La période précédente, qui va de 313 à 1517, malgré quelques siècles très brillants au point de vue de la foi et du zèle religieux, est marquée par une infidélité croissante à l’Evangile. A la fin du quinzième siècle, la foi chrétienne est en pleine décadence dans l’Eglise officielle. L’irréligion fait des progrès menaçants.
Au XVIe siècle, nous assistons à un brusque revirement. L’intérêt religieux prend de nouveau la première place dans les esprits. De tous côtés, on revient aux principes de l’Evangile. En face de la Réforme, le catholicisme lui-même est obligé de se ressaisir ; sans être ramené à la vérité, il est du moins réveillé de sa torpeur. L’enthousiasme religieux se maintient pendant le siècle suivant, et ne fléchit gravement que beaucoup plus tard, au XVIIIe siècle.
PREMIERE PARTIE
Début du XVIe siècle
INTRODUCTION. LES CAUSES DE LA RÉFORME
On considère souvent que le mécontentement provoqué par la corruption du clergé est la cause principale de la Réforme. Assurément, malgré certaines exceptions louables, le bas-clergé était en général grossier, ignorant, immoral, et le haut-clergé se discréditait par son ambition, sa mondanité et son avarice. Une série sinistre de mauvais papes avait scandalisé la chrétienté.
Cependant, tout cela n’aurait pas été suffisant pour provoquer la Réforme. C’est l’étude de la Bible qui apparaît comme la cause pro-
fonde de la Réforme, avant d’en être le résultat. En face des exigences du Dieu saint de l'Ecriture, beaucoup sentent qu’ils ne peuvent être sauvés par les maigres mérites que l’Eglise leur propose d’acquérir. La comparaison entre la vérité scripturaire et l’enseignement officiel précipite le mouvement.
De plus, quelques circonstances favorables doivent être mentionnées. Les princes, à peu près affranchis du joug papal, peuvent introduire des réformes religieuses dans leurs états.
La renaissance littéraire, contre-coup inattendu de la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, avait remis en honneur l’étude du grec. Erasme de Rotterdam (1467-1536), malgré sa timidité et son incompréhension pour les idées de Luther, a fait œuvre de précurseur. De même Jean Reuchlin (1455-1522) a ouvert la voie à la connaissance de l’hébreu.
L’invention de l’imprimerie, en 1450 par Gutenberg à Mayence, a permis la diffusion sur une grande échelle et à bas prix de la Parole de Dieu et des ouvrages des Réformateurs.
Enfin il ne faut pas oublier que ceux-ci travaillaient sur le sol déjà labouré par leurs précurseurs, Valdo, Wycliffe, Hus, que partout en Europe il y avait de petits groupes, de croyants évangéliques et que le terrain était ainsi préparé pour un mouvement d’envergure mondiale.
LA RÉFORME LUTHÉRIENNE
1. RUPTURE DE LUTHER AVEC ROME
1. Jeunesse de Luther. Martin Luther, né à Eisleben vers la fin du quinzième siècle,1483 était issu d’une famille humble et fruste de la Saxe. Il étudia dans diverses villes, puis devint moine augustin à Erfurt. Il avait un vif sentiment de son péché et n’arrivait pas à calmer sa conscience, même au prix de terribles austérités. Il fut nommé professeur à l'Université de Wittenberg. C’est alors qu’en étudiant l’épître aux Romains, il comprit que l’homme ne pouvant se justifier par ses mérites, Dieu justifiait gratuitement ceux qui croyaient en Jésus-Christ. Un voyage à Rome ébranla sa confiance dans les institutions catholiques.
2. Crise de 1517. Un moine dominicain, Tetzel, vint à ce moment prêcher avec beaucoup de désinvolture la vente des indulgences dans la région de Wittenberg. Le produit de cette vente devait servir en partie à la construction de la cathédrale de Saint-Pierre de Rome. Scandalise, Luther alla afficher le 31 octobre 1517 au soir 95 thèses à la porte de l’église du Château de Wittenberg, où de grandes foules allaient se réunir le lendemain. Dans ces thèses, Luther ne s’attaquait pas au principe des indulgences, mais il en dénonçait vigoureusement les abus, et il insistait sur les conditions spirituelles du pardon et sur la grâce de Dieu.
3. La lutte. Les thèses de Luther se répandirent en Allemagne avec une rapidité incroyable. Bien entendu, ses idées furent attaquées de divers côtés, et il ne se fit pas faute de les défendre. Dans une discussion publique à Leipzig avec le théologien Eck,1519 il en vint à affirmer que certaines idées de Hus étaient évangéliques, et que les conciles n’étaient pas infaillibles. La rupture avec Rome, que Luther n’avait pas du tout envisagée au début, devenait inévitable. La faiblesse des arguments qu’avançaient ses adversaires ouvrait les yeux de Luther sur les erreurs du catholicisme. Lui-même publiait des ouvrages toujours plus hardis : A la Noblesse allemande, où il s’élève contre la cupidité du clergé romain ; De la Captivité de Babylone où il combat la notion catholique des sacrements ; De la Liberté chrétienne, où il exalte le salut par grâce.
La rupture fut totale, lorsque le pape Léon X (1513-1521) condamna les écrits du réformateur et le menaça lui-même de l’excommunication. Luther, accompagné de quelques amis, prit l’exemplaire de la bulle papale qui avait été affichée à Wittenberg et le brûla à l’entrée de la ville.1520
Entre temps, il avait trouvé un collaborateur très capable en la personne de Philippe Mélanchthon (1497-1560). Le tempérament doux et l’esprit constructif de ce dernier complétaient admirablement le courage révolutionnaire de Luther.
4. Diète de Worms. L’empereur d’Allemagne, Charles-Quint (1519-1556), qui était en même temps roi d’Espagne, se vit obligé d’amener les affaires ecclésiastiques en discussion devant la diète de l’empire, convoquée à Worms. Luther, pourvu d’un sauf-conduit y fut mandé. Sommé de se rétracter, il déclara qu’il ne pouvait le faire, à moins d’être convaincu par le témoignage des Ecritures ou par des raisons évidentes. Après son départ de Worms, il fut mis au ban de l’Empire.
Mais son ami, l’électeur de Saxe, le fit mettre en sûreté dans le château de Wartbourg où , déguisé en chevalier, il entreprit la traduction du Nouveau-Testament.
Quelques thèses de Luther.
« Par amour pour la vérité et dans le but de la préciser les thèses suivantes seront soutenues à Wittenberg, sous la présidence du Révérend Père
Martin Luther, ermite Augustin, maître ès arts, docteurs et lecteur de la Sainte Théologie. Celui-ci prie ceux qui, étant absents, ne pourraient discuter avec lui, de vouloir bien le faire par lettres. Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Amen. »
1. En disant : Faites pénitence, notre Maître et Seigneur Jésus-Christ a voulu que la vie entière des fidèles fût une pénitence.
27. Ils prêchent des inventions humaines, ceux qui prétendent qu’aussitôt que l’argent résonne dans leur caisse, l’âme s’envole du Purgatoire.
28. Ce qui est certain, c’est qu’aussitôt que l’argent résonne, l’avarice et la rapacité grandissent. Quant au suffrage de l’Eglise, il dépend uniquement de la bonne volonté de Dieu.
32. Ils seront éternellement damnés avec ceux qui les enseignent, ceux qui pensent que des lettres d’indulgences leur assurent le salut.
36. Tout chrétien vraiment contrit a droit à la rémission entière de la peine et du péché, même sans lettres d’indulgences.
45. Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui voyant son prochain dans l'indigence, le délaisse pour acheter des indulgences, ne s’achète pas l'indulgence du Pape, mais l’indignation de Dieu.
50. Il faut enseigner aux chrétiens que si le Pape connaissait les exactions des prédicateurs d’indulgences, il préférerait voir la basilique de Saint-Pierre réduite en cendres, plutôt qu’édifiée avec la chair, le sang, les os de ses brebis.
51. Il faut enseigner aux chrétiens que le Pape, fidèle à son devoir, distribuerait tout son bien et vendrait au besoin l’église de Saint-Pierre pour la plupart de ceux auxquels certains prédicateurs d’indulgences enlèvent leur argent.
55. Voici quelle doit être nécessairement la pensée du Pape : si l'on accorde aux indulgences qui sont moindres, une cloche, un honneur, une cérémonie, il faut célébrer l’Evangile qui est plus grand, avec cent cloches, cent honneurs, cent cérémonies.
81. Cette prédication imprudente des indulgences rend bien difficile, aux hommes même les plus doctes, de défendre l'honneur du Pape contre les calomnies ou même contre les questions insidieuses des laïques.
82. Pourquoi, disent-ils, pourquoi le Pape ne délivre-t-il pas d’un seul coup toutes les âmes du Purgatoire, pour le plus juste des motifs, par sainte charité, par compassion pour leurs souffrances, tandis qu’il en délivre à l’infini pour le motif le plus futile, pour un argent indigne, pour la construction de sa basilique ?
94. Il faut exhorter les chrétiens à s’appliquer à suivre Christ leur chef, à travers les peines, la mort et l’Enfer.
95. Et à entrer au ciel par beaucoup de tribulations, plutôt que de se reposer sur la sécurité d’une fausse paix.
Cité par Félix KUHN
LUTHER — Sa vie et son œuvre.
Voir aussi Luther, Oeuvres, Tome 1.
Déclaration de Luther à la diète de Worms.
« Puisque Votre Majesté Impériale et Vos Seigneuries me demandent une réponse nette, je vais vous la donner sans cornes et sans dents. Non ; si l’on ne me convainc par les témoignages de l'Ecriture ou par des raisons décisives, car je ne crois ni au Pape ni aux conciles seuls, puisqu’il est clair comme le jour qu’ils ont souvent erré et qu’ils se sont contredits. Je suis dominé par les Saintes Ecritures que j’ai citées, et ma conscience est liée par la Parole de Dieu. Je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il est dangereux d’agir contre sa propre conscience. »
« Me voici, je ne puis autrement. Que Dieu me soit en aide ! » 1.
Cité par Félix KUHN
LUTHER — Sa vie et son œuvre.
Tome 1.
Voir aussi Luther, Oeuvres, Tome 2.
1 Ces dernières paroles ne figurent pas dans les minutes de la diète. Mais elles sont attestées par les relations contemporaines des événements.
2. ORGANISATION DE LA RÉFORME LUTHÉRIENNE
Il ne suffisait pas d’arracher les âmes au joug papal. Il fallait donner aux églises détachées de Rome une organisation viable. C’est à cela que furent consacrées les quinze années qui suivirent la diète de Worms. Luther ne resta que quelques mois à la Wartbourg ; puis il rentra à Wittenberg.1522 Ses partisans étaient assez nombreux pour que sa personne ne fût plus en danger.
1. Doctrine. Luther avait rejeté l’autorité du pape et celle des conciles, et il s’était appuyé sur la Bible pour défendre ses idées. Il importait donc de mettre la Bible entre toutes les mains, et pour cela de la traduire. La traduction que fit Luther avec quelques collaborateurs est parfois inexacte dans le détail, mais elle est insurpassable au point de vue de la valeur littéraire et de l’émotion religieuse. Achevée en 1534, elle se répandit rapidement et affermit les adeptes des idées nouvelles.
1529 Luther résuma les points fondamentaux de la doctrine chrétienne dans deux catéchismes. Le petit catéchisme, en particulier, est remarquable par sa concision, sa simplicité et la richesse de sa sève spirituelle. Les enfants l’apprenaient par cœur, et de la sorte étaient instruits des principes essentiels de la foi.
La confession de foi proprement dite des Eglises Luthériennes fut rédigée par Mélanchthon, en 1530, à l’occasion de la diète d’Augsbourg.
Le même Mélanchthon avait d'ailleurs publié en 1521 le premier essai de théologie systématique de la Réforme, Les lieux communs de Théologie, basés sur le plan de l’épître aux Romains.
Luther de son côté avait soutenu la doctrine de la prédestination, 1525 au cours d’une controverse avec Erasme. Ce dernier avait écrit un traité Du Libre Arbitre, où il attaquait Luther. Luther répondit par le traité Du Serf Arbitre où il nie toute participation humaine à l’acquisition du salut.
2. Culte. En l’absence de Luther, certains de ses partisans avaient introduit assez précipitamment des changements nombreux dans l’ordre du Culte. Le Réformateur réagit là-contre. Il était attaché aux formes anciennes. Il ne modifia la liturgie que peu à peu, au fur et à mesure que cela lui paraissait nécessaire et supprima seulement ce qui était manifestement contraire à l’Evangile. Assez tard il remplaça l’usage du latin par la messe allemande.1526 Il rejetait l’idée du sacrifice dans l’eucharistie, mais il crut jusqu’au bout de tout son cœur à la présence réelle et matérielle du Christ dans, avec et sous les espèces (consubstantiation). Les images furent maintenues dans les lieux de culte, mais on cessa de les vénérer. La prédication prit une grande importance, de même que le chant ; les mélodies vigoureuses et entraînantes des chorals luthériens ont beaucoup contribué au succès de la Réforme.
3. Organisation ecclésiastique. Luther était un partisan convaincu du sacerdoce universel de tous les croyants. Cependant, à cause de l’ignorance et de la grossièreté des foules, il fut obligé de donner à l’église une organisation hiérarchique. Il réduisit cependant la distance entre les pasteurs et les laïques en supprimant le célibat des ecclésiastiques.1525 Lui-même se maria avec une ancienne nonne, Catherine de Bora, dont il eut six enfants.
Pour établir et maintenir le bon ordre dans les Eglises, il pria les princes de désigner des inspecteurs ecclésiastiques chargés de visiter les paroisses.1527 Il prit part, lui-même, à ce travail. Ce césaro-papisme n’était pas conforme à son idéal, mais il y voyait la seule solution possible des problèmes qui se posaient.
Quels sont les véritables et les plus nobles livres du Nouveau Testament? (1)
1 Ce développement est supprimé dans les éditions du Nouveau Testament à partir de celle de 1537. Les éditions de la Bible complète, dont la première parut en 1534, ne l’ont jamais reproduit.
Tout ce que je viens de dire te permet de porter un jugement exact sur les livres du Nouveau Testament et de distinguer lesquels sont les meilleurs. En effet, l'Evangile de Jean et les lettres de saint Paul, particulièrement l’épître aux Romains, ainsi que la première lettre de saint Pierre, sont le véritable cœur et la moelle de tous les livres ; ils devraient à juste titre figurer en première place, et l’on devrait conseiller à chaque chrétien de les lire en premier lieu et très souvent, et de se familiariser avec eux par la lecture quotidienne comme avec le pain de chaque jour. Car en ces livres, tu ne trouves pas décrits beaucoup d’œuvres et de miracles du Christ ; mais tu y trouves souligné de main très magistrale comment la foi en Christ remporte la victoire sur le péché, la mort et l’enfer, et donne la vie, la justice et la fidélité, ce qui est le propre de l’évangile, comme tu l’as entendu.
En effet, si j’étais d'aventure obligé de renoncer soit aux œuvres, soit aux prédications du Christ, je préférerais renoncer aux œuvres plutôt qu’à ses prédications. Les œuvres, en effet, ne me seraient d’aucune utilité, alors que ses paroles, elles, donnent la vie, comme il le dit lui-même. Etant donné que Jean expose peu d'œuvres du Christ mais beaucoup de ses prédications, alors que les trois autres évangélistes relatent, au contraire, beaucoup de ses œuvres et peu de ses paroles, l’Evangile de Jean est l’Evangile principal, unique en son genre, délicieux et parfait, qu’il convient de préférer de beaucoup aux trois autres et d’estimer plus haut qu’eux. De la même manière, les lettres de Paul et de Pierre surpassent de beaucoup les trois Evangiles de Matthieu, de Marc et de Luc.
En résumé, l’Evangile de Jean et sa première lettre, les lettres de Paul et tout particulièrement les épîtres aux Romains, aux Galates et aux Ephésiens, ainsi que la première lettre de Pierre, voilà les livres qui te montrent le Christ et qui t'enseignent tout ce dont tu as besoin et qu’il t’est utile de savoir, même si tu ne devais jamais voir ni entendre aucun autre livre ni enseignement. C'est pourquoi la lettre de Jacques est, par comparaison avec ces livres, une vraie épître de paille, car elle n'a aucun caractère évangélique. Mais nous parlerons plus longuement de cela dans d'autres préfaces.
LUTHER
Oeuvres, Tome 3.
3. EXTENSION DE LA RÉFORME LUTHÉRIENNE
1. Allemagne. Quelques mois après l’apparition de Luther, les neuf dixièmes de la population allemande étaient gagnés aux idées nouvelles. Les princes furent plus lents à se décider. Les premiers qui embrassèrent le luthéranisme furent l'Electeur de Saxe et le comte Philippe de Hesse.
1525 Le succès de la réforme faillit être compromis par une révolte sociale des paysans, faite au nom de l’Evangile. Luther, après avoir en vain conseillé la modération aux deux parties, condamna cette révolte avec une violence regrettable, mais il sauvegardait ainsi la spiritualité du mouvement. Il rassurait aussi les princes qui auraient pu redouter que la Réforme ne dégénérât en anarchie.
On donna aux adeptes des idées nouvelles le nom de protestants, peut-être à la suite d’une déclaration des princes luthériens à la diète de Spire ;1529 ceux-ci protestaient qu’ils n’acceptaient pas un édit tendant à arrêter la propagation de l’Evangile
A la diète d’Augsbourg, en 1530, les affaires religieuses furent de nouveau abordées en présence de l’empereur. Mélanchthon lut une confession de foi dans laquelle il examinait avec un soin particulier les questions en litige.
Bien entendu, l’accord avec le catholicisme ne put se faire et les princes protestants,1532 se sentant menacés, formèrent la ligue de Smalcalde. Charles V, qui avait d’autres affaires sur les bras, conclut avec eux la trêve de Nuremberg, par laquelle catholiques et protestants devaient vivre en paix en attendant que les questions en suspens soient réglées par un concile.
La Réforme continua à faire des progrès ; elle fut introduite au Brandebourg et au Wurtemberg. Malheureusement, la piété des foules était souvent superficielle.1540 Le comte Philippe de Hesse, à la suite d’un avis secret de Luther et de Mélanchthon, sombra dans la bigamie. Néanmoins, à la mort de Luther, il ne restait guère que l’Autriche, la Bavière et certains territoires ecclésiastiques aux mains des catholiques. Encore les évangéliques y étaient-ils nombreux.
Parmi les propagateurs du luthéranisme, citons Justus Jonas et Bugenhagen, surnommé Pomeranus, dans le Nord du pays, et Brenz dans le Sud.
2. Europe centrale. En Hongrie et en Bohême, le luthéranisme se propagea surtout parmi les minorités de langue allemande. Luther noua des rapports cordiaux avec l’Unité des Frères Tchèques, tout en se méfiant de leurs idées sur la Cène et sur la justification par la foi.
1525 Sur les rives de la Baltique, le grand-maître de l’Ordre Teutonique embrassa la Réforme et transforma la Prusse en duché pour sa famille. Le supérieur de l’Ordre des chevaliers Porte-glaive en fit autant pour la Livonie.1523
3. Scandinavie. La Suède était à ce moment en révolte contre le Danemark. Le clergé s’était rendu odieux en approuvant les violences des Danois. D’autre part, certains prédicateurs luthériens avaient eu beaucoup de succès.1523/60 Aussi, le roi de Suède, Gustave Vasa, en partie pour se procurer de l’argent en faisant main basse sur les immenses propriétés ecclésiastiques, supprima-t-il le catholicisme dans son pays en y établissant la religion luthérienne,1527 à la diète de Westeras.
Peu après, le roi de Danemark, Christian III en fit autant à la diète de Copenhague.1536 Dans ce pays, il y avait eu une longue lutte entre deux rois rivaux et le clergé avait eu la maladresse de soutenir le moins populaire des deux. Le terrain était d’ailleurs bien préparé par le prédicateur Tausen qui avait fait ses études à Wittenberg. Le Danemark imposa la réforme à la Norvège, et plus tard à l’Islande (1550).
4. Dernières années de Luther. Elles furent assombries par des maladies continuelles. Luther résidait en général à Wittenberg. Il y accueillait, malgré ses ressources limitées, des étudiants, des voyageurs, des théologiens qui, dans leur admiration un peu naïve, no-taxent tout ce qu’il disait. Après sa mort, on imprima ces Propos de table, souvent excellents, mais parfois un peu grossiers.
Luther était gai. Il aimait passionnément la musique. Ses violences regrettables s’expliquent, sans se justifier, par son courage, sa sensibilité et sa droiture toujours franche.
Son activité était prodigieuse. Il prêchait, enseignait, voyageait. Son œuvre littéraire tient en 80 gros volumes, et presque tout ce qui est sorti de sa plume est intéressant. Par sa traduction de la Bible, il a fixé l’allemand moderne. Il puisait les forces dont il avait besoin dans la prière, dans laquelle il déployait une grande hardiesse.
1546 II mourut à 62 ans au cours d’un voyage à Eisleben et fut enterré dans l’église de Wittenberg où il avait affiché ses thèses.
Protestation de Spire.
Chers Seigneurs, Cousins, Oncles, et Amis !
« Nous étant rendu à cette Diète sur la convocation de Sa Majesté et pour le bien commun de l'Empire et de la chrétienté, nous avons entendu et compris que les décisions de la dernière Diète, concernant notre sainte foi chrétienne, devaient être supprimées, et qu’on se proposait de leur substi-tuer des résolutions restrictives et gênantes...
C’est pourquoi, très chers seigneurs, oncles, cousins et amis, nous vous supplions cordialement de peser avec soin nos griefs et nos motifs. Que, si vous ne vous rendez pas à notre requête, NOUS PROTESTONS par les présentes, devant Dieu, notre unique créateur, conservateur, rédempteur et sauveur, et qui, un jour, sera notre juge, ainsi que devant tous les hommes et toutes les créatures, que nous ne consentons ni n’adhérons en aucune manière, pour nous et les nôtres, au décret proposé dans toutes les choses qui sont contraires à Dieu, à sa Sainte Parole, à notre bonne conscience, au salut de nos âmes, et au dernier décret de Spire 1.
1 II s’agit d’un décret donné, également à Spire, trois ans auparavant.
LA RÉFORME CALVINISTE
1. LES PRÉCURSEURS DE LANGUE ALLEMANDE
1. La Réforme en Suisse allemande. Tandis que Luther commençait son activité publique, un mouvement parallèle et indépendant prenait naissance en Suisse. Un prêtre humaniste, Ulrich Zwingli (1484-1531), après un ministère fructueux à Glaris et à Einsiedeln, où il combattit la mariolâtrie, fut appelé comme prédicateur à Zurich ; et en se basant sur l’autorité de l'Ecriture, il se mit à combattre les erreurs romaines. Ses adhérents devinrent nombreux. Le conseil de la ville ordonna qu’une discussion publique sur la base des Ecritures 1523 eût lieu entre les prédicateurs évangéliques et les catholiques, à la suite de quoi la Réforme fut officiellement reconnue.
Quelques années après, des discussions analogues eurent lieu à Berne et à Bâle, avec le même résultat. Mais les cantons agricoles du centre restaient attachés au catholicisme.1531 Une guerre civile s’ensuivit, dans laquelle Zwingli fut tué à Kappel. Depuis, la Suisse est restée partagée entre des cantons protestants et des cantons catholiques.
Zwingli, qui était un logicien vigoureux, alla beaucoup plus loin que Luther. Tout ce qui n’était pas positivement enseigné dans l’Ecriture sainte devait être aboli à ses yeux. La Cène n’était qu’un mémorial et le Christ n’y était pas présent. Les images traitées d’idoles furent enlevées des églises. Rien ne resta plus de l’ancienne liturgie. On se réunissait pour prier, lire la Bible, et entendre la prédication.
L’écrit le plus important de Zwingli a pour titre De la vraie et de la fausse Religion. Parmi ses amis ou collaborateurs, citons Haller, le réformateur de Berne, œcolampade, réformateur de Bâle, et Bullinger qui prit la succession de Zwingli à Zurich.
2. L’Alsace. Le réformateur de l’Alsace, Martin Bucer, (1491-1551), avait été amené à la foi par Luther, mais dans la suite, il accepta sur plusieurs points les idées de Zwingli. L’Eglise de Strasbourg reçut en conséquence une organisation originale, intermédiaire entre le luthéranisme et le zwinglianisme.
Elle ne souscrivit pas à la Confession d’Augsbourg et présenta une confession de foi distincte, connue sous le nom de tetrapolitana, en commun avec les villes de Constance, Lindau et Memmingen.
3. Tentatives de rapprochement avec les luthériens. Bucer par conviction, et le comte Philippe de Hesse pour des raisons politiques, étaient affligés de voir les deux mouvements de réforme rester étrangers et parfois presque hostiles l’un à l’autre.1529 Le comte convoqua un colloque à Marbourg : Luther, Mélanchthon, Bucer, Zwingli et d’autres y prirent part. L’accord fut complet sur tous les points, mais sur la Cène, un rapprochement était impossible. Aux supplications de Zwingli qui déclarait rechercher plus que tout une entente avec les Wittenbergeois, Luther opposa un refus formel : « Vous avez un autre esprit que nous ». Les deux parties signèrent une déclaration qui prenait acte des convictions communes et des divergences. La division de la famille protestante en deux branches indépendantes était consommée.
Déclaration de Marbourg.
Et au quatorzième article accepté par tous on ajouta ces mots : « Bien que dans le temps actuel, nous n’ayons pu nous accorder sur l’article de la présence réelle du corps et du sang de Jésus-Christ dans le pain et dans le vin, les deux partis doivent s’entr’aimer chrétiennement, autant que la conscience le peut permettre, et prier instamment le Dieu Tout-Puissant qu’il veuille les affermir par son Esprit, dans le vrai sens du sacrement. Amen. — Ont signé : Martin Luther, Phil. Mélanchthon, Justus Jonas, André Osiander, J. Brentz, Etienne Agricole, Jean œcolampade, Ulrich Zwingli, Mart. Bucer, Gaspard Hédion. » (4 oct. 1529.)
Cité par Félix KUHN
LUTHER — Sa vie et son œuvre.
Tome 2.
2. LES PRÉCURSEURS DE LANGUE FRANÇAISE.
1. La réforme catholique de Meaux. Le roi de France, François 1er (1515-1547), ami des lettres et des arts, n’avait aucune compréhension pour les problèmes de conscience soulevés par la Réforme. Un concordat lui donnait un réel pouvoir sur l’Eglise de France, ce qui plaisait à son caractère autoritaire et l’incitait à maintenir le catholicisme. D’autre part, il n’aimait pas les tendances scolastiques arriérées de la majorité des sorbonnistes 1536 et protégeait les humanistes. L’un d’eux, Lefèvre d’Etaples, professeur à la Sorbonne, se mit, après avoir enseigné les lettres profanes, à étudier les Ecritures.1512 Dans un commentaire sur les épîtres de Paul, il affirma, avant Luther, la suffisance de la Bible et la justification par la foi. Plus tard, il traduisit le Nouveau Testament et ensuite l'Ancien Testament en français. Ce n’était pas un lutteur, prêt à rompre avec le passé, mais un savant doux et modeste ; il mérite cependant le titre de Père de la Réforme française qui lui a été donné. Il bénéficiait de la protection de la sœur du roi, Marguerite de Navarre.
Son disciple et ami, Briçonnet, évêque de Meaux, résolut de faire prévaloir ses idées dans son diocèse. Il réprima les abus et répandit le Nouveau Testament de Lefèvre. Mais devant l’opposition qu’il rencontra à la Sorbonne, et inquiet de voir ses adeptes pencher vers le luthéranisme, il revint en arrière et finit par interdire la lecture des Ecritures en langue populaire.
2. Les premiers protestants français. Entre temps, le luthéranisme avait fait quelques recrues en France, et dès le début les luthériens furent persécutes. Le premier martyr dont on connaisse le nom était un moine,1523 Jean Vallière, brûlé vif à Paris. Le traducteur des œuvres de Luther,1529 Louis de Berquin, eut le même sort. Quelques protestants exaltés eurent la maladresse de publier des affiches violentes contre la messe,1534 et d’en apposer sur la chambre à coucher du roi François 1er. Après cette « affaire des placards », le roi, jusqu’alors hésitant, acheva d’être indisposé contre la Réforme. Il ordonna une procession expiatoire en l’honneur du sacrement sur le parcours de laquelle six protestants furent brûlés vifs.
3. La Réforme en Suisse romande. Elle eut pour principal artisan un disciple de Lefèvre d’Etaples, originaire de Gap en Dauphiné, Guillaume Farel (1489-1565). Chassé de Meaux, il se rendit en Suisse où, sous la protection de Berne, il évangélisa le Pays de Vaud et le Jura. Toujours en voyage, il n’hésitait pas à interrompre la messe pour prêcher l’Evangile. Sa voix tonnante dominait le tumulte que ses adversaires suscitaient. Frappé, griffé, meurtri, souvent en danger de mort, il était infatigable, inébranlable dans son courage et dans son zèle. Sous Paction de sa predication, un village après l’autre se détachait du catholicisme. A Orbe, il rencontra Pierre Viret (1511-1571) et le pressa de devenir prédicateur. Ce dernier exerça un ministère béni en Suisse et en France.
C’est Farel qui introduisit la Réforme à Genève en soutenant une discussion publique avec les théologiens catholiques.
Les Genevois, jaloux de leur liberté et craignant de tomber sous la coupe du duc de Savoie dont les menées étaient favorisées par l’évêque, avaient cherché un appui à Berne, et cette circonstance facilita l’établissement du protestantisme dans la ville. Le prince évêque s’enfuit ; le Conseil de la ville promulgua un édit qui enjoignait à tous de vivre selon l’Evangile, et le peuple donna sa sanction à cette mesure.
1532 Farel eut une entrevue avec les chefs des anciennes Eglises vaudoises, et n’eut pas de peine à s’entendre avec eux. Grâce à leur générosité, la Bible française d’Olivétan put paraître. C’est cette traduction, diversément révisée, qui a été en usage dans les Eglises de langue française jusqu’au XIXe siècle.
Parmi les œuvres de Farel, citons Du vrai usage de la Croix, et le Sommaire ou brève Déclaration d'aucuns lieux communs utiles aux chrétiens. Il termina sa carrière comme pasteur à Neuchâtel.
3. LES DÉBUTS DE CALVIN
1509 1. Sa jeunesse. Calvin est né à Noyon en Picardie, d’une bonne
famille bourgeoise. Il fit des études de théologie, de droit et de lettres à Paris, Orléans et Bourges. Il fut initié aux idées nouvelles par son cousin Olivétan. Il se convertit subitement, on ne sait au juste ni à quel moment, ni dans quelles circonstances. Ses progrès dans la foi furent si rapides que très vite après sa conversion, on se mit à le considérer comme un maître et à le consulter de tous côtés. Il rédigea pour son ami, Nicolas Cop, recteur de l'Université, un discours très évangélique,1533 qui provoqua une immense sensation et l’obligea à quitter Paris précipitamment.
2. Ses premiers travaux. Réfugié à Bâle, après diverses pérégrinations, il entreprit la publication en 1535-1536 d’un traité de doctrine, destiné à éclairer et à affermir les croyants, l’Institution chrétienne. Il a utilisé les travaux de ses devanciers ; mais la clarté et la logique de l’exposition lui appartiennent. Dans une magnifique préface, il dédia cet ouvrage au roi François 1er, dans l’espoir de calmer sa colère excitée par l’affaire des placards. Il espérait pouvoir vaquer tranquillement à ses études, quand, au cours d’un voyage, il fut adjuré par Farel de s’arrêter à Genève.1536 Bientôt Farel laissa à Calvin la première place dans l’Eglise. Une confession de foi fut rédigée et tous les citoyens durent la signer. Les Genevois dont la piété, à ce moment, consistait surtout à haïr les prêtres et à enfreindre le carême, furent mécontents de la discipline que Calvin voulut introduire dans la célébration de la Cène. En conséquence, les deux réformateurs furent bannis.1538
Calvin fut appelé à Strasbourg par Bucer pour diriger la communauté de réfugiés français. Il adapta la liturgie en usage dans les communautés allemandes d’Alsace. Il fit imprimer un premier petit recueil de psaumes et cantiques, mis en vers par Marot et par lui-même. Il se maria avec la veuve d’un anabaptiste, Idelette de Bure. Ce séjour à Strabourg fut très important pour l’organisation ultérieure des Eglises réformées.
Cependant, à Genève, les désordres se multipliaient et faisaient regretter le régime ordonné de Calvin. Aussi se décida-t-on à rappeler le réformateur ; et celui-ci, y voyant un appel de Dieu, ne crut pas devoir refuser.1541
Ce qui avait contribué à faire désirer aux Genevois la présence de Calvin, c’est la manière dont celui-ci répondit au cardinal Sadolet qui avait cherché à ramener la ville au catholicisme.
Conversion de Calvin.
Dès que j’étais jeune enfant, mon père m’avait destiné à la Théologie ; mais puis après, d’autant qu’il considérait que la science des Lois communément enrichit ceux qui la suivent, cette espérance lui fit incontinent changer d’avis. Ainsi cela fut cause qu’on me retira de l’étude de Philosophie, et que je fus mis à apprendre des Lois : auxquelles combien que je m'efforçasse de m’employer fidèlement, pour obéir à mon père, Dieu toutefois par sa providence secrète me fit finalement tourner bride d’un autre côté. Et premièrement, comme ainsi soit que je fusse si obstinément adonné aux superstitions de la Papauté, qu’il était bien malaisé qu’on me puisse tirer de ce bourbier si profond, par une conversion subite il dompta et rangea à docilité mon cœur, lequel, eu égard à l’âge était par trop endurci en telles choses. Ayant donc reçu quelque goût et connaissance de la vraie piété, je fus incontinent enflammé d’un si grand désir de profiter, qu’encore que je ne quittasse pas tout-à-tout les autres études, je m’y employai plus lâchement. Or je fus tout ébahi que devant que l’an passât, tous ceux qui avaient quelque désir de la pure doctrine, se rangeaient à moi pour apprendre, combien que je ne fisse quasi que commencer moi-même. De mon côté, d’autant qu’étant d’un naturel un peu sauvage et honteux, j’ai toujours aimé recoy et tranquillité, je commençai à chercher quelque cachette et moyen de me retirer des gens : mais tant s’en faut que je vinsse à bout de mon désir, qu’au contraire toutes retraites et lieux à l’écart m’étaient comme écoles publiques. Bref, cependant que j’avais toujours ce but de vivre en privé sans être connu, Dieu m’a tellement promené et fait tournoyer par divers changements, que toutefois il ne m’a jamais laissé de repos en lieu quelconque, jusqu’à ce que malgré mon naturel il m’a produit en lumière, et fait venir en jeu, comme on dit.
J. CALVIN,
Préface aux Psaumes.
Préface de l’" Institution chrétienne » (Extraits).
Au commencement que je m’appliquai à écrire ce présent livre, je ne pensais rien moins. Sire, que d’écrire choses qui fussent présentées à votre Majesté : seulement mon propos était d’enseigner quelques rudiments, par lesquels ceux qui seraient touchés d’aucune bonne affection de Dieu, fussent instruits à la vraie piété. Et principalement je voulais par ce mien labeur servir à nos Français : desquels j’en voyais plusieurs avoir faim et soif de Jésus-Christ, et bien peu qui en eussent reçu droite connaissance. Laquelle mienne délibération on pourra facilement apercevoir du livre ; en tant que je l’ai accommodé à la plus simple forme d'enseigner qu’il m’a été possible. Mais voyant que la fureur de quelques iniques s’était tant élevée en votre Royaume, qu'elle n’avait laissé lieu aucun à toute saine doctrine : il m’a semblé être expédient de faire servir ce présent livre, tant d'instruction à ceux que premièrement j’avais délibéré d'enseigner, qu’aussi de confession de foi envers vous : dont vous connaissiez quelle est la doctrine contre laquelle d’une telle rage furieusement sont enflammés ceux qui par feu et par glaive troublent aujourd'hui votre Royaume...
Vous avez, Sire, la venimeuse iniquité de nos calomniateurs exposée par assez de paroles, afin que vous n’incliniez pas trop l’oreille pour ajouter foi à leurs rapports. Et même je doute que je n’aie été trop long : vu que cette préface a quasi la grandeur d’une défense entière, bien que par elle je n’aie prétendu composer une défense, mais seulement adoucir votre cœur pour donner audience à notre cause. Lequel, bien qu’il soit à présent détourné et aliéné de nous, j'ajoute même enflammé, toutefois j'espère que nous pourrons regagner sa grâce, s’il vous plaît une fois hors d’indignation et courroux lire notre confession, laquelle nous voulons être pour défense envers Votre Majesté. Mais si au contraire, les détractions des malveillants empêchent tellement vos oreilles, que les accusés n’aient aucun lieu de se défendre ; d’autre part, si ces impétueuses furies, sans que vous y mettiez ordre, exercent toujours cruauté par prisons, fouets, géhennes, coupures, brûlures : nous certes, comme brebis vouées à la boucherie, serons jetés en toute extrémité, de telle sorte néanmoins qu’en notre patience nous posséderons nos âmes, et attendrons la main forte du Seigneur, laquelle sans doute se montrera en sa saison, et apparaîtra armée, tant pour délivrer les pauvres de leur affliction, que pour punir les contempteurs qui s’égaient si hardiment à cette heure. Le Seigneur, Roi des rois, veuille établir votre trône en justice, et votre siège en équité.
J. CALVIN, Epître au Roi.
4. ORGANISATION DE LA RÉFORME CALVINISTE
C’est pendant les 23 ans de son second séjour à Genève que Calvin travailla à organiser les Eglises réformées. Il venait au moment propice, assez tard pour profiter des expériences de ses devanciers, assez tôt pour ne pas être en face d’une organisation déjà réalisée et par conséquent difficile à corriger.
1. Doctrine. La doctrine calviniste se distingue par son biblicisme et sa logique. Toute la théologie est basée sur la révélation de Dieu, dans l'Ecriture. Calvin exalte là souveraineté de Dieu, son honneur. Il croit à la double prédestination des élus et des réprouvés, et en conséquence, il insiste sur l’assurance que le racheté peut avoir de son salut, tout entier dû à la grâce de Dieu. Pour les sacrements, il n’est ni luthérien, ni zwinglien, il y voit les signes visibles d’une grâce invisible, mais réelle ; pour lui le Christ est présent, non pas matériellement, mais spirituellement dans la communion.
Calvin a précisé sa pensée dans les éditions successives de son Institution chrétienne (en latin et en français), dans son Catéchisme dialogué, destiné à l'instruction des enfants et dans ses Commentaires. Ces derniers, où presque tout le Nouveau Testament et une grande partie de l'Ancien Testament sont traités, sont la base de l’exégèse moderne. Calvin combat l’abus de l’allégorie qui avait régné depuis Origène.
2. Les ministères. Calvin abolit l’épiscopat, et plus encore que Luther, il diminua la distance qui sépare le clergé des laïques. Les pasteurs sont chargés de la prédication et de l’administration des sacrements. Ils sont consacrés par leurs collègues et n’ont pas de supérieurs hiérarchiques. Les docteurs doivent instruire les enfants. Les anciens veillent à la discipline de l’Eglise. Les diacres s’occupent des pauvres et des malades.
3. Discipline. Relation avec l'Etat. Calvin était très désireux d’établir une discipline morale stricte dans l’Eglise. Il fit établir à cet effet une commission de 18 laïques et de 6 ecclésiastiques, appelée le Consistoire. Le Consistoire réprimandait les membres indignes et excommuniait les impénitents. Cette organisation donnait à l’Eglise une autorité indépendante de l’Etat. Calvin veut l’union de l’Eglise et de l’Etat, sans confusion, sans théocratie et surtout sans césaropapisme. L’Etat doit protéger la prédication de l’Evangile, en bannissant s’il le faut les catholiques et les hérétiques ; mais il n’a pas à donner d’ordre à l’Eglise. L’Eglise, de son côté, n’a pas à se mêler des affaires temporelles de l’Etat. Après la mort de Calvin, Th. de Bèze déclara que si le pouvoir suprême était hostile à l’Evangile, les magistrats inférieurs (princes du sang, parlementaires, seigneurs, etc...) devaient protéger l'Eglise, s’il le fallait par les armes, contre les vexations du pouvoir central. Ce principe a permis au calvinisme de s’établir et de se maintenir dans des pays régis par les catholiques, ce que le luthéranisme césaropapiste n’a jamais pu faire.
4. Le culte. La liturgie de l’Eglise de Genève imite celle de Strasbourg. Elle s’est maintenue presque sans changement, dans les Eglises réformées de France. Elle se distingue par sa gravité et sa simplicité. Ce n’est pas une messe expurgée, mais un ordre de service original, correspondant aux besoins de la piété protestante. Le psautier de Strasbourg fut corrigé et enrichi par Clément Marot, venu pour quelques mois à Genève, et plus tard complété par Théodore de Bèze. Ses paroles splendides et ses airs virils dus à Matthias Greiter, Louis Bourgeois et Pierre Dagues contribuèrent beaucoup au succès de la Réforme.
Calvin supprima presque toutes les fêtes catholiques. En revanche, il insistait avec force sur l’observation du dimanche, sans d’ailleurs y voir le succédané du sabbat juif.
5. Conflits. La ville de Genève où les gens frivoles étaient nombreux eut de la peine à accepter la discipline de Calvin. Aussi les conflits furent-ils nombreux. Tantôt il fallait éviter que des hérétiques propagent leurs doctrines. (Nous parlerons plus tard du célèbre Servet). Tantôt le Conseil de la ville prétendait empiéter sur les prérogatives du Consistoire et faire donner la Sainte-Cène à des membres excommuniés. Calvin tint bon, non sans difficultés. Pour finir, es partisans de la frivolité, sentant que la direction des affaires leur échappait de plus en plus (par suite, en partie, de l’afflux des réfugiés français d’une foi éprouvée),1555 fomentèrent une émeute qui acheva de les discréditer. Leurs chefs furent exécutés ou bannis.
6. Le triomphe. Dès lors, Genève devint la ville modèle que Calvin désirait. Les dernières années du réformateur furent fécondes ; en 1559, il publia la dernière édition latine, considérablement enrichie, de son Institution chrétienne ; il fonda, la même année, le Collège et l'Académie avec un programme gradué très remarquable pour l’époque.
Sa forte constitution était usée par le travail, et la fin de sa vie fut une lutte constante contre diverses maladies qui, d’ailleurs, ne restreignaient pas son activité prodigieuse. Il prêchait, enseignait, conseillait. Ses ouvrages se composent de 50 gros volumes, sa correspondance s’étendait des souverains d’Europe jusqu’aux personnes les plus humbles. Par son style vif et clair, il est un des créateurs de la prose française.
Il avait des défauts, en particulier une irritabilité nerveuse dont il était le premier à s’humilier ; mais la légende l’a étrangement défiguré. Son austérité n’avait rien d’excessif, il savait être aimable et enjoué. Il avait une sensibilité presque féminine, un cœur compatissant jusqu’aux larmes devant les souffrances des autres. Son invincible fermeté ne l’empêchait pas d’être timide par nature. Son désintéressement et son esprit de sacrifice n’ont guère été contestés.
Après avoir pris congé, avec une humilité déconcertante, de ses collègues dans le ministère,1564 il mourut âgé de 55 ans, sans laisser de fortune. On ignore où il est enterré. Sa vie est une admirable réalisation de son emblème, une main qui porte un cœur brûlant.
Adieux de Calvin aux pasteurs de Genève.
J’ai vécu ici en combats merveilleux ; j’ai été salué par moquerie le soir devant ma porte de 50 ou 60 coups d’arquebuse. On m’a mis les chiens à ma queue, criant hère, hère, et m’ont pris par la robe et les jambes... Ainsi j'ai été parmi les combats, et vous en expérimenterez qui ne seront pas moindres, mais plus grands... Mais prenez courage et vous fortifiez, car Dieu se servira de cette Eglise et la maintiendra, et je vous assure que Dieu la gardera...
J'ai eu beaucoup d'infirmités, lesquelles il a fallu que vous supportiez, et même tout ce que j’ai fait n’a rien valu. Les méchants prendront bien ce mot : mais je dis encore que tout ce que j’ai fait n'a rien valu, et que je suis une misérable créature. Mais je puis dire cela, que j’ai bien voulu, que mes vices m’ont toujours déplu, et que la racine de la crainte de Dieu a été en mon cœur ; et vous pouvez dire cela que l'affection a été bonne ; et je vous prie, que le mal me soit pardonné ; mais s’il y a du bien, que vous vous y conformiez, et l’ensuiviez.
Quant à ma doctrine, j'ai enseigné fidèlement, et Dieu m'a fait la grâce d’écrire ce que j’ai fait le plus fidèlement qu’il m’a été possible, et n’ai pas corrompu un seul passage de l'Ecriture, ni détourné à mon escient ; et quand j’eusse bien pu amener des sens subtils, si je me fusse étudié à subtilité, j’ai mis tout cela sous le pied et me suis toujours étudié à simplicité.
Voir BONNET,
Lettres de Jean Calvin,
Tome 2.
Les droits et devoirs des magistrats inférieurs.
Le souverain gouvernement est de telle manière entre les mains des rois, ou autres souverains magistrats, que si tel néanmoins, se détournant des bonnes lois et conditions qu’ils auront jurées, se rendent tyrans tout manifestes, et ne donnent lieu à meilleur conseil : alors il est permis aux magistrats inférieurs de pourvoir à soi et à ceux qu’ils ont en charge, résistant à ce tyran manifeste. Et quant aux Etats du pays ou autres, à qui telle autorité est donnée par les lois, ils s’y peuvent et doivent opposer jusqu’à remettre les choses en leur état, et punir même le tyran, si besoin est, selon ses démérites. En quoi faisant, tant s’en faut qu’ils doivent être tenus séditieux et rebelles, que tout au rebours ils s’acquittent du devoir et serment qu’ils ont à Dieu et à leur Patrie...
... On demande ce qui est de faire, quand la tyrannie s’est tellement fortifiée, que le remède des Etats est comme tout à fait empêché, par la connivence ou crainte ou méchanceté de la plupart ou des principaux. Je réponds, quant aux particuliers, s'ils ne sont autorisés ou par magistrats inférieurs ou par la plus saine partie des Etats (comme nous dirons tantôt), qu’ils n’ont autre remède que repentance et patience avec les prières, lesquelles Dieu ne méprisera jamais, et sans lesquelles tout autre remède, quelque légitime qu’il soit, est en danger d’être maudit de Dieu. Mais cela n’empêche pas que les mêmes particuliers n’en puissent avoir recours à leurs magistrats subalternes, les sommant de leur devoir. Et quant aux magistrats inférieurs, c’est à eux de se joindre ensemble, et de presser l’assemblée des Etats, se conservant cependant autant que faire se peut et doit contre une tyrannie manifeste. Qui plus est, je dis que le devoir même des particuliers est, en telle nécessité, de se joindre aux magistrats subalternes, faisant leur devoir, et qu’il est même loisible à la plus saine partie en un besoin de demander aide ailleurs, et notamment aux amis et alliés d’un royaume.
Th. de BÈZE
Du droit des magistrats sur le peuple,
pp. 507, 513. Cité dans R. Allier,
Anthologie protestante française, pp. 116-118־.
5. PROPAGATION DE LA RÉFORME CALVINISTE
1. En France. Malgré son alliance avec les princes protestants d’Allemagne contre son ennemi, Charles V, François 1er persécuta plus ou moins violemment les réformés pendant toute la fin de son règne. (Massacre des Vaudois de Provence). Son fils Henri II (1547-1559) institua une chambre spéciale au Parlement, pour juger les hérétiques. Elle envoya tant d’hommes et de femmes au bûcher qu’on la surnomma la Chambre ardente. Parmi les victimes de Henri II, citons le conseiller Anne du Bourg, qui avait eu le courage, en plein Parlement, et en présence du roi, de protester contre les persécutions. Le récit de la mort de ces multiples martyrs est conservé dans le Martyrologe de l’imprimeur Jean Crespin, lequel avait assisté, place Maubert, au supplice d’un réformé, Claude le Peintre.
Plusieurs fidèles de l'Eglise de Paris périrent en 1555, entre autres la dame Philippe de Luns, arrêtée, emprisonnée et martyrisée, après l’assaut donné par la populace au lieu de culte des protestants, rue Saint-Jaques.
D’ailleurs, les persécutions n’arrêtaient guère les progrès du protestantisme. Les colporteurs ou porte-balles préparaient le terrain, puis des pasteurs formés à Genève « dressaient » les églises. A la mort de Henri II, il y en avait 2000. C’est aussi à ce moment, en 1559, que se réunit le premier Synode national, au milieu des bûchers à Paris. Il adopta la confession de foi, dite de la Rochelle, et une organisation ecclésiastique qui assurait l’ordre dans l’Eglise, en même temps que son indépendance. Chaque paroisse nommait son Conseil presbytéral qui envoyait des délégués, pasteurs et laïcs, à un Colloque ou Consistoire. Plusieurs Consistoires se réunissaient occasionnellement en Synodes provinciaux, et ceux-ci envoyaient des députés au Synode national qui prenait des décisions valables pour toutes les Eglises d’un pays.
2. En Europe centrale. Les Eglises de Suisse allemande ne tardèrent pas à renoncer au zwinglianisme strict pour embrasser le calvinisme, par le consensus de Zurich 1549 et la 2e confession helvétique(1566). En Allemagne, l’électeur du Palatinat, inspirateur du célèbre Catéchisme de Heidelberg,1563 devint calviniste et le comte de Hesse suivit son exemple. Les autres luthériens restèrent hostiles au calvinisme. En Hongrie,1572 le calvinisme prêché par le réformateur Mélius, fit de grands progrès au sein de la population magyare. La liberté de conscience y fut proclamée pour les catholiques, les luthériens et les calvinistes. Il faut dire que les Turcs musulmans qui occupaient la majeure partie de la Hongrie voyaient le calvinisme, dépourvu d’images, d’un meilleur œil que le luthéranisme, et surtout que le catholicisme.
Le réformateur de la Pologne, Jean Laski (1499-1560), avait fait de multiples voyages avant de prêcher la foi nouvelle dans son pays. Il était en correspondance avec Calvin. Les calvinistes, les luthériens et les Frères Tchèques (réfugiés) parvinrent à s’unir tout en gardant leurs traits particuliers.
3. En Ecosse. Les premiers protestants écossais furent persécutés. 1572 “ L’un d’eux, John Knox, resta 19 mois sur les galères. Après sa libération, il fit plusieurs séjours à Genève et devint un disciple enthousiaste de Calvin.
Rentré dans son pays, il gagna une partie de la noblesse dont les anciennes libertés étaient menacées par la royauté unie au clergé. Les nobles conclurent une alliance ou Covenant 1557, pour se défendre. John Knox enflammait les foules ; il tonnait contre l’idolâtrie et la corruption des mœurs. En 1560, à la mort de la régente, Marie de Guise, qui avait été une catholique fanatique, les affaires ecclésiastiques furent portées devant le Parlement écossais. L’Eglise d’Ecosse fut organisée sur le modèle de celle de Genève : même doctrine, même discipline rigide, même liturgie, même indépendance de l’Eglise en face de l’Etat. L’épiscopat fut aboli ; l'Eglise devint presbytérienne, c’est-à-dire basée sur le gouvernement des anciens. Comme en France, on adopta l’organisation synodale à quatre étages.
LA RÉFORME ANGLICANE
1. Mouvements préparatoires. Il restait encore, au début du XVIe siècle, quelques disciples de Wycliffe, malgré les persécutions. L’humanisme avait pénétré dans les universités et stimulé la pensée indépendante. Un humaniste, Tyndale, avait traduit le Nouveau Testament en anglais ; il avait d’ailleurs publié sa traduction en Allemagne ; mais elle s’était répandue en Angleterre.
Tyndale mourut martyr à Vilvorde en Belgique en 1536.
2. Le divorce d’Henri VIII. Le roi Henri VIII, souverain despotique et sensuel, d’ailleurs intelligent et rompu aux discussions théologiques (il avait soutenu une controverse avec Luther à la suite de laquelle le pape lui avait conféré le titre de Défenseur de la foi), après 20 ans de mariage voulut répudier sa femme, Catherine d’Aragon, tante de Charles V. Le pape, embarrassé, louvoya. Alors, sur le conseil de Cranmer, qui devint plus tard archevêque de Canterbury, le roi décida de faire trancher la question par les universités et le clergé anglais, et il épousa Anne Boleyn.
3. L’acte de suprématie. Pendant ce temps, le Parlement promulguait diverses lois qui, de plus en plus, restreignaient les droits du pape. Pour finir, en 1534, l’Acte de suprématie proclamait le roi « seul chef suprême sur terre de l’Eglise d’Angleterre » et lui accordait le droit d’y réprimer et corriger les hérésies et les abus. Quelques années plus tard,1538 le pape excommunia le roi.
4. Caractère de la Réforme sous Henri VIII. Henri VIII avait rompu avec Rome. Pendant la vie de sa troisième femme, Jeanne Seymour, il détruisit plusieurs couvents et s’empara de leurs richesses. Il fit même répandre la Bible en anglais. Mais il ne voulait rien savoir du protestantisme véritable et restait attaché aux superstitions anciennes. Il décapitait les catholiques comme rebelles et brûlait les protestants comme hérétiques. Cranmer ne se maintint qu’à force de diplomatie.
Parmi les victimes d’Henri VIII, citons le chancelier catholique Thomas Morus et deux des six épouses successives du roi. En 1539, il promulga les 6 Articles, selon lesquels sous peine de mort, il fallait accepter la transsubstantiation, la communion sous une espèce, le célibat des prêtres, les vœux de chasteté, les messes privées et la confession auriculaire. Ces articles ont été surnommés articles du sang.
5. Réforme sous Edouard VI. Le successeur d’Henri VIII fut Edouard VI, le fils qu’il avait eu de sa troisième femme. Il avait été élevé par des protestants. Cranmer appela des théologiens étrangers, Bucer, Laski, Knox, qui donnèrent à l’Eglise d’Angleterre une confession de foi calviniste (en particulier en ce qui concerne la Sainte-Cène) et une liturgie anglaise débarrassée des erreurs romaines, le Book of Common Prayer. L’organisation épiscopale fut maintenue, de même que la pompe du culte, mais le protestantisme était nettement établi. Le prédicateur Latimer prêchait l’Evangile en tout lieu.
LA RÉFORME DISSIDENTE
1. LES ANABAPTISTES
1. Caractéristiques. Les mouvements luthérien, calviniste, anglican, avaient abouti à la formation d’Eglises protégées par l’Etat et dont tous les citoyens d’un pays devaient autant que possible faire partie. Quelques évangéliques de Zurich conçurent le plan de fonder une Eglise totalement séparée de l’Etat, et dans laquelle n’entrerait qu’un petit nombre d’adultes vraiment convertis. Ils s’opposaient, par conséquent, au baptême des enfants, et rebaptisaient leurs adhérents ; d’où leur sobriquet d’anabaptistes ou rebaptiseurs. Ils ne se révoltaient pas contre l’Etat, mais considéraient l’Etat comme une institution mondaine ; ils ne voulaient pas être magistrats, ni prêter serment, ni porter les armes.
En doctrine, ils niaient la prédestination et insistaient sur la nécessité des bonnes œuvres comme fruits de la justification.
2. Débuts. Les premiers chefs du mouvement furent Grebel, Manz et Blaurock. Le premier avait été un collaborateur de Zwingli, mais s’était séparé de lui lorsque la décision d’introduire la Réforme fut remise aux mains du Conseil de la ville.1525 Après une discussion publique entre Zwingli et les anabaptistes, le Conseil prit des mesures répressives.1527 Après diverses menaces, Grebel fut mis en prison, Blaurock fut chassé de la ville, et Manz noyé dans le lac de Zurich. A la même époque, Sattler rédigeait à Schleitheim la première confession de foi anabaptiste. Lui-même mourut martyr peu après.
Persécutés à la fois par les catholiques et par les protestants, les anabaptistes se multiplièrent pourtant en Suisse, en Allemagne, en Bohême, sans doute parce que beaucoup de petites communautés vaudoises se joignirent à eux.
3. Déviations. Un fâcheux incident aggrava encore la situation des anabaptistes. Quelques-uns de leurs prophètes se mirent à annoncer la venue prochaine du règne de mille ans, et un certain Jean de Leyde rêva de l’établir à Munster, en Westphalie.1534 Son gouvernement sombra dans l’immoralité, la cruauté et le ridicule, sous les coups de l’armée épiscopale. On ne peut rendre les anabaptistes dans leur ensemble responsables de ces excès qu’ils ont nettement désapprouvés.
T 1559 4. Organisation. Un prêtre converti, Menno Simons, réussit à réorganiser les communautés anabaptistes ; il combattit le fanatisme, ramena le mouvement à ses tendances primitives et lui donna un nouvel essor. Pendant 25 ans, il travailla inlassablement, par la plume et par la parole, en Allemagne du Nord et en Hollande. Ses adhérents, reconnaissants, prirent alors le nom de Mennonites.
Persécutés partout ailleurs, les Mennonites finirent par obtenir la tolérance aux Pays-Bas. Ils avaient pour livre de chevet leur gros Martyrologe. Ils exprimèrent leur foi dans la Confession de Dortrecht et dans le Catéchisme de Deux-Ponts.1632
Confession de Schleitheim.
Premièrement : Remarquez ceci pour ce qui est du baptême : le baptême doit être donné à tous ceux qui ont appris la repentance et l’amendement de vie, et qui croient en vérité que leurs péchés ont été ôtés par le Christ, à tous ceux qui veulent marcher dans la résurrection de Jésus-Christ et désirent être ensevelis avec lui dans la mort pour ressusciter avec lui, et à tous ceux qui le désirent et nous le demandent eux-mêmes dans ce sens.
Quatrièmement : Nous nous sommes reconnus unis sur la séparation qui doit se faire d’avec la méchanceté et d’avec le mal que le diable a semés dans le monde, uniquement afin que nous n’ayons pas communion avec eux et ne courions pas avec eux dans la multitude de leurs abominations...
Car il n’y a dans le monde et toute la création que bon et mauvais, croyant et incrédule, ténèbres et lumière, le monde et ceux qui sont sortis du monde, le temple de Dieu et (celui des) idoles. Christ et Bélial, et aucun ne peut avoir de part avec l’autre. L’ordre du Seigneur nous est donc clair quand il nous dit d’être séparés du mal, et qu’ainsi il veut être notre Dieu et nous ses fils et ses filles...
Et enfin : Nous voyons qu’il ne convient pas pour le chrétien de servir comme magistrat pour ces raisons : le régime des magistrats est selon la chair, celui des chrétiens selon l’esprit ; leur habitation reste dans ce monde, celle des chrétiens au ciel ; leur citoyenneté est dans ce monde, celle des chrétiens au ciel ; les armes de leur conflit et de leur guerre sont chamelles et (efficaces) seulement contre la chair, mais celles des chrétiens sont spiri-tuelles, contre les forteresses du diable (Cor 10.4). Les magistrats du monde sont armés de fer et d’acier, mais les chrétiens sont revêtus de l’armure de Dieu, — vérité, justice, paix, foi et salut — et la parole de Dieu (Eph. 6. 14-17).
Extrait de J. YODER et P. WIDMER
Principes et Doctrines Mennonites.
2. LES ANTITRINITAIRES
1. Servet. Michel Servet, juriste et médecin espagnol, en vint de bonne heure à considérer la doctrine de la Trinité comme une erreur, et il entreprit d’amener Calvin à ses idées. Après divers incidents, il se rendit à Genève, fut reconnu, jugé, déclaré coupable d’hérésie et sur le verdict des Eglises de Suisse,1553 condamné à être brûlé vif. Calvin plaida en vain pour qu’il subisse une mort moins cruelle.
2. Sociniens. Ce mouvement doit son origine à l’Italien Lélius Socin (1525-1562), et surtout à son neveu, Fauste Socin (1539-1604), qui répandit les idées que son oncle avait prudemment tenues cachées. D’après eux, la Bible, seule révélation de Dieu, ne peut rien contenir de contraire à la raison humaine ; ils nient en conséquence la Trinité, l’expiation, le salut par la foi ; ils rejettent aussi le baptême des enfants.
Des communautés sociniennes s’organisèrent en Transylvanie et surtout en Pologne, dans la seconde moitié du XVT siècle.
1. Résumé chronologique. L’histoire de ce demi-siècle peut se subdiviser en six phases.
a) avant 1517. Période de préparation. Lefèvre d’Etaples. Jeunesse de Luther. Naissance des principaux réformateurs.
b) 1517-1523. Rupture de Luther avec Rome. Zwingli à Zurich. Réforme catholique de Meaux.
c) 1523-1535. Organisation du luthéranisme. Guerre des paysans. Diffusion de la Réforme en Allemagne, en Suède, en Prusse ; Réforme en Alsace ; Colloque de Marbourg. Jeunesse de Calvin. Rupture d’Henri VIII avec Rome. Débuts malheureux des anabaptistes.
d) 1536-1546. Réforme au Danemark. Dernières années de Luther. Fin du règne d’Henri VIII. Calvin à Genève, à Strasbourg, à Genève. Débuts de Menno Simons.
e) 1547-1558. Luttes de Calvin à Genève. Servet. Henri II en France ; Edouard VI en Angleterre.
f) 1559-1564. Dernières années de Calvin. Organisation des Eglises réformées de France. Réforme calviniste en Hongrie, en Pologne, en Ecosse, dans certains Etats allemands.
2. Résultats. A la fin de cette époque, le protestantisme domine en Scandinavie, dans les Iles britanniques, dans la plupart des Etats allemands et des cantons suisses. Il constitue une forte minorité ou même la majorité en Pologne, en Hongrie, en Bohême, en France. Seules, l’Espagne et l’Italie sont restées pleinement attachées au catholicisme romain.
Toutes les Eglises protestantes sont d’accord pour ne pas vouloir d’autre autorité que celle de la Bible, pour affirmer le Salut gratuit, par grâce, et la justification par la foi, et pour rejeter les principales erreurs romaines (sacerdoce, messe, transsubstantiation, culte des saints, purgatoire).
Elles divergent entre elles sur les sacrements, la forme du culte, l’organisation ecclésiastique et la relation avec l’Etat.
La Réforme a été le plus grand mouvement de réveil religieux. Il a pu y avoir des manifestations superficielles. La conversion des masses n’a pas toujours été sincère et profonde. Les réformateurs sont les premiers à se plaindre de l’indifférence de beaucoup de leurs adhérents. Mais les conversions véritables ont été, sans doute, très nombreuses. Les pays protestants ont vu leur moralité croître. Quelques chefs, même géniaux, ne suffisent pas à créer un mouvement. Il y a eu, indéniablement, une action puissante de l’Esprit de Dieu.
DEUXIÈME PARTIE
FIN DU XVIe SIÈCLE
Pendant tout le début du XVIe siècle, le catholicisme semble être en plein désarroi. Aux doctrines simples et claires des réformateurs sur la question de la justification, comme sur celle de la diffusion des Ecritures, Rome n’avait pas de principes uniformes à opposer. Les abus et les scandales qui avaient été cause, en partie, de la Réforme, continuaient à s’étaler. Les deux principaux souverains catholiques, Charles V et François 1er étaient en lutte l’un avec l’autre ; et le pape louvoyait entre les deux. Pendant ce temps, ils ne pouvaient pas concentrer leur énergie contre le protestantisme. Aussi l’attitude de l’Eglise catholique à l’égard de la Réforme a-t-elle été hésitante et maladroite. Tantôt on recourait à des persécutions sanglantes, tantôt on se laissait aller à des concessions dangereuses pour le système. Et à la faveur de ces maladresses, un pays après l’autre embrassait le protestantisme.
Vers le milieu du siècle, les catholiques se rendent compte que s’ils ne veulent pas tout perdre, il faut qu’ils prennent des mesures énergiques et rapides. Ils commencent par se réorganiser intérieurement, puis, surtout vers la fin du siècle, ils se livrent à des attaques bien ordonnées contre le protestantisme. On donne à ce mouvement le nom de Contre-Réforme.
RÉORGANISATION INTÉRIEURE DU CATHOLICISME
1. LE CONCILE DE TRENTE
1. Histoire des sessions. Les Allemands, tant catholiques que protestants, réclamaient un concile depuis le début de la Réforme. Le pape hésita longtemps, craignant que le concile n’empiétât sur ses prérogatives, comme ceux du XVe siècle. Pour finir, Paul III convoqua un concile,1540 non pas allemand, mais œcuménique, et cela dans la ville allemande la plus proche de l’Italie, à savoir Trente. Les sessions se prolongèrent pendant 20 ans, avec deux interruptions. La première session (1545-1547) prit fin, parce qu’à la suite d’une peste, le concile avait été transféré à Bologne, où les évêques allemands refusèrent de se rendre. La seconde session (1551-1552) fut interrompue par l’arrivée d’une armée protestante dans le Tyrol. La troisième (1562-64) mena les travaux du concile à chef. D’ailleurs, même pendant les sessions, il y avait souvent de longues périodes sans séances générales.
2. Caractères généraux. Le vote par tête donnait la prépondérance aux évêques italiens et espagnols, très nombreux ; tandis que les évêques français et allemands, partisans de réformes énergiques, étaient en minorité. D’ailleurs les séances étaient présidées par les légats du pape et eux seuls pouvaient transmettre des propositions à l’assemblée.
3. Résultats. Paul III avait assigné au concile un triple but. a) extirper l’hérésie, b) réformer la discipline et les mœurs, c) établir la paix perpétuelle. Le concile était incompétent pour le troisième point et ne prit que quelques mesures anodines pour le second, (meilleure formation du clergé ; interdiction du cumul, les bâtards des prêtres ne pourront hériter des bénéfices).
Au point de vue doctrinal, le concile précisa le dogme catholique sur les points controversés. Il affirma l’inspiration des livres apocryphes et interdit la lecture de la Bible en langue vulgaire sans autorisation spéciale. Il mit la Vulgate sur le même niveau que les textes originaux. Il proclama la justification par la foi et les œuvres, et le mérite de ces dernières. Il maintint les sept sacrements, le dogme du purgatoire, le culte des saints et des images, l’usage des indulgences, etc. Les livres dangereux seront mis à l’index. Aucune concession n’était donc faite à la Réforme, mais la doctrine catholique sortait de la confusion qui lui avait été préjudiciable. On reconnut au pape le droit de confirmer et d’expliquer les décisions du concile. Sa supériorité sur un concile, même œcuménique, était donc établie, et l'Eglise romaine put se passer de concile pendant trois siècles. Le suivant, celui du Vatican, mit le point final à l’œuvre de Trente, en proclamant l’infaillibilité papale.
Quelques articles du Concile de Trente.
Si quelqu’un dit que l’impie est justifié par la foi seule, en sous-entendant que rien d’autre n'est exigé qui coopère à l'acquisition de la grâce de la justification ; et qu’il n’est nullement nécessaire que le pécheur soit préparé et disposé par l’impulsion de sa volonté, qu'il soit anathème.
Session 6, Canon 9.
MANSI, tome XXXIII, pp. 40, 41.
Si quelqu’un dit que la foi qui justifie n’est rien d’autre que la confiance en la miséricorde divine qui remet les péchés à cause du Christ, ou que cette confiance est la seule par laquelle nous soyons justifiés, qu’il soit anathème.
id. Canon 12, p. 41.
Si quelqu’un dit que la justice reçue ne peut être conservée, ou même qu’elle ne peut être accrue devant Dieu par les bonnes œuvres, mais que les œuvres elle-mêmes ne sont que les fruits et les signes de la justice acquise, mais qu’elles n’en provoquent aucun accroissement, qu’il soit anathème. id. Canon 24, p. 42.
Si quelqu’un dit que les bonnes œuvres d’un homme justifié sont des dons de Dieu, dans ce sens qu’ils ne sont pas de bons mérites du justifié lui-même, qu’il soit anathème. id. Canon 32, p. 43.
Comme par l’expérience, il est évident que si les saints Livres sont répandus partout sans discrimination en langue vulgaire il s’ensuit à cause de la témérité des hommes plus de mal que d’utilité, qu’il soit laissé dans ce domaine au jugement de l’Evêque ou de l’inquisiteur, de pouvoir donner après s’être entendu avec le pasteur de la paroisse ou le confesseur, le droit de lire la Bible en langue vulgaire, traduite par des auteurs catholiques à ceux qu’ils verront ne pas pouvoir retirer du dommage, mais au contraire l'accroissement de foi et de piété à la suite d’une telle lecture : qu’ils aient cette autorisation par écrit. Mais celui qui aura la présomption de les lire ou de les posséder en dehors d'une telle autorisation ne pourra obtenir la rémission de ses péchés sans avoir auparavant rendu la Bible à l'ordinaire.
id. p. 229.
Profession de foi du Concile de Trente.
Je reconnais fermement et j’embrasse les traditions apostoliques et les autres coutumes et règlements de l'Eglise. De même, je reconnais l'Ecriture Sainte, dans le sens où notre Sainte Mère l’Eglise l’a tenue et la tient encore. A elle appartient le jugement sur le véritable sens et l'explication des Saintes Ecritures. Jamais je ne l’interpréterai et ne l'expliquerai autrement que d’après l'interprétation unanime des Pères.
Je confesse aussi qu’il y à, au sens propre et véritable du terme, sept sacrements de la Nouvelle Alliance qui ont été institués par notre Seigneur Jésus-Christ et qui sont nécessaires pour le salut du genre humain, quoiqu’ils ne le soient pas tous pour chaque individu, à savoir : le baptême, la confirmation, l'eucharistie, la pénitence, l’extrême-onction, l’ordination, le mariage ; qu’ils communiquent la grâce, et que parmi eux le baptême, la confirmation et l’ordination ne peuvent être renouvelés sans sacrilège. J’accepte aussi et j'approuve tous les rites approuvés par l’Eglise lors de l’administration solennelle desdits sacrements.
J’accepte entièrement tout ce qui a été décidé et déclaré au Concile de Trente sur le péché originel et la justification.
Je confesse encore que dans les messes est consommé un sacrifice véritable et expiatoire pour les vivants et pour les morts, que dans le très saint sacrement de l'Eucharistie le corps et le sang, en même temps que l’âme et la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ, sont réellement et véritablement présents, qu'il se produit une transformation de toute la substance du pain dans le corps et de toute la substance du vin dans le sang. Cette transformation, l’Eglise Catholique la nomme transsubstantiation. Je confesse en outre que le Christ tout entier et le véritable sacrement sont présents même sous une seule espèce.
Je tiens fermement qu’il existe un purgatoire et que les âmes qui y sont renfermées trouvent un secours dans la prière des croyants.
Je crois fermement que l’on doit vénérer et invoquer les saints qui règnent avec le Christ, qu'ils apportent pour nous des prières à Dieu, que l'on doit vénérer leurs reliques. J’affirme fermement que l’on doit avoir et conserver des images du Christ, de la mère de Dieu toujours vierge, ainsi que des saints : qu’on doit leur témoigner le respect et la vénération qui leur sont dus.
Je dis aussi que le Christ a donné à l’Eglise plein pouvoir pour les indulgences et que leur usage apporte une grande bénédiction au peuple chrétien.
Je reconnais la sainte Eglise Romaine, catholique et apostolique comme la mère et l’éducatrice de toutes les Eglises ; je promets et jure vraie obéissance au pape romain, successeur de saint Pierre, le prince des apôtres, et vicaire de Jésus-Christ.
J’accepte aussi sans élever aucun doute et je confesse toutes les autres choses qui ont été transmises, décidées et déclarées par les saints Conciles œcuméniques, avant tout par le saint Concile de Trente.
Et de même je condamne, je rejette et j’anathématise toute ce qui est en contradiction avec cela et toutes les fausses doctrines que l’Eglise a condamnées, rejetées et anathématisées...
2. L’ORDRE DES JÉSUITES
1. Fondation. L’Espagnol Ignace de Loyola (1491-1556) se desti-naît primitivement à la vie militaire. A la suite d’une blessure, il lut des׳ vies de saints et se voua au mysticisme. Il consacra plusieurs années à des études et à de terribles austérités.
1534 Avec six amis, il fit vœu à l’église Sainte-Marie de Montmartre de devenir missionnaire, ou de se vouer à une tâche assignée par le pape. En 1540, Paul III promulgua la Bulle d’institution du nouvel ordre, appelé Compagnie de Jésus ; aux trois vœux ordinaires était adjoint un quatrième vœu d’obéissance absolue au pape.
Loyola devint le premier général de l’ordre. C’était avant tout un mystique fanatique, comme le montre son ouvrage intitulé Exercices spirituels.
Il préconise quatre semaines d’exercices où l’on se complaît dans des visions. La mariolâtrie y joue un grand rôle, et surtout la soumission totale à l’Eglise : « Ce qui me paraît blanc, je dois le croire noir, si l’Eglise hiérarchique le définissait ainsi ». Cet ouvrage, largement répandu et commenté, eut une immense influence. Cependant l'organisation de l’ordre est surtout l’œuvre d’un associé et successeur de Loyola, à savoir Lainez.1564
2. Organisation. Pour être admis dans la société, il faut d’abord passer par un noviciat sévère, ensuite faire des études prolongées comme « scolastique », puis être un certain temps « coadjuteur spirituel ». Après cela seulement, le candidat prononce le quatrième vœu, prend le titre de profès et est initié aux règles secrètes. Les profès sont organisés hiérarchiquement ; chacun a une autorité illimitée sur ses subordonnés et doit être docile « comme un cadavre » en face de ses supérieurs. A la tête de l’organisation se trouve un général nommé à vie, appelé parfois « le pape noir » à cause de son influence, et qui d’ailleurs est étroitement espionné par d’autres jésuites.
3. Activité. Les jésuites veulent travailler « à la plus grande gloire de Dieu ». Ils ont trois moyens d’action : a) la mission, en pays païens et en pays hérétiques ; b) l'instruction de la jeunesse ; les jésuites ont cherché à contrebalancer l’influence des excellentes écoles protestantes en ouvrant, eux aussi, des écoles où ils donnaient une instruction plus brillante que loyale : beaucoup de nobles leur confièrent leurs enfants ; c) le confessionnal : pour mieux résoudre les cas de conscience qui leur étaient présentés de ce fait, ils ont développé une vaste casuistique. Il suffisait qu’un docteur grave eût déclaré qu’une action fût licite pour que son opinion fût probable, et ainsi suivant la piété de ceux à qui ils avaient à faire, ils pouvaient exiger une morale austère ou se contenter d’une morale relâchée, autorisant par exemple les restrictions mentales, le duel, la malhonnêteté dans les affaires. Leurs bonnes manières et leur éducation firent qu’ils devinrent rapidement les confesseurs des hautes classes, des princes en particulier. Par l’ordre des jésuites, Rome pouvait ainsi opposer au protestantisme conquérant une forme de catholicisme tout aussi enthousiaste et tout aussi expansif. Dans toutes les manifestations de la vie catholique, et particulièrement dans la lutte contre le protestantisme, les jésuites auront un rôle prépondérant.
Une lettre d’Ignace de Loyola.
Ainsi donc, Père Marin, déterminez-vous à prendre les deux résolutions suivantes et à les observer fermement : la première, de suspendre votre jugement et de ne pas estimer qu’est péché ce qui n’apparaît pas l’être clairement et ce que les autres ordinairement ne considèrent pas comme péché ; la seconde, même là où vous craignez qu’il y a péché, vous devez vous remettre au jugement de votre supérieur et croire ce qu'il vous dira — non pas en tant qu’homme (bien qu’il soit homme prudent et digne de confiance), mais en tant que supérieur qui tient la place de Notre Seigneur. Vous devez agir de la même façon envers n’importe quel supérieur, dans la confiance que la Providence vous gouvernera par son intermédiaire.
Croyez-moi, si vous aviez la véritable humilité et soumission, les scrupules ne vous causeraient pas tant de souci. La racine des scrupules est un certain orgueil qui accorde plus de crédit au jugement propre qu’à celui d’autrui...
Lettre écrite en juin 1556.
Tome XII, pp. 30, 31.
Dans Chs. LAMBOTTE, Saint Ignace de Loyola.
3. RENOUVEAU DE VIE ET D’ACTIVITÉ
1. Vie monastique. Parmi les ordres anciens, signalons que les chevaliers de saint Jean, après un combat héroïque, durent quitter l’île de Rhodes et se fixer à Malte. Parmi les Franciscains, les Capucins ont repris l’idéal rigide du fondateur.
Parmi les ordres nouveaux, signalons la congrégation de l’Oratoire,1575 fondée à Rome par Philippe de Néri, destinée à encourager la prière, l’usage des sacrements, et surtout la prédication. La congrégation fut introduite en France par le cardinal de Bérulle.1611
Autres ordres nouveaux : les Théatins qui se destinent à la prédication et à la mission en terre païenne ; les Frères de la Charité qui se consacrent au soin des malades ; et les Ursulines qui se vouent à l’instruction des filles.
2. Lutte contre les infidèles. L’union des catholiques met fin à l’expansion turque qui avait été favorisée pendant un siècle par leurs divisions. Les découvertes et les conquêtes des Espagnols et des Portugais dans l’ancien et le nouveau monde ouvraient des champs très très vastes aux missions catholiques en terre païenne. Les jésuites se sont distingués dans ce domaine. François Xavier a baptisé des foules en Extrême-Orient, en particulier au Japon. Au Canada et en Amérique du Sud également, les jésuites ont fait œuvre pionnière parmi les Indiens.
3. Les papes de la Contre-Réforme. Aux papes indignes du début du siècle, succède une série de papes remarquables par leur énergie et leur austérité. Paul III (1534-1549) avait encore une cour luxueuse ; mais il s’occupait activement des affaires de l’Eglise : il excommunia Henri VIII, institua l’ordre des jésuites, convoqua le concile de Trente et rétablit l’inquisition.
Paul IV (1555-1559) fut un pape austère. Il enleva des bénéfices à ses propres neveux à cause de leur vie dissolue. Il fut le premier à publier un index des livres interdits.
Pie IV (1559-1565) dirigea activement, de Rome, la fin des travaux du concile de Trente.
Le pape Pie V (1566-1572) était un ancien inquisiteur. Sa piété lui valut d’être canonisé. Il poussa Catherine de Médicis dans la voie de la violence à l’égard des protestants et prépara ainsi le massacre de la Saint-Barthélémy. Son successeur, Grégoire XIII (1572-1585), frappa une médaille pour commémorer cet événement. Il réforma le calendrier et lui donna son nom (calendrier grégorien). Sixte-Quint (1585-90) reprit la grande politique européenne des papes du Moyen-Age, d’ailleurs sans succès notable. Il publia une édition officielle de la Vulgate (édition sixtine).
Comme cette édition contenait de nombreuses erreurs, une autre édition officielle, dite clémentine, fut publiée peu après sous le pontificat de Clément VIII (1592-1605).
4. Catholiques remarquables. Nous devons mentionner la grande mystique espagnole Thérèse d’Avila (1515-82). Toute jeune, elle était entrée dans l’ordre des carmélites qu’elle réforma. On peut faire des réserves sur ses extases ; elle soumettait d’ailleurs les révélations qu’elle recevait à ses confesseurs pour contrôler si elles venaient de Dieu ; n’empêche que le trait dominant chez elle, c’est un ardent amour pour le Sauveur, amour qui faisait d’elle une créature rayonnante de joie, de douceur et d’humilité, et qui la rend sympathique même à ceux qui ne peuvent pas l’approuver en tout. On peut en dire à peu près autant du mystique portugais Jean de Dieu. Un autre Espagnol, Jean de la Croix (1542-91), a poussé jusqu’aux plus extrêmes limites l’analyse psychologique de l’expérience mystique. Ses ouvrages (La Montée au Carmel, la Nuit obscure) exercent encore aujourd’hui une influence fascinante.
Charles Borromée (1538-84), archevêque de Milan, a exercé une grande influence en Italie par son activité dévouée et sa vie irréprochable. Il a combattu avec succès la discipline relâchée de l’Eglise de son temps. Le professeur jésuite et cardinal Bellarmin (1542-1621) est le grand théologien de cette époque. Ses ouvrages contre les protestants servent de base à la controverse catholique jusqu’à nos jours.
Lettre de Pie V à Charles IX.
A notre très cher fils en Jésus-Christ, Charles, roi très chrétien des Français.
... Il faut en conséquence que Votre Majesté tienne pour certain que cela ne pourra jamais avoir lieu (le rétablissement de l’ordre), tant que tout le royaume n’embrassera pas unanimement et ne conservera pas fidèlement la seule et même religion catholique. Pour y parvenir, avec l’aide de Dieu, il est nécessaire que Votre Majesté sévisse sans pitié contre les ennemis de Dieu, ses propres sujets rebelles, en les punissant des justes peines et des supplices statués par les lois... Car si, mu par un motif quelconque, vous négligiez de poursuivre et de punir les injures faites à Dieu (ce que nous sommes loin de croire), certes, vous finiriez pas lasser sa patience et par provoquer sa colère... Donné à Saint-Pierre de Rome, sous l’anneau du pécheur, le 13 avril 1569, la quatrième année de notre pontificat. »
Cité par W.H. GUITON
La Réforme à Paris.
LUTTE ENTRE LE CATHOLICISME ET LE PROTESTANTISME
Cette lutte se poursuit suivant un plan bien concerté. Là où le protestantisme n’est pas encore arrivé à une situation dominante, on cherche à l’exterminer par la persécution. Là où il s’est établi, on cherche à le supplanter par la ruse, et si l’on n’y réussit pas, on recourt à la guerre. Aussi toute la fin du siècle n’est-elle qu’une série de guerres religieuses. Celles-ci commencent en Allemagne, puis se déchaînent dans les divers autres Etats européens, pour aboutir dans la période suivante à une guerre générale.
1. LA CONTRE-RÉFORME EN EUROPE CENTRALE
1. La guerre de Smalcalde. Charles V avait toujours vu d’un mauvais œil la ligue protestante de Smalcalde. Lorsqu’il eut les mains libres, il attaqua celle-ci et eut d’abord de gros succès, grâce à l’appui du prince protestant, Maurice de Saxe, traître à ses frères. Mais ensuite, Maurice de Saxe se retourna contre Charles V qui dut signer la Paix d’Augsbourg,1555 laquelle donnait à chaque prince le droit d’imposer sa religion à ses sujets (cujus regio, hujus religio).
2. L’Allemagne sous le régime de la paix d’Augsbourg. Le protestantisme s’était maintenu. Mais il ne fit plus grand progrès. Les jésuites s’introduisirent en Bavière et en Autriche et en firent des pays fanatiquement catholiques. Le protestantisme qui avait de nombreux adhérents (plus de la moitié de la population en Autriche) fut extirpé. Le théologien jésuite Canisius rédigea un catéchisme qui devint très populaire.
3. La Contre-Réforme en Hongrie. Les jésuites espéraient pouvoir ramener au catholicisme la portion de la Hongrie qui était soumise à l’Autriche. Mais les Hongrois se soulevèrent, et, soutenus par le prince de Transylvanie Bocskay, qui était un calviniste très pieux, ils s’assurèrent la liberté de conscience au traité de Vienne.1606
2. LA CONTRE-RÉFORME EN ESPAGNE
1. Philippe II (1556-1598). Fils de Charles V, il n’hérita pas de la couronne impériale, mais il dominait sur l’Espagne, les Pays-Bas et la majeure partie de l’Italie, sans parler des colonies espagnoles qui comprenaient la moitié de l’Amérique. Il conquit le Portugal et ses colonies (Brésil, côtes de l’Afrique et des Indes). Son règne s’étendit sur presque toute la seconde moitié du XVIe siècle. Il était travailleur, tenace, dévoué aux intérêts de son royaume, mais d’autre part sombre et cruel. Il dirigeait la politique mondiale du fond de son cabinet de travail, au palais de l’Escurial. Le but de sa vie était de consolider à l’intérieur l’absolutisme royal, et à l’extérieur d’assurer le triomphe du catholicisme et l’hégémonie espagnole. Pendant 40 ans, il a été l’âme de la Contre-Réforme, mettant toute l’Europe occidentale à feu et à sang pour réaliser son idéal.
2. L’inquisition en Espagne. Etablie à la fin du XVe siècle, elle fleurit sous Charles V et plus encore sous Philippe II. Elle fit de nombreuses victimes, protestants, Juifs, Maures, parfois même prévenus politiques. On parait les exécutions du nom d’auto-dafé (actes de foi), et on en faisait des sortes de réjouissances publiques. Le fils de Philippe II, Philippe III, acheva de rendre l’Espagne entièrement catholique en expulsant tous les Maures.1609
3. LA CONTRE-RÉFORME AUX PAYS-BAS
1. Situation politique. Les provinces dites des Pays-Bas étaient à cette époque très prospères. Jusqu’à Charles V, elles avaient joui d’une large indépendance. Philippe II entreprit de supprimer toutes les anciennes franchises. Une révolte s’ensuivit, menée par les nobles du pays, que les Espagnols flétrirent du nom de « gueux ». La répression,1566 dirigée par le célèbre duc d’Albe fut sanglante ; mais si les Espagnols réussirent à mater les provinces du sud, tous leurs efforts furent vains dans les provinces du nord qui, sous l’égide de Guillaume d’Orange le Taciturne, 1581 proclamèrent leur indépendance complète.
2. Succès de la Contre-Réforme dans les provinces du sud. La Réforme avait connu quelques succès dans ces provinces qui forment la Belgique actuelle. Les anabaptistes y étaient très nombreux. Des prédicateurs calvinistes, venus de France, y avaient prêché l’Evangile. Malheureusement, il y eut aussi quelques scènes de fanatisme, avec bris d’images et pillages d’églises. Les Espagnols sévirent d’une manière implacable contre tous les protestants et noyèrent la Réforme dans le sang. Parmi les martyrs, citons Guy de Brès, l’auteur de la Confession des Pays-Bas, exécuté à Valenciennes.
3. Echec de la Contre-Réforme dans les provinces du nord. Les armées espagnoles ayant été chassées des provinces du nord (Hollande actuelle), la Réforme n’y rencontra pas les mêmes obstacles. Au contraire, la doctrine calviniste justifiait la révolte des magistrats hollandais contre un prince tyrannique. Les Eglises protestantes s’étaient organisées à l’étranger, au Synode d’Emden,1571 alors que les Espagnols occupaient encore le pays. Elles avaient adopté une confession de foi calviniste, et le régime synodal à quatre étages. Il suffisait de consacrer ces décisions dans un synode convoqué dans le pays même. C’est ce qui se fit au Synode de Dordrecht en 1574. La religion réformée fut déclarée religion officielle des Provinces du nord, et le catholicisme fut proscrit. La politique de Philippe II subissait un échec retentissant, puisqu’elle aboutissait à faire faire au protestantisme une conquête importante.
4. LA CONTRE-RÉFORME DANS LES ILES BRITANNIQUES
1. Marie la Sanglante (1553-1558). A Edouard VI succéda sa demi-sœur Marie, fille de Catherine d’Aragon, et épouse de Philippe II d’Espagne. Elle avait été élevée dans la haine du protestantisme, qui avait autorisé la répudiation de sa mère. Aussi exigea-t-elle que le Parlement se soumît à Rome, et persécuta-t-elle les protestants. Près de 300 périrent sur l’échafaud, parmi eux, l’archevêque Cranmer et le réformateur Latimer, et des foules d’autres s’exilèrent. Ce règne très court eut pour résultat d’inspirer au peuple anglais la haine du papisme.
2. Elisabeth (1558-1603). Ce fut alors la fille d’Anne Boleyn qui monta sur le trône. Elle ne pouvait pas maintenir une religion selon laquelle elle était une enfant illégitime. Aussi rétablit-elle l'Acte de suprématie, la confession de foi protestante (les 39 articles), et fit-elle rééditer le Book of Common Prayer. Elle chercha même à introduire le protestantisme en Irlande, d’ailleurs sans grand succès, et soumit les Irlandais catholiques à des vexations regrettables.
3. L’Ecosse. Le protestantisme s’était solidement établi dans le pays en l’absence de la reine Marie Stuart, élevée en France. Lorsqu’elle revint en Ecosse,1561 elle obtint le droit de rester catholique, mais elle dut reconnaître les mesures adoptées en son absence. D’ailleurs, les scandales de sa vie privée et de sa cour provoquaient la colère de John Knox, qui tempêtait contre Jésabel et ses idoles. Pour finir, elle fut obligée d’abdiquer en faveur de son fils Jacques,1567 qui fut élevé dans le protestantisme. Les espoirs des catholiques de recouvrer l’Ecosse s’évanouissaient.
4. L’invincible Armada. Marie Stuart alla se réfugier en Angleterre, auprès de sa cousine Elisabeth, qui la fit mettre en prison. Il faut dire qu’elle était suspecte aux yeux d’Elisabeth, parce qu’elle avait certaines prétentions au trône d’Angleterre, prétentions qui étaient appuyées par les catholiques en général et divers conspirateurs en particulier.1587 Après 18 ans de réclusion, elle fut décapitée. On alla jusqu’à lui refuser l’assistance d’un prêtre catholique à ses derniers moments. Un cri d’indignation accueillit cette nouvelle dans le monde catholique.1588 Le pape Sixte-Quint fit cadeau de l’Angleterre à Philippe II. Celui-ci arma une flotte formidable, appelée orgueilleusement « Invincible Armada », pour attaquer l’Angleterre. Mais cette flotte, mise à mal par les tempêtes, fut vaincue par la flotte anglaise, composée de navires plus petits et plus maniables, et quelques débris seulement purent regagner l’Espagne. La Contre-Réforme avait complètement échoué.
5. LA CONTRE-RÉFORME EN FRANCE
1. Prodromes des guerres de religion. A Henri II succéda son fils François II (1559-60), époux de Marie Stuart, et comme tel uni par alliance à la famille des Guises. Ceux-ci, catholiques fanatiques, devinrent tout-puissants. Quelques protestants, blâmés par Calvin, se conjurèrent pour enlever le roi, le soustraire à l’influence des Guises, et le placer sous la tutelle des princes du sang, dont plusieurs avaient embrassé la Réforme. Cette tentative, qui eut Amboise pour théâtre, échoua, et les Guises sévirent cruellement.
Tôt après, François II mourut, et son frère Charles IX (1560-74), lui succéda. La tutelle passa à sa mère Catherine de Médicis, Italienne sans scrupules et dévorée d’ambition. Pour profiter de son pouvoir, elle désirait tenir le juste milieu entre les Guises et les princes du sang. 1561 Elle convoqua à Poissy un colloque pour voir s’il y aurait un moyen de concilier le catholicisme et la réforme. Face au cardinal Charles de Guise et au général jésuite Lainez, Théodore de Bèze était le porte-parole des protestants, et son discours fit grande impression. On se rendit compte que l’union était impossible, mais grâce au chancelier Michel de l'Hôpital, on accorda aux protestants par l’édit de Saint-Germain une certaine tolérance.
Les catholiques fanatiques furent très irrités. Le duc François de Guise décida de rompre la trêve ainsi conclue.1562 Il surprit des protestants assemblés pour leur culte à Vassy et les fit massacrer par ses soldats. Cet incident mit le feu aux poudres, et dans toute la France catholiques et protestants prirent les armes.
2. Caractères généraux de ces guerres. Le but des catholiques était d’exterminer le protestantisme. Ils étaient soutenus dans cette voie par Pie V et par Philippe IL Ils n’hésitèrent pas à faire cause commune avec l’ennemi principal de la France, qui rêvait de priver celle-ci de son indépendance au profit de l’Espagne.1565 L’entrevue de Bayonne entre Catherine de Médicis et le duc d’Albe orienta la politique française dans un sens hostile à la Réforme.
Les protestants cherchaient simplement à obtenir la liberté de conscience et de culte. Ils étaient disposés à accorder la même liberté aux catholiques. Eux aussi firent appel à l’étranger, en particulier à Elisabeth d’Angleterre. Il n’en reste pas moins vrai qu’en s’opposant à l’Espagne, ils étaient dans la ligne du véritable intérêt national ; cela est même si vrai que, pour finir, tous les catholiques réellement patriotes firent cause commune avec eux.
De part et d’autre, des atrocités furent commises. Il faut reconnaître cependant que les armées protestantes étaient beaucoup mieux disciplinées que les armées catholiques ; tandis que les catholiques maltraitaient odieusement les populations, les protestants tournaient leur fureur principalement contre les églises et les statues ; encore en ceci, encoururent-ils la désapprobation de Théodore de Bèze. Le baron des Adrets, si célèbre par ses cruautés, fut sévèrement blâmé et finit par abjurer le protestantisme.
3. Principaux événements. Nous n’entrerons pas dans le détail des huit guerres de religion, coupées par de courtes trêves, régulièrement rompues par les catholiques.
La première guerre (1562-1563) fut marquée par l’assassinat du duc François de Guise par un protestant, Poltrot de Méré. Elle se termina par la paix d’Amboise.
La seconde guerre (1567-1568) se termina par la paix de Longjumeau.
Au cours de la troisième (1568-1570), les protestants essuyèrent la défaite de Jarnac, où leur chef Louis de Condé fut tué. Mais Coligny obtint la paix de Saint-Germain, par laquelle quatre places de sûreté étaient accordées aux protestants.
Le fait le plus marquant de cette histoire est le massacre de la Saint-Barthélemy, organisé à l’occasion du mariage du principal chef protestant, Henri de Navarre, avec la sœur du roi, à Paris. Toute la noblesse protestante était réunie pour les noces. Catherine de Médicis et les Guises résolurent de faire tuer l’amiral Gaspard de Coligny, qui prenait beaucoup d’ascendant sur Charles IX. Un premier attentat échoua. On tint conseil avec le roi, et celui-ci, dans un accès de fureur, déclara, dit-on, qu’il consentait à ce que l’on tuât Coligny, à condition qu’on exterminât aussi tous les huguenots de France, afin qu’il n’en restât point pour lui faire des reproches. La nuit du samedi 23 au dimanche 24 août 1572, jour de la Saint-Barthélémy, à trois heures du matin, le. tocsin sonna à l’église Saint-Germain l’Auxerrois. Les archers catholiques commencèrent par assassiner Coligny ; la populace s’acharna odieusement sur sa dépouille. Puis, pendant trois jours, ce ne fut qu’une série de massacres, outrages, viols, pillage. La cour du Louvre ruisselait de sang. Les eaux de la Seine étaient rougies, tant on y jetait de cadavres ensanglantés. Le nombre des victimes atteignit, d’après le martyrologe de Crespin, 10 000. Les jours suivants, des scènes analogues se produisirent dans presque toutes les grandes villes de province, où, suivant les statistiques, 30 000 à 100 000 personnes furent mises à mort, entre autres le célèbre compositeur Goudimel. Henri de Navarre, bien que beau-frère du roi, n’échappa à la mort que par une prompte abjuration. La nouvelle de ces atrocités fut accueillie avec joie à Madrid, et à Rome où Grégoire XIII fit frapper une médaille de souvenir. Quelque temps après Charles IX mourut dans d’horribles angoisses, et son frère Henri III lui succéda (1574-89).
Le protestantisme était meurtri, mais cependant pas exterminé. Les réformés reprirent les armes, soutenus par bien des catholiques que l’odieux massacre avait écœurés qui prirent le nom de « parti des politiques». Les catholiques fanatiques formèrent de leur côté une ligue, la Sainte Ligue, dont le duc Henri de Guise prit la tête, et qui fut soutenue par le pape et le roi d’Espagne.
Quatrième guerre (1572-1573) terminée par l’édit de Boulogne.
Cinquième guerre (1575-1576) terminée par la paix de Beaulieu.
Sixième guerre (1577) Edit de Bergerac.
Septième guerre (1579-1580) terminée par le traité de Fleix.
La guerre redoubla de violence lorsque Henri de Navarre, qui entre temps était revenu à la foi réformée, devint l’héritier présomptif du trône de France. Ce fut la guerre des « trois Henri ». Henri III, jaloux de la popularité d’Henri de Guise, le fit assassiner à Blois ; il fut assassiné à son tour devant Paris. Henri de Navarre, devenu Henri IV (1589-1610), eut encore une longue lutte à soutenir contre la ligue et contre l’Espagne ; il finit par l’emporter, abjura une seconde fois le protestantisme 1593 et fit son entrée à Paris.
4. L’Edit de Nantes. L’abjuration d’Henri IV causa un grand chagrin à ses amis protestants qui avaient été ses plus fermes appuis. Le roi décida de les récompenser de leurs services en promulguant en leur faveur un édit perpétuel et irrévocable, donné à Nantes en 1598.
Nul ne devait être inquiété pour cause de religion. Les réformés obtenaient libre accès à toutes les charges publiques. Ils pouvaient célébrer leur culte partout où il avait eu lieu précédemment, sauf à Paris et à moins de cinq lieues à la ronde. Ils obtenaient le droit d’ouvrir des écoles et de convoquer des synodes. Des tribunaux mixtes étaient constitués pour trancher tous les procès entre catholiques et protestants. Enfin, des articles secrets concédaient, pour une période de temps limitée, un nombre considérable de places de sûreté aux réformés, comme gage de l’exécution de l’Edit.
Les protestants sortaient vainqueurs de la lutte. L’Edit de Nantes leur accordait tout ce qu’ils avaient demandé. Malheureusement, les persécutions et les luttes sanglantes les avaient décimés. Des 2000 églises du temps de Henri II, il ne restait plus que 7 à 800.
Quelques semaines après, Philippe II faisait la paix avec Henri IV. Il renonçait à ses visées sur la France. La même année, il s’éteignit, après une agonie atrocement longue et douloureuse. En Hollande, en Angleterre, en France, partout il avait échoué. Son pays, l’Espagne, sortait épuisé de ces quarante ans de lutte vaine. Le déclin allait s’accentuer sous les règnes suivants.
La Saint-Barthélémy.
... Pour retourner à notre propos, Besme, dépitant Dieu, donna un coup d’estoc dans la poitrine de l'Amiral, puis rechargea sur la tête ; chacun des autres lui donna aussi son coup, tellement qu’il tomba par terre tirant à la mort. Le Duc de Guise, qui était demeuré en la basse cour avec les autres seigneurs catholiques, voyant le coup, commence à crier à haute voix : « Besme, as-tu achevé ? ». « C’est fait », dit-il. Lors le Duc de Guise répliqua : « Monsieur le Chevalier ne le peut croire s’il ne le voit de ses yeux ; jette-le par la fenêtre. » Alors Besme et Sarlaboux levèrent le corps de l’Amiral et le jetèrent par la fenêtre en bas. Or; d’autant que le coup qu'il avait reçu en la tête, et le sang qui lui couvrait le visage empêchaient qu’on ne le connût, le Duc de Guise, se baissant dessus, et lui torchant le visage avec un mouchoir, dit : « Je le connais, c’est lui-même », puis ayant donné un coup de pied au visage ,de ce pauvre mort, que tous les meurtriers de France avaient tant redouté lorsqu’il vivait, il sort de la porte du logis en s’écriant : « Courage, soldats, nous avons heureusement commencé, allons aux autres... »
Ce dimanche fut employé à tuer, violer et saccager : de sorte qu'on croit que le nombre des tués, ce jour-là et les deux suivants, dans Paris et ses faubourgs, surpasse 10.000 personnes, tant Seigneurs, Gentilshommes, Présidents, Conseillers, Avocats, Procureurs, Ecoliers, Médecins, Marchands, Artisans, femmes, filles et enfants. Les rues étaient couvertes de corps morts, la rivière teinte en sang, les portes et entrées du palais du Roi peintes de même couleur ; mais les tueurs n’étaient pas encore saouls ».
« Les Commissaires, Capitaines, quinteniers et dizeniers de Paris allaient avec leurs gens de maison en maison, là où ils croyaient trouver des Huguenots, enfonçant les portes, puis massacrant cruellement ceux qu'ils rencontraient, sans avoir égard au sexe ou à l’âge. Les charrettes chargées de corps morts, de demoiselles, femmes, filles, hommes et enfants étaient menées et déchargées à la rivière, couverte de corps morts et rouge de sang, qui aussi ruisselait en divers endroits de la ville, comme en la cour du Louvre et auprès. »
CRESPIN
Martyrologe.
Livre X, Tome 3, pp. 666-669.
Fragments de l’Edit de Nantes.
Henri, par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre : A tous, présents et à venir, salut. Entre les grâces infinies qu’il a plu à Dieu nous départir, celle-ci est bien des plus insignes et remarquables, de nous avoir donné la vertu et la force de ne céder en rien aux effroyables troubles, confusions et désordres qui se trouvèrent à notre avènement à ce royaume, qui était divisé en tant de parts et de factions que la plus légitime en était quasi la moindre ; et de nous être tellement raidis contre cette tourmente, que nous l'ayons en fin surmontée, et touchions maintenant le port de salut et repos de cet Etat... Pour cette occasion... après avoir repris les cahiers des plaintes de nos sujets catholiques et ayant aussi permis à nos sujets de la Religion prétendue Réformée de s’assembler par députés pour dresser les leurs... nous avons jugé nécessaire de donner maintenant sur le tout à tous nos dits sujets une loi générale, claire, nette et absolue par laquelle ils soient réglés à tous les différents... Pour ces causes, ayant bien et diligemment pesé et considéré toute cette affaire, avons par cet édit perpétuel et irrévocable dit, déclaré et ordonné, disons, déclarons et ordonnons :
Premièrement, que la mémoire de toutes choses passées d’une part et d'autre, depuis le commencement du mois de Mars 1585, jusqu’à notre avènement à la Couronne et durant les autres troubles précédents et à l’occasion de ceux-ci, demeurera éteinte et assoupie, comme de chose non advenue...
Ordonnons que la Religion Catholique Apostolique et Romaine sera remise et rétablie en tous les lieux et endroits de notre royaume et pays de notre obéissance où l'exercice de celle-ci a été suspendu pour y être librement exercée sans aucun trouble ou empêchement.
Et pour ne laisser aucune occasion de troubles et différents entre nos sujets, avons permis et permettons à ceux de ladite Religion Prétendue Réformée vivre et demeurer par toutes les villes et lieux de notre royaume et pays de notre obéissance, sans être enquis, vexés, molestés ni astreints à faire chose pour le fait de la Religion, contre leur conscience...
Nous permettons aussi à ceux de ladite Religion faire continuer exercice de celle-ci en toutes les villes et ceux de notre obéissance, où il était par eux établi et fait publiquement par tous et diverses fois en l’année 1596 et en l’année 1597 jusqu’à la fin du mois d’août, nonobstant tous les arrêts et jugements à ce contraires.
Pourra semblabement le dit exercice être établi et rétabli en toutes les villes et places où il était établi ou dû l’être par l’édit de Pacification fait en l’année 1577...
Défendons très expressément à tous ceux de ladite religion faire aucun exercice de celle-ci, ailleurs qu’aux lieux permis et octroyés par le présent édit.
Comme aussi de faire aucun exercice de ladite Religion en notre cour et suite, ni pareillement en nos terres et pays qui sont au delà des monts, ni aussi en notre ville de Paris, ni à 5 lieues de ladite ville.
Afin de réunir d'autant mieux les volontés de nos sujets, comme est notre intention, et ôter toutes plaintes à l’avenir, déclarons tous "ceux qui font ou feront profession de ladite R.P.R. capables de tenir et exercer tous les états, dignités, offices et charges publiques quelconques, royales, seigneuriales... nonobstant tous serments à ce contraires, et d’être indifféremment admis et reçus en iceux... Entendons aussi que ceux de ladite R.P.R. puissent être admis et reçus en tous les conseils, délibérations, assemblées et fonctions sans que pour raison de ladite Religion ils en puissent être rejetés ou empêchés d’en jouir.
Nous avons déclaré et déclarons tous les autres précédents édits, articles, décrets, lettres, déclarations, modifications, restrictions, interprétations, arrêts et registres... par nous ou les rois nos prédécesseurs, faits en nos cours de parlement et ailleurs, concernant le fait de ladite religion et des troubles advenus en notre royaume, être de nul effet et valeur, et dès à présent, les cassons, révoquons et annulons : déclarant expressément. que nous voulons que notre édit soit ferme et inviolable.
Car tel est notre plaisir. En témoin de quoi nous avons signé les présentes de notre propre main et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous y avons fait mettre et apposer notre sceau. Donné à Nantes au mois d’Avril, l’an de grâce 1598, et de notre règne le neuvième.
Signé: HENRY.
6. LA CONTRE-RÉFORME DANS LE NORD ET L’EST DE L’EUROPE
1. La Suède. Un des fils et successeurs de Gustave Vasa, Jean III (1569-92), épousa une princesse polonaise. On lui fit comprendre que son fils Sigismond ne pourrait devenir roi de Pologne qu’à la condition d’être catholique. Aussi le fit-il élever par des jésuites : ces derniers, sous le manteau du luthéranisme, s’introduisirent en Suède et commencèrent à rétablir des cérémonies catholicisantes dans les églises.
Mais lorsque Sigismond monta sur le trône (1592-99), les protestants se ressaisirent. La diète d’Upsal 1593 remit en valeur l’autorité de l'Ecriture et de la Confession d’Augsbourg ; on supprima les cérémonies catholicisantes. Et comme Sigismond s’opposa à ces mesures, on le déposa, et l’on proclama roi son oncle, Charles IX (1599-1611), qui était un protestant convaincu.
2. La Pologne. D’assez bonne heure, les jésuites furent admis dans ce pays et se glissèrent dans les familles nobles par leur travail d’instructeurs. Lorsque Sigismond de Suède devint roi de Pologne sous le nom de Sigismond III (1587-1632), leur influence ne fit que grandir. Sigismond a été surnommé le roi-jésuite. Les Sociniens furent chassés du pays. Les protestants furent privés de leurs droits civiques. Les Ruthènes, qui étaient grecs-orthodoxes, furent obligés de se rallier à l’Eglise romaine (en conservant quelques particularités). Bref, la Pologne redevint presque entièrement catholique. D’ailleurs, pour elle aussi, dès lors le déclin commença.
HISTOIRE INTÉRIEURE DES EGLISES PROTESTANTES
1. Les luthériens. La période qui suivit la mort de Luther est marquée par de multiples controverses, qui attristèrent les dernières années de Mélanchthon. La plus importante fut celle qui éclata entre ceux qui, comme Mélanchthon lui-même, inclinaient vers la conception calviniste de la Cène, et les représentants de l’orthodoxie luthérienne.
1577 Le luthéranisme strict l’emporta, ainsi qu’en témoigne la Formule de Concorde adoptée par les théologiens, et imposée dès lors en Saxe et dans d’autres pays. Cette formule n’empêcha d’ailleurs pas les que-relies de se ranimer ; en revanche elle contribua à figer le luthéranisme dans une rigidité doctrinale dépourvue de vie.
Les autres controverses furent :
La controverse antinomienne, allumée déjà du vivant de Luther, par un nommé Agricola qui, pour maintenir la justification par la foi, pensait qu’il fallait rejeter là loi. Flacius et Amsdorf allèrent jusqu'à dire que les bonnes œuvres étaient nuisibles au salut. La formule de Concorde maintint le triple usage (pédagogique, politique et didactique) de la loi, et affirma que les bonnes œuvres étaient nécessaires, mais pas pour le salut.
La controverse synergisme, sur la question de savoir si un homme a le libre-arbitre pouf accepter ou refuser le salut. Mélanchthon laissait entendre que oui, Flacius et Amsdorf que non. La formule de Concorde condamna le synergisme.
La controverse adiaphoristique. Sur des questions dites indifférentes, certains étaient prêts à faire des concessions aux catholiques au moment du triomphe de Charles V. La controverse s’apaisa après la paix d’Augsbourg.
Ce n’est pas que Luther n’eût pas de successeurs dignes de sa piété. On n’a qu’à penser aux admirables auteurs et compositeurs de chorals, très nombreux à cette époque, et en particulier à Jean Arndt, qui savait ne pas se contenter d’être orthodoxe, mais qui proclamait avec puissance la nécessité d’être uni à Jésus-Christ par le cœur.
Parmi les auteurs de cantiques, citons Ph. Nicolaï, pasteur à Hambourg, qui composait les paroles et la musique, et les compositeurs J. Pretorius et L. Hassler.
2. Les réformés. Ce sont eux surtout qui ont eu à soutenir l’assaut de la Contre-Réforme, et c’est principalement à leur énergie que la victoire du protestantisme est due. Ils ont été favorisés d’ailleurs par la présence, dans leur sein, d’un grand nombre d’hommes remarquables.
3. Théodore de Bèze (1519-1604). Né 10 ans après Calvin, il était originaire de Vézelay en Bourgogne. Après une jeunesse assez mondaine, il se convertit, se rendit à Genève et devint le collaborateur et l’ami de Calvin. Il prit une part importante au Colloque de Poissy. Il fut le conseiller plein de sagesse et de modération des protestants français pendant les guerres de religion. Il était d’ailleurs en correspondance avec la plupart des souverains de son temps. A côté de son travail de pasteur et de professeur, il se distingua par ses ouvrages de théologie, d’exégèse, d’histoire ; nous avons déjà parlé de sa traduction des Psaumes. Il fut un successeur idéal pour Calvin, respectueux de la pensée du maître, ferme, capable, animé de la même piété. 1602 Avant de mourir, il put constater l’échec d’une tentative faite par le duc de Savoie pour s’emparer de Genève par surprise, en pleine paix (l'Escalade). Par la providence de Dieu, il prolongea ses jours jusqu’à un âge très avancé, et eut ainsi tout le temps de consolider le protestantisme réformé, à Genève et en Europe.
Parmi les ouvrages de Théodore de Bèze (leur liste couvrirait quarante pages) citons, outre la traduction en vers d’une centaine de Psaumes, La Confession de Foi du Chrétien, excellent résumé de doctrine réformée, plusieurs ouvrages historiques, comme La vie de 1. Calvin et l'Histoire des Eglises Réformées au Royaume de France, et une tentative de théâtre sacré, Abraham sacrifiant, qui est une des meilleures pièces du XVIe siècle.
4. Autres réformés remarquables. Mentionnons en passant l’imprimeur Robert Estienne,1551 qui introduisit la division du Nouveau Testament en versets ; le chirurgien Ambroise Paré ; le sculpteur Jean Goujon ; le céramiste Bernard Palissy, mort à la Bastille pour cause de religion, Jeanne d’Albret, mère de Henri IV et sa fille Catherine de Bourbon.
Agrippa d’Aubigné (1552-1630), après une brillante carrière militaire au service d’Henri IV, se retira à Genève. Il composa une épopée sur les guerres de religion, les Tragiques, où, à côté de certaines négligences, il y a un souffle poétique indéniable. Ce rude soldat excelle dans les tableaux sombres et grandioses. Ses pages sur le jugement et l’enfer sont particulièrement saisissantes.
Du Plessis Mornay (1549-1623) d’origine catholique, s’est converti de bonne heure. Il a fait des études très savantes, complétées par de nombreux voyages. Il a échappé par miracle à la Saint-Barthélémy. Il a été le bras droit d’Henri IV, tour à tour diplomate, homme de guerre, publiciste, conseiller, théologien, et éminent dans toutes ces fonctions si diverses. L’Edit de Nantes est, en bonne partie, son œuvre. Il fit de Saumur, dont il était gouverneur, un centre protestant de premier ordre. Par sa noblesse de caractère, sa droiture, et l’élévation de sa pensée, il est le type accompli du gentilhomme chrétien.
On peut mentionner encore : les architectes Salomon de Brosse et Androuet du Cerceau ; le grammairien Ramus, professeur au Collège de France, une des victimes de la
Saint-Barthélemy ; on lui doit la distinction entre les voyelles i et u et les consonnes j et v (consonnes ramées) ; le poète et homme de guerre Du Bartas ; les chefs militaires Henri de Condé, Montgomery, Fran-çois de la Noue.
L'Enfer.
O enfants de ce siècle, ô abusés moqueurs,
Imployables esprits, incorrigibles cœurs,
Vos esprits trouveront en la fosse profonde
Vrai ce qu’ils ont pensé une fable en ce monde.
Qui vous consolera ? L’ami qui Se désole
Vous grincera les dents au lieu de la parole.
Les Saints vous aimaient-ils ? un abîme est entre eux ;
Leur chair ne s’émeut plus, vous êtes odieux...
Mais n’espérez-vous point fin à votre souffrance ?
Point n’éclaire aux enfers l’aube de l'espérance.
Dieu aurait-il sans fin éloigné sa merci ?
Qui a péché sans fin souffre sans fin aussi ;
La clémence de Dieu fait au ciel son office,
Il déploie aux enfers son ire et sa justice.
Transis, désespérés, il n’y a plus de mort
Qui soit pour votre mer des orages le port.
Que si vos yeux de feu jettent l’ardente vue
A l'espoir du poignard, le poignard plus ne tue.
Que la mort, direz-vous, était un doux plaisir !
La mort morte ne peut vous tuer, vous saisir.
Voulez-vous du poison ? en vain cet artifice.
Vous vous précipitez ? en vain le précipice.
Courez au feu brûler : le feu vous gèlera ;
Noyez-vous : l’eau est feu, l’eau vous embrasera ;
La peste n'aura plus de vous miséricorde ;
Etranglez-vous : en vain vous tordez une corde ;
Criez après l’enfer : de l'enfer il ne sort
Que l'étemelle soif de l'impossible mort...
Aboyez comme chiens, hurlez en vos tourments,
Les Satans découplés d’ongles et dents tranchantes
Sans mort déchireront leurs proies renaissantes...
Leurs visages transis, tyrans, vous transiront.
Ils vengeront sur vous ce qu’ils endureront.
O malheur des malheurs, quand tels bourreaux mesurent
La force de leurs coups aux grands coups qu’ils endurent.
A. D’AUBIGNÉ.
1. Résumé chronologique. Nous diviserons l’histoire de la Contre-Réforme en quatre phases (les deux premières étant parallèles aux trois dernières de la Réforme) :
1534-1547. Débuts de la réorganisation intérieure du catholicisme. Paul III. Les jésuites. Débuts du concile de Trente.
1547 -1564. Premiers échecs de la Contre-Réforme. Fin du concile de Trente. Guerre de Smalcalde. Débuts de Philippe IL Contre-Réforme en Ecosse et en Angleterre. Débuts d’Elisabeth. François IL Colloque de Poissy. Controverses luthériennes.
1564-1598. Apogée de la Contre-Réforme. Pie V. Grégoire XIII. Sixte V. Philippe IL Guerres de religions aux Pays-Bas et en France. Elisabeth d’Angleterre. Les jésuites en Bavière, en Autriche, en Hongrie, en Suède, en Pologne. Débuts de Sigismond III. Arrêt de l’expansion turque. Thérèse d’Avila, Borromée, Jean de la Croix, Bellarmin, Oratoriens. Formule de Concorde luthérienne. Théodore de Bèze, Agrippa d’Aubigné. Du Plessis-Mornay.
1598-1610. Echec de la Contre-Réforme. Edit de Nantes. Henri IV. Mort de Philippe IL Armistice aux Pays-Bas. Echec de la Contre-Réforme en Suède. Bellarmin. Du Plessis-Mornay, Agrippa d’Aubigné, Arndt.
2. Appréciation. La Contre-Réforme, dans l’ensemble, a échoué. Sans doute le catholicisme a repris de la vigueur intérieure. Les progrès du protestantisme ont été arrêtés : même il recule un peu en Pologne, en Hongrie, en France ; mais dans ces deux derniers pays, il est loin d’avoir été anéanti. Il s’est affermi dans les pays scandinaves, les îles Britanniques, les Etats allemands ; il s’est établi en Hollande. Cette longue période de guerre a montré qu’il était impossible de l’exterminer.
De plus, les Etats fanatiquement catholiques, la Pologne, l’Espagne, donnent des signes de déclin, tandis que la France tolérante et l’Angleterre protestante sont en plein essor ; la Hollande et la Suède s’élèvent au rang de grandes puissances. Tout compte fait, la situation du protestantisme est donc plus favorable à la fin qu’au commencement de cette période.
Nous ne pouvons que déplorer les guerres de religion. Devons-nous blâmer les protestants qui y ont combattu ? Notons que sauf en Irlande, ils se sont toujours maintenus sur la défensive, qu’ils n’ont jamais pris des armes pour obliger les catholiques à renoncer à leur foi. Mettons-nous aussi à la place de chefs comme Elisabeth, Henri de Navarre, Guillaume le Taciturne, Bocskay ; un individu peut et doit accepter la persécution, mais un prince doit-il et peut-il l’accepter pour ses sujets ? Ne leur doit-il pas plutôt protection ? Ne nous hâtons donc pas trop de jeter la pierre aux soldats protestants ; mais bénissons Dieu de ce que, par leurs mains un peu rudes, l’héritage des réformateurs nous ait été conservé.
XVIIe SIÈCLE
Le XVIe siècle est une période de luttes ; le début du siècle est marqué par les attaques spirituelles des réformateurs contre le catholicisme, la fin du siècle par l’offensive matérielle du catholicisme contre le protestantisme. Au XVIIe siècle, la lutte continue. C’est même là que se place la guerre de religion la plus vaste et la plus violente. Mais enfin, ce n’est plus la lutte qui absorbe la majeure partie des énergies. Ce qui caractérise ce siècle, c’est l'épanouissement intérieur du catholicisme d’une part, et du protestantisme de l’autre. L’enthousiasme religieux créé au XVIe siècle se continue donc pendant tout le XVIIe, et ce n’est qu’au XVIIIe qu’il s’affaissera devant les attaques rationalistes.
SUITE DES LUTTES RELIGIEUSES
1. LA GUERRE DE TRENTE ANS
1. Origine. Cette dernière des guerres de religion éclata en 1618 à propos d’une insurrection en Bohême, où les protestants étaient lésés dans leurs droits par les Autrichiens. Deux représentants de l’empereur furent jetés par la fenêtre de la citadelle de Prague. Craignant des représailles, les Tchèques donnèrent la couronne de Bohême à l’électeur palatin, Frédéric V, qui était calviniste. Une guerre s’ensuivit entre celui-ci et l’empereur Ferdinand II (1619-37). La plupart des princes allemands furent entraînés dans le conflit, en sorte que celui-ci dégénéra en guerre religieuse générale. A leur tour, les pays étrangers intervinrent, l’Espagne et la Pologne soutenant les catholiques, et les puissances protestantes soutenant leurs coréligionaires. Il n’y eut guère que l’Angleterre qui, en Occident, se tint à l’écart.
2. Principaux événements. On distingue quatre périodes : a) la période palatine. Au début, les protestants essuyèrent des désastres. Les Tchèques furent écrasés, leurs chefs décapités, et leur pays livré aux influences des jésuites. L’électeur du Palatinat fut privé de ses états héréditaires. Le prince de Transylvanie, Bethlen Gabor, apporta quelque appui aux protestants, mais il se contenta d’obtenir la liberté religieuse pour les calvinistes de Hongrie.
b) La période danoise. En face du danger, les protestants du nord de l’Allemagne s’émurent, et le roi de Danemark, Christian IV, intervint, mais il fut vaincu par les armées catholiques de Tilly et de Wallenstein, et l’empereur promulgua l’édit de restitution 1629 qui annulait les sécularisations faites depuis 1555.
c) La période suédoise. C’est alors que le roi de Suède, Gustave-Adolphe, intervint. Ses armées bien disciplinées, où le culte se célébrait régulièrement, contrastaient avec les hordes sauvages des autres chefs militaires. Il écrasa Tilly à Leipzig et renversa la situation, en quelques semaines, au profit des protestants, mais il mourut dans la bataille victorieuse de Lutzen,1632 avant d’avoir pu réaliser tous ses projets. Peu après, Wallenstein fut assassiné par les catholiques.1634
d) La période française. La décision finale fut obtenue par l’intervention française. Le cardinal de Richelieu, craignant de voir la maison d’Autriche acquérir une prépondérance dangereuse pour la France, se décida à soutenir les protestants allemands. La victoire de Rocroy ouvrit l’Allemagne aux troupes de Condé et de Turenne.1642
3. La Paix de Westphalie. Après de laborieuses négociations, la paix fut signée en 1648 à Munster. Les princes protestants gardaient eur indépendance, et l’électeur palatin recouvrait ses Etats. La liberté de conscience était accordée aux luthériens et aux calvinistes. Les puissances protestantes, les Pays-Bas, la Suède, le Brandebourg, sortaient grandis de la lutte, ainsi que la France qui les avait soutenus. L’Espagne et la Pologne perdaient le rang de grandes puissances européennes, et l’Autriche une bonne partie de son influence en Allemagne. Cette paix, désapprouvée par le pape, scellait les résultats obtenus au siècle précédent. Le catholicisme n’enregistrait qu’un succès : la Bohême restait autrichienne, et les jésuites purent ainsi ramener ce pays au catholicisme. La majeure partie de la population avait d’ailleurs émigré ou péri.
2. CONFLITS RELIGIEUX EN FRANCE
1. Henri IV (1389-1610). Déjà ce roi subit de fortes influences catholiques : les protestants qui abjuraient étaient récompensés. Cependant, en général, l’Edit de Nantes fut observé. Le premier ministre, Sully, était un protestant convaincu. Le roi autorisa même les protestants de Paris à célébrer leur culte à Charenton, endroit situé à beaucoup moins de cinq lieues de la capitale. Les catholiques fanatiques et le pape n’ont jamais approuvé Henri IV, qui fut assassiné par Ravaillac, à l’instigation des jésuites.
2. Louis XIII (1610-43). Plusieurs conflits armés éclatèrent entre les catholiques et les protestants sous ce roi.
Le premier éclata entre le Prince de Condé soutenu par des protestants et la cour qui subissait l’influence espagnole. La Paix de Loudun y mit fin.
Le second prit naissance au Béarn, en majorité protestant, où la cour voulait rétablir le catholicisme, et se termina par la Paix de Montpellier après que l'armée royale eut en vain fait le siège de Montauban.
1628 Le plus grave fut marqué par le siège de la Rochelle, principale place forte des réformés. La ville fut réduite par la famine. Le duc de Rohan, mal soutenu par la bourgeoisie protestante, fut vaincu dans le Midi de la France. Par l’Edit de Grâce donné à Nîmes et Alès,1629 les réformés gardaient leur liberté de conscience, mais ils étaient privés de leurs places fortes et de leur organisation militaire, laquelle déplaisait au premier ministre, cardinal de Richelieu. Désormais, ils étaient sans défense.
3. Louis XIV (1643-1715). Par son assiduité au travail, sa conscience à exercer son « métier de roi », mais aussi par son orgueil, son ambition et son despotisme, Louis XIV fait penser à Philippe II. Il se distinguait de lui par son caractère enjoué et une passion plus vive pour les arts, les lettres et les plaisirs. Ses confesseurs jésuites, en particulier le Père Lachaise, le clergé de France en général, plus tard sa seconde femme, Madame de Maintenon, le poussèrent dans la voie du fanatisme.
Pendant sa minorité, le cardinal Mazarin avait usé de tolérance envers les protestants, qui s’étaient montrés loyaux envers la couronne au moment de la Fronde. En prenant possession du pouvoir personnel, Louis XIV avait solennellement confirmé l’Edit de Nantes.1662
Cependant très vite, les ordonnances royales restreignant les libertés protestantes se succédèrent. On exclut les réformés de divers emplois et corps de métier, on démolit plusieurs temples, on leur interdit de convoquer des synodes, on autorisa les enfants à se faire catholiques contre le gré de leurs parents, on supprima les tribunaux mipartis. On créa des caisses spéciales pour verser des primes aux protestants qui se convertissaient. Pour finir, Louvois envoya dans leurs villes et leurs villages des dragons : ces « missionnaires bottés » devaient, par des déprédations, des coups, des mauvais traitements de toute sorte, amener les réfractaires à accepter la religion du roi.
Il est triste de penser que plusieurs de ceux qui prirent part à ces mesures étaient d'anciens protestants. Madame de Maintenon était petite-fille d'Agrippa d’Aubigné. Pélisson, inventeur des caisses de conversion, était un protestant apostat. Il se repentit d’ailleurs avant de mourir.
4. Révocation de l’Edit de Nantes. A la suite de ces mesures, les statistiques accusaient un grand nombre de conversions au catholicisme. Aussi, dans un édit donné à Fontainebleau en 1685, le roi déclara que la meilleure et la plus grande partie de ses sujets protestants avait embrassé le catholicisme, que l’Edit de Nantes n’avait donc plus de raison d’être, et qu’il le révoquait. Tous les temples devaient être démolis ; aucun culte n’était plus autorisé ; les pasteurs avaient quinze jours pour quitter le pays ; tous les enfants devaient être élevés dans la religion catholique. Les protestants gardaient le droit de rester en France sans être inquiétés à la condition de ne faire aucun exercice de leur religion, « en attendant qu’il plaise à Dieu les éclairer ». L’émigration était punissable par les galères pour les hommes, par la prison pour les femmes. Ceux qui avaient abjuré, appelés « nouveaux convertis », étaient étroitement surveillés. En cas de maladie, s’ils refusaient le prêtre, ils étaient relaps et punis en conséquence.
Malgré ces mesures sévères, des centaines de mille protestants réussirent à s’échapper, déguisés en paysans, en marchands, en laquais, dissimulés dans des cales de vaisseaux et parmi des marchandises. Ils gagnèrent la Suisse, la Hollande, l’Angleterre, le Brandebourg, même l’Amérique et l’Afrique du Sud, et portèrent dans ces pays leurs industries qui avaient fait la richesse de la France.
L’électeur de Brandebourg, Frédéric-Guillaume III (1640-1688), lui-même réformé, les accueillit avec un empressement spécial. Les huguenots assurèrent la grandeur de Berlin.
De plus, les pays protestants, irrités, adoptèrent une politique anti-française. A tous les points de vue, la Révocation fut donc un désastre national. Elle fut cependant accueillie avec enthousiasme par tout le catholicisme français, y compris les plus grands esprits.
En Alsace, à cause du régime spécial de cette province, les protestants furent seulement soumis à quelques vexations, mais pas réellement persécutés. Cependant la cathédrale de Strasbourg fut rendue au culte catholique, malgré les promesses à fins contraires faites au moment de l’annexion.
3. CONFLITS DANS LES AUTRES PAYS
1. Persécutions. Par deux fois, les Vaudois du Piémont furent persécutés par les ducs de Savoie. Une première fois, on leur demanda d’héberger des soldats,1635 qui dans la nuit massacrèrent leurs hôtes. Les Vaudois réussirent à se regrouper dans les vallées reculées des Alpes et obtinrent la liberté de conscience. Au lendemain de la Révocation, ils furent chassés de leur pays et allèrent en Suisse.1686
Sous la conduite de leur pasteur, ils traversèrent la Savoie et s’installèrent à nouveau dans leurs vallées.
1689 Louis XIV, au cours d’une guerre, occupa le Palatinat ; à la suite de cela, le catholicisme fut réintroduit dans ce pays.
Nous avons déjà parlé de Bethlen Gabor et de la manière dont il obtint la liberté de conscience pour les calvinistes hongrois. Les empiètements d’une part, et la résistance héroïque de l’autre, se continuèrent pendant tout le siècle.
2. Intrigues. Les jésuites prirent de l’influence sur la fille de Gus-tave-Adolphe, Christine. Mais la reine dut abdiquer et le protestantisme ne fut pas ébranlé en Suède. En Angleterre, les intrigues catholiques n’eurent pas plus de succès.
Révocation de l’Edit de Nantes.
1. Savoir faisons, que Nous de notre certaine science, pleine Puissance et Autorité Royale, avons par ce présent Edit perpétuel et irrévocable, supprimé et révoqué, supprimons et révoquons l’Edit du Roi notre Aïeul, donné à Nantes au mois d’Avril 1598 en toute son étendue ; ensemble les Articles particuliers arrêtés le 2 Mai suivant, et les Lettres Patentes expédiées sur ceux-ci, et l’Edit donné à Nîmes au mois de Juillet 1629, les déclarons nuis, et comme non avenus, ensemble toutes les concessions faites tant par ceux-ci, que d’autres Edits, Déclarations et Arrêts, aux gens de la R.P.R. de quelque nature qu’elles puissent être, lesquelles demeureront pareillement non avenues : Et en conséquence Voulons et nous plaît, que tous les Temples de ceux de ladite R.P.R. situés dans notre Royaume, Pays, Terres et Seigneuries de notre obéissance, soient incessamment démolis.
2. Défendons à nosdits Sujets de la R.P.R. de ne plus s’assembler pour faire l’exercice de ladite Religion en aucun lieu ou maison particulière, sous quelque prétexte que ce puisse être.
4. Enjoignons à tous Ministres de ladite R.P.R. qui ne voudront pas se convertir et embrasser la Religion Catholique, Apostolique et Romaine, de sortir de notre Royaume et Terres de notre obéissance, quinze jours après la publication de notre présent Edit, sans y pouvoir séjourner au-delà, ni pendant ledit temps de quinzaine faire aucun prêche, exhortation, ni autre fonction, à peine des Galères.
8. A l'égard des enfants qui naîtront de ceux de ladite R.P.R. Voulons qu'ils soient dorénavant baptisés par les Curés des Paroisses. Enjoignons aux pères et mères de les envoyer aux Eglises à cet effet-là, à peine de cinq cents livres d’amende, et de plus grande, s’il y échappe ; et seront ensuite les enfants élevés en la Religion Catholique, Apostolique et Romaine, à quoi nous enjoignons bien expressément aux Juges des lieux de tenir la main.
10. Faisons très-expresses et itératives défenses à tous nos sujets de ladite R.P.R. de sortir : eux, leurs femmes et enfants de notredit Royaume, Pays et Terres de notre obéissance, ni d’y transporter leurs biens et effets sous peine pour les hommes des galères, et de confiscation de corps et de biens pour les femmes...
Car tel est notre plaisir. Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, Nous avons fait mettre notre sceau à cesdites Présentes.
Donné à Fontainebleau au mois d'Octobre 1685. Et de notre règne le quarante-troisième. Signé LOUIS. Et sur le repli, visa, LE TELLIER, et à côté. Par le Roy, COLBERT. Et scellé du grand Sceau de cire verte, sur lacs de soie rouge et verte.
LE CATHOLICISME AU XVIIe SIÈCLE
1. LE JANSÉNISME.
1. Origine. Ce mouvement doit son origine à l’évêque d’Ypres, Jansénius (1585-1638), qui déplorait que l’Eglise catholique en général et les jésuites en particulier eussent abandonné les doctrines d’Augustin. Dans un gros ouvrage posthume, l’Augustinus, il développait que l’homme est totalement incapable de faire le bien par lui-même, que la grâce lui est accordée indépendamment de tout mérite de sa part, et d’une manière irrésistible, en vertu de la prédestination. Jansénius préconisait une morale austère.
Ces tendances furent introduites en France par un ami de Jansénius, l’abbé de Saint-Cyran (1581-1643). Celui-ci était directeur de conscience d’un couvent de femmes, Port-Royal, près de Paris (avec une annexe à Paris même). La supérieure, Angélique Arnauld, avait réformé ce couvent quelques années auparavant. Quelques hommes vinrent s’établir à proximité de Port-Royal-des-Champs, sans prêter de vœux, mais pour vivre en solitaires. Ils y étudiaient les Ecritures, et y ouvraient d’excellentes écoles, où l’on faisait appel à l’intelligence des enfants plutôt qu’à leur mémoire. Citons parmi ces solitaires le frère d’Angélique, surnommé le Grand Arnauld (1612-94).
2. Premiers conflits. Dès le début, les jansénistes rencontrèrent de l’hostilité dans le reste du clergé. Richelieu fit enfermer Saint-Cyran à Vincennes, et Arnauld fut condamné par la Sorbonne.1653 Les jésuites surtout s’acharnèrent contre eux. Ils obtinrent du pape la condamnation de cinq propositions qui, selon eux, résumaient certains enseignements de l’Augustinus, sans d’ailleurs s’y trouver textuellement. Les jansénistes étaient prêts à se soumettre pour la question de droit, c’est-à-dire ils reconnaissaient que ces cinq propositions étaient hérétiques ; mais pour la question du fait, ils refusaient de retrouver dans ces propositions la doctrine de Jansénius. Sur ces entrefaites, Blaise Pascal (1623-62) s’était converti à leurs idées ; il mit son génie à les défendre dans ses Lettres provinciales. Il y dénonçait, textes à l’appui, la doctrine et surtout la morale des jésuites. Ce chef-d’œuvre de la polémique, où le comique le plus fin alterne avec l’éloquence la plus virulente, et qui, de plus, est le premier monument de la prose française moderne, eut un énorme succès.
3. ·Les Pensées. La querelle finit par diviser tout le clergé de France. Elle s’apaisa un moment à la suite d’un compromis (paix de Clément IX)1669. Pendant l’accalmie, Le Maître de Sacy publia sa traduction de la Bible, et on fit paraître les Pensées de Pascal, lequel était mort dans l’intervalle. Pascal avait projeté de composer un grand ouvrage pour défendre le christianisme contre les libres-penseurs de son temps. La mort l’empêcha de réaliser ce projet. Mais dans sa maladie, il avait mis par écrit, sur de petits bouts de papier, des Pensées toutes vibrantes de piété qui, par leur originalité et leur profondeur, se placent au premier rang de la littérature religieuse.
Citons parmi les écrivains jansénistes Pierre Nicole (1625-1695), moraliste remarquable.
4. Condamnation définitive. Les jésuites ne désarmaient pas. 1709 Louis XIV haïssait les jansénistes. Il fit chasser les dernières nonnes de Port-Royal et détruire les bâtiments. Le pape condamna officiellement les jansénistes par la bulle Unigenitus.1713
Le pape Clément XI condamnait dans cette bulle 101 propositions tirées d'un ouvrage du Père Quesnel (1634-1719), Le Nouveau Testament avec Réflexions morales, qui avait connu un grand succès.
Les jansénistes se sont maintenus en Hollande jusqu’à nos jours sans beaucoup d’éclat. Ils ont succombé dans la lutte, mais ils ont empêché la morale catholique de sombrer totalement, et ils ont porté un coup fatal à l’influence des jésuites.
Les cinq propositions.
1. Quelques commandements de Dieu sont impossibles à des hommes justes qui veulent les accomplir et qui font à cet effet des efforts selon les forces présentes qu’ils ont ; la grâce qui les leur rendrait possibles leur manque.
2. Dans l’état de nature tombée, on ne résiste jamais à la grâce intérieure.
3. Dans l’état de nature tombée, pour mériter ou démériter, l’on n’a pas besoin d’une nature exempte de nécessité ; il suffit d'avoir une liberté exempte de coaction ou de contrainte.
4. Les semi-pélagiens admettaient la nécessité d’une grâce prévenante pour toutes les bonnes œuvres, même pour le commencement de la foi ; mais ils étaient hérétiques en ce qu’ils pensaient que la volonté de l’homme pouvait s’y soumettre ou y résister.
5. C’est une erreur semi-pélagienne de dire que Jésus-Christ est mort et a répandu son sang pour tous les hommes.
Cité dans
Encyclopédie des Sciences Religieuses
de F. LICHTENBERGER.
Tome VII, p. 147.
Le Mémorial de Pascal.
L’an de grâce 1654,
Lundi 23 novembre, jour de saint Clément, pape et martyr, et autres au martyrologue,
Veille de saint Chrysogone, martyr et autres.
Depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demi.
Feu.
« Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob » non des philosophes et des savants.
Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix.
Dieu de Jésus-Christ.
Deum meum et Deum vestrum.
« Ton Dieu sera mon Dieu »
Oubli du monde et de tout, hormis Dieu.
Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l’Evangile. Grandeur de l’âme humaine.
« Père juste, le monde ne t’a point connu, mais je t'ai connu. » Joie, joie, joie, pleurs de joie.
Je m’en suis séparé :
Dereliquerunt me fontem acquae vivae.
« Mon Dieu, me quitterez-vous ? »
Que je n’en sois pas séparé éternellement.
« Cette est la vie éternelle, qu’ils te connaissent seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. » Jésus-Christ.
Jésus-Christ.
Je m’en suis séparé ; je l’ai fui, renoncé, crucifié.
Que je n’en sois jamais séparé.
Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l’Evangile :
Renonciation totale et douce.
Soumission totale à Jésus-Christ et à mon directeur.
Eternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre.
Non obliviscar sermones tuos. Amen.
2. AUTRES CONTROVERSES INTÉRIEURES DU CATHOLICISME
1. Le Gallicanisme. Ce mouvement, dirigé par l’évêque de Meaux, Bossuet, et encouragé par le roi Louis XIV, visait à limiter en France l’autorité papale par le pouvoir royal, les décrets des conciles, l’assentiment des évêques et les anciennes constitutions de l’Eglise gallicane. Le conflit dura plus de 10 ans et aboutit à un compromis qui donnait satisfaction au parti papal, ou ultramontain, dirigé par les jésuites.
La querelle éclata à propos du droit de régale, c’est-à-dire du droit d’encaisser les bénéfices des sièges épiscopaux vacants et de nommer les évêques. Le roi exerçait ce droit dans plusieurs provinces, en vertu de concordats anciens ; il voulait l’étendre à tout le royaume. Le pape Innocent XI (1676-1689) s’opposa à cette mesure. Bossuet fit approuver les quatre principes gallicans par l'Assemblée générale du clergé. Le pape riposta en refusant l'investiture aux nouveaux évêques. De ce fait, des sièges toujours plus nombreux étaient vacants. Pour finir, Louis XIV retira les quatre articles gallicans, il renonçait à nommer les évêques et se contentait de la régale temporelle, c’est-à-dire du droit de percevoir les bénéfices des sièges vacants. Cet arrangement fut conclu avec le pape Innocent XII (1691-1700).
2. Le quiétisme. Ce mouvement doit son origine à l’Espagnol Molinos (1640-96). C’était un mystique qui préconisait en face de Dieu une attitude purement passive, qui devait aller jusqu’à l’anéantissement de la personnalité dans une contemplation vide de toute pensée distincte. Les quiétistes devaient renoncer à tout intérêt propre, y compris celui de leur salut. Ces idées furent introduites en France par Madame Guyon (1648-1717) et trouvèrent de l’écho chez l’archevêque de Cambrai, Fénelon (1651-1715). Condamnés à Rome, les chefs du quiétisme se rétractèrent : Madame Guyon après avoir passé plusieurs années en prison, Fénelon après avoir soutenu une longue controverse contre Bossuet.
Articles gallicans de 1682.
Nous, archevêques et évêques assemblés à Paris par ordre du roi, avons jugé convenable d’établir et de déclarer :
1. Que saint Pierre et ses successeurs vicaires de Jésus-Christ, et que toute l’Eglise même, n’ont reçu de puissance de Dieu que pour les choses spirituelles et qui concernent le salut et non point sur les choses temporelles et visibles. Nous déclarons en conséquence que les rois et souverains ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastique par l’ordre de Dieu sur les choses temporelles ; qu’ils ne peuvent être déposés directement ou indirectement par l’autorité des chefs de l’Eglise ; que leurs sujets ne peuvent être dispensés de la soumission et de l’obéissance qu’ils leur doivent ou relevés de leur serment de fidélité...
2. Que la plénitude de puissance que le Saint-Siège apostolique et les successeurs de saint Pierre, vicaire de Jésus-Christ, ont sur les choses spirituelles est telle, que les décrets du saint Concile œcuménique de Constance, et les sessions 4me et 5me approuvés par le Saint-Siège apostolique, confirmés par la pratique de toute l’Eglise et des pontifes romains, observés religieusement par toute l’Eglise Gallicane, demeurent dans toute leur force et vertu ; et l’Eglise de France n’approuve pas l'opinion de ceux qui donnent atteinte à ces décrets ou qui les affaiblissent en disant que leur autorité n’est pas établie, qu’ils ne sont point approuvés ou qu’ils ne regardent que le temps du schisme.
3. Qu’ainsi l’usage de la puissance apostolique doit être réglé suivant les canons faits par l’Esprit de Dieu et consacrés par le respect général, que les règles, les mœurs et les constitutions reçues dans le royaume doivent être maintenues et les bornes posées par nos pères demeurer inébranlables ; qu’il est même de la grandeur du Saint-Siège apostolique que les lois et coutumes établies du consentement de ce siège respectable et des églises subsistent invariablement.
4. Que quoique le pape ait la principale part dans les questions de foi et que ses décrets regardent toutes les Eglises et chaque Eglise en particulier, son jugement n’est pourtant pas irréformable, à moins qu’un consentement de l’Eglise intervienne.
3. LE CATHOLICISME OFFICIEL
1. Piété et activité. Une vie intense anime le catholicisme officiel. Mentionnons l’évêque d’Annecy, François de Salles (1567-1632). Son Introduction à la Vie dévote, destinée à ceux qui veulent vivre pieusement sans entrer dans les ordres, se distingue par un mysticisme pratique, modéré et aimable. François de Salles réussit à ramener au catholicisme les protestants de son diocèse, par la douceur et la persuasion.
Vincent de Paul (1660) est surtout célèbre par l’ardeur de sa charité pour les pauvres, les malades, les prisonniers, les galériens. Il avait lui-même été esclave des Maures à Tunis, mais il avait amené son maître à la foi et avait pu ainsi recouvrer la liberté. Il a fondé l’ordre des Filles de la Charité ou Sœurs grises, vouées au soin des malades. On les appelle aussi Cornettes, à cause de leur coiffure. De tous les ordres religieux, c’est peut-être celui qui trouve le plus de sympathie chez le peuple. Vincent de Paul a aussi fondé l’ordre des Lazaristes, adonnés à la prédication.
L’abbé de Rance, après une jeunesse orageuse, introduisit une réforme austère dans un couvent cistercien, celui de la Trappe.1671
La plupart des grands littérateurs français de ce siècle étaient de fervents catholiques. Nous avons déjà mentionné Pascal et Bossuet. Corneille a traduit en vers l'Imitation de Jésus-Christ ; Racine, élève des jansénistes, après une jeunesse frivole, s’est converti, et nous a laissé un témoignage de sa foi : Esther et Athalie.
L’Eglise romaine restait néanmoins hostile à toute pensée indépendante. Le savant Galilée,1633 qui avait prouvé que la terre n’était pas immobile, dut se rétracter pour échapper à l’inquisition.
2. L'art baroque. Ce style, appelé aussi style jésuite, se distingue du style renaissance par l’abondance et la somptuosité des décorations intérieures et extérieures, qui masquent les lignes principales de l’édifice. Les baies sont très larges, en cintre. A la croisée, il y a fréquemment une immense coupole, par exemple au Dôme des Invalides.
3. La prédication. Les prédicateurs de ce temps prennent l’habitude de prêcher sur une idée qu’ils dégagent de leur texte, plutôt que sur un passage étendu de l’Ecriture comme les Pères de l’Eglise et les réformateurs. Bossuet, évêque de Meaux (1627-1704), prêchait surtout sur le dogme. La pompe de ses sermons ne l’empêchait pas d’en arriver toujours à un appel très sérieux et très direct à la conversion de ses auditeurs. Le père jésuite Bourdaloue (1632-1704) se canton-naît plutôt dans la morale, où il se distinguait par sa finesse psychologique et par une sévérité digne des jansénistes.
Mentionnons encore Fléchier, évêque de Nîmes (1632-1710), qui prit une part active à la persécution des protestants, et Massillon, évêque de Clermont (1663-1742), à l’éloquence boursouflée, et qui prononça l’oraison funèbre de Louis XIV.
HISTOIRE INTÉRIEURE DES EGLISES PROTESTANTES
1. EGLISES RÉFORMÉES ET LUTHÉRIENNES
1. Controverse arminienne. Au début du XVIIe siècle, un pasteur hollandais, Arminius (mort 1609), se mit en contradiction avec les idées officielles de son Eglise, en niant la prédestination et la persévérance finale. Ses partisans présentèrent une remontrance à l’autorité civile, pour réclamer la liberté de répandre leurs idées, d’où leur nom de Remontrants. Pour régler la controverse, on convoqua un grand synode à Dordrecht.1618 L’arminianisme fut sévèrement condamné, et le calvinisme officiel encore accentué.
Les cinq Canons de Dordrecht affirmaient la dépravation totale de l’homme naturel, la prédestination inconditionnelle des élus, l’expiation offerte pour les élus seulement, la grâce irrésistible, la persévérance finale.
Après quelques années difficiles, les Remontrants obtinrent la tolérance ; mais ils ne tardèrent pas à nier toutes les doctrines essentielles du christianisme. Le plus remarquable d’entre eux est le juriste Hugo Grotius (1583-1645). Il a composé un grand ouvrage d’apologétique contre les musulmans et les païens. Sa théorie de l’expiation est subtile ; selon lui, les souffrances du Christ n’ont pas de valeur propitiatoire ; elles prouvent simplement que Dieu, en pardonnant, ne veut pas laisser le péché impuni : mais elles ne doivent pas être considérées comme une réparation équivalente des péchés de l’humanité.
Parmi les théologiens calvinistes, mentionnons Gomar et Coccejus. Ce dernier a formulé une théologie originale, basée sur la notion d’alliance.
2. Histoire intérieure du protestantisme français.
1620 Les canons de Dordrecht furent adoptés en France au Synode d’Alès.
Les théologiens de Sedan, comme Pierre Du Moulin (mort 1658), et plus tard Jurieu ( 1637-1713) s’en firent les avocats, de même le pasteur genevois Benedict Turretini (mort 1631). En revanche, les théologiens de Saumur, Amyrault (mort 1664), La Place (mort 1665) apportaient de dangereuses atténuations au calvinisme rigide. Louis Cappel (mort 1658) étudia la doctrine de l’inspiration. Il ne croyait pas à celle des points-voyelles du texte hébreu.
Valentin Conrart (160375־), fondateur de l’Académie française, a révisé les psaumes de Marot et de Bèze, dont la langue commençait à vieillir. C’est cette traduction révisée que l’on chante aujourd’hui.
Il y a plusieurs prédicateurs remarquables. Citons Claude, pasteur à Charenton (1619-87), qui soutint une discussion publique avec Bossuet. Jurieu a polémisé avec énergie contre les théologiens novateurs, contre les catholiques, contre l’absolutisme de Louis XIV, en qui il voyait l’Antichrist.
On peut mentionner encore Mestrezat, Daillé, Drélincourt, Lefau-cheur, du Bosc.
3. Les Eglises luthériennes. Dans l’ensemble, elles restent figées dans l’orthodoxie morte. Paul Gerhardt (1607-76), pasteur à Berlin, a composé de nombreux cantiques, qui sont parmi les plus beaux de l’hymnologie chrétienne : « Abandonne ta vie » et la version allemande de « Chef couvert de blessures ».
Citons aussi les organistes Jean Cruger et Melchior Teschner et les théologiens Calov et Quenstedt, représentants caractéristiques de l’orthodoxie luthérienne.
2. PROTESTANTISME ANGLO-SAXON
1. Tendances protestantes rigides. Les puritains visaient à purifier l’Eglise anglicane de ce qui restait du « Papisme », en l’émancipant de la tutelle de l’Etat, en remplaçant le régime épiscopal par le régime synodal, et en supprimant les fêtes et les cérémonies. Ils étaient rigidement calvinistes en doctrine et en morale, et tenaient à l’observation quasi judaïque du dimanche.
Les Indépendants étaient d’accord avec ce programme. Mais ils préconisaient un régime congrégationnel, qui assurait à chaque Eglise locale une complète indépendance : ni évêques, ni synodes. Ce mouvement prit corps au début du XVIIe siècle non sans difficultés.
La première église de ce type fut fondée en 1580 à Norwich par Robert Brown, lequel rentra plus tard dans l'Eglise anglicane. Une autre église fut fondée à Londres en 1602. Ses membres, y compris le pasteur John Robinson, durent émigrer aux Pays-Bas, et fondèrent une communauté florissante à Leyde. Un pasteur anglican, Henry Jacob, entra en rapport avec cette communauté, retourna en Angleterre et fonda une église indépendante à Londres en 1616.
1633 Vers le milieu du siècle, quelques indépendants se séparèrent parce qu’ils considéraient que seul le baptême des croyants par immersion était valable. Ces premiers baptistes, après quelques années, entrèrent en contact avec un groupement de Hollande, où ce mode de baptême était pratiqué.1640 L’un d’eux fut baptisé en Hollande, puis l’Eglise put s’organiser d’une façon régulière.
Le premier baptisé fut Richard Blount, envoyé en Hollande. Il baptisa ensuite le pasteur Blacklock et les 54 membres de la communauté. Dans les années qui suivirent, le baptisme prit un rapide essor.
Un jeune homme, Georges Fox (1624-91), ne trouva ni dans l’Eglise anglicane, ni dans les Eglises dissidentes, la paix qu’il recherchait.1647 A la suite d’une révélation, il se donna à Jésus-Christ et se mit à prêcher partout avec beaucoup d’ardeur. Devant ses appels véhéments à la repentance, ses auditeurs étaient fréquemment saisis de tremblements, d’où leur nom de Quakers ou Trembleurs. Les Quakers insistent avant tout sur l’expérience personnelle ; la doctrine n’a pas pour eux la même importance. Ils croient à l’autorité de la Bible, mais soulignent plutôt la nécessité de l’illumination intérieure pour arriver à la vérité. Ils rejettent toutes les formes rituelles, liturgie, prêtrise, sacrements : hommes et femmes peuvent prendre part à leur culte, où le recueillement et le silence occupent une place importante.
2. Tentatives puritaines en Angleterre. Le fils de Marie Stuart, Jacques, roi d’Ecosse, devint aussi roi d’Angleterre, après la mort d’Elisabeth (1603-25). Il fit mettre la dernière main à la Bible anglaise qui est encore en usage aujourd’hui et qui porte son nom. Malgré l’éducation presbytérienne qu’il avait reçue, son caractère autoritaire le poussait à préférer le régime épiscopal, et il persécuta les dissidents. Son fils, Charles Ier (1625-49), qui avait épousé une princesse catholique, Henriette-Marie de France, essaya d’introduire des cérémonies catholicisantes parmi les presbytériens d’Ecosse. Là-dessus, l’Ecosse se révolta, et en Angleterre même, la majorité du Parlement se déclara puritaine. On réorganisa toute l’Eglise anglicane de fond en comble suivant les principes puritains. Une Assemblée, convoquée à Londres (1644-45), supprima le régime épiscopal et le Book of Common Prayer, adopta la Confession de foi et les deux catéchismes (le grand et le petit) de Westminster, d’inspiration nettement presbytérienne. Le roi entreprit une lutte armée contre le Parlement, mais il fut vaincu par les troupes d’Olivier Cromwell, composées de chrétiens Indépendants, et mis à mort pour haute trahison en 1649.
Cromwell devint dictateur de l’Angleterre (1649-58). Il réprima rapidement un complot royaliste des catholiques irlandais. Il était partisan de la liberté de conscience pour tous les protestants, et les 194
Indépendants, Baptistes, Quakers, prirent un grand essor sous son protectorat. Mais il se heurta à l’intransigeance du Parlement, qui voulait imposer le régime presbytérien synodal à tous les Anglais.
1658 Après sa mort, l’Angleterre tomba dans l’anarchie, et l’on fit appel au fils du roi défunt, Charles II (1660-85). Celui-ci rétablit le système anglican, persécuta les dissidents, et, par réaction contre le puritanisme, l’Angleterre tomba dans une frivolité effrayante.
1662 Charles II promulga l'Acte d'Uniformité, selon lequel tout ecclésiastique devait prêter serment sur les 39 articles ; l'Acte des Conventicules qui interdisait toute réunion de plus de 5 personnes, si la liturgie anglicane n’était pas utilisée ;1672 le Bill du Test qui obligeait quiconque occupait un poste officiel à prêter le serment de suprématie. Ce dernier édit visait d’ailleurs les catholiques plutôt que les dissidents et fut imposé au roi par le Parlement.
Son frère et successeur, Jacques II (1685-88), essaya de réintroduire le catholicisme ; mais il fut déposé. Son gendre et successeur, Guillaume III d’Orange (1689-1702) accorda la tolérance aux protestants dissidents.
3. John Milton (1608-74). Ce puritain lettré a joué un rôle politique assez considérable comme collaborateur de Cromwell. Devenu aveugle, il a composé son célèbre poème : Le Paradis Perdu, où il parle de la création de l’homme, de sa chute, de son châtiment, et laisse entrevoir la rédemption. C’est une des grandes épopées chrétiennes. Son style, toujours noble, est admirable, et sa pensée riche en remarques profondes et originales.
4. John Bunyan (1628-88). C’était un chaudronnier qui, après une jeunesse mondaine et une longue crise religieuse, finit par accepter la grâce et devint pasteur baptiste. Sous Charles II, il passa 12 ans en prison, parce qu’il ne voulait pas renoncer à son ministère. C’est pendant ce temps qu’il composa son Voyage du Chrétien, allégorie pleine de saveur, où il passe en revue les joies et les difficultés de la vie chrétienne. Ses images ont laissé des traces ineffaçables dans la pensée chrétienne. Son style, tout imprégné de culture biblique, est vif, simple et direct. Son livre est peut-être l’ouvrage le plus répandu après la Bible.
5. L’Amérique du Nord. Persécutés en Angleterre, malheureux aux Pays-Bas où ils s’étaient réfugiés, certains Indépendants obtinrent de Jacques I" la permission d’aller en Amérique. Ils s’embarquèrent à Plymouth, en 1620, sur le « May-Flower », et fondèrent une colonie congrégationaliste. Le premier hiver fut très rude ; beaucoup moururent de froid et de faim ; cependant, ils réussirent à se maintenir. Ils voulaient une colonie pure de toute hérésie ; pour jouir des droits civiques, il fallait payer l’impôt ecclésiastique, et toute tentative de créer une dissidence était passible de l’exil, de la verge, ou même de la mort. Malgré cette intolérance regrettable, ils avaient une piété réelle, un peu austère, et ils ne tardèrent pas à jouir d’une grande prospérité.
Un pasteur anglican, épris de liberté, Roger Williams, se rendit chez eux : mais il fut choqué par leur régime théocratique, et il fonda, au sud de Boston, la colonie de Rhode Island 1636, avec la ville de Providence. Ce fut le premier endroit du monde où la liberté complète fût garantie aux adeptes de n’importe quelle religion. Roger Williams examina la question du baptême et organisa avec quelques amis la première Eglise baptiste d’Amérique.1639 Les fondateurs se baptisèrent mutuellement.
Vers la fin du siècle, un quaker, William Penn, acheta du roi d’Angleterre un vaste territoire qui prit le nom de Pennsylvanie, et où il fonda la ville de Philadelphie.1683 Lui aussi accorda à tous une liberté religieuse illimitée. Il se distinguait par la douceur avec laquelle il traitait les Indiens
D’autres confessions étaient d’ailleurs représentées dès cette époque sur le sol américain. Il y avait des épiscopaux, des catholiques, des réformés. Ces origines expliquent le caractère actuel de la democratie américaine.
Sans parler de la Floride espagnole et du Canada français, il y avait des catholiques anglais au Maryland, colonie fondée par Lord Baltimore en 1632, des épiscopaux en Virginie, des réformés à la Nouvelle Amsterdam, fondée en 1614 par les Hollandais, et qui passa à l’Angleterre en 1664 sous le nom de New-York.
Discours de Cromwell au Parlement, le 17 septembre 1636.
Nous nous sommes efforcés, depuis le dernier Parlement, de montrer au pays que tous les hommes pieux, quelle que soit leur religion, doivent avoir la complète liberté de conscience, pour autant qu’ils vivent tranquillement et paisiblement ; nous ne voulons pas que la religion soit un prétexte à prendre les armes et à répandre le sang. Nous avons assez souffert de ces choses, et nous en avons volontiers souffert, afin qu’on jouisse de cette liberté. Si l’on résiste à cela, quelle qu’en soit la raison, si l’on agit de telle sorte que cela conduise aux ligues, aux intrigues et aux factions, Dieu sait que nous n'aurons cure de savoir qui nous frapperons, même si par ailleurs l’on se conduit paisiblement ou d’une manière avenante. En vérité, je suis contre une liberté de conscience qui répugne à cette façon de voir. Mais celui qui veut vraiment confesser sa foi, qu’il soit anabaptiste, ou indépendant, ou presbytérien, soutenez-le au nom de Dieu aussi longtemps qu’il continue à marcher simplement devant Dieu dans la reconnaissance, et qu’il fait usage de sa liberté pour en jouir dans sa propre conscience. Car, on l’a déjà dit, c’est là la chose essentielle pour laquelle on combat. Tous ceux qui croient en Christ — la vraie religion consiste dans la foi en Jésus-Christ et dans la conduite qui y correspond — tous ceux qui croient au pardon des péchés par le sang de Jésus-Christ et à la justification par le sang de Christ, qui vivent de la grâce de Dieu et qui sont certains de cette foi, tous ceux-là sont les membres du Christ et la prunelle de ses yeux. Quiconque a cette foi, quelle qu’en soit la forme, doit avoir une telle liberté, s’il vit paisiblement et sans préjugés contre ceux qui en ont une autre formule. Nous sommes responsables de ces choses devant Dieu, et il nous en sera redemandé compte.
Cité par J. COURVOISIER
Brève histoire du Protestantisme pp. 70, 71.
Salut Sainte Lumière.
Hélas ! avec les ans
Reviennent les saisons, mais pour moi nul retour
Du jour, de la douceur des aubes et des soirs.
Jamais je ne revois les éclosions d’avril,
Ni la rose d’été, ni les troupeaux bêlants
Ou mugissants, ni toi, divine face humaine !
Un nuage, au contraire, une incessante nuit
M’entoure, et m’interdit les plaisirs familiers.
Le livre du savoir, si beau, ne m’offre plus
Comme objets naturels qu’un vide général,
Passages raturés, chapitres effacés.
La sagesse n'a plus accès par cette voie.
Brille donc d’autant plus, ô céleste Lumière,
En moi ! Que mon esprit par toi de toutes parts
S’éclaire, plantes-y des yeux, que toute brume
En soit chassée au loin, pour que je voie et dise
Ce qui reste invisible à nos regards mortels.
MILTON
Paradis Perdu — Livre III
dans Emile Saillens. Milton, Poète Combattant, p. 169.
Déclaration de Roger Williams
sur la liberté religieuse.
C’est la volonté et l’ordre de Dieu, que depuis la venue de Son Fils, le Seigneur Jésus, soit accordée à tous les hommes, dans toutes les nations et dans tous les pays, qu’ils soient païens, Juifs, Turcs ou anti-Chrétiens, la liberté de conscience et de culte, et qu’ils ne soient combattus par aucune autre épée que celle de l’Esprit de Dieu, la Parole de Dieu qui seule peut conquérir...
Dieu ne demande pas qu’une uniformité de religion soit mise en œuvre obligatoirement, en quelque société civile que ce soit, uniformité obligatoire qui tôt ou tard est la plus grande occasion de guerre civile, de violation de conscience, de persécution de Jésus-Christ dans ses serviteurs, d’hypocrisie et de destruction de millions d’âmes...
La liberté des autres croyants qui ne sont pas celles professées par l’Etat est la seule chose qui, selon Dieu, produise une paix ferme et durable,
quand est garantie selon la sagesse de la société civile l'uniformité de l'obéissance civile de la part de tous.
Cité par MIEGGE
La Liberté Religieuse, pp. 37, 38.
1. Résumé chronologique. Le XVIIe siècle se divise en cinq phases :
av. 1618. Henri IV. François de Salles. Controverse arminienne. Jacques Ier. Bible anglaise. Premiers indépendants.
1618-1648. Guerre de 30 ans. Louis XIII. Conrart. Vincent de Paul. Débuts du jansénisme. Premiers baptistes. Colonies américaines congrégationalistes et baptistes. Charles I". Angleterre presbytérienne.
1648-1660. Conflits entre jansénistes et jésuites. Pascal. Dictature de Cromwell. Quakers.
1660-1685. Débuts de Louis XIV. Bossuet. Bourdaloue. Claude. Restauration en Angleterre. Milton, Bunyan. Gerhard.
après 1685 Révocation. Gallicanisme. Quiétisme. Fin du jansénisme. Racine. Jurieu. Jacques II d’Angleterre déposé. Guillaume III.
2. Appréciation. Cette période est brillante par la multitude de chrétiens remarquables qui l’ont illustrée, et par l’enthousiasme religieux qui anime les multitudes. Le protestantisme s’affermit, la vie s’épanouit au sein du catholicisme; Il ne faut pas oublier cependant que derrière la belle façade, il y a beaucoup d’hypocrisie, de mondanité et de rationalisme. Pascal a senti le danger, mais dans l’ensemble, l’Eglise est mal préparée pour les assauts du XVIIIe siècle.
QUATRIÈME PARTIE
XVIIIe SIÈCLE
Le courant rationaliste qui triomphe au XVIIIe siècle n’était pas une nouveauté. Il datait de la Renaissance, mais il avait été contre-balancé par la Réforme et la Contre-Réforme. Il réapparaît au XVIIe siècle, sans que les chrétiens, Pascal excepté, semblent se rendre compte du danger.
Descartes (1596-1650), dans son Discours de la Méthode, en pose les principes. Il s’attache aux propositions évidentes et aux déductions logiques qu’on peut en tirer. Bien loin d’être irréligieux, puisque pour lui c’est l’existence de Dieu qui garantit la vérité des propositions évidentes, il exalte pourtant la raison humaine en oubliant qu’elle a été corrompue par la chute.
L’Isréalite hollandais Spinoza (1632-1677), au nom de la raison, se montrait beaucoup moins respectueux de la Révélation biblique et aboutissait au panthéisme.
Dans ses conceptions scientifiques et philosophiques, la société tend à se libérer de la tutelle ecclésiastique. Elle se sécularise insensiblement ou violemment. Les Eglises subissent le contre-coup de cette tendance.
LES ATTAQUES CONTRE LA FOI CHRÉTIENNE
1. Les déistes anglais. L’Angleterre, mondanisée par la Restauration, s’ouvre la première aux idées nouvelles. Le philosophe Locke (1632-1704) fondait la connaissance sur l’expérience plutôt que sur la raison, mais il risquait, comme les rationalistes, de détourner les gens de la Révélation. Un de ses ouvrages, Le Christianisme raisonnable 1695, exerça une influence déterminante, non seulement en Angleterre, mais en France aussi.
·Les déistes préconisaient la religion naturelle, commune selon eux à tous les peuples. Ils niaient la Trinité ; ils voulaient honorer une seule personne divine, et refusaient le titre de chrétiens. Ils niaient les miracles. Ils rejetaient la Bible, accusant les apôtres d’avoir déformé la vérité.
Les déistes les plus connus sont Shaftesbury (1671-1713) qui préconise une morale indépendante de la Révélation et rejette la notion de récompense, Bolingbroke (1678-1751) que Voltaire admirait beaucoup, et Matthew Tindale ( 1656-1733) auteur d’un ouvrage significatif Le Christianisme aussi vieux que la création. Il entendait que tout ce qui sort du cadre de la religion naturelle doit être rejeté.
2. Les rationalistes allemands. Us sont en général moins acerbes que les déistes. Mais ils sont convaincus que leur époque est le siècle des lumières (Aufklaerung). Ils cherchent à concilier l’Evangile avec la raison humaine. Leibniz (1646-1716), un des esprits les plus universels de tous les temps, philosophe, homme d’Etat, mathématicien, se tient encore sur le terrain de l’orthodoxie. Il part de ce principe que la Révélation et la raison venant toutes les deux de Dieu, elles ne sauraient se contredire. Ceux qui suivirent ses traces furent moins prudents et n’hésitèrent pas à rejeter un bon nombre de doctrines chrétiennes, tout en cherchant à conserver la morale, entre autres le littérateur Lessing (1729-1781).
Mentionnons le philosophe Christian Wolff (1679-1754) dont les idées hardies rencontrèrent l'opposition des piétistes et l’historien Sentier (1725-1791) fondateur de la critique biblique allemande.
3. Les philosophes français. Le mouvement rationaliste français débute avec le prêtre oratorien Richard Simon (1632-1712) qui ouvre la voie à la critique biblique, et le protestant Pierre Bayle (1647-1706) qui avait une foi assez vivante, mais dont le Dictionnaire historique et critique empreint de scepticisme est devenu l’arsenal des écrivains antireligieux au XVIIIe siècle. Ceux-ci ont tous collaboré à la Grande Encyclopédie (publiée entre 1751 et 1772) qui attaque vivement la foi chrétienne et glorifie le progrès humain.
Voltaire (1694-1778) a cherché à introduire en France les idées des déistes anglais, qu’il avait connus dans sa jeunesse. Dans ses nombreux ouvrages, il a attaqué la religion chrétienne avec une verve, une causticité, une méchanceté, qui n’ont guère été égalées. De Ferney où il s’était retiré, il inondait la France de ses pamphlets. D’autres, comme Diderot (1713-1784), ont nié plus de vérités que lui, mais nul n’a contribué davantage à semer l’irréligion.
Rousseau (1712-1773), originaire de Genève, préconise une religion conforme à sa théorie qui veut que l’homme soit bon par nature, une religion de sentiment, sans Bible, sans Rédemption, avec une morale facile et un jugement dernier peu redoutable.
LA LUTTE POUR LA TOLÉRANCE
Les rationalistes se sont attaqués avec une ardeur spéciale à combattre l’intolérance religieuse. C’était même le seul article de leur programme qui fût justifié. Nous allons voir l’esprit de persécution s’atténuer graduellement au cours de cette période.
1. LES PAYS PROTESTANTS
En général, la tolérance n’eut pas trop de peine à s’y implanter.
Aux Pays-Bas, elle régnait déjà depuis le milieu du XVII siècle. 1689 En Angleterre, Guillaume III d’Orange, en montant sur le trône, avait promulgué un édit de tolérance pour tous les dissidents protestants. En revanche, les catholiques irlandais eurent encore des vexations à subir. Tous les biens ecclésiastiques étaient entre les mains de l’Eglise anglicane, et le peuple, pressuré par les colons anglais, devait avec ses moyens limités entretenir les curés catholiques. Cependant la liberté du culte était garantie.
En Prusse, le roi-sergent Frédéric-Guillaume Ier (1712-1740) se montrait encore assez intransigeant en matière doctrinale. Son fils, Frédéric II surnommé le Grand (1740-1786), tout imbu de rationalisme et ami de Voltaire, inaugura son règne en abolissant la torture et en déclarant que dans son Etat, toutes les religions devaient être tolérées ; que chacun avait le droit d’arriver au salut à sa façon.
2. LES PAYS GRECS-ORTHODOXES
Du XVe au XVIIIe siècle, les patriarches de Constantinople étaient sous la dépendance complète du Sultan Turc. Celui-ci les encourageait dans l’hostilité vis-à-vis du pape. Dans la première moitié du XVIIe siècle, le patriarche Cyrille Lucar chercha des contacts avec les protestants dont il partageait les idées. Après sa mort violente et sous la pression de l’Eglise russe, les grecs-orthodoxes revinrent à leur position traditionnelle ultra-ritualiste.
C’est dans ce sens que se prononçait la Confession de foi des Patriarches orientaux (1672) qui constitue un des documents importants de la théologie grecque-orthodoxe.
En Russie, l’Eglise fut dirigée au XVIIe siècle (1589-1700) par les patriarches de Moscou. L’un d’eux, Nikon, entreprit de réformer la liturgie. Il se heurta à une violente opposition au sein du peuple. Le tsar qui redoutait ses tendances autoritaires, le fit destituer par un concile à Moscou 1666, mais donna force de loi aux réformes préconisées, entre autres celle de faire le signe de la croix avec trois doigts au lieu de deux. Il en résulta un schisme. Les partisans des anciens usages furent persécutés. D’ailleurs, ces raskolniki ou schismatiques se subdivisèrent en sectes diverses, anticléricales, rationalistes, ascétiques ou immorales.
Pierre le Grand (1689-1725) entreprit de laïciser la Russie. Après avoir laissé le siège patriarcal vacant, il institua le Saint-Synode 1721, dont le tsar nommait les membres et qui devait s’occuper des affaires de l’Eglise. Celle-ci devenait une administration parmi les autres dans l’Etat russe.
Catherine II (1762-1796) qui avait des tendances rationalistes et cultivait des rapports cordiaux avec les philosophes français, se montra plus libérale envers les raskolniki. Elle autorisa les mennonites à fonder en Russie des colonies et leur accorda divers privilèges, en particulier l’exemption du service militaire. D’autre part, elle ramena par la force dans le giron de l’Eglise russe plusieurs millions de Ruthènes dans les territoires annexés à la suite du partage de la Pologne. La tolérance était donc loin d’être complète.
3. LES PAYS CATHOLIQUES
La lutte pour la tolérance y fut aussi très difficile. En Italie, en Espagne et au Portugal, vu le nombre quasi inexistant des protestants, la question ne se posait guère. Notons cependant que le duc de Savoie accorda la liberté à ses sujets protestants des vallées vaudoises.
En Pologne, les jésuites alliés à la noblesse maintinrent l’esprit réactionnaire. On interdit aux protestants de bâtir des temples ; on les priva de leurs droits civiques.1733 Cette politique contribua au déclin de la Pologne et prépara les partages qui mirent fin pour plus d’un siècle à l’existence de ce pays.
Au cours d’une guerre, la Hongrie échappa à la domination turque et tomba entièrement sous le pouvoir de l’Autriche. La situation devint dangereuse pour les protestants, qui se soulevèrent. La diète de Presbourg leur assura la liberté de culte. Cependant pendant le XVIIIe siècle, ils durent se défendre encore contre les empiètements des jésuites, qui leur enlevèrent des dizaines d’églises.
En Autriche même il y eut une recrudescence de persécution au début du XVIIIe siècle. Les protestants furent expulsés de Salzbourg en plein hiver. Les derniers Frères moraves durent se réfugier en Saxe et en Prusse. Ce n’est qu’avec le souverain « éclairé » Joseph II (1780-1790) que la tolérance fut accordée aux luthériens et réformés. Dès lors le protestantisme put réapparaître en Bohême. Les quelques Frères qui subsistaient encore adoptèrent la foi réformée.
Les évêques de Bâle se montrèrent assez accueillants pour les Mennonites persécutés par les autorités protestantes de la Suisse.
LA FRANCE
C’est là que la tolérance eut le plus de peine à prévaloir et que les persécutions sanglantes se prolongèrent le plus longtemps.
1. Persécution sous Louis XIV. La Révocation a provoqué une recrudescence de persécution en France. Les protestants qui avaient embrassé le catholicisme, appelés « nouveaux convertis », étaient étroitement surveillés, obligés d’aller à la messe, soumis à des dragonnades lorsqu’ils manifestaient de l’attachement pour leur foi ancienne. Bâville, intendant du Languedoc, fut un persécuteur spécialement actif.
Les pasteurs avaient été chassés de France. Mais dans le Midi, les fidèles résolurent de reprendre l’exercice du culte, en cachette, sous la direction de laïcs, appelés prédicants. Le plus célèbre d’entre eux est un ancien avocat, Claude Brousson (mort 1698). Les prédicants et les prédicantes ont réussi à regrouper les Eglises ; la plupart moururent roués vifs ou pendus.
Sous le coup des persécutions, se produisirent les curieux phénomènes du prophétisme cévenol, paroles automatiques, prédications faites par des enfants au berceau, etc. A la fin, excédés, les protestants prirent les armes, sous la conduite de Cavalier et de Laporte dit Roland, après avoir assassiné au Pont-de-Monvert, le sinistre abbé du Chayla qui torturait les enfants. Les troupes royales n’arrivant pas à maîtriser les camisards insurgés,1704 Cavalier obtint d’émigrer avec plusieurs coréligionaires ; Roland qui continua la lutte périt dans une bataille, mais le gouvernement dut modérer un peu l’ardeur des persécutions.1715 Cependant, avant de mourir, Louis XIV signa un décret qui supprimait le protestantisme.
2. Réorganisation du protestantisme. Le mouvement des prédicants a sauvé le protestantisme français ; il constituait cependant une rupture avec les traditions anciennes. Ce fut Antoine Court (1695-1760) qui ramena les Eglises réformées à leurs coutumes primitives. Il forma des pasteurs, d’abord en instruisant des jeunes gens en plein vent, puis en fondant un séminaire français à Lausanne, en Suisse.1730
Il réorganisa les assemblées, ayant soin que la liturgie fût exactement observée, et rétablit les synodes, d’abord provinciaux, puis nationaux. Parmi ses disciples, citons Paul Rabaut (1718-1794) et Jean Pradel (1718-1795). qui pendant cinquante ans exercèrent le ministère périlleux de « pasteurs du désert ».
3. Persécutions sous Louis XV (1715-1774). Elles ont été moins violentes que celles de Louis XIV, malgré une recrudescence de sévérité au milieu du siècle. Cependant, bien des protestants étaient encore astreints au dur travail de galériens, exposés à d’ignobles traitements, attachés sur le même banc que des repris de justice, dont, malgré tout, ils forçaient le respect. Bien des femmes passaient des années en prison, comme Marie Durand, à la Tour de Constance, « résistant » aux efforts déployés pour les faire abjurer. Des enfants étaient arrachés à leurs parents et enfermés dans des couvents, et le martyrologe nous présente une liste importante de pasteurs morts sur l’échafaud, comme le vieux Jacques Roger (1675-1745), surnommé l'Apôtre du Dauphiné.
Parmi les 7370 galériens protestants, mentionnons Jean Marteilhe, relâché en 1713, qui a décrit dans un livre émouvant la vie aux galères ; parmi les condamnés à mort, Fulcran Rey (mort 1686), Alexandre Roussel (1700-1728), Pierre Durand (1700-1732), Louis Ranc (1719- 1745), Mathieu Majal dit Desubas (1720-1746), François Bénézet (1723-1752), François Rochette et les trois frères Grenier (exécutés en 1762). Des 450 pasteurs sortis du séminaire de Lausanne, 90 furent exécutés et 27 envoyés aux galères.
4. Fin des persécutions en France. Cependant, des temps meilleurs approchaient.1763 Un certain Calas ayant été mis à mort sous l’inculpation d’avoir assassiné son fils pour l’empêcher d’abjurer le protestantisme, sa veuve demanda sa réhabilitation et, aidée de Voltaire, finit par l’obtenir ; il n’y eut plus d’exécutions capitales, dès lors ; les prisonnières et les galériens furent relâchés.
Enfin, à la veille de la révolution en 1787, Louis XVI (1774-1792) signa à Versailles un édit de tolérance en faveur des réformés. On leur accordait la liberté de conscience et des droits civiques. Rien n’était dit sur le culte, mais en fait, il put être célébré sans encombres.
L’Edit de tolérance fut obtenu par les efforts conjugués de certains protestants, Court de Gébelin, Paul Rabaut, Rabaut Saint Etienne, et de quelques personnalités de la cour royale, en particulier Malesherbes et Lafayette.
Ce fut la Révolution qui donna enfin aux protestants l’égalité complète, en stipulant dans la Déclaration des Droits de l'Homme,1789 que nul ne pouvait être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre établi par les lois. Quelque temps après, Rabaut Saint-Etienne devint président de l’Assemblée constituante.
Extrait d’un sermon de Brousson.
... La moindre chose suffit pour empêcher la plupart des gens de se trouver dans les saintes assemblées. Ils voudraient que Dieu leur fît prêcher son Evangile selon leur commodité ; autrement ils n’osent pas sortir de leur maison, pour ouïr sa Parole et pour lui rendre le service qui lui est dû. La moindre menace qu’on leur fait de les mettre en prison ou de leur envoyer quelques soldats pour leur faire manger une partie de leur pain et boire une partie de leur vin, est capable de leur faire renier de nouveau leur Sauveur.
Lâches et infidèles chrétiens, qu’eussiez-vous fait au commencement du christianisme, lorsqu’on faisait dévorer les fidèles par les bêtes féroces, ou qu’on déchirait leur corps avec des griffes de fer, ou qu’on leur faisait souffrir tous les autres tourments que l’enfer pouvait inventer ? Qu’eussiez-vous fait au commencement de la Réformation, lorsqu'on brûlait tout vifs ceux qui professaient la vérité ? Vous n’auriez pas voulu vous sauver par ce prix-là, et maintenant vous vous feriez mahométans, et pis encore, pour éviter de pareils martyres. Lâches et infidèles chrétiens, vous ne voulez donc pas suivre les traces de ces générations fidèles qui, au commencement du christianisme et dans le siècle passé souffrirent de si grands maux pour donner gloire à Dieu, pour acquérir ou pour conserver la précieuse liberté de le servir et de chanter ses saintes louanges ? Ah ! ne vous glorifiez point d'être le peuple de Dieu, puisque vous n’avez pas à cœur les intérêts de sa gloire et de son service. Ne vous vantez pas d’être la postérité des saints, puisque vous n’êtes point les héritiers de leur foi, de leur zèle et de leur constance.
Claude BROUSSON
Manne Mystique du Désert
Tome I, pp. 101, 103. Cité dans R. ALLIER
Anthologie protestante française
Rétablissement de la discipline.
Et toujours plus pénétré des désordres qu’il voyait régner dans la conduite des églises, il se prévalut d’une assemblée qui devait se faire de tous les prédicateurs qui prêchaient en Languedoc pour jeter les fondements de l’ordre et de la discipline qui s’est observée depuis. Cette assemblée fut tenue dans les Cévennes le 21 août (1721). Et il fut élu modérateur et secrétaire. Il y fit passer des règlements dont les uns tendaient à l’extinction du fanatisme, et les autres à imposer silence aux femmes prédicantes ; il y représenta la nécessité qu’il y avait d’établir des anciens dans les églises, dont les principales fonctions seraient la direction des assemblées, de veiller à la conversation des pasteurs, de collecter en faveur des pauvres, d’être attentifs aux scandales, et d’avertir les prédicateurs de tout ce qui serait nécessaire pour le bien du troupeau, et en conséquence de cette représentation, il fut établi dans cette, assemblée deux anciens pour l’église de Monoblet qui était le lieu le plus proche où se tenait l’assemblée.
Il donna aussi diverses règles de prudence pour la conduite des assemblées, afin de les mettre à couvert des recherches et des perquisitions des ennemis.
Mémoires d'A. Court
pp. 95, 96.
Une lettre de P. Rabaut sur un synode et les assemblées.
28 mai 1756.
Grâce à Dieu nous avons tenu notre foire le plus heureusement du monde à tous égards : sûreté au dehors, concorde et unanimité au dedans ; d’aussi heureux commencements semblent nous répondre que nous n’aurons pas travaillé en vain.
Je vous eusse écrit plus tôt, n’eût été que d’un jour à l’autre j’attendais de recevoir une de vos lettres. Je languis d'apprendre de vos nouvelles.
Il ne se passe ici rien de fort intéressant. De temps en temps des parties de plaisir sont interrompues. Il n'en est pas de même de celles de mes associés ; beaucoup plus heureux que moi, rien ne trouble leurs fêtes. Peut-être les circonstances me favoriseront-elles à l’avenir. Bien des gens s’en flattent, et je m’en flatte avec eux.
Si vous savez quelque nouvelle intéressante, vous m’obligerez de m’en faire part. On débite ici seulement depuis hier que le roi d’Angleterre a déclaré la guerre au roi de France.
Paul RABAUT
Lettres à divers.
Tome I, pp. 132, 133.
La vie aux galères.
On a bien raison de dire, lorsqu’on se trouve dans quelque rude peine : « Je travaille comme un forçat à la rame », car c'est en effet le plus rude exercice qu’on puisse s’imaginer. Qu’on se représente, si on peut, six hommes enchaînés, assis sur leur banc, tenant la rame à la main, un pied sur la pédagne, grosse barre de bois attachée à la banquette ; et de l’autre pied, montant sur le banc de devant eux, et s’allongeant le corps, les bras roides pour pousser et avancer leur rame jusque sous le corps de ceux de devant qui sont occupés à faire le même mouvement ; et ayant avancé ainsi leur rame, ils l’élèvent pour la frapper dans la mer et du même temps se jettent, ou plutôt se précipitent en arrière, pour tomber assis sur leur banc, qui, à cause de cette rude chute, est garni d’une espèce de coussinet. Enfin, il faut l’avoir vu, pour croire que ces misérables rameurs puissent résister à un travail si rude ; et quiconque n’a jamais vu voguer une galère ne se pourrait jamais imaginer, en le voyant pour la première fois, que ces malheureux pussent y tenir une demi-heure, ce qui montre bien qu’on peut, par la force et la cruauté, faire faire pour ainsi dire l'impossible. Et il est vrai qu’une galère ne peut naviguer que par cette voie et qu’il faut nécessairement une chiourme d’esclaves, sur qui les comités puissent exercer la plus dure autorité, pour les faire voguer, non seulement une heure ou deux, mais même dix à douze heures de suite. Je me suis trouvé avoir ramé à toute force pendant vingt-quatre heures sans nous reposer un moment. Dans ces occasions, les comités et autres mariniers nous mettaient à la bouche un morceau de biscuit trempé dans du vin, sans que nous levassions les mains de la rame, pour nous empêcher de tomber en défaillance. Pour lors, on n’entend que hurlements de ces malheureux, ruisselant de sang par les coups de corde meurtriers qu’on leur donne. On n’entend que claquer les cordes sur le dos de ces misérables. On n’entend que les injures ou les blasphèmes les plus affreux des comités, qui sont animés et écument de rage, lorsque leur galère ne tient pas son rang et ne marche pas si bien qu’une autre. On n’entend encore que le capitaine et les officiers majors crier aux comités, déjà las et harassés d’avoir violemment frappé, de redoubler leurs coups, et lorsque quelqu’un de ces malheureux forçats crève sur la rame, comme il arrive souvent, on frappe sur lui tant qu’on lui voit la moindre vie, et lorsqu'il ne respire plus, on le jette à la mer comme une charogne, sans témoigner la moindre pitié...
... Cependant tous ces scélérats, quelque méchants qu’ils fussent, témoignaient toujours beaucoup d’égards pour nous autres réformés. Ils ne nous appelaient jamais que Monsieur et n’auraient jamais ,passé devant nous sans nous saluer. J'en avais cinq dans mon banc à Dunkerque, un condamné pour meurtre et assassinat, un autre pour viol et meurtre, le troisième pour vol de grand chemin, le quatrième aussi pour vol. Pour le cinquième, c’était un Turc esclave. Mais je puis dire en bonne vérité, que ces gens-là, tout vicieux qu’ils étaient, me portaient une vraie révérence et C’était à qui serait le premier à me rendre de petits services. Lorsque les plus méchants parlaient de nous, ils ne balançaient pas à dire : « Ces messieurs sont respectables en ce qu’ils n’ont point fait de mal qui mérite ce qu’ils souffrent et qu’ils vivent comme d’honnêtes gens qu’ils sont. »
Les officiers même, du moins la plupart, aussi bien que l’équipage, nous considéraient, et s’il se trouvait qu’il y eût dispute ou quelque différend entre les autres galériens et qu’un réformé se trouvât à portée d’en décider ou de rendre témoignage de la vérité du fait, on en passait toujours par sa décision.
MARTEILHE
Mémoires d’un Protestant
pp. 223, 224, 249.
AFFAIBLISSEMENT DE LA FOI
1. AFFAIBLISSEMENT INTÉRIEUR DU CATHOLICISME
1. Suppression des Jésuites. En face des attaques rationalistes, l’Eglise romaine ne pouvait guère changer de doctrine ; mais les partisans d’un catholicisme militant devinrent impopulaires.
L’Ordre des jésuites, haï pour son esprit réactionnaire et envié pour ses richesses, fut d’abord chassé non sans violence, de divers pays catholiques, puis supprimé par le pape Clément XIV,1773 comme étant devenu inutile. Les jésuites purent se réfugier auprès de Frédéric II de Prusse et de Catherine II de Russie.
2. Réaction. Les rédemptoristes. Il y avait cependant des catholiques qui entendaient maintenir les traditions rigides, tel Liguori (1696-1787), qui fonda l’Ordre des Rédemptoristes,1732 très semblable à celui des jésuites. Il a formulé la casuistique en usage aujourd’hui officiellement dans les confessionaux. Son ouvrage Les Gloires de Marie a largement favorisé le culte marial. On l’a rangé parmi les docteurs de l’Eglise.
1789 3. La Révolution française. Elle marque une réaction violente contre l’union du trône et de l’autel qui avait caractérisé la monarchie française et porta un coup sensible au catholicisme dont pendant plus d’un siècle la France avait été l’appui le plus solide.
Le clergé renonça spontanément à ses privilèges. Puis l'Assemblée constituante vota la Constitution civile du clergé.1790 Les ecclésiastiques devaient être élus comme les autres fonctionnaires par tous les citoyens, les évêques investis, non plus par le pape, mais par les autres évêques. De plus, tous devaient prêter serment de fidélité à la Constitution. Comme le pape Pie VI (1775-1799) le leur interdit, il y eut bientôt deux clergés en France, le clergé assermenté et le clergé non assermenté, ce dernier persécuté.
1793 Sous la Terreur, le christianisme a été officiellement aboli, le calendrier chrétien remplacé par le calendrier révolutionnaire ; on adora la déesse Raison, personnifiée par une actrice de l'Opéra promenée en triomphe à Notre-Dame. Robespierre fit ensuite décréter par la Convention qu’elle reconnaissait l’existence de l'Etre suprême et l’immortalité de l’âme. Des centaines de prêtres furent tués ou emprisonnés, de même des pasteurs, entre autres Rabaut Saint-Etienne.
1795 Après les journées de Thermidor, la Convention se montra tolérante envers les Eglises, même envers les prêtres non assermentés qui purent rentrer au pays.
2. AFFAIBLISSEMENT DE LA FOI
AU SEIN DU PROTESTANTISME
1. Les Eglises officielles. Les Eglises protestantes sauvegardèrent moins bien leur doctrine que l’Eglise romaine. Les anglicans tombèrent dans une mondanité et une incrédulité effrayantes. Les luthériens se laissèrent gagner par la critique biblique. Les réformés commencèrent par supprimer de leurs confessions de foi le dogme de la prédestination, puis d’autres doctrines essentielles.
Ils furent poussés dans cette voie par le théologien genevois Jean Alph. Turretini et par le Neuchâtelois Osterwald.
2. Dénominations rationalistes. Lorsque, par le réveil, les Eglises anglo-saxonnes revinrent à la foi, le rationalisme qui prévalait dans bien des esprits aboutit à la formation de nouvelles dénominations. La nouvelle Eglise adhère aux révélations mi-rationalistes, mi-mystiques du savant suédois Swedenborg (1688-1772). Ce dernier s’estimait en relation avec les défunts, tout en interdisant à d’autres ce commerce. Les universalistes nient les peines éternelles. Les unitaires nient la Trinité : ces derniers se sont associés aux anciens sociniens de Transylvanie.
Le fondateur du groupe universaliste, John Murray, avait été membre de l'église de Whitefield. Il trouva un terrain favorable en Amérique.
Les principaux unitaires anglais sont Priestley et Lindsay.
3. Protestants remarquables. Il ne faut pas croire cependant que la foi vivante fût éteinte. Le réformé Abbadie (1654-1727) fut un champion très logique et très averti de l’orthodoxie. Ses livres n’ont guère vieilli aujourd’hui. Citons aussi le prédicateur Saurin (1677-1730), pasteur du refuge à La Haye.
Jean-Sébastien Bach (1685-1750), chantre de la chapelle Saint-Thomas de Leipzig, a exprimé sa foi sereine dans sa vaste œuvre musicale. Malgré son génie, il était très modeste, bon père de famille, fidèle membre d’Eglise. Plusieurs de ses œuvres ont été publiées après sa mort, entre autres sa Passion selon saint Matthieu et sa Passion selon saint Jean, où le texte de l’Evangile, accompagné d’une musique qui en souligne toutes les nuances, est entrecoupé de chœurs et de soli destinés à exprimer les sentiments du fidèle en présence des souffrances de son Sauveur.
Son contemporain Haendel (1685-1759), originaire d’Allemagne, mais établi en Angleterre, est célèbre par ses oratorios bibliques, en particulier le Messie.
On peut encore mentionner les historiens Jacques Basnage (1653-1723) et Elie Benoit (1640-1727), les auteurs de cantiques Tersteegen (1677-1760) et Isaac Watts (1674-1748) ; le pasteur zurichois Jean Gaspard Lavater (1741-1801), au caractère bon et charitable, mais à la doctrine très floue.
RÉVEILS DU XVIIIe SIÈCLE
1. LES RÉVEILS EN ALLEMAGNE
1. Le piétisme. Ce réveil est une réaction contre l’orthodoxie morte. Il a eu pour initiateur l’Alsacien Spener (1635-1705), qui exerça son ministère dans diverses villes d’Allemagne et organisa à Halle un centre piétiste. Il réclamait de ses auditeurs une piété qui vienne du cœur, basée sur l’expérience de la repentance et du pardon, une foi qui produise de bonnes œuvres, et une séparation rigoureuse d’avec le monde. Il invitait les convertis à ne pas quitter l’Eglise établie, mais à se grouper en conventicules (ecclesiola dans l’ecclesia).1670
Spener avait subi l'influence de théologiens mystiques comme Arndt, des Puritains et du Réformé Labadie qui a formé en Hollande et en Allemagne du Nord des groupes de croyants en marge de l’église officielle. En 1675, Spener publiait son principal ouvrage, Pieux Désirs où il réclamait 1. une étude plus sérieuse de la Bible, 2. une part plus active des laïcs, 3. l'équilibre entre la science et l'action, 4. une attitude plus fraternelle dans les polémiques théologiques, 5. une réforme des études pastorales en vue d’inculquer la piété autant que la science, 6. une prédication moins rhétorique et plus édifiante.
Son disciple et ami Francke (1668-1727) organisa à Halle des orphelinats, des écoles, où l’on s’attachait à l’éducation du cœur et de l’esprit et non pas exclusivement à l’instruction. Il fonda une société biblique, pour répandre la Bible à bon marché, et une société missionnaire. Le Wurtembergeois Bengel (1687-1752) s’est signalé par sa piété et son érudition. Il combat énergiquement l’habitude qui consiste à tordre le sens des Ecritures. On l’a surnommé le père de l’exégèse moderne. Il s’intéressait à la prophétie.
Le réveil piétiste était nécessaire, et il a fait un bien incalculable.
On peut cependant reprocher à ce mouvement une austérité un peu triste et, malgré l’orthodoxie personnelle des chefs, une certaine indifférence à l’égard des croyances, qui l’a empêché d’être une digue puis-santé contre le rationalisme envahissant.
Celui qui recueillit les cantiques du réveil piétiste fut Freyling-hausen.
2. Le réveil morave. Ce mouvement doit son origine au comte de Zinzendorf (1700-1760). Il fit ses études au collège piétiste de Halle, où il eut quelques difficultés parce que sa conversion n’avait pas été marquée par toutes les émotions que les piétistes préconisaient. Au cours d’un voyage, il fut frappé par un tableau du Christ en croix, à Dusseldorf, et décida de donner sa vie au Seigneur.
Peu après, il accueillit sur ses terres, en Saxe, des frères moraves que les persécutions avaient chassés de leur pays, et qui appelèrent leur nouveau domaine Herrnhut. Zinzendorf leur accorda une charte, selon laquelle ils devaient accepter le luthéranisme, mais pouvaient continuer à célébrer leurs réunions d’édification mutuelle, et nommer à cet effet des anciens.1727 Un culte solennel de Sainte Cène sembla mettre le sceau de Dieu à cette décision.
Zinzendorf, qui se fit consacrer évêque des frères, était plein de zèle. Sa piété était fortement christocentrique, avec quelques excès sentimentaux parfois. Mais la vie religieuse, où les laïcs avaient une place importante dans les réunions d’édification mutuelle ou chœurs, était intense. Aussi le mouvement ne tarda-t-il pas à se répandre. Les Moraves fondèrent tantôt des groupements de croyants dans le cadre des Eglises établies, comme en Saxe, tantôt des communautés indépendantes, comme en Prusse, en Angleterre et dans le champ missionnaire. Leurs cantiques simples, joyeux, touchants, devinrent populaires dans tous les milieux. Dans ce siècle de rationalisme, ils maintinrent la foi et la piété en Europe, au point que le terme morave devint synonyme de « converti ». Zinzendorf eut d’ailleurs un excellent successeur en la personne de Spangenberg (1704-1792).
L’Ecclesiola dans l’Ecclesia.
Je crois que nous sommes en un temps où il y a peu de chose à attendre, pour ne pas dire rien, de discussions générales ou d'instances officielles ; mais où nous, prédicateurs — j’entends ceux qui prennent leur tâche au sérieux — chacun là où il est, et peut-être avec l’aide d'amis partageant nos préoccupations, devons tenter, avec ce que Dieu nous donne en moyens et occasions pour l’édification, de rassembler des ecclesiolas dans nos églises, c’est-à-dire d’amener à une constante croissance ceux qui ont un zèle véritable pour le service de leur Dieu ; pour ce qui les concerne, ils seraient ainsi toujours plus dignes de leur nom de chrétiens et en conséquence, ils en édifieront d’autres, par leur exemple et à chaque occasion que Dieu leur donnera, au moyen de souvenirs adéquats (qu’ils raconteront) et d’exhortations ; à leur manière, ils viendraient à notre aide pour en gagner d’autres. Là où une telle chose aurait lieu de la part de plusieurs et à divers endroits, plusieurs personnes devraient être prêtes à poursuivre l’œuvre du Seigneur et quelques communautés amenées si loin par la bénédiction céleste qu’elles commencent à être, en la plupart de leurs membres, semblables à la primitive Eglise. Elles seraient ainsi cette lumière pour éclairer davantage l’épaisse obscurité de beaucoup.
SPENER
Pieux Désirs
cité par J. COURVOISIER
Brève histoire du Protestantisme
pp. 86, 87.
Le réveil morave.
Il y a trente et quelques années que j’ai commencé à recevoir par la prédication de la croix une impression profonde de la grâce. Le désir d’amener des âmes à Jésus s'est emparé de mon cœur, qui n’a plus voulu que l'Agneau. Je n’ai pas toujours, il est vrai, pris la même voie pour arriver à Lui. Ainsi à Halle, j’allais à Lui tout uniment ; à Wittenberg, par la morale ; à Dresde, par la philosophie ; plus tard en cherchant à marcher sur ses traces. Ce n’est que plus tard encore, depuis le bienheureux établissement de la communauté d’Herrnhut que je suis allé à Lui par la simple doctrine de ses souffrances et de sa mort.
J’ai toujours agi uniquement pour l’amour de Jésus et sans aucune arrière-pensée...
J’ai le plan d’amener autant d’âmes que je pourrai à la connaissance du péché et de la grâce... J’avais enfin le plan de réunir aussi tous les enfants de Dieu qui sont maintenant séparés les uns des autres, et je l'ai poursuivi sans interruption de 1717 à 1739 ; mais maintenant j’y renonce, car non seulement je vois que je n’aboutis à rien, mais je commence à remarquer qu’il y a là un mystère de la Providence divine.
ZINZENDORF
Lettre écrite de Bâle en 1740,
citée par F. BOVET,
Zinzendorf VI, 31.
2. LE GRAND RÉVEIL EN NOUVELLE-ANGLETERRE
Le principal artisan de ce réveil fut le pasteur Jonathan Edwards (1703-1758). Il avait l’esprit philosophique ; c’était un calviniste rigide, d’une logique implacable. Il divisait ses sermons en deux parties, exposition et application, et les lisait sans éclats de voix, sans gestes, sans aucun effet de rhétorique, mais avec une grande profondeur de conviction.
1727 Tout jeune, il fut nommé pasteur dans la paroisse congrégationnaliste de Northampton. Les mœurs y étaient frivoles et relâchées. Edwards se mit à prêcher le jugement de Dieu et la grâce souveraine. Bientôt quelques personnes furent converties, et la ville entière en fut remuée. On ne parlait que des choses de Dieu. Dans les réunions, les gens s’évanouissaient, poussaient des cris de terreur ou de joie. Sans encourager ces manifestations, Edwards ne les empêchait pas. Le mouvement, commencé en 1734, se prolongea pendant plusieurs années, et se répandit dans toute la Nouvelle-Angleterre, avec la collaboration de Whitefield. On compte qu’environ un cinquième de la population passa à ce moment par la conversion.
Chose étrange, après 23 ans de ministère, Edwards fut destitué par son Eglise, parce qu’il ne voulait pas admettre des inconvertis à la Sainte-Cène. Il mourut quelques années après.
Les principaux ouvrages d’Edwards sont le Traité du Libre-Arbitre (contre les Arminiens), Le Traité du péché originel, la Dissertation sur la Nature de la vraie Vertu, la Narration des Conversions où il raconte les péripéties du Réveil ; plusieurs Sermons.
3. LE RÉVEIL MÉTHODISTE
1. Jeunesse de Wesley. Au moment où naquit John Wesley (1703-1791), l’Angleterre avait sombré dans le déisme. Né à Epworth, il fit ses études à Oxford où, avec quelques camarades, il chercha le salut dans la voie du ritualisme, du mysticisme et de l’ascétisme. Par dérision, le club fut appelé « méthodiste ». Toujours inquiet, il alla en Géorgie pour évangéliser les Indiens, les Noirs, les bagnards de cette colonie. Il espérait trouver le salut en le prêchant aux autres. Découragé, il rentra en Angleterre, et se mit à fréquenter les réunions moraves de Londres. C’est là qu’il se convertit, le 24 mai 1738 en entendant lire la préface de Luther de l’épître aux Romains.
2. Histoire du réveil. Immédiatement, il se mit à prêcher l’Evangile, avec son frère Charles et son ami Whitefield qui s’était converti un peu auparavant. Ce dernier commença à prêcher en plein air dans les environs de Bristol ; et après quelques hésitations, Wesley suivit son exemple. Ils rassemblèrent des foules de plusieurs milliers (parfois 20 000 personnes) qui, devant la puissance du message, tombaient à terre, imploraient le salut à grands cris et ensuite louaient Dieu pour son pardon. Wesley groupa les convertis en sociétés subdivisées en classes, qui se réunissaient pendant la semaine pour l’édification mutuelle, sous la direction d’un conducteur laïque.
Pendant cinquante ans, Wesley parcourut l’Angleterre en tous sens, prêchant le réveil. Il était infatigable ; il a probablement prêché 40 000 sermons. Son Journal est une longue suite d’expériences extraordinaires. Il attachait une grande importance à l’expérience de la vie sainte, comme conséquence de la justification. Les difficultés ne manquaient d’ailleurs pas. Tantôt il devait réprimer des extravagances perfectionnistes ou antinomiennes que son esprit sobre et logique désapprouvait, tantôt il se heurtait à l’hostilité du clergé. De plus, il était très mal marié. Mais sa foi triomphait de tous les obstacles, et l’œuvre ne cessait de s’étendre et de s’approfondir. Il eut la joie de voir les convertis faire des progrès réjouissants dans le domaine de la sanctification sur laquelle il insistait fortement.1763
3.Whitefield (1714-1770). Wesley s’était séparé de son ami Whitefield, parce que celui-ci insistait sur la prédestination que Wesley niait. Ils restèrent d’ailleurs en bons termes jusqu’au bout. Whitefield a collaboré au réveil anglais comme au réveil américain. Il avait une voix formidable, le geste entraînant, un don d’émotion qui fondait le cœur des auditeurs. Il n’avait pas le talent d’organisation de Wesley, et les Eglises Méthodistes Calvinistes qu’il fonda au Pays de Galles ne connurent pas l’essor des Eglises wesleyennes.
4. Organisation des Eglises méthodistes. Wesley n’avait nullement le désir de fonder une Eglise dissidente. Cependant en 1784, il se décida à organiser en Amérique une Eglise épiscopale distincte de l’Eglise anglicane qui était mal vue des Américains pour des raisons politiques. En Angleterre, la même année, il donna à la Conférence annuelle des sociétés méthodistes une constitution légale, en marge de l’Eglise établie. Quelques années après, il s’éteignit, à l’âge de 88 ans, actif jusqu’aux dernières semaines de sa vie. Son frère Charles, célèbre par ses cantiques, était mort un peu auparavant. Après la mort de Wesley, les sociétés méthodistes s’érigèrent en Eglises dissidentes.
Le réveil méthodiste a bouleversé l’Angleterre. Jusque-là la piété n’avait guère été répandue. Dès lors, les Anglais joueront un rôle considérable dans la chrétienté. La doctrine wesleyenne de la sainteté, quoiqu’exprimée en des termes qui pouvaient prêter à confusion, mettait utilement l’accent sur un sujet qui avait été trop souvent laissé dans l’ombre.
La conversion de Wesley.
Le mercredi 24 mai 1738, vers cinq heures du matin, j'ouvris mon Nouveau Testament à ces paroles : « Nous avons reçu les grandes et précieuses promesses, afin que, par leur moyen, nous devenions participants de la nature divine. »
Dans la soirée, je me rendis à contre-cœur à une petite réunion dans Aldersgate-street, où j’entendis lire l’introduction de Luther à l’Epître aux Romains. Vers neuf heures moins un quart, en entendant la description qu'il fait du changement que Dieu opère dans le cœur par la foi en Christ, je sentis que mon cœur se réchauffait étrangement. Je sentis que je me confiais en Christ, en Christ seul pour mon salut ; et je reçus l’assurance qu’il avait ôté mes péchés, et qu’il me sauvait de la loi du péché et de la mort.
Je me mis alors à prier de toutes mes forces pour ceux qui m’avaient le plus outragé et persécuté. Puis je rendis témoignage ouvertement, devant les personnes présentes, de ce que j’éprouvais en mon cœur pour la première fois.
WESLEY
Journal — 24 mai 1738. Traduit par LELIÈVRE.
Le réveil méthodiste.
Je me suis senti tout pénétré par le sentiment de la grandeur merveilleuse de l'œuvre que Dieu a accomplie en Angleterre pendant ces dernières années, et, sous l’impression de ces pensées, j’ai prêché sur ce texte : « Il n'a pas fait ainsi à toutes les nations » (Psaume 147, 20). En effet, nulle part, ni en Ecosse ni dans la Nouvelle-Angleterre, Dieu n'a manifesté son bras d’une manière aussi étonnante. La chose paraîtra évidente à quiconque voudra considérer impartialement : 1° le nombre des personnes qui ont été réformées ; 2° la rapidité de l'œuvre chez plusieurs qui ont été convaincus de péché et convertis en quelques jours ; 3° sa profondeur chez la plupart des personnes, dont elle a changé le cœur aussi bien que toute la conduite ; 4° sa clarté, qui permet aux âmes de s'écrier : « Tu m’as aimé et tu t’es donné toi-même pour moi ; 5° enfin, sa continuité. En Ecosse et dans la Nouvelle-Angleterre, des réveils ont éclaté à diverses reprises et ont duré quelques semaines ou quelques mois, tandis que le mouvement méthodiste dure depuis dix-huit ans environ, et cela sans interruption appréciable. Et, par-dessus tout qu’on veuille bien remarquer ceci : que, tandis que le clergé régulier a pris une large part dans les réveils de l’Ecosse et de la Nouvelle-Angleterre, c'est à peine si chez nous deux ou trois ecclésiastiques sans importance se sont associés au réveil, avec quelques jeunes gens illettrés ; quant à la masse du clergé et des laïques, elle s'y est opposée de toutes ses forces. Celui qui prendra la peine d’y réfléchir reconnaîtra que c’est bien là une œuvre de Dieu, et qu'en réalité «il n’a pas fait ainsi à toutes les nations ».
WESLEY
Journal — 16 juin 1755.
Traduit par LELIÈVRE.
CONCLUSION
1. Faillite du rationalisme. Au moment où le rationalisme était battu en brèche par le réveil, il commençait à s’effondrer intérieurement. Rousseau remettait en honneur le sentiment, qui se moque parfois de la froide raison. Un philosophe allemand, Kant (1724-1804), rabaissait l’orgueil rationaliste, en démontrant, dans sa Critique de la Raison pure, que nous ne pouvons connaître que les apparences des choses, non leur nature réelle. Dans sa Critique de la Raison pratique, il proclamait les devoirs de la conscience, ce qu’il appelle « l’impératif catégorique », et déclarait que pour obéir à cette loi morale intérieure, nous avons besoin du secours de Dieu. Le système kantien est anthropocentrique, c’est-à-dire qu’il part des besoins psychologiques de l’homme, et non de la révélation de Dieu. Pendant un siècle et demi, cet anthropocentrisme a dominé la théologie allemande. Il est très différent du christianisme orthodoxe, mais il en est cependant plus près que le rationalisme du XVIIIe siècle. Aussi, au début du XIXe siècle, allons-nous assister à un renouveau de la foi chrétienne, qui résultera à la fois de la faillite intérieure du rationalisme, et du réveil religieux.
Extrait de la « Profession de foi du Vicaire savoyard ».
Je vous avoue aussi que la majesté des Ecritures m'étonne, la sainteté de l'Evangile parle à mon cœur. Voyez les livres des philosophes avec toute leur pompe ; qu’ils sont petits près de celui-là ! Se peut-il qu’un livre à la fois si sublime et si simple soit l’ouvrage des hommes ? Se peut-il que celui dont il fait l'histoire ne soit qu’un homme lui-même ? Quelle douceur, quelle pureté dans ses mœurs ! quelle grâce touchante dans ses instructions ! quelle élévation dans ses maximes ! quelle profonde sagesse dans ses discours ! quelle présence d'esprit, quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses ! quel empire sur ses passions ! où est l'homme, où est le sage qui sait agir, souffrir et mourir sans faiblesse et sans ostentation ?... Quels préjugés, quel aveuglement ne faut-il point avoir pour oser comparer le fils de Sophronisque au fils de Marie ? Quelle distance de l’un à l’autre ! Socrate, mourant sans douleur, sans ignominie, soutint aisément jusqu’au bout son personnage ; et si cette facile mort n'eût honoré sa vie, on douterait si Socrate, avec tout son esprit, fut autre chose qu’un sophiste... La mort de Socrate, philosophant tranquillement avec ses amis, est la plus douce qu’on puisse désirer ; celle de Jésus expirant dans les tourments, injurié, raillé, maudit de tout un peuple, est la plus horrible qu’on puisse craindre. Socrate prenant la coupe empoisonnée bénit celui qui la lui présente et qui pleure ; Jésus, au milieu d’un supplice affreux, prie pour ses bourreaux acharnés. Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu... Dirons-nous que l’histoire de l’Evangile est inventée à plaisir ? Mon ami, ce n'est pas ainsi que l’on invente ; et les faits de Socrate, dont personne ne doute, sont moins attestés que ceux de Jésus-Christ. Au fond, c'est reculer la difficulté sans la détruire ; il serait plus inconcevable que plusieurs hommes d’accord eussent fabriqué ce livre, qu'il ne l’est qu’un seul en ait fourni le sujet. Jamais des auteurs juifs n’eussent trouvé ni ce ton, ni cette morale ; et l’Evangile a des caractères de vérité si grands, si frappants, si parfaitement inimitables, que l'inventeur en serait plus étonnant que le héros. Avec tout cela, ce même Evangile est plein de choses incroyables, de choses qui répugnent à la raison, et qu’il est impossible à tout homme sensé de concevoir ni d’admettre. Que faire au milieu de toutes ces contradictions ? Etre toujours modeste et circonspect ; .. respecter en silence ce qu’on ne saurait ni rejeter ni comprendre, et s’humilier devant le grand Etre qui seul sait la vérité.
Voilà le scepticisme involontaire où je suis resté ; mais ce scepticisme ne m’est nullement pénible... Je sers Dieu dans la simplicité de mon cœur ; je ne cherche à savoir que ce qui importe à ma conduite. Quant aux dogmes qui n'influent ni sur les actions ni sur la morale, je ne m’en mets nullement en peine. Je regarde toutes les religions particulières comme autant d’institutions salutaires... Je les crois toutes bonnes quand on y sert Dieu convenablement. Le culte essentiel est celui du cœur. Dieu n'en rejette point l'hommage quand il est sincère, sous quelque forme qu’il lui soit offert.
JJ. ROUSSEAU, Emile, Livre IV.
2. Résumé chronologique. Nous distinguons trois phases dans l’histoire de ce siècle.
1685-1715 Fin du règne de Louis XIV. Bayle. Déistes anglais. Réveil piétiste, Spener, Francke.
1715-1750 Début de Louis XV. Antoine Court. Atténuation et recrudescence momentanée des persécutions. Abbadie. Saurin. Bach. Haendel. Bengel. Réveil morave. Grand réveil en Amérique. Début du réveil méthodiste. Rédemptoristes.
1750-1792 Fin de Louis XV. Louis XVI. Rationalistes français : Voltaire, Rousseau. Encyclopédie. Fin des persécutions. Edits de tolérance de Joseph II et de Louis XVI. Suppression des jésuites. Swedenborg. Universalistes. Unitaires. Kant. Organisation du méthodisme. Révolution française.