit à conférer le titre de cardinal, jusqu’alors réservé aux principaux évêques, prêtres et diacres de la région romaine, à des ecclésiastiques d’autres pays. De ce fait il avait dans toute la chrétienté des représentants sur qui compter ; de plus le collège des cardinaux apparaissait comme l’expression de l’Eglise universelle.

Sous Nicolas II (1058-1061) Hildebrand émancipa la papauté à la fois de l’empereur et des familles romaines en faisant décréter par un synode à Latran 1059 que désormais le pape serait élu par les cardinaux. Cela donnait à ces derniers une importance qu’ils n’avaient jamais eue auparavant, si bien qu’ils ont pris le pas sur tous les au-très dignitaires catholiques.

Enfin Hildebrand fut élevé lui-même à la dignité papale sous le nom de Grégoire VIL II se proposa un triple but : 1) imposer le célibat à tout le clergé ; les prêtres mariés durent renoncer à leurs fonctions ou répudier leur femme ; l’opposition que cette mesure rencontra finit par être brisée, et la volonté du pape prévalut. 2) supprimer la simonie, c’est-à-dire le trafic à prix d’argent des charges ecclésiastiques. 3) supprimer l’investiture laïque ; il fallait, en effet, ôter aux princes le droit de nommer les dignitaires ecclésiastiques pour être sûr que les deux autres mesures fussent appliquées.

Bien entendu, Grégoire rencontra l’opposition des princes, et en particulier du roi Henri IV d’Allemagne (1056-1106). Ce dernier, avec l’appui de quelques évêques allemands, déclara déposer le pape. Mais Grégoire riposta en déliant les sujets du roi de leur serment de fidélité ; et Henri, abandonné par ses amis et en butte aux menaces des nombreux ennemis qu’il avait dans son pays même, dut s’humilier. A Canossa, en Toscane, en 1077, il implora pendant 3 jours, pieds-nus et en vêtement de pénitent, le pardon du pape avant de l’obtenir.

La lutte ne tarda d’ailleurs pas à reprendre, et Grégoire VII dut, pour finir, s’enfuir de Rome ; il mourut en exil, en Italie méridionale. Mais la victoire morale qu’il avait remportée sur le premier souverain d’Europe ne devait pas tarder à porter des fruits ; la Iongue querelle des investitures se termina par un accord aux termes duquel les dignitaires ecclésiastiques allemands (évêques, abbés, etc.) devaient être nommés par les clercs de leur ressort, et confirmés par le pape et par l’empereur.

Ce concordat fut conclu en 1122 entre le pape Calixte II (1119-1124) et l’empereur Henri V (1106-1125). L’empereur devait conférer aux ecclésiastiques le sceptre, emblème de leur pouvoir temporel, et le pape la crosse et l'anneau, signes de leur autorité spirituelle. Cette décision fut entérinée dans un 9me concile œcuménique à Latran en 1123.

Cependant en Italie même le pape rencontrait des difficultés. Arnauld de Brescia prêchait une réforme selon laquelle les dignitaires de l’Eglise devaient renoncer à leurs biens temporels. Condamné au 10me concile œcuménique de Latran (1139), il promit au pape Innocent II (1130-1143) de se taire. Mais après la mort de ce dernier, il fut rappelé par les Romains, chassa le pape Eugène III (1145-1153) et proclama la république à Rome. Le pape Adrien IV (1154-1159) frappa la ville d’interdit, si bien qu’Arnauld dut s’enfuir. 1155 Livré aux mains du pape, il fut exécuté par le préfet de la ville.

2. Alexandre III (1159-1181). Ce pape a humilié le roi d’Angleterre Henri IL Ce dernier ayant voulu soumettre les ecclésiastiques 1170 aux tribunaux civils, était entré en conflit avec l’archevêque de Can-terbury, Thomas Becket, qui fut assassiné. Le pape le canonisa, et le roi pour conserver sa couronne fut obligé de se faire flageller sur la tombe de l’archevêque, et de rétablir l’immunité des ecclésiastiques. Alexandre III eut une longue querelle avec l’empereur d’Allemagne, Frédéric Barberousse, et finit par avoir gain de cause ; après la paix de Venise 1177, l’empereur dut parcourir la ville, la main sur l’étrier du pape.

Un 11me concile œcuménique tenu à Latran en 1179 précisa que le pape devait être élu par les deux tiers des cardinaux. Ce concile prit aussi des mesures contre les Albigeois.

3. Innocent III (1198-1216). Malgré sa jeunesse, ce pape réussit, Far son austérité et sa sagesse, à imposer un immense respect à toute Europe. En Allemagne, deux rois rivaux se disputaient le pouvoir.

Il sut se faire flatter par l’un et l’autre, et obtint le droit de nommer les évêques.

La France fut placée sous l’interdit, parce que le roi Philippe II Auguste (1180-1223) avait été infidèle à sa femme 1200. En fin de compte, le roi dut se réconcilier avec elle.

Innocent III priva de ses états le roi d’Angleterre Jean sans Terre, qui avait exilé l’archevêque de Canterbury. Après un conflit de plusieurs années, 1213 le roi se soumit et proclama son pays vassal du Saint-Siège, avec obligation de payer un tribut annuel. La noblesse anglaise, irritée, arracha au roi la Grande Charte des Libertés anglaises1215.

Les rois d’Aragon, de Hongrie, de Pologne et de Bulgarie se rendirent spontanément tributaires de Rome.

Enfin par la ruine de l’empire d’Orient, après la 4e Croisade, la péninsule balkanique passa, elle aussi, sous la domination du pape, sous le nom d’Empire Latin. Un patriarche latin prit la place, à Sainte-Sophie, du patriarche grec, fugitif, et le bas clergé grec se soumit, bon gré mal gré, à la juridiction romaine.

Le concile de Latran, 12e œcuménique, en 1215, marque l’apogée de la puissance papale au Moyen-Age.

4. Les autres papes du XIIIe siècle. Ils essayèrent de maintenir la papauté au niveau élevé qu’elle avait atteint sous Innocent III. Cependant leur ambition, leur cupidité et leur politique provoquaient souvent du scandale chez les âmes pieuses. C’est à cette époque que pour la première fois le pape est identifié avec l'Antichrist.

Grégoire IX (1227-1241) obligea l'empereur Frédéric II (1215-1250) à faire une croisade, puis se brouilla avec lui à propos de la Lombardie.

Innovent IV (1243-1254) convoqua un concile œcuménique à Lyon en 1245 pour excommunier l’empereur.

Grégoire X (1271-1276) entreprit de rallier l'Eglise grecque au concile de Lyon, 14me œcuménique, en 1274. Les délégués grecs acceptèrent toutes ses exigences, mais ils furent désavoués en rentrant chez eux. Ce même concile stipula que les cardinaux devaient se réunir 10 jours après la mort d’un pape pour élire son successeur, et qu’on devait restreindre leur menu s'ils ne se décidaient pas assez vite. En effet, au cours du XIIIe siècle, il y avait eu à plusieurs reprises de longs interrègnes.

Le dernier des grands papes du Moyen-Age fut Boniface VIII (1294-1303) qui lança, en 1302, la Bulle Unam sanctam dans laquelle il affirmait la suprématie du pape sur les souverains dans les domaines temporel aussi bien que spirituel. Mais le roi de France Philippe IV le Bel (1285-1314) le mit en prison, ce qui porta un coup terrible au prestige papal.

Canossa.

Avant même de pénétrer en Italie, il a envoyé en avant des messagers suppliants ; il a offert de donner pleine satisfaction à Dieu, à saint Pierre, et à nous, il a promis de conserver une obéissance entière pour amander sa vie, pourvu qu’il pût obtenir de notre part la grâce de l’absolution et de la bénédiction apostolique ; et comme nous lui reprochions aigrement tous ses excès par l'intermédiaire de tous les messagers qui venaient, enfin, sans rien manifester d’hostile ou de téméraire, il vint avec peu de gens à la ville de Canossa, où nous nous étions arrêtés, et là il resta trois jours devant la porte, dépouillé de ses ornements royaux, misérablement déchaussé et en vêtement de laine. Il ne cessa pas d’implorer avec beaucoup de pleurs l’aide et la consolation de la pitié apostolique. Tous ceux qui étaient là... furent émus à tant de pitié et de compassion miséricordieuse, qu’ils intercédaient pour lui avec beaucoup de prières et de larmes ; ils s’étonnaient même de la dureté inusitée de notre esprit, et quelques-uns même criaient que nous ne faisions pas preuve de la gravité et de la sévérité apostoliques, mais pour ainsi dire d’une cruauté et d'une férocité tyrannique. Enfin, vaincu par les instances de sa componction, et les grandes supplications de tous les assistants, nous avons pour finir relâché les liens de l'anathème qui pesaient sur lui et nous l’avons reçu dans la grâce de la communion et dans le giron de la sainte mère, l'Eglise.

GRÉGOIRE VII

Lettres IV, 12 (aux Allemands).

 

Chapitre 2

LUTTE CONTRE LES INFIDÈLES

1. Disparition du paganisme en Europe. Les derniers îlots de paganisme qui subsistaient encore au XIe siècle, en Finlande, en Livonie, en Prusse, en Lithuanie finissent par accepter le christianisme catholique romain au cours de cette période.

2. Les Croisades. Dans la deuxième moitié du XIe siècle, Jérusalem fut prise par les Turcs 1073, qui étaient plus fanatiques que les autres musulmans, et qui se mirent à molester les chrétiens. D’autre part, les papes, parvenus au comble de la puissance politique, rêvèrent de coaliser l'Occident pour de grandes expéditions destinées à reprendre les lieux saints aux infidèles.

Grégoire VII fut trop occupé par la querelle des investitures pour réaliser ce dessein. Mais, à la fin du siècle, Urbain II (1088-1099) convoqua un grand synode à Clermont, et le peuple, aux cris de « Dieu le veut », décida d’entreprendre l’expédition désirée. On promettait aux participants des indulgences ecclésiastiques, des exemptions d’impôts, sans compter d’autres avantages. On les appela croisés parce qu’ils adoptèrent pour insigne une croix rouge sur l’épaule droite.

Par divers chemins, les croisés gagnèrent Constantinople, puis livrèrent de rudes combats aux Turcs en Asie Mineure. Enfin, décimés par les batailles et les épidémies, après trois ans, ils parvinrent devant Jérusalem et s’en emparèrent en 1099. Un de leurs chefs, Godefroy de Bouillon, devint Protecteur du Saint-Sépulcre. Son frère prit plus tard le titre de roi de Jérusalem.

La situation de ce lointain état chrétien, en Orient, restait précaire, aussi fallut-il constamment de nouvelles croisades.

1147           La deuxième croisade, prêchée par Bernard de Clairvaux et dirigée par l’empereur d’Allemagne Conrad III et le roi de France Louis VII n’eut aucun résultat. Son échec fut attribué par Bernard aux péchés des croisés.

1189           La troisième, entreprise après la chute de Jérusalem sous les coups du Sultan d’Egypte Saladin, avait à sa tête l’empereur Frédéric Barberousse qui mourut en route, le roi de France Philippe Auguste qui ne tarda pas à rentrer chez lui, et le roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion qui guerroya quelque temps en terre sainte, sans arriver à reconquérir Jérusalem.

1204           La quatrième croisade, prêchée par Foulques de Neuilly-sur-Marne et dirigée par la noblesse française et vénitienne, tourna ses efforts non contre les musulmans, mais contre Constantinople, qui fut prise et mise à sac. Les croisés créèrent en Orient un Empire Latin qui subsista un demi-siècle (1204-1261).

Une croisade particulièrement lamentable fut celle dés enfants en 1212. Les malheureux périrent tous de faim, de fatigue et de misère.

1217           La cinquième croisade, ordonnée par Innocent III et menée par les souverains Léopold VI d’Autriche et André II de Hongrie n’eut pas de succès appréciable.

Plus efficace fut la sixième croisade, entreprise par l’empereur d’Allemagne 1227, Frédéric II (1211-1250) qui traita avec les musulmans et obtint pour les chrétiens la possession des villes saintes et de la côte de Palestine. Saint-Louis, roi de France (1226-1270), 1249 organisa une septième croisade, inefficace, puis une huitième au cours de laquelle il mourut de la peste, à Tunis 1270.

Dans la suite, les papes essayèrent en vain de déterminer les princes à de nouvelles expéditions en Terre Sainte. Le succès des croisades, au début, contribua à augmenter le prestige du pape ; leur échec, à la fin, nuisit à son autorité. On ne peut les assimiler à des entreprises missionnaires, ce sont plutôt des pèlerinages militaires. Elles sont la manifestation d’un zèle mal éclairé, mais réel.

3. Refoulement de l’islam en Occident. Au XIe siècle, les Normands, alliés du pape, chassèrent les musulmans qui s’étaient établis en Sicile et en Italie méridionale.

En Espagne, au début de cette période, les royaumes chrétiens étaient réduits à une mince bande de territoire au nord du pays. Ces royaumes parvinrent, au prix de luttes dramatiques, à reconquérir peu à peu la presque totalité de la péninsule. A la fin du XIIIe siècle, seul le petit royaume de Grenade restait sous le joug musulman. Cette conquête fut d’ailleurs un déplacement de puissance politique et non un effort de conversion religieuse ; car les Espagnols autochtones étaient restés chrétiens sous le joug musulman, et les envahisseurs maures continuèrent à professer l’islam dans les royaumes de Castille, d’Aragon et du Portugal.

L’appel à la croisade.

La 1095me année de l’incarnation du Seigneur, un grand concile fut célébré en Auvergne, dans une ville appelée Clermont. Le pape Urbain II accompagné d’évêques et de cardinaux le présida. Ce concile fut très remarquable par l'affluence des Français et des Allemands, tant évêques que princes, et après avoir réglé quelques questions ecclésiastiques, le Seigneur pape sortit sur une place d’une grande largeur parce qu’aucun édifice ne pouvait contenir la foule. Le pape s'adressa à tous d’une manière persuasive et avec beaucoup de charme oratoire en ses termes : « Peuple de France, peuple d'au-delà des monts, peuple aimé et choisi par Dieu, vous vous distinguez entre toutes les nations par la situation de votre pays, par la foi catholique et par l'honneur de la Sainte Eglise ; c’est à vous que notre discours s’adresse... De tristes nouvelles nous viennent du territoire de Jérusalem et de la ville de Constantinople. Un peuple du royaume de Perse, peuple maudit, peuple étranger, peuple éloigné de Dieu, a envahi les terres de ces chrétiens, les a dépeuplées par le fer, le brigandage et le feu, a renversé de fond en comble les églises de Dieu, ou les a livrées au rite de leur religion.

L’empire grec a déjà été mutilé par eux et privé de ses moyens. A qui donc revient la tâche d’exercer la vengeance, d’arracher ces terres, sinon à vous, auxquels Dieu a donné plus qu’à d’autres nations la gloire militaire, le courage moral, l’agileté corporelle, la capacité d’abaisser le sommet de la tête de ceux qui vous résistent ? Puissiez-vous être poussés à la vaillance par les hauts-faits de vos prédécesseurs, par la piété et la grandeur du roi Charlemagne et de son fils Louis, et de vos autres rois, qui ont détruit des royaumes turcs et y ont élargi les frontières de la Sainte Eglise. Pensez surtout au Saint Sépulcre de notre Seigneur qui est au pouvoir de peuples impurs, qui souillent sans respect les lieux saints par leurs impuretés. Soldats courageux, descendants de parents invincibles, ne dégénérez pas, mais souvenez-vous des vertus de vos ancêtres. Si l’amour de vos enfants, de vos parents, de vos épouses vous retient, souvenez-vous de ce que notre Seigneur dit dans l’évangile : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi, et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi. »

Engagez-vous donc sur cette voie pour le pardon de vos péchés, sûrs de la gloire incorruptible du royaume des cieux.

C’est par ces paroles et d’autres de ce genre que le pape Urbain acheva son discours, et il provoqua chez tous ceux qui étaient là une telle unanimité que tous crièrent ensemble : « Dieu le veut, Dieu le veut ».    «

MIGNE

Chroniques de Robert, Moine de Reims.

T. 155, pp. 669-672.

 

Chapitre 3

LES ORDRES RELIGIEUX

1. ORDRES MONASTIQUES

1. Fondation de nouveaux ordres. Au XIIe siècle, l’ordre des Clunistes tomba dans la mondanité. De nouveaux ordres plus stricts assurèrent la relève. Bruno de Cologne fonda dans la région de Grenoble l’ordre des Chartreux 1084. La règle des Chartreux obligeait ceux-ci à vivre dans le silence et dans l’isolement. Ils se rendirent utiles par leurs travaux de copistes.

1098 A la même époque, fut fondé l’ordre de Cîteaux, dont la maison mère se trouve, comme Cluny, en Bourgogne. Les Cisterciens, à cause de leur costume, ont été appelés les moines blancs. L’autorité ne résidait pas entre les mains d’un abbé, mais d’un chapitre qui se réunissait tous les ans. La simplicité et l’austérité de leur ordre, et surtout le rayonnement de la forte personnalité de Bernard de Clairvaux, leur ont valu un immense succès, si bien qu’ils pouvaient rivaliser avec les Clunistes.

Les Chartreux comme les Cisterciens groupaient, autour des pères, des frères lais (laïques) qui vaquaient aux tâches matérielles, étaient soumis à la règle, mais ne participaient pas à la direction de l’ordre.

On peut mentionner encore l'ordre de Grammont fondé en 1073 en Auvergne, et celui de Fontévrault au Poitou, fondé en 1094, qui avait à sa tête une abesse qui dirigeait des couvents d’hommes et des couvents de femmes.

 

2. Bernard de Clairvaux (1091-1153) est une des figures les plus caratéristiques du monachisme médiéval. Il entra tout jeune dans l’ordre de Cîteaux et devint supérieur d’un couvent qu’il établit dans la vallée sauvage de Clairvaux.

La maison qu’il dirigeait prit une telle importance, que beaucoup d’autres cisterciens s’y affilièrent. Bernard savait allier la sévérité à la douceur et à la sollicitude pour les moines. Il se faisait une haute idée de la vie monacale, qu’il considérait comme la voie la plus sûre pour faire son salut. Il a regretté les austérités excessives de sa jeunesse qui ont nui à sa santé.

Il a défendu l’orthodoxie catholique avec beaucoup d’énergie ; d’ailleurs sa théologie n’avait rien d’aride ; au contraire, elle était tout imprégnée de mysticisme. La postérité lui a conféré le titre de Docteur de l’Eglise. On peut déplorer qu’il ait encouragé la mariolâtrie, tout en niant l’immaculée conception.

Il a été le conseiller écouté de plusieurs papes, en particulier de son disciple Eugène III (1145-1153). Il a réprimé, au cours de ses voyages, divers abus au sein de l’Eglise. Il était en correspondance avec les principaux souverains du temps. Son humilité personnelle ne l’a pas empêché d’être la personnalité la plus influente en Europe dans la première moitié du XIIe siècle.

Il a laissé de nombreux écrits, sermons, lettres, traités. Son chef-d’œuvre est peut-être le cantique « Chef couvert de blessures », où il exprime admirablement sa foi et son amour pour le Sauveur. Les catholiques le considèrent comme le dernier Père de l’Eglise.

Après sa mort, l’ordre des Cîtaux ne tarda pas à décliner.

2. ORDRES DIVERS

Cette période vit naître, à côté des ordres monastiques, d’autres ordres qui réclamaient aussi les trois vœux, mais présentaient un autre idéal que la vie contemplative et monacale.

1. Les ordres hospitaliers. Leurs adeptes se vouaient au soin des malades, des étrangers, des captifs.

Les moines hospitaliers les plus anciens sont ceux de Saint-Jean établis dès 1099 en Terre Sainte, mais qui ne tardèrent pas à constituer un ordre de chevalerie ; ceux de Saint-Antoine qui fondèrent un hospice à Vienne en Dauphiné (1095) ; ceux du Saint-Esprit organisés en 1178 par Guy de Montpellier, avec une maison mère à Rome ; les Trinitaires ou Mathurins (1198) qui s’attachaient à délivrer les captifs faits par les Turcs.

2. Les ordres de chevalerie. Ces ordres naquirent à la suite des croisades. Leurs adeptes prêtaient outre les trois vœux ordinaires, celui de combattre les infidèles. L’idéal ascétique et l’idéal chevaleresque du Moyen-Age se trouvaient ainsi combinés.

L’ordre des Templiers était destiné particulièrement à la protection du Saint-Sépulcre 1118. Il fut fondé par Hugues Payens sur l’emplacement du Temple de Salomon. Les Templiers se recrutèrent surtout parmi les chevaliers français.

1154 Les chevaliers de Saint-Jean ont réorganisé, sur le modèle de l’ordre du Temple, un ancien ordre hospitalier. La plupart appartenaient au peuple italien. Après s’être vaillamment battus en Terre Sainte, les chevaliers de Saint-Jean se retirèrent à Rhodes 1310, où ils poursuivirent leur lutte contre les Turcs.

L’ordre teutonique, qui groupait des chevaliers allemands, fut fondé plus tard et ne travailla pas beaucoup en Terre Sainte 1190. Mais les chevaliers teutoniques s’établirent sur les confins de la Baltique, christianisèrent par le fer et par le feu la Prusse et la Livonie, et organisèrent dans cette région un grand état ecclésiastique.

Des ordres de chevalerie locaux se constituèrent en Espagne pour lutter contre les Maures.

3. Associations libres. A la fin du XIIe siècle ou au début du XIIIe siècle, un prêtre, Lambert le Bègue, fonda dans h région de Liège et de Louvain l'association des Béguines. Celles-ci vivaient en commun dans un béguinage, et se livraient aux œuvres pies et au soin des malades ; mais elles ne prêtaient aucun vœu et pouvaient rentrer dans le monde quand elles le voulaient. Dans la suite une association d’hommes, celle des Beghards, se constitua sur le même modèle.

4. La vie canonique. Elle retrouve aussi un regain de vitalité à cette époque. Les principaux chanoines qui se sont soumis à une règle sont les Augustins et surtout les Prémontrés, organisés par Norbert aux environs de Laon (1129).

3. ORDRES MENDIANTS

1. Franciscains. François d’Assise (1182-1226) était fils d’un riche marchand. 1206 Sa jeunesse fut dissipée, mais il se convertit, renonça à tous ses biens et se retira dans la solitude. Dans l'impossibilité de fonder une mission en Terre Sainte, il se mit à prêcher dans son pays avec une grande puissance, et des disciples ne tardèrent pas à se joindre à lui. Il sollicita en vain auprès d’Innocent III la permission de constituer un ordre, mais Honorius III (1216-1227) la lui accorda 1223. Peu avant sa mort, dans un moment d’extase, il reçu la communication des stigmates de la passion du Christ. Il mourut, couché sur la terre nue.

C’est une des figures les plus attachantes du Moyen-Age. Il avait le sentiment très vif et très poétique de la nature. Un de ses chefs-d’œuvre est le Cantique du soleil, le premier document en langue italienne. Il était tout à la fois très ardent et très doux. Son amour pour les malheureux, pour les humbles lui gagnait les cœurs. Sa prédication chaude et évangélique, ses appels vibrants à la repentance et à la foi remuaient les foules.

Les franciscains ou frères mineurs ne prêtaient que les trois vœux ordinaires. Mais la pauvreté devait être absolue. Ils ne possédaient que leur robe brune et leur corde. Ils devaient mendier leur nourriture quotidienne, ne jamais manier d’argent. La prédication jouait un grand rôle dans leur activité. Ils étaient hiérarchisés. Chaque couvent avait son gardien ; tous les moines d’une région étendue dépendaient d’un provincial ; à la tête de l’ordre entier se trouvait un général résidant à Rome.1212 François fonda, avec l’aide d’une jeune fille nommée Claire, un ordre de femmes, celui des Clarisses, presque aussi rigoureux que l’ordre des hommes. Il fonda aussi un tiers-ordre destiné aux laïques qui, sans prêter les vœux et sans quitter le monde, désiraient manifester le même esprit que les franciscains. Il y avait là une heureuse innovation ; car elle soulignait qu’on peut rechercher une piété authentique sans embrasser la vie monastique.

Après la mort de François, son ordre se divisa. La majorité préconisa un relâchement de la règle trop sévère. La minorité se sépara sous la direction du thaumaturge Antoine de Padoue, en prenant le nom de « Frères de la stricte observance ».

2. Dominicains. Dominique Guzman (1170-1221), né en Castille, fit de bonnes études. Dans un voyage au midi de la France, il fut frappé par les progrès des Albigeois et par l’impuissance où se trouvaient les riches moines cisterciens à les combattre. Il résolut de prêcher le catholicisme en manifestant la même pauvreté que les prédicateurs albigeois.1216 Innocent III lui donna des encouragements, et Honorius III l’autorisation de fonder un ordre.

Il organisa celui-ci sur le modèle de l’ordre franciscain. Même pauvreté absolue, même hiérarchie. Mais les Dominicains ou frères prêcheurs se distinguent, surtout au début, par un désir plus âpre de combattre l’hérésie. Ils se glorifiaient d’être les « chiens du Seigneur : Dominicanes ».

3. Importance des ordres mendiants. Deux autres ordres, celui des Carmes et celui des Augustins, organisés à cette époque suivant le même principe, n’eurent pas beaucoup de succès au début. Mais l’ordre des Franciscains et celui des Dominicains se développèrent avec une rapidité foudroyante. Cela tenait à leur idéal très rigide, à leur caractère populaire, au droit qui leur fut conféré de prêcher et d’entendre les confessions, mais surtout au fait que leur organisation les mettait, plus que les autres, entre les mains du pape. Cela n’empêcha pas de violentes rivalités d’éclater entre eux.

1256            Les Augustins étaient d’abord des ermites. C’est dans la suite qu’ils prirent modèle sur les moines mendiants. Quant aux Carmes, ils remontent à un ancien groupement d’ermites qui existait au Mont Carmel 1229 dès avant les Croisades et qui fut réorganisé avec une règle analogue à celle des Dominicains.

Lettre au pape Eugène III.

« ... Vous êtes l’évêque des évêques : les Apôtres, vos aïeux ont reçu pour mission de ranger l’univers aux pieds de Jésus-Christ... chacun a son troupeau dont il a la charge ; pour vous, tous les troupeaux ne font qu’un, et il vous est confié. Pasteur de toutes les brebis, et pasteur de tous les pasteurs.

« ... Pourtant qu’est votre pouvoir ? Un domaine à exploiter ? Nullement ; une tâche à assumer... La chaire pontificale vous enorgueillit ; ce n'est pourtant qu’un poste de surveillance, ainsi que le dit votre nom d’« évêque »... ce monde vous n’en avez pas la propriété, vous n’en avez que la responsabilité, la possession en est au Christ.

«... N’est-ce pas régir excelleraient que régir par amour ? Vous avez été placé à la tête du troupeau du Christ pour le servir et non pour régner sur lui. Et j’ajoute : Il n’y a ni fer ni poison que je redoute pour vous autant que la passion de dominer. »

BERNARD DE CLAIRVAUX.

cité par Mme Y. Girault, dans

Le christianisme aux quinze premiers siècles.

Cantique du Soleil.

Très Haut, Tout Puissant, bon Seigneur, à toi sont les louanges, la gloire, l’honneur et toute bénédiction.

A toi seul, Très Haut, ils conviennent, et nul homme n'est digne de te nommer.

Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures, spécialement messire le frère Soleil, par qui tu fais le jour et nous éclaires.

Et il est beau et il rayonne à grande splendeur : de toi, Très Haut, il est le signe.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur Lune et les Etoiles : dans le ciel tu les as formées, claires, précieuses et belles.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Vent, et pour l’air et le nuage, le serein et tout temps, par lesquels à tes créatures tu donnes le soutien.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur Eau, qui est fort utile et humble, précieuse et chaste.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Feu, par qui tu éclaires la nuit : il est beau et joyeux, robuste et puissant.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre maternelle sœur la Terre, qui nous porte et nous mène et produit la variété des fruits avec les fleurs colorées et l’herbe.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour ceux qui pardonnent par amour de toi, soutenant injustice et tribulation.

Bienheureux sont-ils de persévérer en paix, car par toi, Très Haut, ils seront couronnés.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre sœur la mort corporelle, à qui nul homme vivant ne peut échapper.

Malheureux ceux-là seuls qui meurent en péché mortel !

Bienheureux ceux qui ont accompli tes très saintes volontés, car la seconde mort ne pourra leur nuire.

Louez et bénissez mon Seigneur, et remerciez-le, et servez-le avec grande humilité.

FRANÇOIS D’ASSISE cité par Weyerganz, Saint-François d'Assise.

Trad, par le R.P. DAMIEN-VORREUX.

 

Chapitre 4

LA THÉOLOGIE

1. La Scolastique. Avec l’essor général de la civilisation, la soif de connaître a grandi pendant cette période, et abouti à la fondation de nombreuses écoles, en particulier des premières universités, celles de Bologne, d’Oxford et de Paris. Les maîtres étaient appelés scolastiques, et ils ont donné leur nom à la théologie de leur époque.

Pour les théologiens scolastiques, la vérité n’est plus à découvrir : elle est établie par l'Ecriture, par les Pères, par les conciles. Mais il reste à l’expliquer à la raison humaine, qui, pour les scolastiques, est souvent dépassée, mais non contredite par la révélation. Il reste aussi à tirer des principes énoncés dans la Bible et la tradition toutes les conséquences logiques possibles, de façon à préciser les dogmes anciens et à en déduire de nouveaux.

Une question qui a beaucoup préoccupé les scolastiques est celle de la réalité des universaux ou idées générales. Les réalistes qui se rattachaient à Platon et Augustin en étaient convaincus. Les nominalistes n'y voyaient que des noms, la seule réalité se trouvant dans les êtres individuels.1092 Depuis la condamnation de Roscelin qui niait la réalité de l’essence divine et aboutissait au trithéisme, le nominalisme a été suspect et la plupart des théologiens ont été au moins modérément réalistes.

2. Théologiens avant Thomas d'Aquin. Anselme, archevêque de Canterbury (1033-1109) a été appelé le père de la scolastique. Pour lui, la foi doit précéder la connaissance. Il faut croire d’abord aux vérités révélées, puis, après les avoir expérimentées, il faut chercher à les comprendre, et cela par la seule raison. Anselme a bien mérité de l'Eglise chrétienne par sa petite monographie : Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? Il y montre qu’une réparation infinie devait être offerte à Dieu pour compenser le péché de l’humanité, et permettre au pardon de s’exercer. Dieu seul pouvait offrir cette réparation, et pour l’offrir au nom de l’humanité, il fallait qu’il se fasse homme. L’homme-Dieu était tenu de vivre saintement ; sa vie n’était donc pas une réparation. Mais il n’était pas tenu de mourir ; sa mort est donc un don volontaire qu’il peut offrir à Dieu et qui compense le péché des hommes.

Anselme a voulu aussi prouver l'existence de Dieu dans son Proslogion. Il avance l'argument ontologique. Dieu est l’être le plus grand qu'on puisse concevoir. Or un être qui existe en réalité est plus grand qu'un être imaginaire. Donc on ne peut concevoir que Dieu n'existe pas en réalité.

Pierre Abélard (1079-1142), professeur à Paris, connu par son amour malheureux pour Héloïse, a adopté la méthode opposée à celle d’Anselme. Il veut comprendre avant de croire. Aussi, dans son ouvrage Sic et non examine-t-il les affirmations des Pères, et cherche-t-il à les concilier par la méthode dialectique, de façon à se former une théologie raisonnable avant d’y adhérer. En ce faisant, il tombe parfois dans l’hérésie. Bernard de Clairvaux l’a fait condamner à l’occasion d’une discussion publique à Sens.1140 Il mourut dans la retraite du couvent de Cluny.

Sur la rédemption, Abélard a formulé la théorie de l’influence morale. La croix est une preuve d'amour destinée à provoquer en nous la repentance et l’amour pour Dieu, et c'est ainsi que nous sommes sauvés.

Pierre Lombard, dit le Maître des sentences (mort 1164) reprit sa méthode, mais avec plus de prudence. Lui aussi professeur à Paris, il examine les sentences des Pères et cherche à les concilier par la méthode dialectique, mais sans tomber dans l’hérésie. Il a ainsi classifié les diverses doctrines et a fait un travail qui a servi de base à tous les théologiens postérieurs.

Le dominicain Albert le Grand (1206-1280), professeur à Cologne et Paris, a initié l'Occident à la philosophie d’Aristote, qu’il a connue assez imparfaitement par l'intermédiaire des Arabes, et qu’il a cherché à concilier avec le christianisme.

On peut encore mentionner les théologiens mystiques Hugues de Saint Victor (mort 1141) et Richard de Saint Victor (mort 1173), et le Franciscain anglais Alexandre de Hales (mort 1245), qui, lui aussi, a fait connaître Aristote en Occident.

3. Thomas d’Aquin (1225-1274), né dans le royaume de Naples, entra dans l’ordre des Dominicains, fut disciple d’Albert le Grand et devint professeur à Paris, puis à Naples. Sa Somme Théologique complétée par ses disciples après sa mort, est le chef-d’œuvre du système scolastique. Il continua l’œuvre de son maître en combinant le christianisme avec la philosophie d’Aristote. L’orthodoxie catholique se présente à ses yeux comme un ensemble harmonieux pleinement conforme aux exigences de la raison humaine.

Il distingue nettement les vérités que selon lui la raison livrée à elle-même peut découvrir, et parmi lesquelles il range l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme, et celles pour lesquelles une révélation surnaturelle est nécessaire. Il réserve ainsi une place importante à la religion naturelle à côté de la foi révélée. D’ailleurs à ses yeux même les dogmes qu’il reconnaît inaccessibles à la seule raison peuvent être expliqués jusqu’à un certain point par le raisonnement.

D’autre part, il insiste sur la grâce et la prédestination. Il affirme la valeur infinie, en elle-même, de la mort du Christ. Il ne croit pas à l’immaculée conception de Marie. Il a contribué de la sorte à freiner les tendances fâcheuses du catholicisme.

Il a exercé une influence immense de son temps. Les Dominicains ont mis dès lors leur point d’honneur à être thomistes. Aujourd’hui encore son ouvrage est considéré comme la base de toute instruction théologique au sein du catholicisme.

On a encore de lui un ouvrage apologétique, la Somme de la loi catholique contre les Gentils, qui est un témoignage du zèle missionnaire qui animait les ordres mendiants.

4. Contemporains de Thomas d’Aquin. Le général franciscain Bonaventure (1221-1274) a reçu comme Thomas le titre de Docteur de l'Eglise. Il se distingue par son ardeur mystique.

Le franciscain Duns Scot (mort 1308), originaire des îles britanniques, professeur à Oxford et à Paris, a combattu le rationalisme de Thomas d’Aquin. Pour lui, la volonté prime la raison. La réalité est ce qu’elle est, non parce que c’est raisonnable, mais parce que Dieu l’a voulue ainsi. Dieu aurait pu créer un monde tout différent, régi par une autre loi morale. La mort du Christ n’a de valeur que parce que Dieu l’accepte pour notre salut. Duns Scot penche vers le semi-pélagianisme. Il soutient l’immaculée conception. Après lui, la plupart des Franciscains ont été scotistes.

mort 1294           On peut citer encore le philosophe anglais franciscain Roger Bacon qui dédaigne la discussion dialectique et préconise l’observation de la nature,1315 et le Franciscain espagnol Raymond Lulle qui tâcha de mettre sur pied un système de démonstration rationnelle destinée à convertir les Musulmans. Il mourut martyr à Bougie.

5. Principales doctrines étudiées. Les théologiens scolastiques ont exercé leur sagacité principalement sur la doctrine de la Trinité et sur celle des sacrements.

La monographie d’Anselme a éclairé le problème de l’expiation, souvent mal compris avant lui. Son explication, profondément biblique et qui magnifie la grâce du Christ, a prévalu dans le catholicisme ultérieur, et a été adoptée, avec peu de changement, par les églises protestantes.

Le contact avec l’Islam a eu des conséquences fâcheuses sur la manière dont on a représenté l’enfer. A l’exemple de Mahomet, on a délaissé la sobriété biblique pour se complaire dans des descriptions détaillées de châtiments variés.

Ces idées trouvent leur consécration dans les sculptures des cathédrales et dans la Divine Comédie de Dante (1265-1321). Ce poète florentin a commencé vers 1300 la rédaction de ce chef-d’œuvre. Il imagina un voyage qu’il aurait fait à travers l’enfer, le purgatoire et le ciel. Les cercles divers de l’enfer sont disposés sur les bords d’un entonnoir dont le fond touche au centre de la terre. Il n’hésite pas à y placer certains hauts dignitaires ecclésiastiques et même un pape. Le purgatoire est une montagne aux antipodes du monde habité. Sa conception du ciel est lumineuse, mais un peu froide, et n’atteint pas la beauté sauvage de certaines descriptions de l’enfer.

L'argument ontologique.

... Et sans aucun doute ce qui est tel que l’on ne peut rien penser de plus grand, ne peut pas n’exister que dans la seule intelligence, car si cela existe seulement dans l'intelligence, on peut alors concevoir quelque chose qui existe à la fois dans l’intelligence et dans la réalité, ce qui est plus grand. Pas conséquent, si ce dont on ne peut rien penser de plus grand existe dans la seule intelligence, cela même dont on ne peut rien penser de plus grand est ce dont on peut concevoir quelque chose de plus grand. Et assurément cela ne se peut. Il existe donc sans doute possible, et dans l'intelligence et dans la réalité, un être tel que l’on ne peut en concevoir un plus grand.

... On peut affirmer que Dieu existe vraiment et qu'il est tel qu’on ne peut pas concevoir qu'il ne soit pas.

...Et tu es cela, ô Seigneur notre Dieu! Ainsi, tu es vraiment Seigneur mon Dieu, et tu ne peux être conçu sans que tu existes en réalité.

ANSELME

Proslogion, ch. 2 et 3. Traduit par la R.M. Marie-Pascal DICKSON.

 

Chapitre 5

CULTE ET DISCIPLINE

1. LIEU DU CULTE

1. Art roman. Beaucoup d’églises ayant été détruites pendant la période féodale, on éprouve le besoin d’en construire de nouvelles, plus belles que les anciennes. L’église romane a un plan légèrement plus compliqué que la basilique ancienne. A la nef centrale, aux nefs latérales, et à l’abside élargie pour former un chœur, viennent s’ajouter une nef transversale ou transept, et des chapelles secondaires tout autour du chœur. Aux toits de bois on substitue les voûtes de pierre, en plein cintre ; quelquefois ces voûtes sont croisées. A l’intersection de la nef et du transept, il y a parfois une coupole. Pour soutenir ces voûtes, très lourdes, il faut des piliers massifs et des murs très solides, soutenus par des contreforts. Aussi les fenêtres en plein cintre sont-elles petites. Elles sont, de même que les portails, décorées par des colonnettes. L’intérieur, très obscur, laisse planer une impression de mystère. Les tours sont gracieuses, souvent assez nombreuses. L’ensemble, assez imposant, exprime l’emprise de Dieu sur l’âme croyante, mais reflète aussi l’esprit de domination qui animait l’Eglise de Grégoire VII.

L’art roman, né en Italie, a fleuri aux XIe et XIIe siècles, principalement sur les routes de pèlerinage vers Saint-Jacques de Compostelle. Signalons en France les cathédrales d’Angoulême, d’Arles et du Puy, Notre-Dame de Poitiers, célèbre par sa riche façade et Saint-Sernin de Toulouse ; en Allemagne la cathédrale de Spire ; en Italie celle de Pise avec sa tour penchée.

2. Art gothique. Cet art a été injustement flétri de ce nom par les siècles postérieurs. On devrait l’appeler art ogival ou art français, à cause de sa terre d’origine, l’Ile-de-France.

Le plan d’une église gothique est semblable à celui d’une église romane, mais plus élaboré. Ce qui le caractérise, c’est l’ogive, plus solide que l’arc en cintre, pour les voûtes et pour les baies, et c’est l’emploi abondant des arcs doubleaux, qui forment une véritable armature sur laquelle la voûte repose. Les piliers sont appuyés par des arcs-boutants extérieurs à l’édifice. Avec ce principe, les murs ne jouent plus aucun rôle pour la solidité de la construction. Aussi les fenêtres sont-elles immenses, allant souvent d’un pilier au pilier voisin, garnies de vitraux somptueux. Les rosaces sont souvent particulièrement belles. Les portails sont décorés de sculptures représentant des saints ou des scènes bibliques. Avec leurs vitraux et leurs sculptures, les églises gothiques deviennent de véritables encyclopédies par l’image. Les coupoles sont rares, mais les tours sont immenses, terminées souvent par des flèches très élancées. La prépondérance de la ligne verticale fait des églises gothiques la manifestation visible de la foi vibrante de cette époque.

Le premier édifice gothique est la basilique de Saint-Denis qui date du XIIe siècle. C’est au XIIIe que cet art atteint sa perfection. Mentionnons ici Notre-Dame de Paris, la Sainte-Chapelle construite par Saint-Louis pour abriter la couronne d’épines, les cathédrales de Reims, de Chartres et de Strasbourg ; celle de Cologne en Allemagne, celle de Burgos en Espagne, l’abbaye de Westminster à Londres. En Italie et dans le midi de la France, l’art gothique n’a pas atteint le même éclat. D’ailleurs bien des églises, construites ou remaniées au cours de plusieurs siècles, contiennent à la fois des éléments gothiques et des éléments romans ; p. ex. l’immense cathédrale de Tournai en Belgique.

2. CARACTÈRES GÉNÉRAUX DU CULTE

1. Progrès du ritualisme. A l’ombre de ces beaux édifices, le ritualisme continue à se développer. Le célibat obligatoire des prêtres, imposé par Grégoire VII, augmente la séparation entre le clergé et les laïques. La prédication est souvent délaissée, surtout avant la fondation des ordres mendiants. On prend l’habitude de prier en égrenant un rosaire ou un chapelet ; il y a là, sans doute, un emprunt à l’Islam.

2. Culte des saints. La mariolâtrie se développe. Fréquemment un portail des églises est dédié à la Vierge. Son intercession miséricordieuse fait contraste avec la sévérité du Christ Juge. Même la doctrine de l’immaculée conception est avancée par quelques théologiens, et quoique combattue par Anselme, Bernard de Clairvaux, Thomas d’Aquin, elle est de plus en plus acceptée, principalement parmi les Franciscains.

1181 La papauté, depuis Alexandre III, se réserve le droit de béatification et de canonisation. Par cette mesure, elle s’assure, plus que jamais, le contrôle de la piété populaire.

3. LES SACREMENTS

Leur nombre, d’abord quelque peu flottant, est fixé définitivement à sept au cours de cette période : baptême, confirmation (administrée lorsque l’enfant atteint l’âge de raison), eucharistie, pénitence, extrême onction (considérée comme une préparation à la mort), mariage, ordination. Nous nous étendrons sur deux d’entre eux.

1. ·L’eucharistie. La doctrine de la transsubstantiation, lancée au IXe siècle par Pacase Radbert, gagne du terrain. Au XIe siècle, Bérenger de Tours qui la nia eut des difficultés avec les autorités ecclésiastiques, et dut se rétracter à trois reprises.

Le principal adversaire de Bérenger était Lanfranc, le maître d'Anselme. Un peu plus tard, au début du XIIe siècle, Hildebert de Laverdin, plus tard archevêque de Tours, est le premier à se servir du terme transsubstantiation.

Enfin, en 1215, le concile œcuménique de Latran mit fin à toute discussion sur la question et érigea la transsubstantiation en dogme.

Dès lors, l’hostie étant le vrai corps du Christ, devenait divine. Aussi l’adoration du sacrement se généralise-t-elle. De plus, pour éviter que quelques gouttes de sang du Christ ne se perdent, on retire la coupe aux fidèles. D’ailleurs, par la doctrine de la concomitance, on affirme que le Christ tout entier est contenu dans chacune des deux espèces.

2. La pénitence. La confession au prêtre prend une importance toujours plus grande. C’est à cette époque que remonte l’usage de ne donner la cène qu’à ceux qui se sont préalablement confessés. Le concile de Latran en 1215 affirme que tout fidèle « est tenu de confesser fidèlement ses péchés au moins une fois l’an... et de recevoir avec respect, au moins à Pâques, le sacrement de la communion ».

La peine imposée au pénitent est fréquemment, dès cette époque, remplacée par une indulgence (payement d’une somme d’argent, pèlerinage, participation à une croisade). Cette indulgence n’est primitivement qu’un adoucissement de la peine canonique ; mais dans l’imagination populaire, elle ne tarde pas à avoir la vertu d’effacer les péchés, et même d’être valable pour les âmes du Purgatoire.

La construction des cathédrales.

Voici que des personnages de naissance noble, possédant de grands biens, riches de considération, mettant de côté tout faste et toute vanité mondaine, offrent leurs cœurs et leurs corps au joug de la piété, attentifs à la voix de cette vérité qui dit : « Mon joug est aisé... » Insatisfaits de leur large contri-bution en argent, ils travaillent à l’œuvre de cet édifice d’une étonnante grandeur en chargeant en de lointaines carrières, non de minces moellons, mais les blocs mêmes extraits du sol sur des chariots qu’ils traînent à la force de leurs poitrines. Là des nobles des deux sexes se disputent pour prêter leurs épaules aux cordes qui tirent ces énormes masses.

Lorsque les chariots arrivent en ville, on voit des chevaliers, des dames de haut rang, des jeunes gens et des jeunes filles, des vieillards et des adultes, se porter tous ensemble, pieds nus, avec élan, d’un cœur joyeux, à leur rencontre par les rues et les places. Les uns s’attellent aux cordes, ou s’ils ne peuvent saisir les traits, employent leurs mains entrelacées. D’autres se précipitent pour remplacer ceux que la fatigue contraint à abandonner...

Extrait d’une lettre adressée par Guy de BAZOCHES, chanoine de la cathédrale de Châlons-sur-Marne, à sa sœur, cité dans

L’Eglise aux quinze premiers siècles.

 

Chapitre 6

PREMIÈRES RÉACTIONS CONTRE LE SYSTÈME CATHOLIQUE

Alors que l’Eglise primitive et l’Eglise d’Orient avaient eu à lutter contre de nombreuses hérésies, l’Eglise d’Occident n’avait guère Vu se constituer de dissidences entre le Ve et le XIe siècles. Au moment où elle semble arriver au sommet de sa puissance, des mouvements de réaction apparaissent.

1. Prédicateurs anticléricaux. Nous avons parlé précédemment 1155 d’Arnauld de Brescia et de ses campagnes à la fois religieuses et politiques pour supprimer les bénéfices temporels des ecclésiastiques et le pouvoir politique du pape.

Un peu avant lui, Pierre de Bruys, dans le midi de la France, combattit le célibat des prêtres, la pompe des cérémonies, l’usage du crucifix, la prière pour les morts. Il préconisait le baptême des adultes et voyait dans la Cène un simple mémorial.1126 Il fut brûlé comme hérétique.

Son ami et disciple Henri de Lausanne était moins agressif. Il s’accommodait du célibat des prêtres, mais combattait leur mondanité.1148 Il mourut en prison.

Néanmoins les adeptes de ces deux prédicateurs réussirent à se maintenir quelque temps (Pétrobrussiens et Henriciens).

Une place à part revient au moine cistercien Joachim de Flore (1202), qui interprétait l’Apocalypse d’une manière originale, et enseignait que les 1260 jours (années) se termineraient avant 1260, et qu'alors l’âge du Saint-Esprit serait inauguré. Ses idées se répandirent, particulièrement parmi les Franciscains, et provoquèrent quelques remous hostiles au catholicisme officiel (Joachimites).

2. Les Cathares. Leur mouvement est probablement apparenté à celui des Pauliciens et des Bogomiles. II apparaît en Italie du Nord au Xe siècle et en France au XIe siècle. Les Cathares se sont particulièrement multipliés dans la région d’Albi, d’où leur nom d’Albigeois.

Leur doctrine nous est surtout connue par les écrits de leurs adversaires, qui ne sont peut-être pas toujours dignes de foi. Ils semblent avoir versé dans l’erreur qui consiste à identifier le mal avec la matière et le bien avec l’esprit. A leurs yeux, le catholicisme avec son culte matériel était la caricature satanique de la vraie Eglise.

Les Cathares proprement dits (c’est-à-dire purs) appelés aussi Parfaits, seuls avaient subi une initiation appelée consolamentum, qui était censée conférer le Saint-Esprit. Ils devaient pratiquer le célibat, s’abstenir de viande, renoncer à porter les armes. Les auditeurs ou croyants n’étaient pas astreints à ces règles, mais ils devaient écouter les conseils des Parfaits et promettre, en cas de maladie grave, de se faire administrer le consolamentum.

Dans leur culte, ils rejetaient les formes catholiques, l’usage des images, le baptême et la cène. Les éléments essentiels de leur culte étaient la lecture du Nouveau Testament en langue vulgaire, la prédication et le Notre-Père.

Les Albigeois semblent avoir fait peu de cas de l'Ancien Testament. Mensuellement, ils pratiquaient l'apparelhamentum, c’est-à-dire une confession générale, suivie de l’absolution et de pénitences. Le rituel du consolamentum ressemblait beaucoup à celui de l’ordination des prêtres. Il arrivait que les auditeurs qui l’avaient reçu en cas de maladie, ne se sentaient pas la force de supporter la vie d'austérité des parfaits, et se laissaient ensuite mourir de faim, s'ils se rétablissaient (endura).

Pour les auditeurs, les Albigeois préconisaient parfois l’union libre plutôt que le mariage, pour ne pas sanctionner la vie charnelle. Cela explique qu'ils aient été à la fois accusés de grossière immoralité et admirés pour leur austérité irréprochable.

Ils ont été soutenus par les comtes Raymond VI et Raymond VII de Toulouse. Mais tous deux durent s’incliner devant la pression qui s'exerçait sur eux, et ne purent empêcher les persécutions.

Les moines cisterciens, trop riches, n’eurent aucune prise sur le peuple pour combattre le succès grandissant des Cathares. Les Dominicains et une « croisade » sauvage ordonnée contre eux par Innocent III ébranlèrent leur prédominance dans le midi de la France. Simon de Montfort menait la guerre avec une brutalité extraordinaire. A Béziers, toute la population fut massacrée, y compris les catholiques. Le légat du pape avait déclaré : « Tuez tout ; Dieu discernera les siens ». Plus tard, Saint-Louis, dans une nouvelle « croisade » et le tribunal de l’inquisition achevèrent d’exterminer les hérétiques. C’est à cette époque que le Comtat Venaissin (Avignon) devint territoire papal.

3. Les Vaudois. Vers la fin du XIIe siècle, un riche marchand de Lyon, Valdo, passa par une crise religieuse, à la suite de laquelle il fit traduire le Nouveau Testament en langue vulgaire, puis vendit tous ses biens et devint prédicateur itinérant. D’autres en firent autant. Ce mouvement des « Pauvres de Lyon » rencontra tout de suite de l’hostilité, mais il trouva un refuge inexpugnable dans les vallées reculées des Alpes, ou vallées vaudoises.

Dès 1170, l’archevêque de Lyon interdit la prédication des Vaudois. Valdo en appela au pape Alexandre III qui se montra hésitant. Son successeur Lucius III (1181-1185) condamna le mouvement comme hérétique.

Les Vaudois n’apportaient pas de doctrine nouvelle, ils se distinguaient par leur biblicisme et par leurs appels à la conversion et à la piété personnelle. Eux aussi se subdivisaient en Parfaits et en Croyants. Ils ne rejetaient pas en bloc tout le culte catholique, et même y participaient quand le prêtre était pieux. Mais ils combattaient certaines doctrines anti-bibliques du catholicisme, comme le purgatoire et le culte des saints. Ils avaient aussi leurs réunions particulières, où des évangélistes itinérants, appelés barbes, c’est-à-dire oncles, lisaient et expliquaient les Ecritures en langue vulgaire. Hommes et femmes pouvaient enseigner dans ces réunions.

Les Vaudois se répandirent sans bruit çà et là sur tout le continent européen. Ils furent cruellement persécutés, mais tous les efforts pour les exterminer restèrent vains.

On peut établir un intéressant parallèle entre Valdo et son contemporain François d’Assise. Tous deux ont renoncé à la fortune pour Jésus-Christ et pour les âmes, ont lancé des prédicateurs sur les routes pour faire pénétrer une piété vivante même au sein des foules laïques. Mais tandis que François tenait avant tout à rester dans la tradition de l’Eglise, Valdo entendait surtout être fidèle à l'Ecriture.

Consolamentum cathare.

« Vous voulez recevoir le baptême spirituel (lo baptisme esperital), par lequel est donné le Saint-Esprit en l’église de Dieu, avec la sainte oraison, avec l’imposition des mains des « bons hommes »...

Si vous voulez recevoir ce pouvoir et cette puissance, il convient que vous gardiez tous les commandements du Christ et du Nouveau Testament selon votre pouvoir ».

Que le croyant dise alors : « J’ai cette volonté, priez Dieu pour moi qu’il m’en donne la force ». Et puis que le premier des « bons hommes » fasse, avec le croyant, sa vénération à l'Ancien, et qu'il dise : « Parcite nobis. Bons chrétiens, nous vous prions pour l’amour de Dieu d’accorder à notre ami, ici présent, de ce bien que Dieu vous a donné ». Ensuite le croyant doit faire sa vénération et dire: «Parcite nobis. Pour tous les péchés que j’ai pu faire, ou dire, ou penser, ou opérer, je demande pardon à Dieu, à l'Eglise et à vous tous. » Que les chrétiens disent alors : « Par Dieu et par nous et par l’église qu'ils vous soient pardonnés, et nous prions Dieu qu’il vous pardonne. » Après quoi ils doivent le consoler. Que l'Ancien prenne le livre (des évangiles) et le lui mette sur la tête, et les autres « bons hommes » chacun la main droite, et qu’ils disent les parcias et trois adoremus, et puis « Père Saint, accueille ton serviteur dans ta justice, et mets ta grâce et ton Esprit Saint sur lui. »

Le Rituel Occitan. — § 3.

Condamnation des Vaudois.

Nous déclarons que les Cathares, les Patarènes, et ceux qui s'appellent Pauvres de Lyon, les Passageni, les Joséphistes, les Arnaldistes demeurent sous l’éternel anathème. Et parce que quelques-uns, sous l’apparence de

 

piété, mais en ayant renié la foi, comme dit l’apôtre, s’arrogent l’autorité de prêcher, au lieu que le même apôtre dit « comment prêcheront-ils s’ils ne sont envoyés ? » nous renfermons sous la même sentence d'éternel anathème tous ceux qui malgré notre défense, et sans être envoyés par nous, prétendent cependant prêcher publiquement ou en particulier, sans l’autorisation du Siège apostolique, ou des évêques de leurs diocèses respectifs, comme aussi tous ceux qui ne craignent pas de maintenir ou d’enseigner, sur le sacrement du Corps et du Sang de Notre Seigneur Jésus-Christ, le baptême et la rémission des péchés, le mariage ou aucun autre sacrement de l’Eglise, des opinions différentes de ce que la Sainte Eglise de Rome prêche et observe.

Tous ceux qui, en quoi que ce soit, seconderont les hérétiques, seront assujettis au même anathème.

Bulle de Lucius III

citée par M. Martini.

Pierre VALDO.

Chapitre 7

L’INQUISITION

1232     2. L'inquisition papale. Aussi, dès le milieu du XIIIe siècle, le pape prit-il directement le contrôle du mouvement : les inquisiteurs furent envoyés par lui et responsables devant lui.

Ceux qui étaient soupçonnés d’hérésie étaient interrogés sur les subtilités du dogme catholique ; pour leur arracher des aveux ou leur faire dénoncer des complices, on les soumettait à la torture. Ceux qui avaient été convaincus d’hérésie étaient frappés de peines ecclésiastiques (pénitence, amende honorable) et s’ils n’abjuraient pas, livrés au bras séculier pour être brûlés vifs. Les femmes étaient, de préférence, enterrées vives. Ceux qui échappaient une première fois au supplice étaient étroitement surveillés ; s’ils retombaient dans l’hérésie, ils étaient déclarés relaps ; et même l’abjuration ne pouvait leur épargner la mort.

L’inquisition papale a rencontré dans bien des pays une forte opposition de la part des souverains, qui y voyaient un empiètement sur leurs prérogatives. Dans le Midi de la France et en Italie, elle a sévi d’une manière atroce pendant bien des années.

 

CONCLUSION

1. Résumé chronologique. Cette époque se divise assez bien en demi-siècles.

1050-1100 Grégoire VII et Urbain II. Schisme d’Orient. Querelle des investitures avec Henri IV. Première Croisade. Chartreux et Cisterciens. Anselme. Bérenger de Tours. Célibat des prêtres. Art roman.

1100-1150 Bernard de Clairvaux. Templiers. Chevaliers de saint Jean. Abélard. Pierre Lombard. Arnaud de Brescia. Pierre de Bruys, Henri de Lausanne. Progrès des Cathares. Art roman.

1150-1200 Alexandre III. Humiliation d’Henri II d’Angleterre et de Frédéric Barberousse. Valdo, Inquisition épiscopale. Débuts de l’art gothique.

1200-1250 Innocent III. Honorius III. Humiliation des souverains devant le pape. 4e croisade. Orient latin. 6e croisade. Dominicains. Franciscains. Antoine de Padoue. Albert le Grand. Concile de Latran. Transsubstantiation. Confession obligatoire. Extermination des Albigeois. Art gothique.

1250-1300 Saint-Louis. 7e et 8e croisades. Albert le Grand. Thomas d’Aquin. Bonaventure. Duns Scot. Conséquences de la transsubstantiation. Dante. Perfection de l’art gothique. Boniface VIII. Bulle Unam sanc-tam.

2. Appréciation. On comprend que les catholiques aient une sympathie spéciale pour cette période qui marque l’apogée de la puissance papale, et où, autour des grands papes, gravitent tant de grands ordres, de grands moines, de grands théologiens. On comprend moins le mépris avec lequel d’autres parlent parfois des ténèbres du Moyen-Age ! Ces deux siècles et demi sont une période de civilisation exceptionnellement brillante. On n’a qu’à penser aux églises romanes, aux cathédrales gothiques, à la Divine Comédie, et aux productions souvent réellement originales de certains théologiens scolastiques. Au point de vue spirituel, évidemment, il y a bien des ténèbres à déplorer. Une église qui vise à dominer le monde, qui lance les croisades et établit l’inquisition, qui décrète la transsubstantiation et les abus qui en découlent, est sans doute bien mondanisée. Mais nous ne devons pas oublier qu’au sein de l’Eglise officielle, il y a encore beaucoup de croyants qui, sans être exempts d’erreur, sont cependant attachés au véritable évangile : Anselme, Bernard de Clairvaux, François d'Assise. Même des hommes comme Grégoire VII, Innocent III, Thomas d'Aquin, sont sans doute assez éloignés de l'esprit evangélique, mais ils sont respectables à plus d'un point de vue. Enfin, cette période a vu apparaître les Vaudois, qui, la Bible à la main, se sont dressés contre les erreurs catholiques. Le protestantisme s'épanouira au XVI° siècle en face d'un catholicisme abâtardi. Mais c'est au XII° siècle, en face d'une papauté toute puissante, qu'il a pris naissance. Si donc cet âge est un âge de ténèbres, ces ténèbres sont traversées par des lumières bien nombreuses et bien pures.

 

Quatrième partie

L'Eglise pendant le déclin du système catholique

XIVe et XVe siècles


Introduction


Au point de vue politique, cette période est marquée par la formation des grandes nations européennes, France, Angleterre, Espagne, Pologne, Etats scandinaves. Tous ces pays en arrivent, après diverses convulsions, à être bien centralisés autour d'un pouvoir royal fort. Seule l'Allemagne et l'Italie restent presque aussi divisés qu'à l'époque féodale.
La civilisation matérielle continue à se développer. On découvre des terres nouvelles. On invente l'imprimerie, la poudre à canon, la boussole. Dans les villes, la bourgeoisie encourage le développement des arts et du commerce. En Italie, la Renaissance, c'est-à-dire le retour à l'antiquité grecque et romaine, commence à s'épanouir.
Au point de vue de la foi, il serait injuste de parler de déclin sans contrepartie. Les mouvements de protestation contre le catholicisme deviennent toujours plus nombreux et plus évangéliques. Il faut noter cependant que l'irréligion gagne du terrain; en tout cas la toute-puissance de l'Eglise officielle, qui avait caractérisé la période précédente, est brisée.

 

Chapitre premier

Déclin de la puissance papale


1. Les papes d'Avignon. Lorsque les Etats Généraux de France proclamèrent que le roi était soumis à Dieu seul dans les affaires temporelles, le pape Boniface VIII répondit vainement en 1302 par la bulle Unam Sanctam. Ses
successeurs se montrèrent dociles au roi Philippe le Bel. L'un d'eux, Clément V (1305-1314), de nationalité française, ne prit même pas la peine d'aller à Rome, mais établit sa résidence à Avignon. Pendant près de 70 ans, les papes résidèrent dans cette ville. On parlait de « seconde captivité de Babylone ». La papauté, assujettie au roi de France, ne pouvait plus prétendre à sa domination sur les souverains temporels. Les papes d'Avignon se discréditèrent d'ailleurs par leur amour de l'argent et du luxe.


2. Le schisme d'Occident. Lorsque le pape Grégoire XI (1370-1378) se décida enfin à rentrer à Rome et à établir un peu d'austérité à la cour pontificale, certains cardinaux nommèrent un antipape, qui s'installa à Avignon. L'Europe fut ainsi divisée pendant plus de 30 ans, l'Allemagne, l'Angleterre et l'Italie tenant pour le pape de Rome, la France et l'Espagne pour celui d'Avignon.

3. Les conciles de la Réforme. Il apparaissait nécessaire de réformer l'Eglise dans sa tête et dans ses membres. Un concile, convoqué à Pise à cet effet, déposa les deux papes et en nomma un troisième. Mais les papes déposés ne renoncèrent pas à leurs prétentions, et pour comble du malheur, le successeur du pape nommé à Pise fut l'abominable Jean XXIII, perdu de vices et rongé d'ambition.


Jean XXIII et son prédécesseur Alexandre V (1400-1410) sont considérés aujourd'hui comme des antipapes par l'Eglise catholique, puisque le pape nommé en 1958 a pris le nom de Jean XXIII. Pendant longtemps cependant ils ont été considérés comme légitimes; car il n'y a pas eu d'autre Alexandre V.

Un nouveau concile (16e œcuménique), convoqué par l'empereur d'Allemagne Sigismond (1410-1438), et réuni à Constance, déposa en 1415 les trois papes. Pour éviter la prépondérance des évêques italiens, on décida de donner une voix à chaque nation (italienne, française, anglaise, allemande, espagnole). Le concile décida que son autorité lui venait directement du Christ, que ses décrets faisaient loi pour le pape lui-même, et que les conciles devaient être convoqués à intervalles réguliers. Il nomma un pape honnête, Martin V (1417-1431) qui promit d'exécuter les réformes projetées.


En ce qui concerne les papes destitués, Jean XXIII, après un séjour en prison, se contenta d'un chapeau de cardinal ; Grégoire XII, le pape de Rome, abdiqua; Benoit XIII, le pape d'Avignon se retira en Espagne, d'où il lançait vainement l'anathème contre le monde entier.
Un 17° concile œcuménique fut convoqué quelques années plus tard à Bâle, pour donner suite à la décision prise à Constance. Il envisagea des réformes très radicales. Le pape Eugène IV (1431-1447) effrayé, se hâta de déplacer le concile à Ferrare 1439 puis à Florence, sous prétexte de réaliser l’union avec l'Eglise grecque. D’ailleurs, beaucoup de pères restèrent à Bâle, nommèrent un antipape et préconisèrent des mesures de plus en plus énergiques. Il y avait ainsi deux papes et deux conciles. Les conciles ne s’avéraient pas plus compétents que la papauté pour réformer l’Eglise.

Comme nous l’avons vu, les décisions prises à Florence, où les délégués orientaux acceptèrent toutes les exigences du pape, n’aboutirent quand même à rien, car les délégués furent désavoués à leur retour.

Les ecclésiastiques restés à Bâle avaient nommé comme antipape le duc de Savoie, sous le nom de Félix V. Mais au fur et à mesure que le concile durcissait sa position, les modérés s'en allaient, et pour finir, il ne restait que peu de gens, lorsque le concile accepta de se dissoudre en 1449. Félix V se contenta d’un chapeau de cardinal. Ce résultat fut obtenu par l’habilité de Nicolas V (1447-1451), fondateur de la bibliothèque vaticane.

Un de ses successeurs. Pie II (1458-1464) condamna tout appel d'une décision papale à un concile comme hérétique et décréta qu'il n'y aurait plus de conciles à intervalles réguliers.

4. La papauté à la fin du XVe et au début du XVIe siècles. Aux papes énergiques qui régnèrent au milieu du siècle et sauvegardèrent l’autorité papale en face des prétentions des conciles, succéda une série de pontifes indignes. Alexandre VI Borgia (1492-1503) passa son temps à assurer une principauté à son fils adultérin César. Il était totalement dénué de scrupules. Son poison est resté célèbre. La légende l’a peut-être noirci, mais l’histoire reconnaît que sa vie fut scandaleuse. Jules II (1503-1513) chercha à unifier l’Italie sous le sceptre pontifical, et à cet effet, il mit le pays à feu et à sang, paraissant tout armé à la tête de ses troupes. Léon X (1513-1521) était un ami des arts et de la vie facile. Il poussa la vente des indulgences pour achever la construction de la basilique de Saint-Pierre. C’est sous son pontificat que Luther afficha en 1517 ses 95 thèses et lança un mouvement de réforme qui acheva d’ébranler le système catholique et inaugura une période toute nouvelle de l’histoire de l’Eglise.

Sous Léon X le 18me concile œcuménique à Latran eut lieu (1512-1517). Il proclama la suprématie du pape sur les conciles ; lui seul pouvait les convoquer, les déplacer, les dissoudre.

Suprématie du Concile sur le pape.

Ce saint Synode de Constance, tenant un Concile Général pour l’abolition du schisme présent, ainsi que pour l'union et la réformation de l'Eglise de Dieu dans sa tête et dans ses membres, à la louange de Dieu tout-puissant, est rassemblé d’une manière légitime par le Saint-Esprit ; pour atteindre plus facilement, plus sûrement, plus librement et plus abondamment l’union et la réformation de l’Eglise, il ordonne, dispose, établit, décrète et déclare ce qui suit :

En premier lieu, que le Synode lui-même, rassemblé d’une manière légitime par le Saint-Esprit, qui tient un Concile Général et qui représente l'Eglise Catholique militante, tient son pouvoir directement du Christ, et que chacun, de quelque état ou dignité qu’il soit, même de rang papal, est tenu de lui obéir en ce qui concerne la foi et l’abolition dudit schisme.

Décret du Concile de Constance, 30 mars 1415.

Mansi, XXVII, p. 585.

 

Chapitre 2

DÉCLIN DES MANIFESTATIONS DE LA PUISSANCE CATHOLIQUE

1. Lutte contre les infidèles. Le zèle missionnaire est presque mort. Même la lutte contre l’Islam est abandonnée. Le pape lance en vain des appels à la croisade. Lorsque les Turcs s’emparent de toute la péninsule balkanique et prennent Constantinople en 1453, aucune nation européenne ne bouge.

La seule conquête à signaler est la prise, par les Espagnols, du petit royaume musulman de Grenade. 1492

2. Les ordres. Parmi les ordres de chevalerie, celui des Templiers est odieusement supprimé par le pape Clément V, parce que celui-ci et Philippe le Bel convoitaient leurs richesses. L’Inquisition les tortura et leur extorqua d’horribles aveux ; puis le concile de Vienne (15e œcuménique 1311-1313) les déclara hérétiques.

L’ordre Teutonique se cantonna sur les bords de la Baltique. Seuls les chevaliers de saint Jean, établis dans l’île de Rhodes, continuent la lutte contre les Turcs. Les ordres de Cluny et de Cîteaux sont en pleine décadence. Les Franciscains et les Dominicains déchoient eux aussi souvent de l’idéal primitif. Aucun ordre de quelque importance n’est fondé pendant toute cette période.

On peut mentionner l'ordre du Saint-Sauveur, fondé par la princesse Brigitte de Suède en 1363, et celui des Minimes, fondé en 1435 par François de Paule ; ceux-ci prêtaient un quatrième vœu d’abstinence de viande, sauf en cas de maladie.

3. La théologie. Le plus grand théologien de ce temps, le Franciscain anglais Guillaume d’Occam, disciple de Duns Scot, (1e moitié du XIVe siècle) ébranle profondément le système scolastique. Il critique les raisonnements, à son sens insuffisamment rigoureux, de ses devanciers. Pour lui, la plupart des dogmes sont indémontrables et doivent être acceptés par la foi sans le secours de la raison. Bien que condamnées, ses idées ne cessent de gagner du terrain pendant toute cette époque, en attendant que Luther en tire les dernières conséquences.

On peut mentionner aussi Pierre d’Ailly (1350-1420) et ■Gerson (1363-1428) tous deux chanceliers de l'Université de Paris, grands théoriciens de la suprématie des conciles sur les papes, et qui jouèrent un rôle prépondérant à Constance. Ainsi les principaux théologiens de ce temps se trouvent plutôt en opposition avec la papauté, et non, comme ceux de l'époque précédente, dans son sillage.

4. Le culte. L’art gothique est en déclin (gothique dit flamboyant). L’art de la renaissance, qui commence à s’épanouir en Italie, est admirable en son genre, mais il est très loin d’avoir le souffle religieux qui avait présidé à l’édification des cathédrales gothiques du XIIIe siècle.

Le formalisme et la superstition augmentent. C’est à cette époque que remonte l’usage d’avoir de temps en temps une année sainte, où de nombreuses indulgences spéciales, source de revenu pour la papauté, sont distribuées.

5. L’Inquisition. Comme les protestations contre le catholicisme officiel se multiplient, cette institution déploie une. grande activité. Elle se rend méprisable par sa complaisance pour le pouvoir civil, comme dans le procès de Jeanne d’Arc, immolée au nom de la foi catholique à la vengeance des Anglais. En Allemagne surtout on accuse de pauvres femmes d’avoir fait un pacte avec le diable, et on les brûle comme sorcières.

Les souverains espagnols, zélés pour le catholicisme et jaloux de leur indépendance, instituent à la fin du XVe siècle, des tribunaux de l’inquisition dépendant d’eux et non du pape. Cette inquisition royale, dont le plus illustre représentant fut Torquemada, sévit particulièrement contre les Musulmans et les Juifs espagnols.

 

Chapitre 3

LES MYSTIQUES

Les discussions scolastiques ont été parfois défavorables à l’élan mystique. Dans le désir de comprendre Dieu, on a oublié la nécessité d’entrer en communion avec Lui. Les grands mystiques des XIe XIIe et XIIIe siècles ont été des isolés dans ce domaine (Anselme, Bernard de Clairvaux, François d’Assise). Au moment où la scolastique décline et achève de se dessécher, le mysticisme apparaît à nouveau.

On peut mentionner dans le sein du catholicisme officiel quelques figures attachantes, comme Catherine de Sienne (mort 1380) qui contribua à ramener le pape à Rome, se dévoua au cours d’une peste et se livra à des austérités extraordinaires.

1. Mouvements à tendances fâcheuses. A deux reprises, au XIIIe et au XIVe siècles, à l’occasion de pestes, on vit des cortèges d’hommes et de femmes parcourir villes et villages en se fouettant jusqu’au sang pour expier leurs péchés et apaiser la colère de Dieu qui se manifestait par ces fléaux. Ces flagellants réagissaient ainsi contre les indulgences trop faciles, et ils étaient mal vus du clergé. D’autres associations mystiques tombèrent dans l’immoralité. Même celui qui a été appelé le Père du mysticisme, Maître Ekkart (début du XIVe siècle) n’a pas évité l’écueil du panthéisme.

2. Associations libres. Les Amis de Dieu, organisés sur les bords du Rhin au début du XIVe siècle, formaient comme les Beghards un groupement de laïques, qui sans prêter de vœux, se livraient à la vie contemplative.

Les Frères de la vie commune se recrutèrent surtout parmi les ecclésiastiques. Ils s’organisèrent au début du XIVe siècle aux Pays-Bas. Ils vivaient dans la pauvreté, travaillant de leurs mains, copiant les Ecritures. L’un d’eux, le dominicain Tauler (mort 1361), fut en Alsace un prédicateur remarquable. II présentait avec force tout à la fois la sainteté et l’amour de Dieu.

3. ·L'Imitation de Jésus-Christ. Ce chef-d’œuvre de la mystique, composé au milieu du XVe siècle, est attribué à un frère de la vie commune, Thomas a Kempis (mort 1471). Nous ne savons pas grand chose de la vie de l’auteur. L’œuvre est d’un catholique convaincu ; il y a même de longs développements sur l’eucharistie. Mais d’autre part l’auteur est nourri des Ecritures, et il insiste avec force sur l’union immédiate entre le Sauveur et le Fidèle. On peut lui reprocher une certaine monotonie, mais il est certain que ses pages paisibles et ardentes tout à la fois, ont fait du bien aux personnes innombrables qui les ont lues.

4. Savonarole. A la fin du XVe siècle, l’Italie était en pleine période de la Renaissance. Les arts et les lettres, mais aussi la corruption de l’antiquité y étaient à leur apogée. C’est alors que le moine dominicain Jérôme Savonarole (1452-1498) se mit à prêcher la repentance à Florence. Ses messages avaient une flamme apocalyptique. Il s’élevait contre la corruption du clergé. Il eut un tel succès que la ville frivole devint austère. Les réjouissances du Carnaval firent place à un feu où l’on consuma des « vanités ». Mais Savonarole ne manqua pas de se faire des ennemis nombreux : les gens légers, les Franciscains jaloux, le pape Alexandre VI. Il fut livré à l’inquisition et mourut martyr, parce qu’il voulait obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.

Quelques pensées tirées de « L’Imitation de Jésus-Christ ».

Heureux celui qui comprend ce que c’est que d’aimer Jésus, et de se mépriser soi-même à cause de Jésus.

Il faut que notre amour pour lui nous détache de tout autre amour, parce que Jésus veut être aimé seul par-dessus toutes choses.

L'amour de la créature est trompeur et passe bientôt ; l’amour de Jésus est stable et fidèle.

Celui qui s’attache à la créature tombera comme elle et avec elle ; celui qui s’attache à Jésus sera pour jamais affermi.

Aimez et conservez pour ami celui qui ne vous quittera point, alors que tous vous abandonneront, et qui, quand viendra votre fin, ne vous laissera point périr.

Que vous le vouliez ou non, il vous faudra un jour être séparé de tout.

Vivant et mourant, tenez-vous donc près de Jésus, et confiez-vous à la fidélité de celui qui seul peut vous secourir lorsque tout vous manquera.

Tel est votre bien-aimé, qu’il ne veut point de partage ; il veut posséder seul votre cœur, et y régner comme un roi sur le trône qui est à lui.

Si vous saviez bannir de votre âme toutes les créatures, Jésus se plairait à demeurer en vous.

Vous trouverez avoir perdu presque tout ce que vous aurez établi sur les hommes et non sur Jésus.

Ne vous appuyez point sur un roseau qu’agite le vent, et n’y mettez pas votre confiance, car toute chair est comme l’herbe, et sa gloire passe comme la fleur des champs.

Vous serez trompé souvent, si vous jugez des hommes d’après ce qui paraît au dehors ; au lieu des avantages et du soulagement que vous cherchez en eux, vous n'éprouverez presque toujours que du préjudice.

Cherchez Jésus en tout, et en tout vous trouverez Jésus. Si vous vous cherchez vous-même, vous vous trouverez aussi, mais pour votre perte.

Car l'homme qui ne cherche pas Jésus, se nuit plus à lui-même que tous ses ennemis et que le monde entier.

Thomas A KEMPIS.

L’Imitation de Jésus-Christ.

Livre II, chap. 7.

Traduit par CONNES.

Doléances de Savonarole.

Est-ce que les mœurs présentes et les temps malheureux où nous sommes réclament qu’on approuve et qu’on applaudisse ceux qui voudraient retenir la vérité captive et la réduire à néant ?

Race de vipères, qui ressemblez, comme l’a dit notre Seigneur, à des sépulcres blanchis... ayez honte à la fin de vos jalousies... Voyez... vos complices et vos partisans, les adversaires acharnés de la vérité et du chien fidèle du Christ. Ce sont des orgueilleux, des ambitieux, des avares, des adultères, des mangeurs et des buveurs, et les pires de tous sont ceux qui, ayant renié leur profession et déguisant leur apostasie sous une toison de brebis, sont rongés par l’envie et l’ambition. Repentez-vous donc, et rentrez enfin en vous-mêmes, si ma voix est encore capable de pénétrer dans vos oreilles aussi sourdes que celles de l’aspic. Et vous, bons prêtres, bons religieux, bons séculiers, qui êtes partout en grand nombre, je le sais, priez le Maître de la moisson d’envoyer de bons ouvriers dans son champ. Demandez-lui de vanner le bon grain, de le séparer de la paille, et de jeter l'ivraie au feu ; car il est proche et il se hâte, le temps où mon bien-aimé relèvera son bras en faisant justice et miséricorde sur la terre. Levez vos têtes et voyez : l'été arrive et la moisson commence.

SAVONAROLE.

Lamentations contre les tièdes.

 

Chapitre 4

LES PRÉCURSEURS DE LA RÉFORME

Nous avons vu avant cette période et dans la précédente plusieurs mouvements d’opposition au système catholique. Le seul cependant qui, jusqu’à présent, laisse vraiment présager la Réforme du XVIe siècle, c’est le mouvement Vaudois. Aux XIVe et XVe siècles, nous voyons en surgir d’autres.

1. Wycliffe. Professeur à Oxford, il se borna pendant longtemps à s’élever contre l’immoralité des moines et l’avarice des papes. Le schisme d’Occident, à la fin du XIVe siècle, lui inspira des doutes sur l’autorité papale ;1378 il fut alors exclu de l’université d’Oxford, mais il resta curé du petit village de Lutterworth et mourut paisiblement 1384.

Pour lui, la Bible seule fait autorité en matière de foi ; il rejette la papauté et la tradition. Aussi a-t-il entrepris de traduire la Bible en anglais. Cet ouvrage ne fut achevé qu’après sa mort. Wycliffe a combattu plusieurs erreurs catholiques, en particulier la transsubstantiation.

Ses disciples ont parcouru l’Angleterre, lisant et expliquant la Bible. On les a flétris sous le nom de Lollards (gens qui parlent à voix basse). Malgré les persécutions, ils se sont maintenus jusqu’à l’Epoque de la Réforme.

2. Jean Hus (1369-1413). La Bohême a eu de tout temps certaines vélléités d’indépendance au point de vue ecclésiastique. Jean Hus, né à Hussinetz, après d’excellentes études, devint professeur et prédicateur à Prague. Il a fixé l’orthographe tchèque. La lecture des ouvrages de Wycliffe fit une profonde impression sur lui. Comme lui, il insista sur l’autorité unique des Ecritures ; il protesta contre le culte des images, le trafic des indulgences, la corruption du clergé.

Chassé de Prague, il se mit à prêcher dans les campagnes, malgré les interdictions du pape, et sa prédication populaire et chaleureuse faisait partout une profonde impression.

Il fut cité devant le concile de Constance. Il s’y rendit muni d’un sauf-conduit de l’empereur Sigismond. Dès son arrivée, il fut jeté dans une prison, d’où il écrivit à ses amis des lettres admirables de douceur et de fermeté. On lui demanda une abjuration pure et simple, mais il ne pouvait se résoudre à abjurer d’une part des doctrines qu’il n’avait jamais professées, et de l’autre des articles qui lui paraissaient bibliques. Il ne voulait pas « scandaliser le peuple qu’il avait conduit dans la voie de la vérité ». Aussi fut-il dégrade et brûlé vif en 1415. Ses cendres furent jetés dans le Rhin. Son ami Jérôme de Prague qui avait abjuré dans l’espoir d’être relâché, se ressaisit en voyant qu’il restait en prison, et fut brûlé vif à son tour.

3. Les Hussites. Tandis que Hus était prisonnier à Constance, ses adeptes se multipliaient en Bohême, et ils commençaient à prendre la cène sous les deux espèces. La nouvelle de sa mort provoqua une tempête d’indignation qui dégénéra en soulèvement lorsque l’Empereur parjure Sigismond éleva des prétentions à la couronne de Bohême. Les armées hussites, sévèrement disciplinées, et sous la conduite de Ziska, mirent en déroute les armées impériales et les « croisés » du pape, qui finirent par s’enfuir sans même livrer bataille.

Le concile de Bâle se décida à faire quelques concessions. On accordait aux Hussites le droit de prendre la cène sous les deux espèces, la liberté de prêcher l’évangile, certaines réformes ecclésiastiques. Les aristocrates tchèques acceptèrent ces conditions, firent la paix avec les catholiques et prirent le nom d’Utraquistes ou Calixtins.

Ceux qui voulaient poursuivre la résistance armée furent écrasés par les forces combinées des Catholiques et des Utraquistes. Ils se retirèrent alors dans les montagnes, où ils organisèrent des réunions d’édification mutuelle plus ou moins clandestines. Ils entrèrent en rapport avec les Vaudois, nommèrent des évêques et se maintinrent sous le nom d’Unité des Frères pendant plusieurs siècles. Malgré les persécutions, ils avaient vers 1500 environ 400 églises.

Décision du Concile de Constance

Quelques-uns disent que le supplice de Jean Hus était contraire à la justice et à l’honneur.

Le dit Jean Hus en combattant opiniâtrement la foi orthodoxe s’est privé de tout sauf conduit et de tout privilège ; aucune foi et aucune promesse, de droit naturel, divin ou humain ne doit être tenue au préjudice de la foi catholique.

MANSI, vol. XXVII, p. 791.

Une lettre de Jean Hus.

« Heureux l’homme qui souffre des tentations ; car, lorsqu’il aura été éprouvé, il recevra la couronne de vie que le Seigneur a promise à ceux qui l’aiment. » Glorieuse couronne que le Seigneur m’accordera, je l’espère fermement, et à vous aussi, fervents défenseurs de la vérité, et à tous ceux qui persévèrent dans l’amour de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui a souffert pour nous, nous laissant son exemple, afin que nous suivions ses traces. Il était nécessaire qu’il souffrît, comme il le dit lui-même, et il faut que nous, qui sommes ses membres, nous souffrions avec celui qui est notre tête ; car il a dit : « Si quelqu’un veut venir avec moi, qu’il se renonce lui-même, qu'il prenne sa croix et me suive. » O divin Jésus, attire-nous après toi, faibles que nous sommes ; car si tu ne nous attires, nous ne pourrons te suivre. Fortifie mon esprit, afin qu’il soit fort et résolu. La chair est faible, mais que ta grâce nous prévienne, nous assiste et nous sauve ! Car sans toi nous ne pouvons rien, et sommes surtout incapables d’affronter à cause de toi une mort cruelle.

Donne-nous un esprit résolu, un cœur intrépide, une foi pure, une espérance vive, une charité parfaite, afin que nous exposions pour toi notre vie avec patience et avec joie. Amen.

Ecrit en prison, dans les fers, la veille du jour de la Saint-Jean-Baptiste, qui a été décapité pour s’être élevé contre la corruption des méchants. Puisse-t-il prier pour nous Jésus notre Seigneur !

Jean HUS,

en espérance serviteur de Jésus-Christ. 2me série, lettre 44.

Traduit par de BONNECHOSE.

CONCLUSION

1. Résumé chronologique. Nous pouvons diviser l’histoire de ces deux siècles en trois phases.

1302-1400 Les papes d’Avignon. Le schisme d’Occident. Suppression des Templiers ; les chevaliers de saint Jean à Rhodes. Occam. Déclin de l’art gothique. Ekkart. Les Amis de Dieu et les Frères de la vie commune. Nicolas de Bâle. Tauler. Wycliffe.

1400-1450 Conciles de la réforme. Jean XXIII. Eugène IV. Jeanne d’Arc. Les Lollards. Jean Hus. Guerres hussites. La Péninsule balkanique tombe aux mains des Turcs. Essais de rapprochement entre l’Eglise d’Orient et celle d’Occident.

1450-1517 Prise de Constantinople. Alexandre VI. Jules IL Léon X. Renaissance italienne. Construction de la basilique de Saint-Pierre. Fin du royaume musulman de Grenade. Inquisition royale en Espagne. Thomas à Kempis. Savonarole. Calixtins. Unité des Frères. Jeunesse de Luther.

2. Appréciation. Ces siècles sont marqués par le déclin de tout ce qui avait fait la grandeur du catholicisme dans les siècles précédents : puissance papale, croisades, ordres, théologie scolastique, architecture religieuse. L’incrédulité grandit, surtout en Italie. Certes il ne faut pas oublier les âmes pieuses qui illustrent cette période. Mais tandis qu’aux XIe, XIIe et XIIIe siècles les manifestations les plus éclatantes de la piété étaient, sauf le mouvement vaudois, en pleine harmonie avec la papauté, aux XIVe et XVe siècles les chrétiens les plus remarquables se trouvent en marge du catholicisme officiel, comme les Mystiques, ou en opposition avec lui, comme les précurseurs de la Réforme. En 1517, les Etats sont indépendants, les esprits sont mécontents de la papauté, la Bible est répandue dans bien des régions de l’Europe. Tout est prêt pour l’apparition de Luther, et pour le mouvement dont il sera l’initiateur.