Page 10 - La Postérité du Serpent
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nature, de l'hostilité primitive du monde auquel on se sent tout à coup

               étranger. Ou encore de l'idée que tous les jours d'une vie sans éclat

               sont stupidement subordonnés au lendemain, alors que le temps qui

               conduit à l'anéantissement de nos efforts est notre pire ennemi. Enfin,

               c'est surtout la certitude de la mort, ce «côté élémentaire et définitif de

               l'aventure»  qui  nous  en  révèle  l'absurdité.  En  fait,  ce  n'est  pas  le

               monde  qui  est  absurde  mais  la  confrontation  de  son  caractère

               irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus

               profond de l'homme. Ainsi l'absurde n'est ni dans l'homme ni dans le

               monde, mais dans leur présence commune. Il naît de leur antinomie. «

               Il est pour le moment leur seul lien. Il les scelle l'un à l'autre comme la

               haine seule peut river les êtres.»


               Comment les absurdités modernes se manifestent-elles ?  Elles se

               présentent dans les pensées, les paroles, les comportements, les idées

               et raisonnements,   les imaginations,  les cultures. «Aberration,

               absurde, bêtise, contradiction,  contresens, déraison,  énormité,

               extravagance, folie, illogisme, imagination, impertinence, incohérence,

               incongruité,         inconséquence,            ineptie,      insanité,        irrationalité,

               loufoquerie, moquerie,  niaiserie, non-sens, saugrenuité, sottise,

               stupidité», sont tous des termes ou synonymes pour en décrire le sens.

               Dans «l'Histoire du merveilleux dans les temps modernes» 1880, Louis

               Figuier nous en présente une certaine image: «Étant amenés dans le

               temple  des  immortels, les deux  époux furent  avertis  qu'on allait les

               admettre aux divins  mystères.  Là,  un  homme, revêtu d'un long

               manteau, prit le premier la parole et dit: «Sachez que le grand secret

               de notre art est de gouverner les hommes, et que l'unique moyen est
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