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EUSÈBE DE CÉSARÉE
Préparation évangélique LIVRE XΙI
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
EUSÈBELA PRÉPARATION ÉVANGÉLIQUE
LIVRE DOUZIÈME
CHAPITRE IerTIRÉ DU PREMIER LIVRE DES LOIS DE PLATON POUR PROUVER QUE LES ENFANTS DES HÉBREUX AVAIENT RAISON D’ENSEIGNER UNE FOI EXEMPTE DE TOUTES LES RECHERCHES DES SCIENCES A CEUX QU’ILS INSTRUISAIENT (DANS LEUR RELIGION), A CAUSE DE L’IMPERFECTION DE CES MÊMES SCIENCES
« Le douzième livre de la Préparation Evangélique destiné à compléter ce qui manquait au précédent en citations prises çà et là dans Platon pour prouver l’accord des doctrines avec les oracles des Hébreux, fera d’abord retentir les sons harmonieux de sa lyre pour nous justifier du reproche qui nous est adressé par tant de personnes sur notre foi. « Nous réserverons pour un autre entretien la question de savoir si c'est avec raison ou non qu'on fait ce reproche aux gouvernements de Sparte et de Crète, quoique j'aie, peut-être plus qu'aucun de vous deux, les notions nécessaires pour connaître ce qu'en disent les gens du vulgaire; car si dans vos lois il en est une qui ait le mérite d'une véritable convenance, ce sera sans doute celle par laquelle il est défendu aux jeunes gens de se permettre aucune investigation pour juger si les fois sont bien ou mal faites, quand tous, d'une voix et d'une acclamation unanime, doivent affirmer qu'il n'est rien en elles qui ne soit bien entendu, puisqu'elles ont été données par des Dieux; et si quelqu'un des jeunes gens parlait autrement, on ne devrait nullement souffrir que ses discours fussent écoutés. Quant aux vieillards s'il en est parmi vous qui aient médité sur leur dispositif, ils peuvent confier, leurs observations l'un magistrat de leur âge, mais hors de la présence de tout homme encore jeune. « Ce que vous prescrivez là, ô étranger, est de la plus parfaite raison. » L'écriture des Hébreux l’avait devancé avec· beaucoup de convenance lorsque, faisant précéder par la foi toutes les études théoriques des saintes écritures, elle dit : « Si vous n'avez la foi, vous n'aurez pas l'intelligence[1] ; » puis : « J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé.[2] » C’est de là que dérive cet usage établi parmi nous, de ne permettre qu'une lecture plus superficielle des saintes écritures aux néophytes dont le caractère n'est pas encore formé; et ce n'est encore qu'après qu'ils ont été pénétrés d'une foi sincère, que les paroles et les exhortations qu'on leur adresse sortent de la bouche de Dieu. Nous ne concédons le droit d'en approfondir et d'en discuter l’esprit qu'à ceux dont le caractère est mûri et qui ont de là blanchi dans l'étude. Les Hébreux se plaisent à désigner ces hommes privilégiés sous le nom de Deutérotes, comme étant traducteurs, interprètes du sens des Ecritures.
CHAPITRE II.LA FOI, D’APRÈS PLATON, EST LA PLUS BELLE DE TOUTES LES VERTUS.
« Nous dirions donc ensuite à Tyrthée, qu’il semble que vous cherchez vos éloges les plus flatteurs pour ceux qui se distinguent en combattant les ennemis de la patrie. Dirait-il comme vous ? Partagerait-il votre sentiment ? Pourquoi non ?.... Mais pour nous, tout en reconnaissant le prix de la valeur guerrière, nous ne craignons pas de placer bien au-dessus le mérite de ceux qui font éclater un grand courage dans une guerre beaucoup plus importante : témoin Théognis, poète de Mégare en Sicile, qui dit : « L’homme dont la fidélité n’est point ébranlée par une dissension violente, mérite, ô Cydnus ! d’être apprécié au poids de l’or et de l’argent. » Nous pouvons dire, en quelque sorte, que celui-ci, dans une guerre si difficile, l’emporte autant sur le premier que la justice l’emporte sur les autres vertus, quand elle se joint à la prudence et au courage ; car il est impossible que l’homme reste fidèle et inébranlable, s’il n’est fortifié par toutes les vertus. Ceux au contraire, qui marchent contre l’ennemi, qui combattent avec intrépidité, qui veulent mourir sur le champ de bataille, comme parle Tyrthée, ceux-là, pour la plupart, ne sont que des mercenaires, des hommes arrogants, injustes, grossiers ; enfin si l’on en excepte quelques-uns, ils sont les plus imprudents des hommes. » A quoi donc tend ce discours ? Que veut dire celui qui parle ainsi ? Que quiconque établit des lois au nom de Jupiter, que tous ceux mêmes qui veulent se rendre utiles à la société, doivent se laisser inspirer, en rédigeant leurs lois, par la plus belle des vertus ; et cette vertu, suivant Théognis, c’est la fidélité dans les temps difficiles. De même notre Sauveur, associant la prudence à la foi, glorifie ceux dont l’âme est ornée par ces deux vertus : « Quel pensez-vous être le serviteur fidèle et prudent ?[3] Et ailleurs : « Courage, bon et fidèle serviteur, parce que vous avez été fidèle en de petites choses, je vous établirai sur de plus grandes.[4] » Nous devons comprendre par là que Dieu n’admet pas une foi irréfléchie (ἄλογον), mais celle-là seulement qui est appuyée sur les plus nobles vertus, sur la justice et la probité.
CHAPITRE III.NOUS DEVONS AJOUTER FOI A CE QUI NOUS EST ENSEIGNÉ AU SUJET DE L’ÂME ET AUX AUTRE DOGMES DU MÊME GENRE (Extrait du onzième livre du Traité des Lois)
« Il me semble que, dans nos discussions précédentes, nous avons établi fort à propos, que les âmes, séparées par la mort des corps auxquels elles étaient unies, ne cessent pas de s’occuper des choses humaines. Les preuves que l’on donne sont certaines ; mais elles exigent un trop long développement. Contentons-nous d’admettre sur ce point l’opinion la plus ancienne et la plus générale ; nous devons aussi ajouter foi à la parole des législateurs, à moins qu’ils n’aient donné des preuves trop évidentes de leur ignorance et de leur folie. » On lit dans le livre des Macchabées que le prophète Jérémie apparut après sa mort, priant pour le peuple, comme prenant son intérêt réel aux hommes encore sur la terre. Or, Platon dit que l’on doit ajoutera foi à ces traditions.
CHAPITRE IV.QU'IL CONVIENDRA DE DONNER LES PREMIÈRES INSTRUCTIONS AUX ENFANTS, SOUS LA FORME DE FABLES.[5]
« Il y a une double espèce de langage, le véridique et le mensonger : « Oui. « On doit donner des instructions dans l’un et dans l'autre, et d'abord dans le mensonger. « Je ne puis concevoir : répliqua-t-il, comment vous dites cela. « Vous ne concevez pas, lui dis-je, qu'on commence à instruire les enfants en leur racontant des fables. « Cela est vrai, pris dans son ensemble; mais ces fables réunissent la vérité au mensonge. « Mais d’abord nous usons de fables envers les enfants avant de les envoyer au gymnase. « Cela est vrai. » Ces paroles sont de Platon. Et chez les Hébreux, c’est un usage établi de raconter aux enfants les histoires tirées des Saintes écritures et de leur inculquer dans l'âme, à la manière la plus simple, des fables; tandis que pour ceux qui ont déjà fortifié leur intelligence par l'étude, on les fait pénétrer dans la profondeur des paroles et dans les théories du dogme, au moyen de ce qu'on nomme le Deutérosis (second enseignement), en leur développant le sens caché qui échappe à la conception du vulgaire.
CHAPITRE V.QU’ON NE DOIT POINT COMMUNIQUER AUX ENFANTS DES FABLES PERNICIEUSES, MAIS SEULEMENT CELLES QUI PEUVENT LEUR ÊTRE UTILES.[6]
« Vous savez donc que le commencement de toute entreprise en est la plus grande part (2), surtout lorsqu'il s'agit d'un enfant tendre et délicat. C'est en effet, principalement alors, que cette pâte se pétrit et revêtit les formes qu'on veut lui imprimer. « Assurément il en est ainsi. « Permettrons-nous donc qu'on puisse aisément leur faire, entendre des fables triviales, composées n'importa par quels hommes, et qu'on fasse ainsi pénétrer dans leurs âmes, le plus souvent, des sentiments contraires à ceux qu'ils devront avoir, selon nous, après être parvenus à la maturité. « Nous ne le permettrons en aucune, manière. « Nous les remettrons donc d'abord dans les mains des fabulistes, en faisant le discernement de ceux qui composent des bonnes fables, et en écartant ceux qui en composent de mauvaises. Nous engagerons les nourrices et les mères à adopter les premières, à former encore plus leurs âmes pur ces fables, que leurs corps par les soins manuels; par conséquent, elles repousseront la plus grande partie des fables qu'elles leur racontent maintenant. » Ces mêmes conseils avaient été donnés avant Platon, par les Hébreux, lesquels, en possession de l'esprit divin qui sait discerner les esprits, appréciaient ce qui était bien dit et bien écrit comme procédant de l'Esprit saint. Ce qui n'était pas, dans ces conditions, ils le repoussaient comme proféré par de faux prophètes; et les parents aussi bien que les nourrices n'avaient l'habitude de chanter aux très jeunes enfants, à la manière des mythologies, que les récits les plus utiles tirés des divines écritures, pour les préparer de bonne, heure à la piété, qu'ils devront pratiquer dans l'âge viril.
CHAPITRE VI.QUE PLATON NE BORNE PAS LA FOI A LA SIMPLE PROFESSION, MAIS QU’IL DÉCLARE QUE NOTRE FOI ET NOTRE CONVICTION DOIVENT SE MANIFESTER PAR TOUTE SORTE DE MANIÈRE, EN QUOI NOUS SOMMES D’ACCORD AVEC LUI.[7]
« Ecoutez donc, disaient-ils, ce qu'on rapporte. C’est un beau récit que vous prendrez pour une fable, à ce que je suppose; mais que je tiens pour véridique. C'est donc comme tel que je vais dire ce que vous allez entendre. » Puis, après quelques autres choses, il continue : « Celui qui a passé justement et saintement sa vie, après sa mort, s'en allait dans les îles fortunées, pour y habiter dans une complète félicité, exempt de tous maux. Celui, au contraire, qui avait vécu dans l'injustice et le mépris des dieux, allait dans la prison de la vengeance et de la justice, que l’on nomme Tartare. » Puis encore, après un intervalle : « Ensuite, on doit les juger dépouillés de toutes ces choses, car les morts doivent être jugés, et le juge est nu lui-même étant mort; en sorte que c'est par l’âme qu'il considère l'âme même de chaque mort, aussitôt qu'il a quitté la vie, dans l'éloignement de tous ses parents, et ayant laissé sur la terre tout ce qui servait à l'orner, de manière à ce que la sentence soit équitable. » Il ajoute à la suite : « Voilà, ô Calliclès, les choses que j'ai entendues et que je crois véritables ; et je tire cette conséquence de ce récit, que la mort n'étant, comme je me le figure, que la dissolution de l'union des deux substances, l'âme et le corps, lorsqu'elles se sont séparées, chacune conserve néanmoins son caractère distinctif tel qu'elle le possédait du vivant de l'homme : le corps, avec sa stature, son maintien, ses infirmités évidentes ; en sorte que si le corps d'un sujet quelconque était grand pendant sa vie soit par nature, soit par l'effet de l'éducation, ou par ces deux causes réunies, son cadavre sera grand ; s'il était gros, comme mort il sera gros, et ainsi du reste ; s'il était soigneux de sa chevelure, ce mort sera également chevelu ; s'il était battu de verges et qu'il eût contracté des traces et des cicatrices de ces coups, ou provenant d'autres blessures lorsqu'il vivait, son corps, après la mort, en reproduira les marques; s'il a eu les membres fracturés ou luxés de son vivant, il sera de même après sa mort. Enfin tel qu'était son corps, tels après sa mort se représenteront, totalement ou partiellement, les signes particuliers de cette existence antécédente, pendant un certain temps. Eh bien! la même chose me paraît devoir s'appliquer à l’âme, ô Calliclès. Après qu'elle a été dépouillée du corps qui l'enveloppait, elle doit montrer tous les signes distinctifs de sa nature, et les passions qui, dans l'homme vivant, agitaient son âme, à raison des soins qu'il apportait à chacune des deux substances qui le constituaient. Après être arrivée devant le juge, les habitants de l'Asie comparaissent devant Rhadamanthe : Rhadamanthe les ayant placés en sa présence, examine l'âme de chacun sans savoir à qui elle appartient, et souvent ayant pris celle du grand roi, ou d'un autre roi ou souverain quelconque, il découvre qu'il n'a rien de sain dans l'âme, mais qu'elle est toute meurtrie, cicatrisée par les parjures, les injustices dont chaque acte répété a laissé son empreinte en elle : tout y est contourné par le mensonge et l'arrogance ; la rectitude en est exclue, n'ayant jamais été nourrie de vérités. Il voit cette âme écrasée sous le poids de la licence, du luxe, de l'insolence, de l'intempérance, du désordre, et de la bassesse dans la conduite ; l'ayant vue, il la renvoie honteusement et directement à la prison, où elle doit subir les tourments qu'elle a méritée. De même qu'un condamné justement châtié par un autre homme, a la possibilité de s'amender et d'en tirer avantage, ou bien il sert d'exemple, de manière que ceux qui le voient endurer les souffrances qui lui sont infligées, deviennent meilleurs par crainte; ainsi, parmi ceux qui sont punis par les dieux, comme parmi ceux qui sont punis par les hommes, il en est qui peuvent tirer avantage de leurs souffrances ; ce sont ceux dont les fautes ne sont pas incurables. Et l'avantage qu'ils recueillent de leurs tortures et de leurs douleurs est égal ici et dans l'enfer; car il n'existe pas un autre mode de se délivrer de l'injustice. Mais pour ceux qui ont commis les crimes les plus révoltants et qui, par leur perpétration, sont devenus incurables, ceux-là servent d'exemples, et si, pour leur compte, ils ne tirent aucun profit de leurs peines, étant incurables, au moins les autres, en les voyant, en profitent par le spectacle des tourments cruels et terribles qu’ils doivent supporter éternellement à cause de leurs forfaits. Ce sont évidemment des exemples présentés là dans la prison des enfers pour tous les coupables qui y arrivent, afin de leur servir d’enseignement et je soutiens qu'Archélaüs doit en faire partie, si ce que Polus en dit est réel, aussi bien que tout autre tyran de son espèce. J'ai l'opinion, que la plupart de ceux qui sont donnés ainsi en exemples sont pris des tyrans, des rois, des souverains, et de tous ceux, qui gèrent les affaires publiques des empires· ; car, par la licence sans borne dont ils jouissent ils se portent aux excès les plus révoltants; et Homère confirme ma pensée lorsqu'il célèbre dans ses poèmes des coupables atteints dans l’enfer de peines éternelles ; ce sont des rois et des souverains tels que Tantale, Sisyphe et Tityus quant à Thersite, et s'il y a quelque autre misérable sorti des classes inférieurs, aucun poète ne les a chantés comme incurables et soumis aux plus grands châtiments. La raison m’en semble venir de ce qu'il ne pouvait pas tout oser: ce en quoi il était plus heureux que ceux à qui tout était permis. « Mais, ô mon cher Calliclès, si les hommes les plus pervers sortent de ceux qui ont la puissance, rien n’empêche cependant qu'on ne trouve parmi ceux-ci des hommes vertueux, qui méritent par leur conduite que nous les admirions davantage. Il est difficile, en effet, ô Calliclès, et c'est un grand sujet d'éloges de vivre suivant les règles de l'équité lorsqu'on jouit d'une liberté illimitée pour commettre l’injustice et il est peu d'hommes qui se soient montrés tels ; tandis que (3), si en Grèce et ailleurs de pareils hommes ont existé (et je crois qu'il y aura encore d'autres administrateurs qui auront la vertu de manier avec intégrité les trésors qui leur seront confiés), un seul entre tous les Grecs, Aristide, fils de Lysimaque, jouit à cet égard d'une estime universelle, et la plus grande partie des hommes d’état ont été vicieux. « J'en reviens à ce que je disais des juges. Lorsque Rhadamanthe a pris quelqu’un, il ne sait rien d’autre de lui, ni qui il est, ni de quels parents il sort, il sait seulement qu’il est méchant et lorsqu'il a acquis cette certitude, il l'envoie dans le Tartare en lui appliquant une marque qui indique s'il est capable de guérir ou s'il est incurable : étant arrivé où il doit aller, il y subit la peine appropriée à sa faute. Quelquefois voyant qu'une autre âme a vécu saintement et dans la vérité, soit l'âme d'un homme du peuple ou tout autre, surtout comme je vous l'ai dit, ô Calliclès, l'âme d'un philosophe, qui se borne à régler ses propres affaires et qui prend peu de souci des choses de la vie, il l'admire et l'envoie dans les îles fortunées. Æaque, qui est le second juge, en agit de même ; il tient un sceptre en main en jugeant. Puis Minos est assis au-dessus d'eux, surveillant ce qui se passe ; il a seul un sceptre d'or, tel qu'Ulysse, dans Homère, déclare l'avoir vu, tenant un sceptre d'or et jugeant les morts. « Quant à moi, ô Calliclès, je suis persuadé de l'exactitude de ces récits, et je m'étudie à comparaître devant le juge, ayant l'âme la plus saine qu'il soit possible. Ayant donc dit un éternel adieu aux honneurs que les hommes recherchent, unique ment adonné à la pratique de la vérité, je m'efforce, de mon mieux, à vivre, et lorsque je devrai mourir, à mourir le plus vertueusement que je pourrai. J'exhorte donc tous les autres hommes, autant que je le puis, et vous nommément, je vous engage, par représailles, à vous exercer pendant que vous vivez à ce combat que je mets au-dessus de toutes les luttes, quelles qu'elles soient, et je vous blâme d'être obligé de vous dire que vous serez incapable de vous aider vous-même, lorsque la justice et le jugement dont je viens de parler vous atteindront ; mais venant devant ce juge, qui est fils d'Æaque, lorsqu'il vous saisira et vous fera marcher, vous éprouverez des tiraillements et des vertiges étant là-bas, tout aussi bien que je le fais ici. Qui sait s'il ne vous frappera pas ignominieusement sur la face en y joignant l'invective ? Il se peut que tout cela vous apparaisse comme le récit d'une fable que vous ferait une vieille femme, et que vous n'en marquiez que du mépris ; et certes, je ne trouverais pas étonnant qu'on écoutât ces récits avec mépris, si nous pouvions découvrir quelque chose de meilleur et de plus véritable à y substituer ; mais maintenant, vous voyez que vous trois, ici présents, qui êtes les plus sages de tous les Grecs, vous Polus, et vous Gorgias, vous ne pouvez pas me prouver qu'il faille mener une autre vie que celle que j'indique, pour qu'elle vous soit utile, quand vous serez là-bas. Mais parmi tant de discours, après avoir réfuté tous les autres, il n'y a que cette proposition qui soit restée inébranlable; qu'on doit plutôt se préserver de commettre l'injustice que d'en être victime; et que ce qu'un homme doit, sur toutes choses, se proposer pour étude, c'est non pas de paraître, mais d'être réellement honnête, dans la vie privée comme dans la vie publique. » Platon supposait qu'Æaque, Minos, et Rhadamanthe seraient les juges des morts ; mais le Verbe divin est le garant de la nécessité où seront tous les hommes de comparaître devant le tribunal de Dieu, afin que chacun y reçoive soit le bien soit le mal, en raison de ce qu'il a fait, étant dans le corps.[8] » Puis encore : « Dans le jour, dit-il, quand Dieu jugera les choses cachées des hommes; lui qui rendra à chacun suivant ses œuvres, accordant aux uns, qui ont suivi persévéramment la gloire, l'honneur et l'indestructibilité; la vie éternelle aux autres, qui par esprit de contention, ont refusé d'ajouter foi à la vérité, qui se sont laissés entraîner à l'injustice ; l'indignation, la colère, la tribulation, l'angoisse, sur toute âme d'homme ayant fait le mal ; le Juif d'abord, puis, le Grec, car il n'y a pas en Dieu d'acception de personne.[9]· »
CHAPITRE VII.QUE L'ON NE DOIT PAS COMMUNIQUER A TOUTE ESPÈCE DE PERSONNES LES DOGMES LES PLUS ESSENTIELS DE LA VÉRITÉ.[10]
« Evitez surtout que ces paroles ne vous échappent devant des hommes sans éducation, car autant que je puis le croire, il n'est aucune de toutes celles qu'ils pourraient entendre, qui leur parussent plus ridicules; tandis que, pour les esprits généreux, il serait difficile de leur en faire entendre qui excitassent plus leur admiration et leur enthousiasme. Ce n'est qu'après avoir été souvent dites et toujours écoutées, et après bien des années qu'elles deviendront comme l'or qui ne se purifie qu'à force de métallurgie. » Parmi nous, le Verbe Sauveur a dit : « Ne donnez pas aux chiens les choses saintes, ne jetez pas les perles devant les pourceaux:[11] l'homme charnel ne reçoit pas les dons de l'esprit de Dieu : ils lui semblent de la folie.[12] »
CHAPITRE VIII.COMMENT PLATON VEUT QUE SOIENT LES MAGISTRATS QUE L'UN S'IMPOSE, QUE CE NE DOIVENT PAS ET A DES HOMMES DU COMMUN ET ILLETTRÉS, A MOINS QU'ILS NE FASSENT PREUVE D’UN GRAND CARACTÈRE.TIRÉ DU TROISIÈME LIVRE DES LOIS (4).
« Eh bien, je dis la même chose d'un homme pris individuellement, lorsque les bonnes pensées qui résident dans l'âme n'exercent plus aucune influence sur lui ; et que c'est, au contraire, tout ce qui leur est plus opposé, qui prévaut : alors je maintiens que là sont, de toutes les ignorances, les plus funestes, tant pour la cité que pour les citoyens. Ce ne sont pas celles de simples artisans, si toutefois vous pénétrez bien ce que je dis: d'étranger. » « Nous le pénétrons à merveille, ô mon ami, et nous y adhérons. » « Que ce soit donc un principe établi et avoué, qu'on ne doit jamais déléguer une portion quelconque d'autorité, soit en action, soit en paroles, à des citoyens qui ignorent ce que nous venons de dire, et que l'on doit flétrir du nom d'ignorants tous cens qui, fussent-ils puissants comme orateurs, n'exercent cet art que dans un but d'ostentation, et pour procurer à l'état, des succès que l'âme ambitionne avec témérité; tandis qu'on doit proclamer comme sages, ceux qui se montrent, contraires aux premiers; quand bien même, suivant le proverbe, ils ne sauraient ni lire ni nager (5) : voilà ceux auxquels on doit confier les magistratures, en qualité d'hommes sensés. Comment en effet, ô mes amis, sans cet accord (dans les principes), existerait-il une apparence de prudence? cela ne se peut. Le plus magnifique et le plus sublime de tous les accords, peut être justement appelé la plus grande sagesse ; celle que possède celui qui vit suivant la raison ; tandis que celui qui en est dépourvu, n'est qu'un dilapidateur de son patrimoine, et par conséquent, ne saurait jamais être un sauveur de la république; mais sera exactement le contraire ; car chacune de ses démarches fera ressortir son ignorance en ces matières. « Voici ce que j'ai cru devoir extraire des lois de Platon. Le même, dans le Politique, pour défendre d'apporter une trop grande recherche dans l'emploi des expressions et des phrases, s'énonce ainsi qu'il suit : « Vous avez raison, Socrate, et si vous savez vous préserver de donner une attention trop minutieuse au choix des expressions, vous vous montrerez dans la vieillesse en possession d'une plus grande richesse de prudence. »
CHAPITRE IX.QUE L'ON DOIT FUIR LES EMPLOIS PUBLICS.
L'Ecriture des Hébreux, nous présentant Moïse pour la première fois, nous le fait voir comme demandant à Dieu d'éloigner de lui le soin de conduire son peuple. Voici comme il répond à la voix divine qui l'en charge.[13] « Je vous supplie Seigneur, chargez-en un autre plus capable que moi, que vous députerez vers le peuple. » Ensuite elle nous montre Saül se cachant pour ne pas accepter la royauté, et le prophète Jérémie cherchant à se soustraire. Ecoutez maintenant en quels termes Platon appuie sur la bienséance d'un pareil refus, en disant :[14] « Il est donc évident, ô Thrasymaque, qu'il n'existe point d'art ni de magistrature qui prépare ce qui doit lui être utile ; mais ce que nous avons déjà dit depuis longtemps, elle prépare et commande ce qui doit être utile à ceux qui lui sont subordonnés; ne considérant que l'intérêt des inférieurs et non celui des supérieurs. C'est pourquoi, comme je le disais tout à l'heure, ô mon cher Thrasymaque, personne ne doit, de gaîté de cœur, s'offrir pour commander, et pour corriger les fautes des autres, en prenant le maniement des affaires ; ou bien il doit demander un salaire, parce que celui qui se propose d'exercer convenablement un art, dans les injonctions qu'il fera relativement à cet art, n'envisagera jamais l'avantage qui en résulterait pour lui, mais pour ceux à qui il commande. Telle est, à ce qu'il me semble, la raison pour laquelle une rémunération doit être assignée à ceux qui consentiront à accepter une magistrature, soit en argent, soit en honneur, ou bien une peine sera attachée au refus de la prendre. »
CHAPITRE X.DE L'HOMME JUSTE SUIVANT PLATON.
Tandis que nous apprenons par les oracles des Hébreux que les prophètes et les hommes justes chez eux ont supporté avec courage les sévices les plus violents et les outrages les plus blessants, vous apprendrez de Platon lui-même, dont j'emprunte les paroles dans le second livre de la République, sa conformité d'opinion avec les Hébreux, à cet égard. « [15]L'ayant donc ainsi défini, fixons par la pensée ce qu'est le juste en lui-même : c'est un homme simple et généreux, qui veut, suivant Eschyle (6), ne pas paraître, mais être réellement bon. Ecartons-donc tout ce qui est apparent ; si en effet, il paraît juste, aussitôt les honneurs et les dons seront offert· à celui qui semble tel. Il demeure incertain si c'est pour la justice, ou pour les dons et les honneurs, qu'il se montre ainsi qu'il le fait : dépouillons-le en conséquence de tout, excepté de la justice, et plaçons-le dans une situation diamétralement contraire à celle du précédent. Sans commettre aucune injustice, qu'il ait la réputation d'une extrême injustice, de manière à être éprouvé dans son sentiment indélébile de justice, en ce que la mauvaise réputation ne pourra pas le lui ravir, non plus que toutes les conséquences qui viennent à sa suite. Qu'il soit donc inébranlable jusqu'à la mort, passant pendant toute sa vie pour être injuste, quoiqu'il soit juste. » Après quelques autres réflexions, il continue : « Il faut bien le dire, encore que cela puisse sembler par trop féroce. Ne vous figurez pas, ô Socrate, que ce soit moi qui vous parle, mais que ce seront ceux qui vantent l'injustice bien plus que la justice : ils vous diront que le juste ainsi placé, sera battu de verges, sera torturé, sera enchaîné, sera aveuglé, qu'enfin, après avoir souffert tous les maux possibles, il sera crucifié; et il apprendra ainsi que ce n'est pas être juste qu'il faut vouloir, mais simplement le paraître. » Ce que Platon s'est contenté de dire, les justes Hébreux et leurs prophètes l'ont mis en pratique, bien avant lui, car les récits nous font connaître qu'ils ont enduré tous les tourments possibles : ceux-ci étant les plus justes, « ont été lapidés comme les plus injustes: ils ont été sciés en deux, ils sont morts par le glaive, ils ont erré couverts de peaux de brebis on de chèvres, en proie au besoin, opprimés, maltraités : ils se sont disséminés dans les déserts, dans les montagnes, dans les cavernes, dans les fissures de la terre : eux dont le monde n'était pas digne.[16] » Les apôtres de notre Sauveur, en pratiquant la plus sublime justice et la piété, ont eu aux jeux de la multitude, une réputation d'injustice qui leur attira les persécutions, dont il est à propos de les entendre eux-mêmes faire le récit. « Nous sommes devenus un spectacle pour le monde, pour les anges et pour les hommes. Jusqu'à la saison qui vient de s'écouler, nous avons souffert de la faim, de la soif, de la nudité, nous avons été souffletée, repousses, injuriés, lorsque nous bénissions, poursuivis, lorsque lions endurions, diffamés, lorsque nous exhortions, traités comme les souillures du monde.[17] » Enfin jusqu'au siècle dernier, les généreux martyrs de notre Sauveur ont souffert tout ce que Platon a énuméré de supplices dans toutes les parties de la terre habitée, pour s'être étudiés non pas à paraître, mais à être vraiment justes et pieux : car ils ont été frappés de verges, retenus dans les liens et les entraves; on leur a arraché les yeux, et enfin, après avoir éprouvé toutes ces tortures, on a fini par les mettre en croix : ce dont on chercherait vainement un exemple pareil parmi les Grecs ; en sorte qu'on serait fondé à dire que le philosophe n'a fait que prophétiser par ses paroles ce qui devait se réaliser dans ces modèles de piété et de véritable justice.
CHAPITRE XI.DU PARADIS D’APRÈS MOÏSE.
Dans le commencement de rétablissement de l'univers, nous trouvons des paroles mystérieuses de Moïse, où il nous dit que Dieu fit un paradis; et que dans ce lieu, l'homme fut séduit par la femme, qui l'avait été par le serpent. Or, maintenant écoutez comment Platon, n'ayant fait autre chose que de changer les expressions de ce récit, le reproduit sous forme d'allégorie dans son banquet. Au lieu du paradis de Dieu, il le nomme le jardin de Jupiter; au lieu du serpent et de la fourberie qu'il a mise en œuvre, il suppose que c'est la pauvreté (πενία) qui est auteur de cette séduction; au lieu du premier homme, que le conseil de Dieu (Μῆτις) et sa providence divine avait créé comme un fils nouvellement né, nous trouvons le fils du conseil, de (Μῆτις), qu'il nomme Poros (l'industrie): au lieu de dire « Lorsque l'univers fut mis en ordre, il dit : Lorsque Vénus naquit : indiquant allégoriquement l'univers, par le nom de la beauté qui y est généralement répandue. Voici enfin les termes dont il fait usage : « Lorsque Vénus naquit, les dieux se réunirent dans un banquet, et entre autres Poros, fils de la Métis, y prit place. Le festin étant terminé, Penia se présenta en mendiante, comme cela a lieu dans les réjouissances, et se tenait à la porte. Cependant, Poros s'étant enivré de nectar (car le vin était inconnu alors), il se retira dans le jardin de Jupiter pour céder à l'accablement du sommeil. Penia donc lui tendit un piège, poussée par le désir impérieux de concevoir un enfant de Poros. En effet elle s'approcha de lui et donna naissance à 'Ερως (l'Amour).[18] » C'est de cette manière que, dans toute cette fable, Platon fait une allusion constante au récit de Moïse.
CHAPITRE XII.COMMENT ON DIT QUE LA FEMME A ÉTÉ TIRÉE DE l'hOMME.
Moïse ayant dit aussi : « Adam n'avait pas d'auxiliaire qui fût de son espèce ; Dieu donc lui envoya une extase et l'endormit, puis il prit une de ses côtes et remplit sa place de chair. Alors, le Seigneur remania la côte qu'il avait prise à Adam pour qu'elle devînt une femme.[19] » Platon, sans comprendre dans quelle intention ce récit a été écrit, paraît évidemment en avoir eu connaissance. C'est dans la bouche d'Aristophane qu'il le met, lequel, à titre d'auteur comique, était en possession de dire des bouffonneries et avait peu de respect pour les choses saintes. Voici comme il le met en scène dans le Banquet. « Il faut d'abord que vous appreniez ce qu'est la nature de l'homme, ainsi que les changements qu'elle a subis. Car dans le principe, notre nature n'était pas telle que nous la voyons maintenant, mais tout autre. Premièrement, il y avait trois genres dans l'homme et non deux comme aujourd'hui, le masculin et le féminin. Il y avait en surcroit un troisième qui participait des deux autres, et dont le nom est resté lorsque la chose a disparu ; il y avait donc alors un Androgyne de nom et de fait, formé des deux autres, le mâle et la femelle. » Ensuite, ayant raillé suivant son habitude, il continue : « En disant ces mots, Jupiter coupa les hommes en deux, comme on coupe les sorbes (7) quand on veut les saler, ou comme ceux qui coupent les œufs avec des cheveux; et à mesure qu'il les coupait, il ordonnait à Apollon de tourner le visage et la moitié du col vers la section amputée, afin que l'homme, en voyant l'autre portion de lui-même, fût moins irrité ; et il lui prescrivit de cicatriser le reste.[20] »
CHAPITRE XIII.DE LA PREMIÈRE MANIÈRE DE VIVRE DES HOMMES.
Moïse ayant décrit la manière de vivre des humains créés de la terre, nous dit qu'ils habitaient le paradis de Dieu, qu'ils étaient sous sa conduite spéciale, sans usage de richesses ni de possession : la terre n'ayant pas besoin d'être ensemencée ni labourée, pour produire tout (ce qui leur était nécessaire) : ils étaient nus ; ce n'est que plus tard que les vêtements furent mis en pratique. Ecoutez maintenant le philosophe, et vous verrez s'il ne traduit pas en langue grecque, et presque de la même manière, ce que vous venez de lire. Il dit donc : « Dieu était leur pasteur, les dirigeant lui-même ; tels que maintenant, l'homme étant un animal plus rapproché de la divinité, fait à l'égard des autres races d'animaux inférieurs à lui, lorsqu'il les mène à la pâture. Tant que le Dieu fut leur pasteur, il n'y eut pas de sociétés politiques, on ne connut pas la possession des femmes et des enfants; car tous ils renaissaient de la terre, sans conserver aucune mémoire des temps antérieurs. Toutes ces choses donc leur étaient inconnues : mais ils cueillaient des fruits en abondance des arbres et de beaucoup d'autres végétaux : la terre, sans le secours de la culture, produisait tout d'elle-même. Sans vêtements et sans lit, ils couchaient dehors, passant la plus grande partie de leur vie à la garde des bestiaux. La température des diverses saisons n'avait, en effet, aucune transition qui leur fût pénible, et leur couchette était douce, sur l'épais gazon dont la terre était couverte. O Socrate ! vous entendez quelle était la vie des hommes sous Saturne. Quant à celle actuelle, qu'on dit être sous Jupiter, vous savez, par votre propre expérience, ce qu'elle est.[21] »
CHAPITRE XIV.QUE LES HOMMES ÉTAIENT EN SOCIÉTÉ AVEC LES ANIMAUX RAISONNABLES.
Moïse, continuant à décrire le paradis, dit que le serpent était la plus intelligente de toutes les bêtes ; puis il rapporte ce que le serpent dit à fa femme, ce que la femme lui répondit, et les conversations de l'homme et de la femme avec le serpent. Entendez parler Platon:[22] « Si donc les nourrissons de Saturne, en possession d'un loisir non interrompu et de facultés telles, que non seulement ils pouvaient entrer en conversation entre eux, mais même avec les bêtes ; si, dis-je ils eussent appliqué tous leurs moyens à la philosophie, s'entretenant avec les bêtes et entre eux, interrogeant toute la nature, pour découvrir si, par une prérogative toute spéciale, elle avait le sentiment de la différence qui pouvait subsister entre elle et les autres, quant a l'accumulation des connaissances, il est bien décidé que les hommes d'alors auraient eu infiniment plus de bonheur que les hommes actuels. Mais si, gorgés d'aliments et de boissons jusqu'à satiété, ils ne conversaient entre eux ou avec les bêtes, que pour se raconter des fables de l'espèce de celles qu'on nous rapporte d'eux; je sais bien, quant à moi, l'opinion qu'on doit en avoir, qui est ainsi parfaitement tranchée, si, du m ointe, je puis exprimer la mienne, toutefois, n'abordons pas cette question jusqu'à ce qu'un révélateur, en état de le faire, vienne nous apprendre si les hommes d'alors étaient avides de science et du bon usage de la parole. »
CHAPITRE XV.COMMENT IL A FAIT MENTION DU DÉLUGE.
Moïse, en jetant les bases d'une législation applicable aux hommes, a cru devoir y préluder par un récit de l'antiquité des Temps ; il y fait donc mention du déluge et de la vie des hommes après cette catastrophe ; ensuite, il rapporte quelle était la civilisation tant des anciens Hébreux chéris de Dieu, que des autres hommes qui furent châtiés peur leurs désordres ; pensant que cette relation historique serait tout à fait en harmonie avec ce qu'il se proposait d'instituer par ses lois. Platon de même passant à la rédaction des lois, imite la marche qui avait été suivie par Moïse. Dans le præmium de ses lois (8), il traite de l'antiquité, et mentionnant le déluge bien que la vie des hommes qui l'ont suivi, il commence le troisième livre du même traité, en s'expriment ainsi:[23] « Est-ce que ces anciens récits vous paraissent avoir quelque vérité? « Lesquels? « Ceux qui parlent de grandes destructions d'hommes par l'effet des déluges, des épidémies et par beaucoup d'autres causes ; en sorte que la race humaine se serait trouvée réduite à un petit nombre d'individus. « Il n'y a rien que de probable, pour tous les esprits, dans ces récits. « Soit donc ! Entre toutes ces causes de dépopulation, considérons celle qui a été amenée par le déluge. « Quelle réflexion pouvons-nous faire à ce sujet ? « Celle que ceux qui ont échappé à la mort ne pouvaient être que des pasteurs montagnards qui, sur les sommets de leurs montagnes, ont conservé de rares débris de la race humaine. « Cela est évident. « Nécessairement des hommes de cette classe étaient dans l'ignorance des arts pratiqués par les autres, tels que les ma chines dont les citoyens des mêmes villes se servent entre eux pour satisfaire le luxe ou l'ambition, ainsi que de tous les artifices coupables qu'ils mettent en œuvre les une contre les autres. « Cela est vraisemblable. « Admettons donc que les villes situées dans les plaines et sur le bord de la mer furent renversées alors de fond en comble. « Cela est admis. « N'est-il pas vrai que tous les instruments périrent aussi, et que si des découvertes ingénieuses, soit dans les arts, soit dans la législation, soit dans toute autre science, avaient eu lieu, nous affirmerons qu'elles durent toutes et totalement disparaître. « Nous en conviendrons pour cette époque.» Après d'autres réflexions il poursuit : « Ainsi donc, disons qu'il en fut ainsi quand cette destruction générale arriva pour ce qui concerne l'humanité. C'était partout la solitude sans bornes et effrayante, une terre féconde mais inhabitée. » Après avoir ajouté d'autres détails semblables à ceux-ci, il parcourt les progrès de la civilisation des hommes après le déluge; puis, de même que Moïse rattache la progression sociale des anciens Hébreux aimés de Dieu, au récit de ce qui a suivi le déluge ; ainsi Platon essaye de faire remonter les antiquités helléniques à la vie des hommes qui sont venus après le déluge : il passe en revue les événements de Troie, la première fondation de Lacédémone, l'établissement de l'empire des Perses, et examine, dans toutes ces époques, quels sont les hommes qui ont bien ou mal vécu. Après toute cette partie historique, il en vient à la rédaction des Lois en quoi il suit la même marche que Moïse.
CHAPITRE XVI.QUE LA VÉRITABLE INSTRUCTION COMMENCE PAR TRAITER LES CHOSES DIVINES, AFIN D’EN VENIR AUX CHOSES HUMAINES.[24]
Moïse ayant fait dépendre tout son corps de lois et la forme de gouvernement qui s'y rapporte, de la piété envers le Dieu de l'univers, a inauguré sa législation par les actes du Dieu créateur de toutes choses ; et puis nous apprenant que toutes les vertus humaines émanent des dons de Dieu, il a concentré tous les attributs de la divinité dans l'intelligence suprême, seul Dieu, créateur unique. Voyez maintenant comment le philosophe marchant sur ses traces, accuse les législateurs de Crète, de Lacédémone et propose un système législatif en harmonie avec celui de Moïse. « Voulez-vous que je vous dise de quelle manière j'aurais voulu vous entendre procéder dans la division de cette question? « Oui assurément. « Il eût donc fallu dire, ô Etranger : Les lois des Crétois ne se distinguent pas entre toutes celles des Grecs par des qualités supérieures, d'un médiocre intérêt ; elles ont pour objet de rendre, en définitive, heureux ceux qui savent bien en user, elles apportent en effet à leur suite tous les biens. Ces biens se partagent en deux classes : les uns sont humains, les autres sont divins, et les premiers relèvent des derniers. Si une cité reçoit les plus grands, elle acquerra en même temps les moindres, sinon elle sera privée de tous les deux. Voici quels sont les moindres : en première ligne vient la santé, en seconde la beauté, en troisième la force appliquée à la course et à tous les exercices du corps, en quatrième la richesse, non un Plutus aveugle, mais un Plutus clairvoyant, accompagné de la prudence, car la prudence précède tous les biens que nous tenons de la divinité ; après la prudence vient l'habitude de la continence de l'âme; puis de ces qualités unies à la valeur, résulte la justice comme troisième bien, caria valeur seule n'est que le quatrième. Ces quatre derniers avantages sont placés par la nature dans un ordre supérieur aux précédents, et le législateur doit les classer ainsi. Après cela il doit avoir constamment ces vertus présentes à la pensée dans toutes les injonctions qu'il adresse aux citoyens : c'est-à-dire qu'il doit ne considérer les biens humains que dans leurs rapports avec les biens divins, et ces derniers que comme se référant à l'esprit dirigeant de l'univers; il doit donc s'efforcer de les faire respecter, comme ils le méritent, dans l'union des deux sexes, par le mariage, dans la procréation et l'éducation des enfants, tant les garçons que les filles, nuis, dans toute la direction des citoyens depuis l'adolescence jusqu'à la vieillesse ; comme il doit flétrir par le déshonneur font ce qui, dans les unions diverses, peut y porter atteinte, comme les afflictions, les transports, les désirs, et en un mot tous le· mouvements immodérés que suggère l'amour, en condamnant justement par les lois, ce qui mente le blâme ; de même qu'elles décerneront des louanges aux actions estimables. » Après quelques autres paroles il reprend : « Le législateur prévoyant l'avenir de ses lois, doit leur créer des conservateurs, les uns procédant par la prudence, les autres cédant aux opinions fondées sur la vérité, de manière à montrer que le génie qui a présidé à leur ensemble a été mu par la tempérance et la justice, et nullement par les sentiments de cupidité ou d'ambition. C'est ainsi, ô étrangère, que j'aurais voulu et que je veux encore que vous fassiez ressortir comment dans les lois dites de Jupiter et dans celles d'Apollon Pythien que Minos et Lycurgue ont données, on retrouve toutes ces choses, et par quelle preuve elles peuvent être évidentes à quiconque doit à la théorie ou à la pratique, une connaissance approfondie des lois; tandis que nous autres, nous ne les y découvrons en aucune façon. » Parmi nous il est dit : « Cherchez d'abord le règne de Dieu et la justice, puis toutes ces choses s'y ajouteront.[25] » Cependant Moïse bien antérieurement ayant placé Dieu en tête de tout son enseignement, puis, ayant modelé sur lui la forme de son gouvernement, aussi bien que les règlements concernant les transactions de la vie civile, a imposé pour chefs et conservateurs de toutes choses, des hommes consacrés à Dieu, comme les oracles divins le prescrivent : hommes justes, ennemis de tout faste, ne procèdent que par la prudence ou l'acquiescement aux opinions reconnues justes et véritables.
CHAPITRE XVII.QU’IL EST BON DE FORMER AUX ACTES DE LA PIÉTÉ LES ENFANTS, DÈS L’ÂGE LE PLUS TENDRE.« Je dis[26] et j'affirme que l'homme qui veut exceller dans quelque chose que ce soit, doit s'y préparer dès le premier âge, tant en jouant que lorsqu'il s'applique sérieusement aux diverses branches de chacune de ces études : soit celui qui veut devenir un parfait agriculteur ou un savant architecte; il devra même en jouant, s'occuper à construire de petites maisons comme jouets, et faire de même s'il veut être agriculteur. Le précepteur doit, dans ce cas, procurer à chacun de ces enfants de petits outils faits à l'imitation des véritables, et leur donnera les premiers éléments de la science qu’ils doivent approfondir plus tard. Ainsi, pour le charpentier, il lui apprendra à mesurer et a manier l'équerre ; pour l'enfant qui se destine à la guerre, il lui donnera comme récréations des exercices d'équitation et de toutes les autres habitudes de guerre ; en un mot, il doit essayer de se servir des jeux pour tourner les goûts et les désirs des enfants vers le but ou ils doivent finir par arriver. Nous disons donc que l'objet principal d'une éducation est de conduire l'âme, à l'aide des jeux, à l'amour de ce qui doit un jour en faire un homme accompli, dans la vertu qu'il se propose d'acquérir. ». Moïse a pris les devants sur Platon, lorsqu'il a dit dans ses lois : « Les paroles du commandement que je vous adresse aujourd'hui, seront gravées dans votre cœur et dans votre âme, et vous les inculquerez à vos enfants.[27] » C'est un usage en pratique parmi les enfants des Hébreux : dès l'âge le plus tendre ils sont formés aux préceptes de la piété, et jusqu'à ce jour, cette coutume héréditaire s'est, maintenue parmi eux.
CHAPITRE XVIII.QU'ON NE DOIT CONSIDÉRER COMME ÉDUCATION QUE CE QUI PORTE A LA VERTU, ET NON CE QUI A POUR OBJET D'AUGMENTER LA RICHESSE OU DE FAVORISER LES COMMODITÉS DE LA VIE.« Gardons-nous[28] de laisser indéterminé ce que nous entendons par éducation, soit qu'en louant ou en blâmant l'éducation de chacun, nous disions de l'un qu'il est bien élevé, de l'autre, qu'il manque d'éducation. En appliquant ces dénominations à des hommes qui se livrent au trafic de détail, ou qui se font armateurs, ou qui embrassent d'autres industries analogues, parmi lesquelles nous admettons qu'il est des hommes très bien élevés, il me semble que nous manquons à ce qui vient d'être dit, qui ne nous permet pas d'attribuer de l'éducation à ceux qui suivent de semblables carrières. L'éducation est proprement ce qui porte les enfants à la vertu (9), ce qui excite en eux le désir et l'amour d'être des citoyens accomplis, sachant commander ou obéir dans les limites du juste. Le discours qui a précédé ayant, à ce qu'il me semble, défini avec exactitude ce qu'est l'éducation, il ne tolère plus maintenant qu'on donne à d'autres qu'à celle-ci le nom d'éducation. Quant à cette instruction qui s'applique à l'augmentation de la richesse, ou de la force corporelle ou à toute autre science qui ne dépend ni de l'intelligence ni de la justice, elle ne mérite aucunement d'être appelée du nom d'éducation, puisqu'on l'entend des arts mécaniques et (10) illibéraux. N'allons pas exciter une dispute de mots ; mais laissons subsister dans son entier, le raisonnement qui a précédé et qui a été confirmé, en vertu duquel les hommes véritablement bien élevés ne peuvent presque pas être autres que des hommes vertueux. Il faut éviter d'avilir le moins du monde l'éducation, le premier des biens éminents qui arrivent aux hommes vertueux ; laquelle quand, dans le principe elle a été mal dirigée, ne peut se réparer qu'à force de travail : la vie entière et toutes nos facultés consacrées à ce soin ne sont après tout que l'accomplissement d'un devoir. » Dans le second livre des Lois il s'exprime ainsi : « J'appelle éducation, la vertu qui se dénote d'abord dans les enfants : la joie et l'amitié, la douleur et l'aversion, tant qu'elles sont essentielles à l'âme, sont régulières ; mais c'est pour les âmes qui ne sont pas éclairées par la raison. Lorsque cette dernière y aura pénétré, elles s'accoutumeront à régler leurs habitudes sur des exemples convenables ; c'est cet accord de la conduite avec la raison qui embrasse toute la vertu. Ainsi, savoir retrancher par la raison cette partie de l'âme qui incline à la joie et à la douleur, pour qu'elle haïsse sans délai depuis le commencement jusqu'à la fin tout ce qui est haïssable, pour qu'elle chérisse tout ce qui mérite d'être chéri; si vous nommez cela l'éducation, je croirai que vous l'aurez bien nommé. » Telles sont les doctrines de Platon. Mais, David, dans ses psalmodies, prenant les devants, nous enseigne à haïr ce qu'on doit haïr et à aimer ce qui mérite qu'on l'aime, lorsqu'il dit : « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur. Quel est l'homme qui veut la vie et qui aime à voir des jours prospères? Faites taire toute méchanceté de votre bouche et que vos lèvres ne profèrent pas l'artifice. Eloignez-vous du mal et faites le bien. Cherchez la paix, et ne vous lassez pas de la poursuivre.[29] » Salomon en a dit autant, « Ecoutez, mes enfants, l'instruction de votre Père. Je vais vous faire un don de grand prix, ne laissez pas tomber mes lois dans l'oubli.[30] » Il dit encore : « Acquérez la sagesse, acquérez l'intelligence, et gardez-en le souvenir.[31] » Puis : « Dites à la sagesse qu'elle soit votre sœur, et faites-vous un ami de la prudence.[32] » De nouveau : « Ne fréquentez pas les voies des impies, ne portez pas envie aux transgresseurs des lois.[33] » On trouvera, dans les livres des Hébreux, dix mille sentences pareilles, propres à former la jeunesse, à lui inculquer la piété et la vertu, qui sont un ornement commun de l'adolescence et de l'âge mûr.
CHAPITRE XIX.QUE D'ACCORD AVEC LES HÉBREUX, PLATON DÉCLARE QUE LES CHOSES D'ICI BAS NE SONT QUE L'IMAGE DES CHOSES PLUS DIVINES.
L'oracle divin, s'expriment par la bouche de Moïse, a dit : « Voyez et faites toutes choses conformément au modèle qui vous sera montré sur la montagne.[34] » Le Verbe saint s'est encore expliqué plus clairement, en parlant de ceux « qui adoraient l'image obscure et l'ombre des substances surnaturelles,[35] » pour nous apprendre à ne regarder les symbole· de Moïse que comme renfermant une simple image des choses intellectuelles et divines. Écoutez maintenant, comment Platon donne une explication pareille, dans le 6e livre de la République, en ces termes : « Le philosophe donc, par ses rapports habituels avec Dieu et l'univers (11), s'identifie avec Dieu et l'ordre général, autant que cela est donné à l'humanité. Mais vous savez que l’envie de dénigrer est très répandue chez tous les hommes. « Chez tous, en effet. « Si donc il y avait nécessité, dis-je, pour le philosophe, d'essayer d'introduire dans les caractères humains, soit comme individus, soit comme société politique, des changements d’après ce qu'il voit, et non pas seulement de se réformer soi-même, pensez-vous que ce serait, un mauvais réformateur, sous le point de vue de tempérance, de justice et de toute verra populaire? « Pas le moins du monde, dit-il. « Mais si la masse de la population avait le sentiment que ce que nous en disons est l'exacte vérité, croyez-vous qu'elle s'irriterait contre les philosophes; qu'elle refuserait de nous accorder sa confiance, lorsque nous disons qu'il n'y a d'autre moyen de félicité pour les états, qu'autant que les peintres qui prennent leur modèle au sein de la divinité même, en esquisseront la forme·? « Ils ne s'irriteront pas s'ils ont cette conviction, dit-il; mais comment s'y prendra-t-on pour faire cette esquisse dont vous parlez? « Supposons, répliquai-je, que la cité et les caractères des hommes soient comme une toile de tableau ; il faudra d'abord la rendre parfaitement exempte de taches ; ce qui ne sera pas bien facile. Or, d'abord, vous concevez qu'ils diffèrent, en cela, de tous les autres législateurs, qu'ils ne voudraient pas mettre la main au remaniement d'un empire ou d'un particulier, et ne voudraient pas leur donner des lois, s'ils ne les prenaient parfaitement purs, on s'ils ne les purifiaient eux-mêmes. « Et ils auraient raison, dit-il. « Vous êtes donc d'avis qu'après tous ces préliminaires il faut esquisser cette forme de gouvernement ? « Pourquoi pas? « Je crois ensuite, qu'en cours d'exécution, ils fixeront souvent leurs regards sur l'un et sur l'autre, pour voir, d'une part, si elle a bien la nature de la justice, de l'honnêteté, de la tempérance et de toutes les autres choses semblables; et de l'autre, pour se rendre compte comment ils pourront, la force de combinaisons et de mélanges dans leurs institutions, insinuer dans les hommes, l’(ἀνδρείκελον) la ressemblance parfaite du modèle; en prenant pour règle ce qu'Homère, dans les portraits qu'il fait des hommes, nomme θεοειδὲς et θεοείκελος. « Très bien, me dit-il « Ils auraient, ce me semble, souvent à effacer, à surcharger, jusqu'à ce qu'ils eussent amené les caractères d'hommes à devenir vraiment aimés des dieux, autant que cela est possible. »
CHAPITRE XX.QU’ON DOIT FORMER LES JEUNES GENS EN LEUR FAISANT APPRENDRE DES HYMNES ET DES ODES QUI RESPIRENT LA VERTU.
« Le discours[36] me paraît retourner, pour la troisième ou quatrième fois, au point de départ : savoir, que l'éducation est un entraînement et une impulsion donnée aux jeunes gens, vers tout ce que la loi déclare être de la droite raison et vers ce qui passe pour tel dans l'esprit des hommes les plus estimables et qui ont le plus vieilli dans la pratique des affaires. Afin donc que l'âme de l'enfant n'ait point de penchant contraire à la loi, et afin qu'elle ne s'habitue pas à chercher ses plaisirs et ses peines en dehors de ce que la loi nous engage à mettre en pratique; mais pour qu'elle règle ses joies et ses tristesses sur ce qui, dans la vieillesse, doit faire son bonheur; nous avons recours à ce que nous nommons des chants, pour qu'ils soient comme des enchantements de ces âmes novices; lesquels chants ont été composés avec soin pour produire en elles une heureuse harmonie. Et attendu que ces jeunes âmes ne seraient pas de force à soutenir des discussions sérieuses, il a fallu appeler chants et amusements, ce dont on a fait usage pour les gagner. De même que, dans les traitements des corps malades et affaiblis par les souffrances, les médecine ont soin de mêler les remèdes qu'ils savent, par expérience devoir leur être utiles, à des aliments ou à des boissons qui semblent agréables; tandis qu'ils assaisonnent par des condiments désagréables ce qui pourrait leur nuire, pour qu'ils s'accoutument à aimer ou à haïr avec convenance, de même le législateur habile, ou persuadera le poète, ou bien il le contraindra à défaut de persuasion, de célébrer, en vers pompeux et dignes de louanges, les actions mémorables des hommes modestes, valeureux, et qui présentent l'ensemble de toutes les vertus. En chantant de pareils sujets, dans des stances rythmiques ou dans des harmonies lyriques, ils feront un noble usage de la poésie. » C'est, en conséquence, par une parfaite convenance que nous avons habitué les enfants à apprendre les odes composées par les prophètes divins, et à essayer de composer des hymnes en l'honneur de Dieu.
CHAPITRE XXI.QUELS SONT LES SENTIMENTS QUE LES ODES DOIVENT EXPRIMER.
« Obligez vos[37] poètes à dire que l'homme vertueux étant tempérant et juste, est en même temps heureux et fortuné, qu'il soit grand et fort, qu'il soit petit et faible, qu'il soit riche ou pauvre. Fût-il plus riche que Cinyre et Midas, s'il est injuste, il est malheureux, et sa vie doit se passer tristement, d'après ce que nous dit le poète : si toutefois il s'exprime comme il le doit (12). Je ne rappellerai jamais la mémoire ni ne parlerai avec estime de l'homme qui ne ferait pas de belles actions, et n'acquerrait pas d'honneur avec le concours de la justice. C'est ainsi qu'il doit être pour désirer d'entrer en lice avec les ennemis. S'il est injuste, qu'il tremble d'envisager la mort sanglante, qu'il ne l'emporte pas à la course sur Borée le Thrace ; qu'en un mot il n'obtienne aucun des avantages qu'on nomme les biens ; car ce que le vulgaire décore de ce nom n'est pas justement nommé tel. Ainsi, l'on dit que le plus excellent de tous, est de jouir d'une bonne santé ; le second, c'est la beauté ; le troisième, la richesse (13). Il est une foule d'autres choses qu'on nomme biens, tels que d'avoir une vue perçante, l'ouïe fine, et d'être doué en général de la perfection des sens ; puis vient le pouvoir de faire, comme tyran, tout ce qu'on désire ; enfin, comme le terme de toute félicité, en possédant toutes ces choses, de jouir de l'immortalité, et le plus tôt possible. Vous et moi nous disons unanimement que toutes ces choses sont d'excellentes possessions, pour les hommes justes et pieux, et que ce sont, au contraire, les plus funestes, pour les hommes injustes, en commençant par la santé, puis la vue, l'ouïe et tous les sens ; qu'enfin la vie même serait le plus grand de tous les maux, si elle devait durer éternellement et sans crainte de la mort, en supposant qu'elle possédât tout ce qu’on nomme les biens, a l'exclusion de la justice et de toute vertu. Et dans ce cas, moins de temps un tel homme vivrait, moindre serait le mal. Vous amènerez, je pense, par la persuasion ou, à défaut, par la contrainte, vos poètes à chanter les choses que j'ai dites, en leur donnant le rythme et la cadence, afin qu'elles servent à l'éducation de votre jeunesse; car, voyez-vous bien, je le dis hautement, ce qu'on appelle des maux ne sont que des biens quand ils s'adressent aux méchants, tandis qu'ils restent ce qu'ils sont, pour les bons. Les biens ne sont véritablement biens que pour les gens vertueux ; ce sont des maux pour les êtres pervers. Sommes-nous d'accord sur la question posée vous et mot, ou comment l'entendez-vous? » Ces pensées ne différent pas beaucoup de celles de David dans les Psaumes, qui sont autant d'hymnes ou d'odes qu'il a composées sous l'inspiration de l'esprit divin, où il nous enseigne quel est l'homme véritablement heureux et quel est celui qui est tout le contraire. Son livre commence en effet, pur célébrer cette vérité : « Heureux l'homme qui ne s'est point rendu dans le conseil des impies,[38] » et autres choses semblables. C'est par ces emprunts que lui en a faits Platon, qu'il dit que les poètes doivent proclamer que l'homme vertueux, tempérant et juste, est heureux et fortuné; que, fut-il riche, s'il est injuste, il est malheureux. Voici les termes dans lesquels David a énoncé les mêmes vérités dans ses Psaumes : « Si la richesse afflue, n'y attachez pas votre cœur;[39] » puis : « Ne craignez pas l'homme parce qu'il est riche, parce que la gloire s'augmente dans sa famille.[40] » Avec du temps vous pourrez découvrir que chacune des doctrines exprimées par le philosophe se retrouvent mot pour mot dans le corps entier du saint livre des Psaumes.
CHAPITRE XXII.QU’IL N’EST PAS DONNÉ A TOUT LE MONDE DE COMPOSER D’EXCELLENTES ODES ET DE BONS POÈMES, MAIS A DIEU SEUL ET AUX HOMMES QUI PARTICIPENT A LA DIVINITÉ.
« Ce que vous dites[41] est éminemment politique et législatif ; mais peut-être y découvrirait-on encore quelques imperfections. Ce qui est relatif à la musique est vrai et digne qu'on y fasse attention; savoir, qu'il serait possible de donner une législation invariable au moyen de ces choses, en osant publier des poèmes qui respireraient une justice essentielle. Mais cela ne peut venir que de Dieu ou d'un homme inspiré par lui.·» C'était donc, une mesure de sagesse que celle qui, chez les Hébreux, avait dicté la loi, par laquelle on interdisait, dans les écoles de théologie, d'autres hymnes ou d'autres odes que celles composées par les prophètes et les hommes de Dieu, inspirés par l'esprit divin. Les odes inspirées par la même pensée devaient être, chantées sur le même ton. CHAPITRE XXIII.DES JUGES EN ETAT DE DISCERNER QUELS SONT LES CHANTS COMPOSÉS DANS L’ESPRIT DE DIEU.[42]
« Je cède à l’opinion commune en avouant que c'est par le sentiment du plaisir qu'on doit juger du mérite de la musique; toutefois, je n'abandonne pas au premier venu le droit d'en décider. Mais il est à peu prés certain que la plus belle muse est celle qui plaît le plus aux hommes les plus vertueux et dont l'éducation a été la plus soignée, et par-dessus tout, à l’homme dont la vertu et l'instruction l'emportent sur celle de tous les autres. En conséquence, nous soutenons que, pour bien juger de cette musique, il faut de la vertu ; il faut partager non seulement la connaissance qu'ont tous les autres auditeurs, mais y joindre de plus, la fermeté. Il ne faut pas qu'au théâtre le véritable juge apprenne à juger, qu'il se laisse troubler par l'agitation des spectateurs et par la conscience de sa propre ignorance, ou, s'il a les connaissances requises, que la crainte et le défaut de détermination le trouble, par la pensée qu'il doit juger de la même bouche dont il a invoqué les dieux, et qu'il altère la vérité, en atténuant la rigueur de sa sentence. Or, ce n'est pas pour recevoir la leçon des autres, mais pour la leur faire, qu’il est institué juge en bonne justice ; c'est pour s'opposer aux spectateurs avides de goûter un plaisir qui blesse toute convenance et toute décence. » De même, chez les Hébreux, dès les temps les plus anciens, ce n'était pas au public qu'on reconnaissait le droit de juger ceux qui se présentaient comme animés de l'esprit de Dieu, dans les chants inspirés qu'ils récitaient. Il n'y avait qu'un petit nombre de sujets, possédés eux-mêmes de l'esprit de discernement des paroles divines, à qui il était permis de prononcer sur ces poèmes et de déclarer saints les livres des prophètes, en rejetant ceux qui partaient d'un organe profane.
CHAPITRE XXIV.QUE MÊME DANS LES FESTINS ON DOIT FAIRE UN CHOIX DES CHANTS A Y FAIRE ENTENDRE D’APRES CERTAINES LOIS SOMPTUAIRES.
« La difficulté[43] que nous nous sommes proposée dans le principe de cet entretien : savoir, comment nous pourrions apporter un secours efficace au chœur de Bacchus, nous l'avons abordée du mieux que nous avons pu. Voyons si nous avoue réussi. Une pareille réunion est nécessairement tumultueuse, puisque c'est en buvant de plus en plus qu'elle se prolonge; ce que nous avons supposé, dans le principe, comme une nécessité de ces assemblées, doit se réaliser. « Nécessairement. « Chacun s'exalte en se croyant plus léger qu'il n'est réellement; il se livre à la joie, il s'enflamme par la liberté de tout dire, sans jamais écouter ses voisins qui sont dans le même état que lui, et il a assez bonne opinion de soi pour croire qu'il peut commander à lui-même et aux autres. « Comment n'en serait-il pas ainsi ? « Nous disons donc que quand ces choses arriveront et que les âmes des convives seront devenues incandescentes comme le fer, elles deviendront aussi plus malléables et plus novices, en sorte que celui qui pourrait les mettre en mouvement, qui aurait la science de les élever et de les façonner, les trouverait plus dociles, ainsi qu'elles l'étaient dans la première jeunesse. Cet habile manipulateur doit être tel que, dans son temps, était le bon législateur dont les lois somptuaires donnent bon espoir et parfaite confiance à celui qui veut être retenu, tandis qu'elles rendront plus honteux même qu'il ne le doit; celui qui veut troubler l'ordre, qui ne peut se résigner à parler ou à se taire, à boire et à chanter à son tour, qui veut, enfin, tout faire contrairement à ces mêmes lois. Elles acquièrent assez d'autorité pour imprimer avec justice une terreur salutaire au vice audacieux qui tenterait de se produire; et cette terreur divine reçoit ainsi le nom de pudeur et de honte. En voilà assez sur ce sujet. » Platon recommande de ne préposer à la garde de ces lois et à leur confection que des hommes sobres et amis de l'ordre. C'est donc tout à fait d'accord avec cette doctrine qu'il est d'usage traditionnel parmi nous de chanter des odes et des hymnes dans les repas en l'honneur de Dieu, sous la direction des ordonnateurs chargés de maintenir la police.
CHAPITRE XXV.QUE L’ON NE DOIT PAS PERMETTRE INDISTINCTEMENT DE FAIRE USAGE DU VIN COMME BOISSON.
« Si une république[44] fait usage des institutions que nous venons de relater, parce qu'elle les croit dignes d'attention, si elle y consacre des lois et des ordonnances comme a un exercice de tempérance, si' elle croit devoir porter la main encore sur les autres voluptés par le même motif et dans l'intention de les maîtriser ; voici de quelle manière elle doit s'y prendre pour toutes. Si, au contraire, il devait être permis à qui voudra, quand il le voudra et avec qui il le voudra, de boire sans mesure comme un amusement innocent, d'après des réglemente contraires, quels qu'ils soient, je ne proposerai jamais un décret qui déclarât que parfois une telle république ou un tel homme peut se livrer à l'ivresse ; je préférerais bien plutôt à l'usage des Crétois et des Lacédémoniens la loi des Carthaginois qui interdit formellement d'introduire cette boisson dans le camp, à qui que ce soit et à quelque époque que ce soit, et qui, pendant toute la durée de la campagne, n'accorde aux troupes d'autre breuvage que l'eau ; qui, dans l'intérieur des villes, interdit absolument le vin aux esclaves des deux sexes, aux archontes, pendant l'année de leur magistrature, aux gouverneurs et aux juges, pendant l'exercice de leurs fonctions. Lorsque le sénat est convoqué pour délibérer sur une matière de quelque importance, elle ne veut pas que quiconque doit prendre part à cette délibération, fasse usage de vin dans toute cette journée ; si ce n’est pour un motif de santé ou comme remède, non plus que dans la nuit pour l'homme et la femme qui vaquent à la procréation. On pourrait ajouter beaucoup d'autres circonstances dans lesquelles, pour des hommes de sens, les lois sages devraient imposer l'abstinence du vin; en sorte que, d'après cette régie; on devrait restreindre beaucoup la culture des vignes, n'importe dans quel état : on la coordonnerait avec les autres natures de culture, d'après les règlements diététiques. » Moïse, ayant pris les devants, avait défendu aux prêtres de goûter même du vin pendant tout le temps où ils étaient en exercice. Voici en quels termes il en donne la loi : « Le Seigneur parla à Aaron en disant : Vous ne boirez ni vin ni bière, ni vous, ni vos enfants avec vous, lorsque vous serez entrés dans la tente en témoignage, sinon vous mourrez. Que cette loi soit éternelle pour toutes vos générations.[45] » Voici encore la loi qu'il impose à ceux qui viennent faire des vœux : « L'homme ou la femme qui viendra pour faire un grand vœu, afin de s'offrir pur au Seigneur, devra se priver de vin et de bière; il ne boira ni vinaigre de vin ni vinaigre de bière.[46] » Salomon interdit la même faculté aux archontes et aux juges, en disant : « Faites tout avec conseil et ne buvez du vin qu'avec prudence. Les monarques sont sujets à des emportements : qu'ils ne boivent pas de vin, afin que, par cette abstinence, ils n'oublient pas la sagesse et qu'ils ne fuient pas le travail[47] (14). » L'apôtre a permis à Timothée l'usage du vin à cause de son état de santé valétudinaire, en lui disant : « Faites un usage modéré du vin à cause de votre estomac et de vos fréquentes défaillances.[48] »
CHAPITRE XXVI.QUE PLATON N’IGNORAIT PAS QUE LES LOIS QU’IL PROPOSAIT AVAIENT DÉJA ÉTÉ MISES EN PRATIQUES DANS CERTAINES INSTITUTIONS POLITIQUES DE PEUPLES BARBARES.[49]
« Si la nécessité de s'occuper de l'institution d'une république a été imposée aux hommes éminents en philosophie dans un temps passé, inassignable, ou si elle leur est imposée dans un pays barbare, entièrement hors de notre vue, ou doit leur être imposée un jour, nous ne saurions être en mesure de discuter ni de contester sur cette république, comme si elle avait existée ou qu'elle existât, ou qu'elle dût se produire, quand la muse de cette république sera parvenue en sa force; car la chose n'est pas impossible; mais nous sommes dans l'impuissance d'en raisonner. »
CHAPITRE XXVII.QU’IL EXISTE UNE LUTTE DE NOUS CONTRE NOUS-MÊMES ET CONTRE NOS PASSIONS.[50]
« Devons-nous nous considérer comme étant envers nous ainsi qu'un ennemi envers son ennemi, ou bien que devons-nous dire, « Etranger Minervien, (car je ne voudrais pas vous nommer Athénien, attendu que vous me semblez digne de porter le nom de la déesse (15)? Vous avez rendu la question plus claire, en la posant ainsi que vous l'avez fait dans le principe, de manière à découvrir plus sûrement ce que signifie l'assertion mise en avant par nous, que tous lés hommes sont ennemis les uns des autres, dans l'association politique, et dans l'individualisme même, ils sont leurs propres ennemis. « Comment avez-vous dit, ô homme prodigieux? « En conséquence, ô étranger, là première et la plus noble victoire est de se vaincre soi-même, de même que la défaite la plus honteuse, comme la plus funeste, est d'être vaincu par soi-même. Ce qui est en signe de la guerre qui existe au dedans de nous, contre nous. » Après plusieurs autres choses, il ajoute : « Prenons donc pour exemple chacun ce que nous sommes.[51] « J'y consens. « Possédant au dedans de soi deux conseillers opposés entre eux et également déraisonnables, nous les nommerons le plaisir et la peine. « Soit. « Nous leur attribuerons à chacun des opinions sur l'avenir qui seront décorées également du nom d'espérance. Cette espérance, placée devant la peine, aura le nom spécial de crainte; l'autre qui précède son contraire, se nommera l'audace. Au-dessus de tout ceci, planera, comme meilleure ou pire qu'eux, la raison ; laquelle, lorsqu'elle est le dogme commun de la république, est appelée loi. » Ensuite, il dit:[52] « Nous savons que ces différents sentiments distribués en nous comme des nerfs ou des cordes, nous tiraillent en tous sens et contrairement les uns aux autres, vers des actions contraires ; ce qui établit la distinction du vice à la vertu. La raison dit que l'on ne doit céder qu'à un seul de ces entraînements, toujours le même, et ne jamais s'abandonner à d'autre, de manière à résister à l'entraînement des autres: telle est la chaîne d'or, la chaîne sacrée de la raison, loi commune de toute cité; les autres chaînes sont de fer et blessantes, tandis que celle-ci, étant d'or, est douce à porter. Les autres prennent toutes les formes ; mais on doit toujours se rattacher à la plus belle qui est celle de la loi. Or, puisque ce conseil de la raison est beau, qu'il est doux et nullement violent, cette direction doit s'aider des serviteurs qui lui sont affidés, de manière à ce que, au dedans de nous, ce soit l'âge d'or qui l'emporte sur les autres âges. De cette manière, en réalisant les prodiges qu'on en rapporte, nous aurons donné la vie à la fable de la Vertu, et nous aurons, en quelque sorte, résolu le problème que vous vous formez dans l'esprit, de savoir comment on peut triompher de soi-même ou en être vaincu, et comment la durée d'existence d'un état ou d'un particulier tient à ce qu'ils ont adopté la véritable raison, en se portant vers ses entraînements; et comment la république qui aura reçu la raison soit d'un Dieu quelconque, ou plus spécialement de celui qui a établi cet ordre de choses, sera dans une harmonie parfaite avec elle-même et avec les autres républiques; et par ce moyen nous aurons mieux défini que par tout autre, ce qu'est le vice et ce qu'est la vertu. » Chez nous la parole divine nous enseigne les mêmes choses, en disant : « Je me réjouis avec vous dans la loi de Dieu, suivant l'homme intérieur ; je vois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de mon esprit,[53] » puis, « lorsqu'il est question[54] du milieu entre les raisonnements qui s'accusent ou se défendent, » et tous les autres textes semblables à ceux-ci.
CHAPITRE XXVIII.QUE CE N’EST PAS LE CORPS MAIS QUE C’EST L’ÂME QUI EST CAUSE DE TOUTES NOS MAUVAISES ACTIONS.[55]
Nous nous rappellerons de l'aveu que nous avons fait précédemment, que si l'âme avait une existence antérieure à celle du corps, ses actes seraient donc aussi antérieurs à ceux du corps. « Je m'en ressouviens parfaitement. « Les mœurs, les caractères, les voûtions et les raisonnements, les opinions vraies, les préoccupations et les réminiscences auraient donc précédé les dimensions des corps en longueur, largeur et profondeur, et les forces corporelles, puisque l'âme aurait précédé le corps ? « Cela est de toute nécessité. « Ne devons-nous pas, en conséquence, avouer qu'il est indispensable que l'âme soit la cause des biens et des maux, des actions, nobles on honteuses, justes ou injustes, et de tout ce qu'il y a d'opposé en nous, puisque nous la posons comme cause unique de tout? Nous tirons ces paroles du 10e livre des Lois, auxquelles Moïse adhère souvent dans les siennes, en disant Si l'âme pèche et commet des transgressions, et autres passages qui rentrent complètement dans ce qui a été dit par Platon.
CHAPITRE XXIX.DU PUR PHILOSOPHE TIRÉ DU THÉÉTÈTE.
L'écriture des Hébreux nous ayant signalé l'homme sérieusement philosophe, lorsqu'elle dit: « Il est avantageux à l'homme de porter son joug dès sa jeunesse. Il s'assoira dans l'isolement et il gardera le silence, parce qu'il le porte de plein gré.[56]» Puis, nous ayant montré que les prophètes aimés de Dieu, par l'excellence de leur philosophie, vivaient dans les déserts, sur les montagnes, au fond des cavernes, ayant l'esprit uniquement occupé de Dieu, écoutons Platon; et voyez de quelle manière il déifie, en quelque sorte, ce genre de vie, lorsqu'il dépeint, en ces termes, le philosophe consommé:[57] « Parlons donc, comme cela convient et comme vous le désirez, des plus éminents entre les philosophes. (Qui voudrait, en elle, s'entretenir de ceux qui se traînent honteusement dans cette carrière)? Ceux dont je parle ignorent, dès leur enfance, le chemin qui mène à la place publique, aux tribunaux, au sénat ou à tout autre réunion publique d'administration. Ils ne voient, n'entendent, ni les lois ni les décrets, soit qu'on les proclame ou qu'on les affiche. Les brigues des factions dans l'élection des magistrats, les conciliabules, les banquets où l’on introduit des joueuses de flûtes, sont des choses qui ne leur apparaissent pas même en songes. Qu'un citoyen soit d'une naissance illustre ou non, qu'il ait quelques souillures dans sa famille, du côté des ascendants paternels ou maternels; c'est ce qu'il ignore plus complètement que ce qu’on nomme les choës de la mer (16) : et il ne se rend pas compte de son ignorance à cet égard. Car ce n'est pas pour s'en faire un mérite qu'il se met à l'écart; mais parce que, dans la réalité, il n'y a de présent et d'habitant, dans la ville, que son corps. Son esprit, considérant, toutes ces choses comme petites, n'en faisant aucune estime, voltige de tout côté, suivant Impression de Pindare, en mesurant géométriquement les espaces placés tant au-dessous qu'au-dessus de la terre, et astronomiquement les régions du ciel, en scrutant toute la nature dans toutes ses parties et dans chaque universalité, sans se renfermer dans le cercle des objets placés prés de lui. « Comment dites-vous donc cela, ô Socrate ! « Voici comment, ô Théodore. De même qu'on rapporte qu'une servante spirituelle et joviale, sortie de la Thrace, railla un jour Thalès qui, en examinant les astres, tandis qu'il avait les yeux dirigés vers le ciel, se laissa choir dans un puits, elle lui dit que, lorsqu'il désirait connaître ce qui se passait au ciel, il ne s'apercevait pas de ce qui était devant lui et i ses pieds; bette même raillerie s'appliquera parfaitement à tous ceux qui ne vivent que pour la philosophie. Dans la réalité, le voisin d'un pareil homme ignore complètement, non seulement ce qu'il fait, mais presque s'il est homme ou bétail; tant il est entièrement consacré à la recherche de l'homme, pris dans son essence, à ce qu'il convient à sa nature de faire on de subir. Contrairement aux autres, cette grande affaire l'occupe uniquement. « Comprenez-vous, ou non, ô Théodore? « Je comprends parfaitement, et je trouve que vous êtes dans le vrai. « Ainsi donc, mon ami, un semblable homme dans les relations publiques ou privées ainsi que je l’ai dit en commençant, s'il est forcé de parler; soit en plein tribunal ou partout ailleurs, sur des sujets les plus vulgaires, excitera le rire, non seulement des servantes de Thrace, mais de toute autre réunion de gens du peuple, en se précipitant dans les puits et dans toute espèce d'embarras, par son inexpérience et-cette gaucherie de manières qui est capable de donner de lui l'idée d'ineptie. Dans les invectives, il aura cette particularité, que jamais il n'en proférera aucune contre qui que ce soit, par la raison qu'il ne sait aucun nul de personne, ne s'étant jamais livré à l'examen des actions du prochain. Il y paraîtra donc ridicule par son incertitude. Dans les éloges et les autres discours d'apparat, ce sera sans affectation, mais sincèrement, que, se prenant à rire, il donnera de lui l'opinion d'imbécillité. En effet, le tyran ou le roi dont on entreprendra le panégyrique en sa présence, ne paraît pas plus à ses yeux qu'un pasteur de bétail, soit porcher, soit vacher ou autre, qu'il entendrait féliciter sur ce qu'ils obtiennent une grande abondance de lait de leurs troupeaux; à cette seule différence qu'ayant à conduire une race d'animaux plus indociles et plus rusés, ils se persuadent qu'ils les guident et qu'ils peuvent les traire. Il est nécessaire que, par l'effet de sa préoccupation, il ne paraisse, ni moins grossier, ni moins mal élevé que tel de ces pasteurs qui n'a pour tout abri qu'un chalet an sommet des montagnes. S'il entend donc dire d'un citoyen qu'il possède dix mille plèthres de terre et plus encore, au lieu d'admirer l'immensité de ce domaine, il lui semblera extrêmement borné par l'habitude qu'il a de considérer la terre dans son ensemble. Si l'on célèbre devant lui la noblesse d'un homme qui peut montrer dans sa généalogie sept aïeux appartenant aux classes riches, cet éloge lui paraît équivoque et ne provenir que de gens à vue courte, qui, par leur défaut d'éducation, ne peuvent saisir le point de vue général et sont incapables de réfléchir que chaque homme a des myriades innombrables d'ancêtres, parmi lesquels ont été des riches, des mendiants, des rois, des esclaves, des barbares et des Grecs, et souvent plusieurs de chaque espèce. Ceux même qui peuvent se glorifier d'énumérer vingt-cinq générations successives, qui les font remonter jusqu'à Hercule, fils d'Amphitryon, lui semblent atteints de stupidité, en ce que le vingt-cinquième depuis Amphitryon, dût-il même remonter a son cinquantième ancêtre, n'est après tout son descendant que par l'effet du hasard. Et il se rit de ceux qui, ne pouvant faire un calcul si simple, n'ont pas la force de secouer cette faiblesse d'une âme sans intelligence. Dans toutes ces occasions un tel homme est la risée de la multitude, aux yeux de laquelle il semble s'arroger une science transcendante, tandis qu'il ignore ce qui est à ses pieds et ne sait quel parti prendre dans les moindres conjonctures. « Vous dites exactement, ô Socrate, ce qui a lieu. « Mais en revanche, ô mon ami, quand ce même homme veut attirer quelqu'un, vers les hautes régions de la pensée et le faire sortir de cette série de questions : En quoi vous ai-je fait tort? En quoi m'avez-vous fait tort? pour l'amener à la considération du juste et de l'injuste, à l'examen de la différence qui règne entre eux, collectivement opposés au reste, ci entre eux respectivement; quand de cette question, de savoir si un roi est heureux, en possédant beaucoup d'or, il vous transporte dans la recherche de ce qu'est la royauté, de ce qui constitue le bonheur ou le malheur des hommes, de œ qui forme leur essence, de quelle manière il peut convenir à la nature humaine de les rechercher ou de les fuir; lorsque son interlocuteur, à l'âme étroite, au langage acerbe et aux formes juridiques, doit donner son opinion sur ces choses, alors les rôles sont intervertis. Sa tête se trouble, et se trouvant comme suspendu sur un sommet abrupte ; il voit mal les objets, étant placé si haut, il se tourmente par le défaut d'habitude, il hésite et parle une langue barbare qui donnerait à rire, non plus aux servantes Thraces, ni à la tourbe ignorante et sans instruction, car ils n'en ont pas le discernement; mais à tous ceux qui ont reçu une éducation au-dessus de celle des esclaves. Voici, ô Théodore, la manière d'être de l'un et de l'autre. L'un élevé dans la liberté et le calme, c'est celui que vous nommez philosophe, ne conçoit aucun ressentiment de passer pour un idiot et de n'être compté pour rien, lorsqu'il s'agit d'occupations serviles ; ne connaissant rien, à faire des malles, à préparer des mets savoureux, à tenir des discours flatteurs. L'autre, au contraire, habile en toutes ces choses, capable de les exécuter promptement et soigneusement, et d'une manière peu convenable à quiconque sait rejeter, avec dextérité et la dignité d'un homme libre, son manteau sur son épaule, ne sait pas user d'un langage harmonieux pour célébrer l'existence, véritablement fortunée, des Dieux et des hommes heureux. « Si vos discours, ô Socrate, avaient la même force de persuasion sur tous les hommes qu'ils exercent sur moi, il y aurait bien plus de paix et bien moins de maux parmi les hommes. « Cependant, ô Théodore, il n'est pas possible d'anéantir le mal; car il est de nécessité que le bien ait toujours son contraire. Cela ne se rencontre pas même dans le sein des dieux : il doit donc envelopper inévitablement cette nature mortelle et cette demeure terrestre. Aussi devons-nous faire tous nos efforts pour fuir au plus vite de ce lieu dans l'antre : cette fuite est la ressemblance à Dieu, autant que nous pouvons l'acquérir: cette ressemblance consiste à être juste et saint avec prudence. Mais, ô mon bon, ce qu'on aura une peine infinie à persuader, c'est qu'on ne doive nullement s'appliquer à fuir le mal, et à rechercher la vertu par les motifs qu'en donne la masse des hommes; c'est-à-dire pour ne pas passer pour méchant, mais afin de passer pour bon ; c'est là, à ce qu'il me semble, pour user du proverbe, un conte de vieilles femmes. Voici ce qu'on peut dire de vrai à ce sujet. Dieu n'est injuste en aucun temps ni d'aucune manière; au contraire, il est le plus juste qu'il se puisse. Or, rien ne ressemble plus à Dieu que celui d'entre nous qui est te plus juste qu'il puisse être. C'est en quoi consiste véritablement la supériorité de l'homme, sa noblesse et sa vraie valeur : la connaissance de cette justice s'obtient par la sagesse et la vertu réelle ; tandis que l'ignorance n'est que le manque d'instruction et la dépravation essentielle à l'homme. Toutes les autres prétendues dignités et sagesses, telles que celles qui appartiennent à la politique et au commandement, ne sont que vulgaires ; celles qui ont les arts manuels pour principe, sont abjectes. Il vaut beaucoup mieux, pour l'homme injuste qui tient des discours ou fait des actions impies, qu'il soit privé des moyens de se perfectionner dans sa perversité; car ils tirent vanité de leur déshonneur ; ils se persuadent qu'on dit d'eux, qu'ils ne sont pas des sots ou d'inutiles fardeaux de la terre; mais, au contraire, des hommes précieux à conserver dans une république. Et, pour dire la vérité, nous soutiendrons qu'ils sont d'autant plus ce qu'ils croient ne pas être, qu'ils en sont moins convaincus. Ils ignorent le châtiment réservé à l'injustice : ce qu'il n'est pas permis d'ignorer. Ce châtiment n'est pas ce qu'ils se figurent, les sévices et la mort; car on voit infliger les premiers à des gens qui n'ont commis aucune injustice. Quant à la mort, on ne saurait s'y soustraire. « Quel est-il donc? « Puisque, dans la nature des êtres, il existe deux paradigmes, l'un divin, qui est souverainement heureux, l'autre de l'athéisme : celui-là est souverainement malheureux ; dès qu'ils ne s'aperçoivent pas que les choses sont telles, par l'effet de leur sottise et de leur extrême déraison, ils ne sentent pas non plus que, par leur injuste conduite, ils s'assimilent au dernier et s'éloignent du premier. Voilà leur châtiment ; c'est de vivre en conformité arec un pareil modèle. Si nous venons à leur dire, qu'à moins qu'ils ne se déprennent de leur prétendue habileté, à leur mort ils ne seront pas admis dans le séjour qui est pur de toute iniquité, mais que méchants eux-mêmes, ils auront les méchants pour éternelle société ; confiants dans leur habileté et dans toute leur duplicité, ils n'écouteront ces avis que comme des contes absurdes. « Cela est bien vrai, ô Socrate. « Je le sais, ô mon ami; mais voici ensuite ce qui leur arrive. Lorsqu'ils doivent entrer en discussion sur ce qu'il y a de blâmable dans leur conduite, s'ils veulent soutenir courageusement et longuement cette lutte, au lieu de faire honteusement défaut ; ils finissent par tomber dans des raisonnements tellement absurdes, qu'ils ne sauraient en être satisfaits, et leur rhétorique dégénère, au point de ne pas paraître raisonner mieux que des enfants. »
CHAPITRE XXX.DE L'ART SOPHISTIQUE PARMI LES HOMMES.
Il est parlé aussi parmi nous de tout l'art des sophistes : « La sagesse de ce monde n'est que folie devant Dieu. Je perdrai la sagesse des sages, et j'effacerai l'intelligence des intelligents. Où est le sage? Ou est le scribe ? Où est l'investigateur de ce siècle?[58] » Quant à ce que les hommes adonnés à une philosophie divine ne doivent point se préoccuper de minuties, cette leçon nous est donnée par ces paroles : « Tournant nos regards, non vers les choses visibles, mais vers les invisibles; car les choses visibles sont temporelles, et les invisibles sont éternelles.[59] » A l'égard du mal qui enveloppe la terre et la vie mortelle, le verbe divin dit quelque part : « Mettant le temps, à profit, parce que les jours sont mauvais.[60] » Puis : « A chaque jour suffit son mal.[61] » Le prophète dit encore : « La malédiction, le vol, l'adultère, le meurtre sont répandus sur cette terre, et les actions criminelles se confondent, se mêlent le sang se mêle au sang.[62] Moïse nous enseigne à fuir d'ici-bas vers Dieu : « Vous marcherez derrière le Seigneur votre Dieu, et vous vous serrerez à lui.[63] » Le même nous apprend à imiter le Seigneur. « Soyez saints, parce que le Seigneur votre Dieu est saint.[64] » David sachant que Dieu est juste, il nous exhorte à devenir ses imitateurs, « Le Seigneur est juste, et il aime les actions justes.[65] » Le même nous a enseigné le mépris des richesses, on disant : « Si la richesse afflue vers vous, n'y attachez pas votre cœur.[66] Ne craignez pas quand l'homme est devenu riche, ni quand la gloire de sa maison s'est accrue, parce qu'en mourant, il laissera toutes ces choses, et que sa gloire ne descendra pas avec lui.[67] » Il nous apprend également à ne pas ambitionner la magistrature et les commandements sur les hommes. « Ne mettez pas votre confiance dans les magistrats ni dans les enfants des hommes, en qui il n'y a point de salut. Leur esprit sortira, il retournera dans la terre, et dans ce jour, toutes leurs grandes pensées s'évanouiront.[68] »
CHAPITRE XXXI.QUE L'ON DOIT QUELQUEFOIS FAIRE USAGE DU MENSONGE COMME D’UN REMÈDE POUR L'AVANTAGE DE CEUX QUI EN ONT BESOIN.
« L'utilité du législateur serait bien petite, si elle ne s'étendait pas jusque-là; comme la raison en fait foi (17). S'il en était autrement, il ne craindra pas de mentir à ces jeunes gens, pour leur propre bien. Pourrait-il exister un mensonge plus profitable que celui-ci, qui aurait le pouvoir du faire faire sans violence, mais de plein gré, toutes les choses justes?[69] » Vous trouverez dans les écritures des Hébreux mille passages semblables. Lorsqu'elles nous parlent du Dieu jaloux, du Dieu qui sommeille, du Dieu irrité; ou enfin, sujet à toutes les imperfections humaines: lesquelles expressions doivent être entendues pour l'avantage de ceux auxquels une telle manière de leur parler est nécessaire.
CHAPITRE XXXII.QUE CE NE SONT PAS LES HOMMES SEULS, MAIS AUSSI LES FEMMES ET TOUTES LES CLASSES DE L'HUMANITÉ QUI DOIVENT ÊTRE UTILES A L'ÉDUCATION QUE NOUS VENONS D'INDIQUER.
« [70]Sommes nous d'accord sur ce qui vient d'être dit? « Sur quoi? « Sur la nécessité, pour tout homme et enfant, libre ou esclave, de l'un et de l'autre sexe, pour l'ensemble de la République (j'entends une République où règne la plus parfaite harmonie), de ne jamais cesser de faire ce que nous venons de décrire; y admettant les changements que le temps y introduit, et les modulations variées, pour éviter l'ennui, de la part de ceux d'entre vous à qui ces chants s'adressent, et pour leur procurer un nouveau plaisir. « Comment ne serait-t-on pas d'accord sur la nécessité que ces choses s'exécutent? » Puis, dans le 5e livre de la République, il écrit d'une manière toute conforme à ce qui précède, en disant : « Connaissez-vous une seule des occupations viriles dans laquelle le sexe masculin n'ait pas tous ces avantages sur l'autre sexe? ou pour entrer dans les détails, parlerons-nous de l'art du tisserand, de la pâtisserie et de la cuisine, dans lesquels il semble que les femmes jouent un rôle principal, et dans lesquels il serait souverainement ridicule qu'elles fussent vaincues par nous? « Ce que vous dites est vrai à savoir qu'en général un des sexes est supérieur à l'autre. Et cependant il «et beaucoup de femmes qui, en bien des choses, l'emportent sur beaucoup d'hommes. Cela est généralement ainsi que vous le dites. « C'est, ô mon ami, par la raison qu'il n'est point d'institution, parmi celles qui président à la République, qui soit propre à une femme, parce qu'elle est femme, ou propre à un homme parce qu'il est homme. Mais les dispositions naturelles sont réparties entre les deux sexes, en sorte qu'une femme, suivant sa nature, participe à toutes les institutions, et un homme également : en toutes choses la femme est plus faible que l'homme. « Sans contredit. « S'en suivra-t-il que nous devons tout commander aux hommes, et rien aux femmes? « Mais comment ferons-nous ? « Il y a je crois, et même je puis l'affirmer, telle femme qui a de l'aptitude à la médecine : telle autre qui n'en a point: telle est née musicienne : telle autre ne l'est pas. « Comment le nier ? « L'une est disposée aux exercices du corps ; l'autre non. Il en est même qui ont des dispositions guerrières; d'antres n'aiment ni la guerre ni la gymnastique. « Je le pense également. « Mais quoi : on en voit qui sont philosophes, tandis que certaines ont aversion de l'étude de la sagesse, il en est qui sont passionnées, qui ont des sentiments généreux; tandis que.les autres sont sans passions. — C'est cela même. — Quelques-unes sont des gardiennes fidèles; d'autres point. N'avons-nous pas fait choix d'hommes de ce caractère ? « Assurément. « Il est donc clair que le caractère de l'homme et celui de la femme sont pareils pour la garde de la cité, sauf que l'un est plus fort, et l'autre plus faible. « Cela me paraît ainsi. « Ce sont donc des femmes de ce tempérament, qu'il faut associer à des hommes du même, caractère, pour qu'ils habitent et conservent en commun, puisqu'ils sont doués de cette qualité, et qu'ils sont pareils en nature. — Tout à fait. « Ne faut-il pas confier à des natures semblables, des institutions analogues ? » C'est donc d'accord avec la raison, que notre Verbe admet non seulement le sexe viril, mais encore les femmes, non seulement les hommes libres et les esclaves, mais les Barbares et les Grecs, à la science et à la philosophie, suivant Dieu.
CHAPITRE XXXIII.QUE L'ON NE DOIT PAS CALOMNIER TOUTE NOTRE POPULATION, A CAUSE DE QUELQUES INDIVIDUS QUI NE VIVENT PAS SUIVANT LA RÈGLE.
« [71]Tournons nos regards de ce côté : si un homme louait l'éducation des chèvres, tant à cause de l'animal que comme possession, en soutenant que c'est une bonne chose; puis, qu'un autre ayant vu des chèvres, paissant sans chevrier, et causant du dégât dans des champs ensemencés, se mît à en dire du mal ; ou qu'en voyant toute espèce de bétail sans pasteur, on conduit par de mauvais pasteurs, il en tirât des conclusions défavorables (à l'éducation des bestiaux), ne pensons-nous pas que, par analogie, nous pourrions décrier les choses les plus estimables? Et comment? » Après quelques phrases, il ajoute : « Quoi donc, louangeur ou censeur d'une association quelconque, de l'essence de laquelle il résulte qu'elle doit être soumise à un chef, avec lequel elle peut rendre de grands services; s'il ne l'avait jamais vue bien constituée avec son chef, mais toujours dans l'anarchie, ou dirigée par de mauvais chefs; pensons-nous que de semblables observateurs puissent sciemment blâmer ou louer de telles agrégations d'hommes? —- comment le feraient-ils? » Il n'est donc pas convenable, si l'on voit entre les nôtres, des individus sans supérieur et sans chef ou sous la conduite de mauvais chefs, se conduisant mal, de décrier toute notre école. Ne devrait-on pas plutôt admirer nos institutions théocratiques, d'après la conduite de ceux qui mettent tous leurs efforts à en suivre les préceptes?
CHAPITRE XXXIV.COMMENT PLATON A TRANSPORTÉ DANS LE PLUS PUR HELLÉNISME LES ORACLES CONTENUS DANS NOS PROVERBES.
Nous usons dans les Proverbes de Salomon, cette sentence brièvement énoncée : « La mémoire des justes est entourée d'éloges, le nom des impies s'éteint.[72] » Il a dit encore : « N'appeler, pas un homme heureux avant son décès.[73] Ecoutez maintenant comment Platon développe cette pensée, dans le septième livre des Lois (18). « Il serait convenable que les citoyens qui ont terminé leur carrière, après avoir accompli de grandes et laborieuses entreprises, soit du corps, soit de l'âme; et qui, dans toute leur vie, ont montré une soumission sans bornes aux lois, reçussent un éloge public. Comment cela ne leur serait-il pas dû? Célébrer par des panégyriques et des poèmes ceux qui sont encore vivants, est une démarche hasardeuse, tant que n'ayant pas parcouru toute la durée de l'existence, on ignore si leur fin sera honorable. Cette règle de conduite est commune chez nous, tant pour les hommes que pour les femmes qui se sont rendus illustres par leur vertu.
CHAPITRE XXXV.SUR LA RICHESSE ET LA PAUVRETÉ.
Salomon dit dans les Proverbes : « Ne me donnez ni la richesse ni la pauvreté[74] ; et Platon, dans le quatrième de la République: « Nous avons encore découvert d'autres dangers contre lesquels les conservateurs doivent à tout prix se mettre en garde, afin qu'ils ne se glissent pas a leur insu dans l'état. « Quels sont-ils ? « La richesse et la pauvreté, lui dis-je, desquelles l’une engendre le faste, l'indolence, et le penchant aux innovations, l'autre, produit la bassesse des sentiments (κακοεργία), en outre de l'esprit de faction. » (Cacœrgie désigne toute action déshonorante.)
CHAPITRE XXXVI.DU RESPECT FILIAL.
Moïse ayant dit dans ses Lois: « [75]Que chacun craigne son père et sa mère. » Puis : « Honorez votre père et votre mère afin que le bonheur vous arrive.[76] » Platon a dit également dans ses Lois, qu'on devait les honorer et les craindre. « [77]Que tout homme doué de sens, craigne et honore les imprécations de ses auteurs, sachant qu'elles ont eu une issue certaine pour beaucoup d'hommes dans beaucoup de circonstances (19). » Dans un autre passage, il dit encore : « [78]Que tout citoyen montre dans ses actions et dans ses discours, qu'il respecte la vieillesse ; et quiconque, soit homme, soit femme, a vingt ans d'âge de plus qu'un autre, qu'il soit considéré par le plus jeune, comme un objet de vénération à l'égal, d'un père et d'une mère. »
CHAPITRE XXXVII.DE LA POSSESSION OU ACQUISITION DES ESCLAVES.
Moïse, défendant aux Hébreux dans ses Lois., d'asservir d'autres Hébreux, et disant : « Si vous faites emplette d'un esclave Hébreu, il ne devra être à votre service que pendant six ans : la septième année, vous le renverrez en liberté.[79] » Platon dit également dans la République, que nous ne devons pas avoir en notre possession, d'esclave qui soit Grec, et nous devons même conseiller aux autres Grecs d'en faire autant. « Assurément dit-il, « Par cette manière d'agir, s'ils s'abstenaient les uns des autres, ils acquerraient plus de force contre les Barbares.[80] »
CHAPITRE XXXVIII.COMMENT PLATON A TRADUIT LE PASSAGE DE MOÏSE : NE DEPLACEZ PAS LES LIMITES ÉTERNELLES QUE VOS PÈRES ONT FIXÉES.
« Que personne n'essaye de déplacer les limites de la terre, ni celles d'un concitoyen son voisin, ni d'un habitant quelconque, dont la propriété est limitrophe de la sienne, fût-il étranger, et à la frontière, pourvu qu'il soit au nombre de ses voisins; en étant sincèrement persuadé de la vérité de cette maxime, qu'on ne doit pas remuer ce qui est immuable.[81] » A la suite, il ajoute : « Quiconque laboure la terre de son voisin, en dépassant les limites, qu'il en paye le dommage ; puis ensuite, pour guérir son impudence et sa grossièreté, qu'il paye encore le double de la valeur du dommage à celui qui en a souffert. »
CHAPITRE XXXIX.PASSAGE SEMBLABLE A CELUI QUI DIT : TRANSPORTEZ AUX ENFANTS DE CEUX QUI ME HAÏSSENT, JUSQU'A LA 3e ET 4e GÉNÉRATION, LA FAUTE DE LEURS PÈRES.
« En un mot, que les opprobres et les châtiments du père ne se reversent sur aucun des enfants, à moins que le père, le grand-père et le bisaïeul, n'aient successivement encouru des peines capitales.[82] »
CHAPITRE XLDES VOLEURS.
La loi de Moïse a prononcé : « Si quelqu'un dérobe un veau, un mouton, l'égorge et le vend, il payera en dédommagement cinq veaux pour un, quatre moutons pour un; s'il est pris sur le fait, et qu'on le découvre ayant encore en main l'objet de son vol, depuis le veau et l'âne jusqu'au mouton, il payera le double d'animaux vivante.[83] Ecoutez comment Platon adopte les même· mesure·, en disant[84] « qu'une pareille loi soit portée à l'égard du voleur que l'objet volé soit de prix ou non, et que le même genre de peine soit infligé à tous ; l'objet volé, puis le double de la valeur, doivent être rendus. Quiconque aura subi une pareille condamnation, et qu'il soit d'ailleurs en possession d'une fortune suffisante, doit acquitter sa condamnation sur son patrimoine ; si, au contraire, il est sans fortune ; qu'il soit détenu jusqu'à ce qu'il ait payé, ou (désarmé la poursuite du plaignant), d'une manière quelconque (20). »
CHAPITRE XLI.DU VOLEUR ASSASSINÉ.
Moïse ayant encore dit : « Si un voleur a été découvert au moment où il creusait et qu'il ait péri sous les coups qu'on lui a portés, cela n'est point un meurtre.[85] » Platon partage ce sentiment lorsqu'il dit : « Un voleur de nuit qui s'introduit dans une maison pour y voler de l'argent, s'il est tué de dessein prémédité, laisse innocent celui qui l'a tué. Egalement, si, en se défendant contre un voleur d'effets, il le tue; qu'il soit déclaré innocent.[86] »
CHAPITRE XLII.DES BÊTES DE SOMME.
« Si donc une bête de somme ou un animal quelconque, à l'exception de ceux qui, dans les jeux institués par l'état, viendraient, dans la lutte, à tuer un des athlètes, avait commis un homicide; que les parents de la victime portent plainte contre l'animal homicide, que les édiles, quels qu'ils soient et en quel nombre qu'ils soient, auxquels le parent aura déféré ce crime, instruisent l'affaire, et qu'après avoir fait exécuter le coupable, ils en fassent porter les restes hors des limites de la contrée.[87] C'est Platon qui parle ainsi. Moïse l'avait devancé lorsqu'il a dit : « Si un taureau a frappé de ses cornes un homme ou une femme, en sorte de leur donner la mort; qu'il soit lapidé, qu'on s'abstienne de se nourrir de sa chair; mais que le maître du taureau soit tenu pour innocent.[88] »
CHAPITRE XLIII.QUE PLATON A FAIT USAQE DES MÊMES EXEMPLES QUE NOUS TROUVONS ALLÉGUÉS DANS L'ÉCRITURE DES HÉBREUX.
L'écriture prophétique ayant dit : « Fils de l'homme, voici que la maison d'Israël m'a été faite par un amalgame d'airain, d'étain, de fer et de plomb, qui se trouve fondu au milieu d'un fourneau à épurer l'argent. C'est pourquoi dites : Voici ce que le Seigneur dit : En raison de ce que vous êtes devenus tous dans un amalgame complet, je vous, éprouverai comme on éprouve l'argent, l'airain, le fer, le plomb et l'étain, au milieu d'un fourneau, en y soufflant le feu et en les mettant en fusion.[89] » Ecoutez maintenant comment Platon dit les mêmes choses:[90] « Ecoutez donc le reste de la fable. Nous sommes tous frères en tant que nous habitons une même cité. Cependant, dirons-nous, en continuant la fable, Dieu, en moulant son ouvrage, a su mêler l'or dans l'engendrement de ceux d'entre nous qui sont propres à gouverner; ce qui fait qu'ils sont les plus honorés. Viennent ensuite les auxiliaires, auxquels il a mêlé l'argent, le fer et l'airain ont été employés pour, les laboureurs et les autres artisans (21). En effet, quoique étant tous unis par la communauté d'origine, et quoique nous engendrions le plus souvent des fils qui nous ressemblent, néanmoins il arrive que l'or soit engendré de l'argent, et tous les autres pareillement les uns des autres. C'est donc d'abord et principalement au magistrats que Dieu prescrit de ne se montrer diligents conservateurs d'aucune chose plus que du mélange des races, en démêlant ce qui constitue le meilleur amalgame des éléments des âmes ; rien ne mérite autant de fixer leur attention. Si, parmi eux, il est né quelque sujet qui tienne de l'airain et du fer, ils ne doivent à aucun titre se prendre de corn passion pour lui ; mais rendant à chaque nature l'honneur qui lui est dû, ils le repousseront parmi les artisans et les laboureurs. Si, en échange, du sein de ces derniers, sort une liguée qui participe à l’or ou a l'argent, en lui rendant le rang qui lui appartient, ils en appelleront, les uns à la conservation des lois, les autres à en être le soutien ; car un oracle a déclaré, que l'Etat doit périr lorsque le fer présidera à ses destinées ou que l'airain, sera chargé de sa garde. Connaissez-vous quelque moyen de faire croire à cette fable ? »
CHAPITRE XLIV.SUR D’AUTRES COMPARAISONS SEMBLABLES ENTRE ELLES.
La prophétie des Hébreux ayant dit aux princes du peuple : « O pasteurs d'Israël, est-ce que les pasteurs ne font paître qu'eux? ne doivent-ils pas mener les troupeaux au pâturage? et voici que vous avalez le lait, vous égorgez tout ce qui est gras, vous vous revêtissez des toisons, et vous ne faites plus paître mes troupeaux. Vous ne volez pas à la recherche des brebis égarées, vous ne bandez pas leurs membres fracturés et vous ne ramenez pas au bercail ce qui s'est fourvoyé.[91] » Maintenant, citons le pasteur lorsqu'il dit : « Le bon pasteur donne son âme pour ses brebis. Le mercenaire, qui n'est point le pasteur, à qui les brebis n'appartiennent pas, les abandonne.[92] » Maintenant, écoutez Platon dans le premier livre de la République, et voyez de quelle manière il développe cette image:[93] « Maintenant, voyez, ô Thrasymaque (car nous devons retenir à l'examen de ce qui a déjà été dit, lorsque vous avez d'abord défini le médecin, celai qui soigne les malades (22), lorsqu'il est digne de ce nom), si vous ne croyez pas devoir également nous dire, en parlant du pasteur, qu'il doit donner ses soins à la garde ultérieure da troupeau. Mais, suivant vous, il doit se borner à faire paître les brebis en tant que pasteur, sans la préoccupation d'améliorer leur sort. Vous le transformez en un maître d'hôtel qui ne pense qu'a la splendeur du festin pour régaler les convives, ou en un marchand de bestiaux qui ne songe qu'à la vente. Ce n'est plus là un pasteur. L'attribution du pasteur doit s'étendre à tout ce pour quoi sa fonction a été instituée à savoir, à fournir à son troupeau ce qui peut lui procurer le plus de bien-être ; c'est dans la vue qu'il le rendit le meilleur possible que ce troupeau a été remis en ses mains, et pour qu'il ne manquât à rien de ce qui constitue les fonctions pastorales. Telle était l'opinion que.je m'étais formée à cet égard. Maintenant je suis forcé de vous déclarer que toute autorité, en tant qu'elle commande, ne doit se proposer aucune amélioration pourquoi que ce soit, en dehors de la sphère de ses subordonnés, autant dans la carrière politique que dans la vie privée. Or, pensez-vous que; dans les républiques, les magistrats, véritablement tels, doivent se livrer sans réserve à l'exercice de lettre charges ? »
CHAPITRE XLV.SUR LE MÊME SUJET.
La prophétie, chez les Hébreux, s'étant exprimée ainsi:[94] « C'est de votre crainte, Seigneur, que nous avons conçu, que nous avons éprouvé les douleurs de l'enfantement, et que nous avons mis au jour l'esprit de salut. » Platon, dans le Théétète, fait parler Socrate en ces termes : « Ceux qui me fréquentent, éprouvent des souffrances pareilles à celles des femmes enceintes : ils oui les douleurs de l'enfantement, sont pleine de troubles le jour et la nuit, beaucoup plus que ces femmes ; et mon talent consiste à éveiller ces douleurs ou à les calmer. »
CHAPITRE XLVI.TOUJOURS SUR LE MÊME SUJET.
Le prophète Ezéchiel ayant dit:[95] « La main du Seigneur s'est étendue sur moi; j’ai vu, et voici l'esprit de destruction qui a commencé de s'agiter. » Puis ensuite il ajoute : « Dans le milieu était comme la ressemblance de quatre animaux, et leur aspect était tel. C'était comme la ressemblance d'un homme avec quatre visages sur un même corps, et la ressemblance de ces visages était telle ; un visage d'homme, un visage de lion à droite des quatre, un visage de veau à gauche des quatre, et un visage d'aigle complétait les quatre. » Entendons maintenant Platon:[96] « Maintenant, lui dis-je, entrons dans la question, puisque nous sommes tombés d'accord sur la signification précise de chacun des termes, commettre des injustices et pratiquer la justice. « Mais comment nous y prendre? dit-il. « Ce sera en nous formant une image de l'âme par le discours, de manière à ce que l'orateur voie ce qu'il a avancé. « Mais quelle espèce de figure, dit-il? « Une de ces figures telles que les mythologies nous représentent les anciennes natures de la Chimère, de Scylla, de Cerbère, et de tant d'autres, en grand nombre, dont nous accolerons, comme sur un même support, les nombreuses monstruosités. « On dit, en effet, que ces natures ont existé. « Figurez-vous donc une image formée de cet animal si divers et avec de nombreuses tête, réunissant à la fois les têtes d'animaux apprivoisés et celles des bêtes féroces, doué de la faculté de se transformer en toutes ces espèces et de les produire de lui-même, en grand nombre. « Ce sera, dit-il, une œuvre plastique de création bien étrange. Néanmoins, puisque la parole a encore plus de facilité à se mouler que la cire, ou toute autre substance analogue; soit : composons ce fantôme. « Faites donc l'une de ces images avec la figure d'un lion, et l'autre avec celle d'un homme. Que la première soit beaucoup plus grande ; que la seconde conserve son rang d'infériorité. « Toutes ces choses, dit-il, sont des plus faciles, et les voilà faites. « Enchaînez ces trois apparences en un même sujet, de manière à ce qu'elles semblent avoir pris naissance en même temps. « Cet enchaînement est fait. « Ajoutez-y extérieurement l'apparence d'une seule et même créature, soit celle d'un homme, en sorte que pour celui à qui la vue intérieure de cet objet est refusé, ne voyant que la gaine qui le recouvre, il se persuade que l'animal soumis à ses regards soit unique, et que ce soit un homme. « Cet entourage est terminé. « Disons maintenant à celui qui prétend qu'il peut être utile à l'homme de commettre des injustices, et qu'il est contraire à ses intérêts de pratiquer la justice, qu'en cela il ne dit pas autre chose, sinon qu'on doit persuader à l'homme, obligé du nourrir somptueusement cet animal aussi bizarre, que ce qu’il peut faire de mieux c'est de fortifier le lion et tout ce qui est dans sa dépendance, d'épuiser par l'inanition et d'affaiblir l'homme à ce point qu'il se laisse traîner par les autres ou il leur plaît de le conduire, et cela plutôt que de les accoutumer à vivre entre eux; et plutôt que de chercher à les unir par l'amitié, permettre qu'ils se mordent et se déchirent jusqu'à se dévorer..... « Voilà mot pour mot, en effet, dit-il, ce que soutiendrait celui qui donnerait des louanges à l'injustice. « En conséquence, et au contraire, celui qui soutiendrait que les actions justes sont utiles, prétendrait que l’on doit dire et faire de telles choses en vertu desquelles l'homme intérieur prendra l'ascendant sur l'homme extérieur : il prendra soin de cette créature à tant de têtes, comme le fait le cultivateur qui nourrit et dresse les animaux dociles et qui s'oppose à la reproduction des animaux féroces. En se donnant le lion pour auxiliaire, en prenant un soin commun de tous, il tâchera de les unir et de se les attacher par les liens d'une amitié réciproque. Voici de quelle manière il pourvoira à leur entretien, car celui qui fait l'éloge de la justice dit à la fois toutes ces choses. »
CHAPITRE XLVII.QUE PLATON, DANS LES LOIS, DIVISE LES CITOYENS EN DOUZE TRIBUS, A L’INSTAR DE LA NATION HÉBREUSE.
La nation des Hébreux étant distribuée en douze tribus, Platon établit comme loi que l'on doit observer la même division entre les citoyens de sa république. Voici en quels termes:· « Que tout le pays soit divisé en douze parties égales pour la valeur, et qu'une tribu, désignée par le sort, soit mise en possession de chacune de ces divisions territoriales, et que chaque tribu propose annuellement cinq tant agronomes que phylarques.[97] » Il dit encore : « Que les douze stratèges élus leur proposent des commandants de bataillon (ταξίαρχοι) un pour chaque tribu.
CHAPITRE XLVIII.PLATON ORDONNE PAR SES LOIS DE CONSTRUIRE LA CITÉ DANS LE VOISINAGE D’UN FLEUVE; IL EN DONNE UNE DESCRIPTION A LA CONTRÉE OU EST SITUÉE JÉRUSALEM.
La métropole royale des Juifs ayant une existence bien plus ancienne, dans un pays écarté de la mer, au milieu des montagnes, et d'une fertilité incontestable, Platon dit, dans ses Lois,[98] que telle doit être la ville qu'il se propose de construire. Voici de quelle manière : « Ce que je veux surtout vous demander au sujet de cette ville, c'est si elle doit s'élever sur le rivage de la mer, ou bien au milieu des terres. « La ville, dont il est question entre nous, doit à peu près être distante de quatre-vingts stades de la mer. « Mais-quoi! n'y aura-t-il pas de ports à portée, ou sera-ce dans un pays sans port de mer ? « Cette contrée doit avoir de bons ports autant qu'il est possible d'en avoir, ô étranger. « Eh bien! Que dites-vous·? Quel devra être le territoire qui l'environne ? Sera-ce un sol fertile en tout, ou stérile à quelques égards? « Il doit à peu près produire tout ce qu'on cultive. « Etablirez-vous une ville dans le voisinage de celle-ci? « Je ne le voudrais guère, par la raison pour laquelle je construis cette ville. Une ancienne émigration ayant, en effet eu lieu dans ce pays, avait fini par le rendre complètement désert, depuis un temps infini. « Cependant, à l'égard des plaines, des montagnes, des forêts, dans quelle proportion voulez-vous qu'elle possède chacune de ces choses ? « Elle doit être à peu près, quant à la disposition du terrain, comme, l'ensemble de la Crète. « Elle aura donc plus de montagnes que de plaines? « Tout à fait. « Elle ne sera pas, de la sorte, tout à fait stérile en vertus, pour les habitants. Si elle devait être entièrement maritime, en jouissance d’excellents ports, et que son sol, rebelle à la culture, lui refusait beaucoup de produits naturels, elle serait dans le cas d'implorer l'assistance d'un grand sauveur ou de législateurs divins, pour ne pas renfermer dans son sein une variété infinie de caractères vicieux, ce qui est approprié aux villes placées dans cette situation (23). Maintenant nous avons un préservatif contre ce danger dans un éloignement de la mer de quatre-vingts stades, qui serait presque dans lu cas d'en être encore trop près, si, comme vous le dites, cette côte est d'un abordage facile. Néanmoins, nous devons nous en contenter, encore que si la mer qui baigne cette plage offre des avantages journaliers, par son calme habituel, ce n'en est pas moins un voisinage plein d'amertume et d'acrimonie, qui infectera la ville de l'esprit de négoce et d'agiotage qui ont pour résultat de produire dans lésâmes là duplicité et la perfidie : ce qui rendra cette ville peu sûre en amitié et en bonne foi pour elle-même, à plus forte raison pour les autres peuples. Mais l'adoucissement à ce mal consiste dans la possession d'un territoire propre, il est vrai, à toute espèce de culture; mais qui, étant inégal et escarpé, ne peut pas produire en abondance toutes les plantes qu'il reçoit dans, son sein; tandis que, si elle avait encore cet avantage, exportant la surabondance de ses produits, elle recevrait en échange beaucoup d'or et d'argent monnayés: ce qui, pour le dire en un mot, serait le plus grand obstacle à ce qu'elle fit éclore des caractères à la fois nobles et équitables! » Après avoir donné ce faisceau de preuves à l'appui de nos assertions, passons à l'examen de la manière dont, après avoir montré combien il réprouvait le système d'éducation mis en pratique par les Grecs, Platon partageait les opinions des Hébreux à ce sujet. Voici comme il le déclare dans le dixième livre de la République.
CHAPITRE XLIX.COMMENT PLATON REPOUSSE, A CAUSE DES DANGERS QU’ELLE PRÉSENTE, LA PREMIÈRE ÉDUCATION DES GRECS.
Parlons donc entre nous,[99] car vous n'irez pas me dénoncer aux poètes tragiques ni à tous ceux qui se. bornent à âtre imitateurs, tout cela me semble une peste mentale pour ceux qui l'entendent, à moins que leur entendement ne soit en possession d'un contrepoison qui leur fasse connaître ces choses, telles qu'elles sont en effet. « Dans quelle pensée parlez-vous ainsi? « Il faut bien que je parle à cœur ouvert, répartis-je, encore que mon amour et mon respect, pour Homère, depuis l'âge le plus tendre, semble m'en faire la défense ; car on peut considérer Homère comme le premier instructeur et le chef de tous les tragiques. Quoi qu'il en soit, aucun homme ne doit être plus apprécié que la vérité ; disons donc ce que nous avons à dire. Vous devez le faire, me répondit il. » Platon répond plus bas: « Ne demandons compte de ces choses ni à Homère ni à aucun des poètes, en leur adressant cette question : Y a-t-il eu parmi vous des médecins qui soient autre chose que des imitateurs du langage des médecins? Quel poète entre les anciens et les modernes est dit avoir rendu la santé aux autres, comme le fît Esculape? quels disciples de son art sont restés après lui, comme après celui que nous venons de nommer qui a laissé les Asclépiades? N'allons pas non plus lui faire la même question au sujet des autres arts; laissons-le en repos sur ce point. A l'égard des autres questions plus relevées et plus magnifiques, telles, que les guerres, les commandements d'armée, le gouvernement des états, l'éducation des citoyens, il est juste que nous interrogions Homère en lui disant : O mon cher Homère, si vous n'êtes pas le troisième ordonnateur qui, en partant de la réalité, nous ayez donné un simulacre de la vertu : ce que nous avons qualifié du nom d'imitation: si vous êtes bien réellement le second, vous devez être capable de connaître, quelles institutions sont propres à rendre nos hommes meilleurs ou plus méchants, tant comme hommes politiques que dans les relations privées : Dites-nous donc quelle est la république qui vous doit d'avoir été mieux constituée, comme l'a été Lacédémone, douée par Lycurgue des institutions qui la régissent, et comme une foule d'antres républiques grandes et petites, réformées par d'autres législateurs ; quelle est, dis-je, la cité qui vous reconnaît comme son excellent fondateur, et qui vous rende le témoignage du bien, que vous lui avez procuré? L'Italie et la Sicile nomment Charondas, et nous, Solon. Qui aura la même chose à dire de vous ? « Je ne pense pas, dit Glaucon, qu'il y en ait aucune. Il n'est pas nommé tel, même par les Homérides. « Maintenant, de quelle guerre parle-t-on qui ait été faite avec succès sous la conduite d'Homère, ou du moins, d'après ses conseils? « D'aucune. « Mais alors quelles œuvres de sagesse, quelles inventions nombreuses, ingénieuses dans les arts ou dans telle autre carrière que ce soit, peut-on lui attribuer, comme on le fait pour Thalès de Milet et pour Anacharsis le Scythe? « Je n'en connais absolument aucune. « Si ce n'est à l'Etat comme corps politique, ne dit-on pas au moins qu'Homère a servi de guide, dans l'éducation privée, et qu’il a eu des disciples qui se complaisaient dans leur rapports intimes avec lui, au point de transmettre à la postérité une certaine manière de vivre qu'on appelle Homérique; comme Pythagore s'est fait chérir a un tel point qu'on nomme encore aujourd'hui vie Pythagorique celle adoptée par ses successeurs, qui se distinguent par leur régime entre tous les autres hommes ? « On ne dit rien de semblable d'Homère, car se pourrait-il, ô Socrate, que Créophyle, le compagnon d'Homère, se fût rendu encore plus ridicule, par sa philosophie que par son nom, si ce qu'on dit de lui relativement à Homère est vrai ; car on assure qu'il montra la plus grande indifférence pour ce poète, au temps de leur intimité (24). « On le dit, en effet, lui repartis-je. Mais pensez-vous, Glaucon, que si Homère eût été capable d'élever les hommes et de les rendre meilleurs par l'éducation, en ce qu'il eût pu non seulement imiter, mais connaître les choses à fond, il ne· se fût pas attaché un grand nombre de disciples ; il n'eût pas été estimé et chéri d'eux? Me voyons-nous pas que Protagoras d'Abdère, que Prodicus de Céos et beaucoup d'autres, ont réussi à persuader à leurs contemporains, que s'ils ne s'attachaient à eux intimement, que s'ils ne les chargeaient de refaire leur éducation, ils ne seraient jamais aptes à administrer convenablement ni leur fortune particulière ni leur pays et, au moyen de leur sagesse, ils s'en sont faits tellement chérir que ces mêmes hommes les portaient, pour ainsi dire, sur leurs têtes. Or, les contemporains d'Homère et d'Hésiode, si ces poètes eussent été capables de porter les hommes aux vertus les auraient-ils laissé parcourir de vastes contrées en chantant leurs vers? n'auraient-ils pas cherché, à prix d'or, à les retenir, en les contraignant d'habiter avec eux; ou, s'ils n'avaient pu les y faire consentir, ne les auraient-ils pas suivis partout ou ils auraient pu recueillir leurs instructions, jusqu'à ce qu'ils eussent été initiée à leur savoir dans une mesure suffisante ? « Ce que vous dites là, Socrate, me paraît de la plus exacte vérité. « Etablissons donc en fait que tous ceux qui s'adonnent à la poésie, à commencer par Homère, ne sont que des imitateurs de simulacres de vertu et de tout autre sujet de composition qu'ils ont adopté, qui jamais ne mettront la main sur la vérité. Comme nous le disions tout à l'heure, le peintre peut faire croire qu'on voit un cordonnier, sans qu'il comprenne rien au métier de cordonnier; mais par l'artifice de la couleur et du dessin il persuadera à ceux qui n'y entendent pas plus que lui, qu'ils voient réellement un cordonnier. « Assurément. « Nous pourrons dire de même, à ce qu'il me semble, que le poète donne une couleur des arts qu'il décrit, à chaque nom et à chaque verbe qu'il emploie; sans pénétrer dans la connaissance de ce qu'il enseigne, autrement que par l'imitation. Et cependant tous ceux qui lui ressemblent croient découvrir, la vérité dans ses paroles ; s'il parle de l'art de travailler le cuir, il paraîtra en parler très bien, pourvu que ce soit d'après les règles de la mesure, du rythme et de l'harmonie ; il en sera de même s’il parle du commandement des armées ou de tout autre art. Il doit, en effet, à la nature de répandre un vernis de séduction sur tous les sujets qu'il traite ; lesquels, dépouillés du prestige de la musique et traités en eux-mêmes, vous feraient comprendre tout ce que je vous ai dit sur les attraits que leur donne la poésie. Ne l’avez-vous pas déjà remarqué? « Je l'ai remarqué, en effet, dit-il. » Puisque nous sommes sur ce sujet, je crois à propos de parcourir brièvement les écrits de Platon dans certains passages où s'appuyant sur les dogmes des Hébreux, il fonde la vérité, relativement à Dieu et à sa Providence, sur les bases les plus logiques. Voyons d'abord comment, il développe les doctrines des athées.
CHAPITRE L.TIRÉ DU DIXIÈME LIVRE DES LOIS. DE L’OPINION DES ATHÉES.
« Certains penseurs ont dit que toutes les choses qui existent, sont, ont été, ou seront, les unes par le nature, les autres par l'art, les troisièmes par le hasard. « C'est assez bien pensé. « Il est donc raisonnable de dire que ces sages ont bien parlé. Mais en marchant sur leurs traces, examinons ce qu'en ont déduit ceux qui appartiennent à leur école. « J'y consens. « Il semble, disent-ils, qu'entre toutes les choses, les plus grandes et les plus belles sont dues à la nature et au hasard, et que ce sont les moindres qui procèdent de l'art, lequel, recevant de la nature la création des grandes et premières œuvres, les remanie et les recompose pour en former les plus petits produits, que nous nommons tous, produits des arts. « Comment dites-vous œla ? « Je vais m’expliquer avec plus de clarté. Le feu, l’eau, la terre et l'air, sont tous, disent-ils, des effets directs de la nature ou du hasard : rien en eux ne procède de l'art. Les corps qui viennent après ceux-ci, savoir, le soleil, la lune et les astres, procédant de la même cause, étant tous complètement inanimé·, sont mus par le hasard, qui, coïncidant avec la faculté de mouvement dont chacun de ces corps est individuellement doté, et combinant les substances chaudes avec les froides, les sèches avec les humides, les molles avec les dures; enfin, les contraires avec les contraires, en forme, par une action fortuite, la mixtion qui leur est nécessaire. « C'est par ces causes que se sont produits, d'une manière uniforme, le ciel entier, tous les animaux et toutes les plantes et les saisons de l'année. Rien en eux, prétendent-ils, n'est le résultat d'une intelligence quelconque, ou l'ouvrage d'un Dieu ; mais ce sont, ce que nous avons dit, des effets dus à la nature et au hasard. Ce n'est que bien plus tard que l'art s'est formé. Venu bien après ceux-ci, mortel comme ceux.de qui il tenait l'existence, l'art n'a su créer tardivement que des jouets d'enfants qui n'ont pas proprement une réalité d'existence; mais ne sont que des simulacres en tout semblables, à ce qui leur a donné l'être : tels que la peinture, la musique et tous ceux qui s'y associent sont capables d'en produire. Si parmi les arts, il en est qui donnent lieu à des méditations sérieuses, ce sont ceux qui, se mettant en communication avec la nature, en tirent, toute leur efficacité. Je veux dire la médecine, l'agriculture, la gymnastique et même la politique, laquelle pourtant, empruntant peu de chose à la nature, existe principalement par l'art. Aussi la législation toute entière étant un produit, non de la nature, mais de l'art, ne repose-t-elle que sur des bases dépourvues de vérité. « Comment dites-vous? « C'est par l'art et non par la nature, disent ces mêmes hommes, qu'on a d'abord affirmé qu'il existait des Dieux, lesquels, n'ayant de réalité que par les lois, sont différents entre eux, suivant les lieux et les peuples qui les reconnaissent, en vertu des lois qui les imposent. Cependant ce qui constitue le mérite des choses est fort différent si l’on consulte la nature ou la loi. La nature n'admet aucune idée de justice; elle laisse les hommes flotter sur ces notions en les déplaçant sans cesse. Or, tout de ce qui est sujet à variation, qui n'a de stabilité que pendant le temps où la sanction légale le prescrit partiellement, peut bien être le produit de l’art et des lois; mais ne saurait dépendre en rien de la nature. Telles sont, ô mes amis, les doctrines de certains hommes qui passent pour sages dans l'esprit des jeunes gens et des poètes vulgaires, qui déclarent que rien n'est plus juste que la violence couronnée par le succès : principes d'où découlent les impiétés des hommes dans la fleur de l'âge, qui nient que les Dieux, vers lesquels la loi nous ordonne de diriger nos pensées, soient des Dieux véritables. De là, naissent tous les troubles politiques, occasionnés par ceux qui, nous entraînent vers ce qu'ils nomment la vie conforme à la nature, qui n'est autre, dans la vérité, que de vivre en dominant ses semblables, sans s'asservir à personne, en suivant la loi.· « Quel discours venez-vous de tenir là, ô étranger, et quel fléau venez-vous d'importer pour la jeunesse, tant en public dans le gouvernement qu'en particulier dans la vie domestique? »: Après beaucoup, d'autres réflexions, il continue: « Cependant redites-moi, Clinias, car vous devez vous associer à moi dans tous nos entretiens : celui qui énonce de telles doctrines ne semble-t-il pas insinuer que le feu, l'eau, la terre et l'air doivent être considérés comme les causes premières de l'existence de toutes choses. Ce sont eux qu'ils décorent du nom de nature, en faisant procéder l'âme de ces mêmes principes; mais postérieurement. On plutôt, ils ne l'insinuent pas, mais le déclarent hautement par leurs discours. « Incontestablement. « Mais, par Jupiter, n'aurions-nous pas, à peu près, trouvé la source de la folle doctrine de tous ces prétendus scrutateurs des choses de la nature ? Permettez que nous passions en revue toute cette suite de raisonnements; car il ne serait pas d'un petit intérêt de démontrer que ceux qui ont les premiers mis la main sur ces propositions impies, qui les ont enseignées aux autres, loin de raisonner pertinemment, ont péché contre toute logique. Du moins il me semble qu'il en est ainsi. «Vous êtes dans le vrai; mais essayez de nous le démontrer « Nous aurons donc à toucher à des questions qui sortent de la marche commune. » Il ajoute, après quelques phrases : « Ils me paraissent tous, ô mon cher, ou peu s’en faut, avoir complètement; méconnu ce qu'est l'âme, quelle est sa puissance, quels sont ses attributs et que, quant à l'origine, elle tient le premier rang, ayant précédé l'existence de tous les corps ; qu'enfin, elle est cause de toutes les transformations et de tous les changements qui s'opèrent dans l'univers. S'il en est ainsi, ne doit-on pas conclure forcément que tout ce, qui dépend de l'âme doit primer les attenances du corps, puisqu'elle est plus ancienne que le corps ? « Cela est indispensable. « L'opinion, la méditation, l'intelligence, l’art et la loi sont donc antérieurs aux corps durs et mous, pesants et légers. Les œuvres excellentes et primordiales seront donc des effets de l'art, et prendront le pas sur les autres. Tandis que les choses de la nature, et la nature elle-même, dont ils profanent le nom, sont postérieures, et ne sauraient commencer d'être que par l'art et l'intelligence. « Comment cela ? « C'est qu'ils veulent, à tort, prétendre que la nature n'est autre chose que l’engendrement des éléments. Car, si on leur démontre que l'âme est la première, et non pas le feu ou l'air, cette âme, comme premier engendrement, devra, à bon droit, être mise bien au-dessus de la nature. Or, cette supposition deviendra une vérité, du moment où l'on démontrera que l'âme est plus ancienne que le Corps. On n'y saurait arriver par une autre marche. « Rien n'est plus vrai que ce que vous dites.
CHAPITRE LI.COMMENT PLATON DISPOSE SON RAISONNEMENT SUR DIEU.
« Allons donc, et si Dieu mérite que nous l'invoquions jamais, c'est bien sans ce moment que nous devons le faire, lorsque nous nous proposons de démontrer qu’il est des Dieux : invoquons le donc avec zèle, et saisissons-nous de cette pensée, comme d'un cordage sûr, pour nous élever à la démonstration. Il me semble, après y avoir mûrement réfléchi, que le plus sûr moyen d'y parvenir sera de répondre à des questions qu'on se sera posées, ainsi qu'il suit. En conséquence, ô étranger, lorsque l'on me dit : serait-il vrai que tout est immobile et qu'il n'y a aucun mouvement dans l'univers ; ou bien, serait-ce la proposition contraire; ou enfin dirons-nous que certaines choses sont en mouvement, tandis que les autres sont fixes ; je répondrai que les unes sont mues, les autres sont immobiles. Est-ce dans un lieu quelconque, que les choses immobiles sont privées de mouvement, et que celles qui sont mues cèdent à leur impulsion? Dans un lieu quelconque. Comment en serait-il autrement? dirons-nous que les unes reposent sur une base unique, en accomplissant leur révolution, tandis que les autres s'appuient sur plusieurs points ? ne voulez-vous pas parler, dirons-nous, des corps qui, prenant leur point d'appui sur un centré, n'opéreront leur révolution que dans un même lieu, car c'est ainsi que s'accomplit celle des sphères, qui ont le nom de fixes? Oui. » A la suite, il ajoute: « Adressons-nous donc encore de la même manière, des demandes auxquelles nous répondrons de même. Si' toutes les choses étaient produites à la fois dans une immobilité complète, ainsi que; la plupart de ces penseurs ne craignent pas de le dire, quelle pourrait être la nécessité qui déterminerait un premier mouvement quelconque de l'espèce de ceux que nous avons énoncés? « Ce ne pourrait être que le· mouvement qui a la faculté de se mouvoir par soi-même; nul changement ne pont provenir d'une autre cause, puisque les corps n'auraient en eux aucune puissance motrice. « Il faut donc que nous admettions nécessairement que le premier et le plus puissant de tous les mouvements narrai les corps en repos et ceux qui sont mis en mouvement, est celui qui se produit par soi-même; que ce mouvement est plus ancien et plus puissant que tous les changements de position déterminés par une cause extérieure; au lieu que le mouvement dû à un moteur étranger, ne vient qu'en seconde ligne.· « Rien n'est plus vrai. « Etant parvenus à ce point, répondons encore ceci. — Que voulez-vous dire? — En considérant les mouvements qui s'opèrent dans les corps terrestres, aquatiques ou ignés, soit isolés ou combinés entre eux, dirons-nous qu'ils nous donnent l'idée d'une énergie propre à un sujet pareil? « Serait-ce que vous ayez l'intention de me demander si nous affirmerons qu'il y a vie, dans ce qui se meut par sa propre vertu? « Précisément ; dites-vous qu'il y a vie ? « Comment en serait-il autrement? « Lorsque nous découvrons une âme dans quelques corps, confesserons-nous que ce qui lui ressemble, est dans des conditions identiques d'existence ? « Nous ne nous exprimerons pas autrement. « Faites bien attention, par Jupiter, à ce que je vais dire. Consentirez-vous à admettre que notre esprit découvre trois termes dans chaque chose ? « Que voulez-vous dire? « L'une est la substance; une autre, la définition de cette substance ; la troisième, le nom qu'on lui donne; en sorte que l'on puisse adresser deux questions sur tout être pris dans son ensemble? « Quelles deux questions? « Premièrement, le nom de chaque chose nous étant proféré le premier, il réclame que nous en demandions la définition; si c'est, au contraire, la définition qui précède, elle exige qu'on nous lasse connaître le nom. Voudrons-nous encore dire ce qui suit ? « Quelle chose ? « Cette division que nous reconnaissons dans les autres choses, nous la· retrouvons dans les nombres. Ainsi, le nom de pair est son nom, comme nombre, et sa définition est : le nombre qui se partage en deux portions égales. « Oui ; je vais développer cette preuve. Ne dirons-nous pas qu'il y a identité d'une façon comme de l'autre ; soit que nous interrogions par la définition, pour obtenir le nom; ou que nous interrogions· par le nom ; pour· obtenir la définition. Si nous commençons par le nom, nous répondrons par la définition, en disant que tout nombre qui se partage également, est pair, et il en sera de même, dans l'ordre inverse. « Cela est de toute vérité. « Maintenant, quelle sera la définition de ce que nous nommons âme? en avons-nous une autre que celle que nous venons d'en donner : ce qui a la faculté de se mouvoir par soi-même? « Vous dites, donc que se mouvoir soi-même, est la définition de cette substance à laquelle, dans l'usage, nous donnons tous, le nom d'âme? « Je le dis, en effet, et si les choses sont telles que je viens de les établir, pourrons-nous encore regretter qu'on ne nous ait pas suffisamment démontré ce qu'est l'âme, en disant qu'elle est le premier mouvement et le premier engendrement de tous, les êtres présents, passés et à venir, de tous eux-mêmes qui sont contraires à son essence, puisque, encore une fois, elle se lait reconnaître comme la cause unique de tout changement et de tout mouvement. « Non, on ne saurait s'en plaindre. On a en effet démontré aussi complètement qu'il se-puisse, que l'âme est la plus ancienne de toutes choses, et le principe de tout mouvement. « N'est-il pas vrai que le mouvement qui s'opère dans un tiers, par l'action d'un tiers, sans jamais donner à penser qu'il puisse procéder du sujet mu, appartient à une seconde production, d'autant plus rabaissée dans l'ordre des êtres, qu'on peut ajouter plus de nombres, en calculant la distance du point de départ du premier moteur, pour arriver au changement survenu dans un corps complètement inanimé ? « Oui, cela est juste. « Assurément, si cela est juste, nous parlerons avec toute vérité et toute raison, en disant que l'âme a précédé l'existence du corps. Que ferons-nous en disant le contraire ? dirons-nous que le corps est en seconde ligne et en position infime, par rapport à l'âme, qui lui commande et à laquelle il est soumis, suivant sa nature ? « Parlant ainsi, vous le ferez avec la plus exacte vérité (25). « Cependant, nous n’avons pas oublié que dans ce qui a précédé, nous avons proclamé que si l'âme paraissait plus ancienne que le· corps, les actes de l'âme auraient également dû précéder ceux du corps. « Assurément, et il s'en suit que les penchants, les caractères, les voûtions, les raisonnements, les opinions vraies, les préoccupations de l'esprit, les réminiscences, ont existé avant les longueurs, les largeurs, les profondeurs, les forces qui sont des attributs du corps, par ta raison que l'âme a précédé le corps. « C'en est une conséquence nécessaire. « C'en est une également d'avouer, par suite, que l’âme est cause des biens et des maux·, des actions louables et honteuses, justes et injustes, et de toutes les oppositions de caractères; puisque nous avons mis en fait qu'elle est la seule cause d'existence! de toutes choses. « Comment cela ne serait-il pas puisque l’âme a créé l'ordre d'après lequel tous les corps muables se meuvent? Puisqu'elle réside dans ces corps, ne serons-nous pas contraints de reconnaître que c'est elle qui a présidé à l'harmonie qui règne dans le ciel? « Comment le nier ? « En admettrons-nous une ou plusieurs? Plusieurs, répondrai-je pour vous. Nous n'en admettrons pas certes moins de deux : l'une bienfaisante, et l'autre, pouvant produire le contraire de la première. « Vous avez parfaitement bien parlé. « Soit. L'âme régit donc tout ce qui est dans le ciel, sur la terre et dans la mer, par les mouvements qui émanent d'elle, que nous désignons par les noms de vouloir, considérer, s'appliquer, délibérer, opiner bien ou mal. En ce réjouissant, en s'affligeant, en osant, en craignant, en détestant, en chérissant, en s’aidant de tous les mouvements analogues, qui sont principes d'action, puis en s'emparant des mouvements secondaires nés corps, elle dirige toutes choses vers l'accroissement ou le dépérissement, la désunion ou le concert, et en fait suivre leurs dépendances naturelles, chaleur, refroidissement, pesanteur, allégement, dureté, amollissement le blanc, le noir, l'astringent et le doux. L'âme faisant emploi de tous ces instruments, lorsqu'elle reçoit les inspirations de l'esprit toujours divin, étant elle-même divine, dirige notre éducation vers tout ce qui' est régulier et heureux. Si, au contraire, elle s'associe à l'extravagance, elle n'exécute que toutes les choses contraires à celles que nous venons d'énoncer. Sommes-nous d'accord pour dire qu'il en est ainsi, ou bien y a-t il entre nous dissentiment par l'idée qu'il en est autrement? « Nullement. « Dirons-nous donc que le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment, sont sous la domination d'une espace essentiellement prudente et pleine de vertus ; c'est-à-dire celle de l’âme; ou dirons-nous qu'elle ne possède aucune de ces qualités ? Voulez-vous que nous répondions à cette question en ces termes? « De quelle manière? « O mon ami ! dirons-nous, si toute la voie du ciel et tout son entraînement, ainsi que celui de tous les corps qu'il contient, accuse une nature semblable et intimement liée au mouvement de l'esprit, à ses retours sur lui-même, à ses raisonnements, à toute son action: il est évident, et nous devons l'affirmer, que c'est la meilleure âme qui prend soin de tout cet univers, et qui guide elle-même sa marche. « Très bien. « Si, au contraire, tout y procède follement et sans méthode, nous déclarerons que c'est la mauvaise âme qui y exerce son empire. « Cela est aussi très bien. « Quelle nature a donc ce mouvement de l'esprit ? Cette question, pour être résolue avec discernement, présente de grandes difficultés ; c'est pourquoi il est juste que je m'entende avec vous pour y répondre pertinemment. « Vous avez raison. « Il en est de cela comme du soleil qui, quand on le fixe, éblouit au point de nous plonger dans l'obscurité, en plein midi. Gardons-nous de répondre que l'esprit peut être connu suffisamment par des jeux mortels; nous en obtiendrons une vue plus certaine, en retournait nos regards yen l'image réfléchie de la chose demandée. « Comment voulez-vous dire ? « En les portant vers celui des dix mouvements que nous avons énumérés, qui a le plus d'affinité avec l'esprit; car c'est en nous rappelant ce qui a été dit à ce sujet, que nous pouvons-faire en commun la réponse à cette question : « Vous ne sauriez mieux parler: « Autant que ce qui a été dit alors est resté dans notre mémoire, nous nous souvenons qu'il a été convenu que de toutes les choses existantes, les unes se meuvent, les autres restent immobiles. « Oui. « Des choses mue, les unes ont un mouvement concentré dans un même lieu, les autres se transportent de lieu en lieu. « C’est est ainsi accordé. « De ces deux mouvements, celui qui s'accomplit dans un même lieu et à perpétuité, doit nécessairement s'exercer sur l'axe d'un centre, à la manière de la roue du tourneur. Or, ce mouvement doit avoir une analogie et une parenté aussi grande qu'il se puisse avec la marche de l'esprit. « Comment dites-vous cela ? « Le voici : dire que ces mouvements concentriques, celui de l'esprit et de la roue du tourneur, auquel nous l'avons assimilé, sont pareils, qu'ils s'exercent d'une manière invariable, uniforme dans un même circuit, autour d'un même centre, pour une raison semblable et d'après une règle constante, ce n'est pas certes nous exposer à passer pour des artisans grossiers, qui atténuent par leur langage l'excellence de leurs modèles. « Vous parlez on ne peut mieux. « Au lieu de cela, si ce mouvement n'a point de données fixes, s'il est variable, passant d'un lieu à l'autre, n'ayant point de centre unique, se produisant sans ordre et sans règle, destitué de cause d'action, ne pourrait-on pas bien dire qu'il est allié à toute espèce de folie ? « Il le serait très véritablement. « Il ne se trouvera donc plus d'obstacle à soutenir hautement, que puisque l'âme est pour nous ce qui imprime le mouvement à toute chose, la rotation céleste doit nécessairement puiser en elle son principe ; et ce doit être la meilleure âme et non son antagoniste, qui en prend soin et en règle la marche. « Mais, étranger, d'après ce que vous venez de dire, ne doit-on pas se faire un devoir religieux d'affirmer qu'une âme ou plusieurs, renfermant en elles toutes les vertus, ont lancé dans leur carrière, tous ces corps; « O Clinias, vous avez parfaitement saisi le fonds de ma pensée; mais prêtez-moi encore attention. « Comment cela ? « Si c'est l'âme qui fait mouvoir le soleil, la lune, et les autres astres, ne le fait-elle pas pour chacun de ces corps pris individuellement? « Pourquoi non ? « Renfermons-donc dans un seul objet les raisonnements qui nous ont paru s'appliquer à l'ensemble des astres. « Lequel? « Tout homme voit le corps du soleil, et personne n'en voit l'âme. Il en est de même pour tout autre corps, nous ne voyons, l'âme d'aucun animal, vivant ou mort, il y a grande apparence que-toute cette classe se refuse à la perception de chacun de nos sens corporels, et ne se conçoit que par l'entendement. Examinons-la donc par l'esprit, et la réflexion, pour voir en quoi elle consiste. « Comment cela?, « Si l'âme met le soleil en mouvement, nous sommes fondés à dire qu'elle fait l'une de ces trois choses, sans crainte d'errer. « Lesquelles? « Ou l'âme contenue dans ce corps qui nous semble sphérique, se transporte avec lui ainsi que le fait l'âme contenue au dedans de nous ; ou bien s'étant procuré de dehors, comme certains auteurs le soutienne, un corps soit de feu, soit d'air, elle pousse violemment ce corps par le choc de l'autre; ou en troisième lieu, étant tout à fait dépourvue de corps, à l'aide de certaines vertus surnaturelles qu'elle possède, elle le garde par un artifice admirable. « Oui. « Il est donc nécessaire qu'en dirigeant toute chose, l’âme adopte un de ces trois moyens. Ce qui précède a été placé, par le philosophe, dans le dixième livre des Lois. Ecoutez maintenant de quelle manière il dispose son argumentation dans le Philèbe. « Tous les sages, ceux au moins qui ont le droit de se glorifier de ce nom, sont d'accord, avec nous, que l'esprit est roi du ciel et de la terre. Peut-être ont-ils raison de le dire, et si vous le voulez, examinons par de longues recherches, ce que c'est que l'esprit. « Parlez comme vous le voudrez, sans redouter que la longueur de ce discours nous rebute, ô Socrate. « Vous avez très bien parlé. Commençons cependant par nous adresser cette demande : « Laquelle? « Savoir, ô Protarque, si nous devons dire, que cet ensemble de choses que l'on nomme Univers, est sous la tutelle d'une puissance sans raison, agissant au hasard, enfin comme cela vient; ou bien adopterons-nous l'opinion contraire pas laquelle nos devanciers ont déclaré que l'esprit, gouvernait avec une prudence admirable tout ce qu'il a mis en ordre. « Il n'y a nulle parité entre les deux, ô mon excellent Socrate : il ne me semble pas même, innocent de répéter maintenant ce que vous avez dit. Quant à déclarer que l'esprit est cause de l'ordre qui règne dans l'univers, cela résulte de son aspect, de celui du soleil, de la lune, des astres, de celui de toute la voûte céleste ; et je ne me permettrai jamais de dire ni de penser autrement sur ces choses. « Vous consentez donc à ce que nous joignions notre suffrage à celui des hommes qui, avant nous, se sont exprimés de la sorte sur ce sujet ; mais nous ne devons pas nous borner à répéter sans danger ce que les autres ont dit : nous affronterons nous-mêmes le péril, encourant le blâme s'il le faut ; lorsqu'un orateur habile osera dire qu'il n'en est pas ainsi, et que toutes les choses de la terre sont livrées au désordre. « Comment pourrais-je ne pas adhérer à ces sentiments ? « En ce cas, veuillez considérer la conséquence qui découle de ce que nous venons de dire. « Parlez sans crainte. « Ne voyons-nous pas le feu, l'eau, l'air et la terre surnager comme on le dit des naufragés, dans la structure naturelle de tous les corps d'animaux ? « Certainement, et nous pouvons nous regarder comme des naufragés sur les flots de l'incertitude, dans des discussions pareilles? « Soit : concevez-donc à peu près ceci de chacune des substances qui concourent à notre être. « Quoi ? « Qu'en nous, chacune d'elle est en petite proportion, peu digne d'estime, ne se manifestant d'aucune manière, n'ayant point enfin une énergie égale à sa nature. Maintenant, transportez par la pensée dans l'ensemble des êtres, ce que vous avez observé dans l’être isolé : ainsi le feu, qui est quelque part en nous; est aussi dans l'univers. « Quel moyen de le nier ? « Ce qui en nous est petit, faible et dédaigné, dans toute cette multitude, n'y est-il pas admirable de beauté et de l'énergie entière qui est propre au feu. « Ce que vous dites est de la plus exacte vérité. « Mais quoi ! Est-ce de ce feu qui réside en nous que s'alimente et que tiré son origine le feu qui est répandu dans l'univers ; ou, par une marche contraire, est-ce de ce dernier que le mien, que· le votre et celui de tous les autres animaux tire sa source ? « Cette demande ne mérite pas de réponse. « Vous avez raison, et je pense que vous me direz la même chose de la terre qui est dans les animaux et de celle qui est dans l’univers, et que vous me répondrez de même pour tout ce sur quoi je vous ai interrogé, il n'y a qu'un instant. « Quel homme sensé pourrait répondre autrement? « Il s'en trouverait difficilement. Mais continuez à entendre ce qui me reste à dire. Toutes ces substances, dont nous venons de parler, leur donnerons-nous le nom de corps, pour les voir réunies dans un seul point? « Pourquoi non ? « Admettez la même opinion à l'égard de ce que nous nommons l'univers ; il sera, en effet, par la même considération, un seul corps étant formé des mêmes substances. « Vous parlez on ne peut mieux. « Est-ce donc de ce corps universel que le nôtre a été tiré, ou bien est-ce du nôtre que s'alimente ce dernier, et qu'il a pris et qu'il conserve, tout ce que nous venons de dire de lui en le tirant de nous. « Mais cette nouvelle supposition, Socrate, n'est pas tolérable. « Quoi donc ? vais-je dire, une chose qui mérite d'être dite, ou comment m'en parlez-vous? « Faites-nous-la connaître? « Dirons-nous de noire corps qu'il a une âme ? « Certes, nous le dirons. « Cependant, mon cher Protarque, de qui la tient-il, si ce corps de l'univers, par hasard, n'est pas animé ; s'il n'a pas les mêmes facultés que le nôtre, dans un degré infiniment supérieur? « Il est certain, ô Socrate, que nous n'aurions pu nullement, les avoir reçues d'ailleurs. « Nous ne croyons pas, ô Protarque, que ces quatre attributs des choses, la limite, l'infini, le commun et cette espèce de cause qui ne se montre qu'en quatrième dans les substances, soient ce qui a produit l'âme en nous ; nous ne croyons pas que c'est ce qui donne l'activité à notre corps, ce qui, lorsque ce dernier est languissant, a créé l'art de la médecine, ce qui, se combinant diversement dans les diverses positions et exerçant partout son énergie, s'est élevé à toute science dans toutes les parties. Ces mêmes choses se retrouvent dans l'ensemble du ciel en grandes proportions : elles y brillent de tout l'éclat de la beauté et de la lumière ; et cependant ce n'est pas en elles que nous plaçons le mécanisme de la nature, dans ce qu'elle a de plus beau et de plus estimable. « Cela n'aurait aucune apparence de raison. « Si ce n'est donc pas cela, ne serons-nous pas bien plus fondés à dire, en suivant la trace de nos précédents discours, ce que nous avons souvent proclamé, que l'infini est répandu dans l'universalité des êtres, que la limite est appropriée à l'être individuel, mais qu'au-delà de ces choses, il existe une cause qui n'est nullement méprisable, qui a tout ordonné, qui a réglé la marche des années, des saisons et des mois, qu'on peut en toute justice appeler sagesse et esprit. « En toute justice, assurément. « Or, la sagesse et l'esprit ne sauraient jamais subsister sans une âme. « Non, bien certainement. « En conséquence, vous direz que, dans la nature de Jupiter, il y a une âme royale douée d'un esprit royal, parce qu'elle exerce le pouvoir de cause. Dans les autres, il y a d'autres belles choses que l'on doit avouer, en raison de ce qui convient à chacun. »
CHAPITRE LII.COMMENT IL DÉFINIT DIEU PAR LA PROVIDENCE QUI PRÉSIDE A L’UNIVERS.TIRÉ DU DIXIÈME DES LOIS.
« Il faut venir au secours de celui qui croit qu'il y a des dieux, mais qui suppose que ces dieux n'apportent aucune attention aux affaires humaines. Disons-lui : mon excellent ami, du moment où vous reconnaissez qu'il y a des dieux, vous admettez une consanguinité peut-être divine, qui vous porte à vénérer, et à reconnaître leur divinité, liée d'origine avec vous. Les destinées des hommes méchants et injustes ne sont jamais heureuses, soit dans la vie privée, soit dans les magistratures, encore que le préjugé populaire vante leur félicité, sans mesure et sans goût ; encore que les muse· la chantent mal à propos et sur tous les tons, et que les orateurs la célèbrent. Tout cela tend à l'impiété. « Il se peut qu'en voyant des hommes inhumains qui ont poussé leur carrière jusque dans un âge avancé, laissant après eux les enfants de leur· enfants en possession des plus grandes dignités de l'état, vous vous sentiez troublés, soit que vous ayez été témoin de leurs iniquités, ou que vous l’ayez ouï dire par d'autres, ou qu'ayant assisté à tant de leurs forfaits, si funestes à leurs concitoyens, vous les ayez vus, à l'aide de semblables manœuvres, s'élever des rangs les plus bas de la société à l'usurpation du pouvoir suprême et aux plus grands honneurs de la patrie. Alors, vous vous sentez disposé, en réfléchissant sur tous ces crimes, à accuser les dieux d'être les auteurs de pareils attentats, encore que, par l'alliance qui est entre eux et vous, vous eussiez voulu n'en rien faire ; poussé donc, d'une part, par l'entraînement de votre fausse manière de voir, de l'autre, retenu par la crainte d'insulter les dieux, vous en êtes venus à ce sentiment erroné, de croire qu'il y a, en effet, des dieux contempteurs des intérêts humains et n'en prenant aucun souci. Cependant, pour que cette doctrine fâcheuse ne dégénère pas chez vous en un sentiment complet d'impiété, et si nous pouvons conjurer et arrêter par la puissance de nos paroles les progrès de cette contagion, essayons, en rattachant les raisonnements qui vont suivre à ceux qui ont précédé, par lesquels nous avons combattu ceux qui font une profession ouverte d'athéisme, essayons, dis-je, d'en tirer parti pour la question qui nous occupe maintenant. Quant à vous, Clinias et Mégille, succédez-vous dans les réponses que vous ferez au nom de ce jeune homme, comme vous avez déjà finit précédemment. Si, dans la suite de l'entretien, il se présente quelque difficulté qui vous arrête, c'est moi qui, comme tout à l'heure, vous remplacerai et vous aiderai à traverser le fleuve. « Vous parlez très bien. Faites donc comme vous le dites, et, de notre côté, nous accomplirons; autant qu'il nous sera possible, ce que vous venez de nous prescrire. « Il ne sera peut-être pas bien difficile de montrer à ce jeune homme (26) que les dieux prennent soin des petites choses comme des grandes. Il a entendu, car il y assistait, les choses qui ont été dites tout à l'heure, savoir, que les dieux, étant bons, ils·ont toutes les vertus, entre lesquelles se trouve le soin le plus minutieux de toutes les choses. « En effet, il l’a entendu. « Examinons donc ensemble quelle est cette vertu que nous avons reconnue dans les dieux, qui nous a forcés à déclarer qu'ils sont, bons? N'avons-nous pas dit que la tempérance et l'intelligence étaient la marque de la vertu, et le contraire, celle du vice? « Nous l'avons dit. « Quoi! n'avons-nous pas dit que le courage était une preuve de vertu, la lâcheté un effet du vice ? « Très certainement. « D'un côté sont les actions honteuses; de l'autre les belles actions. « Nécessairement. « Et si nous reconnaissons que celles qui sont basses peuvent nous appartenir, ne soutiendrons-nous pas qu'elles ne peuvent se rencontrer dans les dieux ni en grand ni en petit? « Tout le monde sera de cet avis. « Mais quoi ! l'insouciance, la paresse, la mollesse, les considérerons-nous tomme des vertus de l'âme ? Qu'en dites-vous? « Comment, ce que j'en dis ! « Ne les classerons-nous pas parmi les contraires? « Oui. « Et ce qui est à l'opposé de ces qualités sera inversement rangé. « A l'opposé. « Quoi, l'homme adonné à la mollesse, l’insouciant, le paresseux, que le poète a comparé à des frelons indolents,[100] passera aux yeux de tous pour leur être justement comparé. « Il a parlé avec une parfaite raison. « On ne doit donc pas dire que Dieu ait les qualités qui lui sont en horreur, et si quelqu'un essayait de proférer de tels blasphèmes, on ne devrait pas le tolérer. « Non, certes; comment tolérer une telle chose? « Celui dont l'attribut par excellence est de faire et de surveiller, et qui est dans une telle disposition d'esprit, pourrait-il se livrer au soin des grandes choses en négligeant les petites? Et si nous donnions des éloges à une semblable proposition, ne serions-nous pas dans une erreur complète ? Examinons. N'est-il pas vrai que tout agent, soit Dieu, soit homme, fait cette même chose suivant l'un de ces deux mobiles ? « Lesquels, disons-nous ? « Soit par l'opinion qu'il importe peu à l'ensemble qu'on s'occupe des détails, ou encore que cela importe, qu'il les néglige par lâcheté ou par amour du plaisir? Ou bien connaisses-vous une autre cause de cette négligence ? « Aucune. « Car, quand il est impossible de soigner à la fois toutes les parties alors l'omission du soin des petites ou des grandes choses, dans celui qui les omet, ne peut être imputée à la négligence, puisque c'est par défaut de force, que cet agent, soit divin, soit vulgaire, a été mis dans l'impossibilité de se livrer à cette surveillance. « Comment le lui reprocher? « Maintenant, puisque vous êtes deux, répondez à nous trois, ayant également reconnu les uns et les autres qu'il y a des dieux ; mais l'un soutenant qu'on peut les fléchir, l'autre qu'ils n'ont aucun soin des petites choses. Premièrement, vous dites également que les dieux connaissent, voient et entendent toutes choses ; que rien ne peut se soustraire à leur pensée, soit parmi les sensations, soit parmi les sciences. Sont-ce là les termes dans lesquels vous admettez l'existence des choses, ou bien est-ce dans d'autres termes ? « C'est ainsi. « Mais quoi ! peuvent-ils faire tout ce à quoi s'étend la puissance des mortels et des immortels? « Comment pourrait-on ne pas vous accorder toutes ces prémisses? « Cependant nous avons tous les cinq déclaré unanimement qu'ils sont bons et parfaits. « Sans contredit. « Comment donc ne serait-il pas impossible de prétendre qu'ils fissent quoique ce soit par lâcheté ou par mollesse, étant tels que nous les avons reconnus? C'est la paresse qui, en nous, donne naissance à la crainte, et la lâcheté est issue de la paresse et de la mollesse « Ce que vous dites là est d'une grande vérité. « Or, aucun des dieux ne peut être insouciant par paresse ou par lâcheté, car il est inaccessible à la crainte. « C'est très juste. « Il ne reste donc pas autre chose à dire, sinon que les dieux, supposé qu'ils négligent les choses petites comparativement à l'ensemble, ne pourraient le faire que parce qu'ils savent qu'on, ne doit pas du tout s'en occuper, ou bien... Mais quelle autre alternative reste-t-il, sinon de connaître le contraire? « Aucune. « De quelle manière devrons-nous donc vous faire parler, ô mon excellent ami ? Sera-ce en disant que les dieux ignorent qu'on doive donner des soins à de telles choses, et par conséquent les négligent par ignorance ; ou qu'ils le font en sachant ce qu'on doit faire à cet égard ? De même que les plus méprisables des hommes qui, connaissant qu'ils feraient mieux de se conduire autrement qu'ils ne le font, néanmoins persévèrent dans leur mauvaise conduite, ainsi les dieux se laisseraient dominer par l'attrait du plaisir ou par la crainte de la souffrance. « Comment sortir de ce dilemme? « Cependant nous avons reconnu que les choses humaines participent à la nature de l'âme, et que l'homme est le plus religieux de tous les animaux. « Cela me semble évident. « Nous avons dit que tous les animaux, mortels ou spirituels, entre lesquels nous compterons le ciel tout entier, étaient en là possession des dieux (27). « Comment en serait-il autrement ? « Eh bien, qu'on dise donc que ces choses sont grandes ou petites à l'égard des dieux, toujours il sera inconvenant pour les dieux, dont nous sommes la possession, de nous négliger, quelque peu que ce soit ; lorsqu'il est avéré que personne ne peut être plus susceptible de soins, ni meilleur qu'ils le sont. Examinons encore un autre point relativement aux dieux. « Lequel ? « Je veux parler de la sensation et de l'action. N'est-il pas vrai que ces deux facultés sont innées et placées contradictoirement entre elles sous le rapport de la facilité et de la difficulté? « Comment dites-vous cela? « Le voici : voir et écouter les petites choses est beaucoup plus difficile que voir et écouter les grandes ; tandis que porter, manier, soigner les petites en volume et en quantité, est infiniment plus facile que non pas leurs contraires. « Beaucoup en effet. « Un médecin à qui l'on aurait ordonné de soigner l'ensemble, ou ayant la volonté et le pouvoir réussira-t-il suivant les apparences en s'attachant à guérir les grandes et nobles parties et en négligeant les moindres? « Nullement. « Egalement pour les pilotes, les généraux d'armée, les économistes certains politiques et autres du même genre ; rien ne prospérera pour chacun d'eux, s'ils occupent uniquement des grandes et importantes affaires, à l'exclusion des médiocres; car les appareilleurs déclarent qu'on ne placerait pas bien les grandes pierres si l'on n'en intercalait de petites. « Comment, en effet, cela se pourrait-il? « N'allons donc pas mettre Dieu au-dessous des ouvriers mortels, qui, plus ils excellent dans on art borné, plus ils apportent de soin à bien traiter leurs œuvres et à les rendre parfaites, autant dans les détails que dans l'ensemble. Et ne disons pas que Dieu, le plus habile artisan qui soit, ayant la volonté et le pouvoir de soigner ce qu'il entreprend (lors surtout que nous avons reconnu que les petites choses sont les plus faciles à bien faire); ainsi qu'un ouvrier lâche et peureux qui redoute la peine, ne s'en occupe nullement, pour vaquer exclusivement aux plus grandes. « Gardons-nous, ô étranger, d'admettre une opinion pareille à l'égard des dieux, nous ne saurions concevoir en aucune sorte, une telle pensée, qui n'est ni pieuse ni vraie. « Ne semble-t-il pas, que déjà depuis longtemps, j'ai amplement réfuté le contradicteur, qui se plaît à accuser les dieux d'insouciance? « Assurément. « Quant à le forcer d'avouer lui-même par ses propres paroles qu'il a mollement soutenu cette doctrine, il faut pour cela recourir, à ce qu'il me semble, aux secrets de la magie et aux tables. « Auxquelles ? « Persuadons à ce jeune homme que tout a été ordonné par le surveillant du tout, pour la conservation et la perfection de cet ensemble, dont chaque partie, suivant son aptitude, souffre ou exécute ce qui lui est assigné· Il existe des chefs préposés à chacune de ses fractions, jusqu'à la plus petite mesure de souffrance ou d'action, qui achèvent le dernier terme de l'œuvre par la subdivision, et dans ce nombre, une seule fraction, la vôtre, ô malheureux, quelque infiniment petite qu'elle soit, n'en tend pas moins vers le but commun. Et n'apercevez-vous pas que c'est pour procurer une existence heureuse à la vie générale que tout engendrement particulier a lieu ; ce n'est pas à cause de vous qu'elle subsiste, mais vous subsistez à cause d'elle. Tout médecin, tout artisan expert dans son art, fait tout à cause du tout : dirigeant son intention vers ce qu'il y a de mieux pour la communauté de l'œuvre, il élabore la partie pour l'ensemble, et non l'ensemble pour la partie; et tout votre mécontentement ne vient que de ce que vous ne concevez pas comment ce qu'il y a de mieux pour vous est d'être en même temps utile à l'existence universelle et à la vôtre, suivant le degré de puissance que vous exercez dans l'engendrement commun. Mais comme chaque âme enchaînée à un corps, tantôt à l’un, tantôt à l'autre, éprouve d'innombrables vicissitudes, tant de son fait que de celui des autres âmes., celui qui met en jeu les destinées, n'a rien de mieux à faire que de placer dans un meilleur lieu le meilleur caractère, dans un plus mauvais le plus mauvais, suivant ce qui est dû à chacun d'eux, de manière à ce qu'ils obtiennent le soit qu'ils ont mérité. « Comment dites-vous cela ? « Voici comme je pense qu'on peut rendre raison pourquoi Dieu n'éprouve que facilité dans la surveillance de toutes choses. Si l’on ne le figurait, ayant les regards toujours tendus sur cet ensemble, le transformant sans cesse, comme animant l’eau par l'action du feu, et sans faire plusieurs choses d'une seule, ou une seule de plusieurs, s'immisçant dans la 1re, la 2e et la 3e générations; certes, les modifications de cet univers exigeraient des soins multipliés jusqu'à l'infini. Mais voici ce qu'a d'admirable la facilité avec laquelle il surveille le monde entier. « Comment voulez-vous dire? « Dès que le roi (Βασιλεὺς) eut reconnu que toutes les actions émanaient de l'âme et renfermaient, entre elles, une grande vertu et une grande corruption, et qu'encore que l'âme et le corps ne fussent pas éternels, comme les Dieux reconnus par les lois, cependant, ils étaient indestructibles ; (il n'y aurait, en effet, nulle génération d'animaux, si l'un de ces deux principes venait à se détruire) ; il considère comme bien de l'âme tout ce qui était de nature à l'augmenter et à la faire prospérer toujours; et comme mal, ce qui pouvait lui nuire. Dieu donc, ayant reconnu ces choses, il chercha un moyen par lequel, chacune des parties restant ce qu'elle était, il assurerait, avec la plus grande facilité et le plus grand avantage possible, le triomphe de la vertu et la défaite du vice. A cet effet, il a mis tout en œuvre pour que certaines qualités; se perpétuant et se maintenant dans la position et les lieux qui leur conviennent, concourussent au succès commun; tandis qu'il a abandonné, aux volontés de chacun de nous, les causes de l'engendrement des qualités de détails. Tels sont les désirs que nous formons : telle est la tournure différente de nos âmes : tels, ou peu s'en faut, sommes-nous tous tant que nous sommes, en général. « Cela est assez vraisemblable. « En conséquence, tous les corps qui possèdent une âme, ayant en eux leur cause de changement, sont soumis à la condition de changer; et dans les changements où ils sont entraînés, subissent, l'ordre et la loi de la destinée. Cependant, moins ils changent de caractère, moins ils varient de position sur le sol où ils reposent. S'ils se livrent à des changements nombreux et à des injustices criantes, ils s'enfoncent dans les profondeurs de la terre, qu'on nomme enfers, ou Hadès, ou enfin de tous les noms qui s'y rapportent; ils sont la proie à de violentes terreurs, à des rêves effrayants pendant leur vie, et lorsque les liens de l'âme et du corps sont prêts à se dissoudre. Plus une âme grandit, soit en vice, soit en vertu, par l'effet de sa volonté, par l'aide des sociétés qu'elle fréquente, si c'est en vertu qu'elle excelle, mêlant la vertu divine à la sienne, elle s'élève d'une manière surnaturelle, et déserte le lieu tout saint qu'elle habitait pour se réfugier dans un autre lieu meilleur. Si elle se dirige en sens contraire, c'est vers les régions opposées qu'elle transporte son existence. Telle est la justice des Dieux, maîtres de l'Olympe? ô enfant, et vous jeune homme, qui pensez que les Dieux ne prennent aucun soin de nous. C'est qu'en devenant plus méchants vous vous acheminerez vers des âmes encore pi os méchantes; au lieu qu’étant devenu meilleurs, vous vous avanceriez vers des âmes encore meilleures, pour qu'en vivant ou en mourant, de quelque manière que ce soit, vous éprouvassiez de vos semblables, et leur fissiez éprouver, tout ce qu'il convient qu'opèrent ou souffrent réciproquement des âmes semblables. Ni vous, ni nul être, quelque infortuné qu'il soit, ne pourra se vanter de triompher de la justice des Dieux. Ceux-ci l'ont fondée tellement au-dessus de toutes les justices, qu'on doit la craindre par-dessus toutes choses ; car jamais elle ne, vous perdra de vue. Quelque petit que vous soyez, vous vous plongerez, en vain, "dans les abîmes de la terre pour vous y soustraire; à quelque élévation dans le ciel que vous puissiez atteindre par votre vol, vous ne lui échapperez pas : vous payerez toujours la peine attachée à votre conduite, soit que vous restiez ici, soit que vous pénétriez dans l'Hadès, soit qu'enfin, vous vous transportiez dans un lieu plus sauvage encore (28). Le même raisonnement trouve son application à l'égard de ceux dont, en voyant l'élévation, d'obscurs qu'ils étaient, malgré les crimes et les actions honteuses dont ils se sont souillés, vous vous persuadez qu'ils ont passé de l’infortune au bonheur. C'est dans leurs actes que vous avez cru apercevoir, comme dans un miroir, que tous les Dieux ne prennent aucun soin des destinées humaines; parce que vous n'avez pas vu leur fin et vous ne comprenez pas en quoi une pareille existence peut contribuer au bien de l'ensemble. O vous, le plus généreux des hommes, comment ne sentez-vous pas qu'il vous importe de connaître ces vérités? Quiconque les ignore ne peut se faire une idée juste, ni acquérir une notion vraie, sur ce qui fait le bonheur ou le malheur dans les destinées de cette vie. Si Clinias ici présent, et tout votre sénat parviennent à vous persuader qu'en parlant des Dieux, ainsi que vous le faites, vous ne savez ce que vous dites, c'est que Dieu serait venu puissamment à votre aide. S'il vous faut encore d'autres preuves, écoutez de quelle manière, pour peu que vous ayez de jugement, nous répondons à votre troisième objection. » L'esprit de ces textes, sinon les paroles, se retrouve indiqué précédemment dans les oracles des Hébreux, de la manière la plus concise, pour renfermer toute la profondeur de la pensée, dans le moins de mots possibles. Ainsi : « Quelque petit que vous soyez, vous vous plongerez en vain dans les abîmes de la terre ; à quelque élévation, dans le ciel, que vous puissiez atteindre par votre vol, » est parfaitement semblable à ce qui a été dit par David : « Où irai-je, en m'éloignant de votre esprit? ou fuirai-je pour me soustraire à votre aspect? si je m'élève dans le ciel, vous y êtes; si j e descends dans les enfers, vous y paraissez. Si je me revêtis d'ailes et que j'aille habiter aux extrêmes limites de la mer, c'est votre main qui m'y conduira.[101] » Cet autre passage : « Les cieux racontent la gloire de Dieu, et le firmament annonce l'œuvre de ses mains.[102] » Ensuite Isaïe : « Dirigez vos yeux en haut, et voyez qui vous a montré toutes ces choses. » Puis encore : « De la grandeur et de la beauté des créatures, on juge par analogie le créateur.[103] » Ajoutons encore : « Les choses invisibles de Dieu, depuis la création de l'univers, se découvrent par la pensée, dans les œuvres qu'il a faites : savoir, sa puissance infinie et sa divinité.[104] » Enfin : « Mon zèle contre les méchants s'est enflammé, en voyant la paix des pécheurs.[105] » Ne semble-t-il pas que Platon ait paraphrasé cette parole en disant : « Le même raisonnement trouve son application à l'égard de ceux dont, en voyant l'élévation, d'obscurs qu'ils étaient auparavant, malgré les crimes et les actions honteuses dont ils se sont souillés, vous tous persuadez qu'ils ont passé de l'infortuné au bonheur. » Il en est de même de toutes les autres pensées, exprimées en termes semblables dans les livres des Hébreux, dont vous trouverez l'interprétation développée dans Platon : ils l’ont précédée de beaucoup. Si vous vouliez vous livrer à une recherche minutieuse de cette vérité, vous la trouveriez confirmée dans tous les écrits de ce peuple ; car je ne borne pas leurs discours aux seuls oracles de Moïse : j'y réunis tout ce qui a été dit par des hommes chéris de Dieu, venus après lui, soit prophètes, soit apôtres de notre Sauveur, dont la conformité des dogmes, avec les siens, leur donne droit à une égale dénomination.
NOTES DU LIVRE XII.
(1) Je lis, avec les Manuscrits 466 et 468, μόνης ἀνδρείας, au lieu de μετὰ ἀνδρείας ἀυτῆς. (2) Ce proverbe, 'Αρχὴ ἥμισυ παντός, a été cité par Aristote. En latin, par Horace: « Dimidium facti qui coepit habet. » Voir les paroemiagraphes et Erasmi Adagia.... (3) Je lis ἐπεὶ εἰ au lieu du simple ἐπεὶ. Cette syntaxe, dont j’ai développé la valeur dans le volume que j’ai publié en 1814, sur l’emploi des conjonctions de la langue grecque, Paris, Eberhart, P. 145 et note, n’est pas inconnue à Platon. République, l. ii, P. 360 d’Étienne; Phédon, p. 109 d’Étienne; Protagoras, p. 354; Lois, neuvième livre, p. 873; Ier Alcibiade, p. 123. (4) Le texte imprimé porte vie livre; cette erreur a empêché Vigier de découvrir la véritable place de ce morceau, comme il le dit dans ses notes. Théodoret, qui l’a copié dans sa Thérapeutique, l. i, p. 9 de Sylburge, aurait dû faire revenir Vigier de son erreur : il a bien indiqué le livre d’où cela est tiré. (5) Πρῶτον κολυμβᾷν δεύτερον γράμματα. Senec., Controv. 27, libri quarti. Voir Aristide: « Pro quatuor viris advenus Platon. » Suétone, In Augusto, 64: « Nepotes et literas et natare aliaque rudimenta per se plerumque docuit. » Voir Erasme, Adagior : ignavia et inscitia. (6) Le passage d’Eschyle, que Platon a en vue, se lit encore dans la tragédie des Sept contre Thèbes, v. 559, ou le poète, dépeignant le caractère d’Amphiaraüs, dit: Οὐ γὰρ δοκεῖν ἄριστος ἀλλ' εἶναι θέλει Βαθεῖαν ἄλοκα διὰ φρενὸς κααρπούμενος 'Αφ' ἧς τὰ κεδνὰ βλαστάνει βουλεύματα. Ce qui veut dire: Il ne veut pas paraître vertueux, mais l’être en effet. C’est de là qu’il recueille cette profondeur de jugement qui fait éclore les conseils de la prudence. Plutarque, dam la Vie d’Aristide, c. 3, et dans les Apophtegmes des rois et des empereurs, p. 116, t. viii de l’édition de Hutten, rapporte qu’Aristide assistant à la première représentation de cette pièce, lorsque l’acteur eut prononcé ces vers, tous les yeux se tournèrent vers lui. Xénophon les applique à Socrate dans ἀπομνημονεύματα, Salluste à Caton dans la Guerre contre Catilina, c. 37. Ces vers avaient une grande cé1ébrité et trouvaient de fréquentes applications dans l’antiquité. (7) Porphyre, De Abst., l. iii, c. 27, p. 288: Αἰτία δὲ ἡ γένεσις καὶ τὸ ἐν τῇ πενίᾳἡμᾶς γενέσθαι, τοῦ πόρου ἀποῤῥύεντος. Sur ce passage du banquet de Platon, dans lequel j’ai substitué τὰ ὠὰ de Platon à τὰ ὤτα d’Eusèbe, qui n’a pas de sens, lire la remarque de Ruhnkenius sur le Timaei lexicon Platonicum, p. 188 et 189. (8) Les Manuscrits 466 et 467 contiennent un supplément qui suit: Τῇ κατ' αὐτὸν ἀρχαιολογίᾳ κέχρεται κατακλυσμοῦ μνημονεύσας, καὶ τοῦ μετὰ τὸν κατακλυσμὸν βίου ἀρχόμενος γοῦν τοῦ τρίτου τῶν νόμων τόδε φησί, que j’ai traduit, au lieu de: 'Εν προοιμίοις γοῦν τῶν νόμων ἐπάκουσον ἁ φησὶ. (9) Le texte d’Eusèbe, que j’ai suivi, présente une augmentation de onze mots sur celui de Platon. Je ne puis pas maintenant vérifier si, dans les éditions récentes, cette lacune a été remplie. (10) La réprobation des arts mécaniques, qui étaient le partage des esclaves, était générale parmi les anciens philosophes. Le mot de βάναυσος, qui en exprime l’idée, ne s’emploie jamais qu’avec mépris. Platon le déclare dans plusieurs endroits. Voir le Premier Alcibiade, p. 131 de H. Étienne; Amator, p. 131; du même, 6 de Ficin: 'Επεὶ γε ᾤμην καὶ ὄνειδος εἶναι τοῦτο καὶ βαναύδος καλεῖσθται τοὺς περὶ τὰς τέχνας ἐσπουδακότας. Républ., l. vi, p. 495 d’Étienne: Οὕτω καὶ τὰς ψυχὰς συγκεκλασμένοι τε καὶ ἀποτεθρυμμένοι διὰ τὰς βαναυσίας τυγχάνουσι. Voir Afistole, Politic., viii, 2; Eudème, i, 4; Lucien. Songe 9: « Ubi Hemsterhuys.... » Élien, Hist. diverses, vi, 6; enfin, Cicéron, Sur les Devoirs, i, 42: « Opifices omnes in soidida arte versantur, nec enim quidquam ingenuum potest habere officina. » (11) « Avec Dieu et l’univers » est la traduction de ce qu’on lit dans Eusèbe: Θεῷ δὴ καὶ κόσμῳ δ'γε φιλόσοφος ὁμιλῶν. Dans Platon: Θείῳ δὴ καὶ κόσμίῳ. Le texte d’Eusèbe, qui se répète dans tous les Manuscrits, m’a paru devoir être conservé. (12) Platon fait ici allusion à des vers de Tyrtée, qui sont parvenus jusqu’à nous dans le Discours de Lycurgue contre Léocrate, p. 162, Henrici Stephani,, et qu’on trouve dans tous les recueils de poésie fragmentaire, comme Stobée, c. 49; seulement, Platon modifie ce qu’a dit Tyrtée, en ce que ce dernier ne se propose que de louer la valeur guerrière, tandis que Platon transporte un citoyen vertueux et juste, l’éloge que le poète donne au combattant; cette allusion se prolonge dans ce qui suit, comme on le voit par les termes poétiques que ce morceau renferme. Voir les Analecta de Brunck, t. i, p. 50. (13) Platon fait allusion à une scolie, ou chanson de table, qu’il a déjà citée dans le Gorgias, p. 451; De Legib., i, p. 631, rappelée par Clément d’Alexandrie, Stromat., l. iv, p. 573; Athénée, l. xv, p. 694; Stobée, Eglogœ ethicœ ; Lucien, De Lapsu inter saltandum; Théodoret, Thérapeut., p. 153 de Sylburge. Clément l’attribue à Simonide; la voici telle que la donne Ilgen dans son édition des Scolies: Ὑγιαίνειν μὲν ἄριστον ἀνδρὶ θνατῷ Δεύτερον δὲ, καλὸν φυᾷν γενέσθαι Τὸ τρίτον δὲ, πλουτεῖν ἀδόλως Καὶ τὸ τέταρτον, ἡβᾷν μετὰ τῶν φίλων (14) Il n’existe pas de note 14 ; probablement un oubli du traducteur ? (15) Il y a ici une παρονομασία, ou jeu de mots, qui ne peut se transporter hors de la langue dans lequel il a été écrit. Minerve s’appelle, en grec, Athéné, 'Αθήνη ; 'Αθηναῖος en est formé, au lieu qu’'Αττικὸς n’en dérive pas voilà pourquoi Clinias nomme 'Αθηναῖος et non 'Αττικὸς l’étranger athénien, supposé être Platon lui-même, pour marquer le rapport qui existe entre lui et Minerve qui l’inspire. (16) Ce proverbe était usité pour une quantité inassignable. Le χοεύς, ou congius, était une mesure de liquide qui servait aux distributions de boissons, et dont la quantité que la mer contient est une chimère numérique. Voir le scholiaste de Ruhnkenius, et la note de Pétau sur le vingt-unième Discours de Thémiste, p. 262 de l’édition de Hardouin la note est à la page 511. J’ai préféré, dans cette traduction, la leçon d’Eusèbe à celle de Platon, qui doit, à mon avis, être corrigée par Eusèbe. Voici comme on lit cette phrase dans Platon; Περὶ τούτου καὶ ἡ ὡς ἀλητῶς δεινότης ἀνδρὰς καὶ οὐδενία καὶ ἀνανδρία, au lieu de Π. τ. κ. ἡ ὡς ἀ. δ. ἀ. κ. εὐγενία τε καὶ ἀνδρεία (Se rapporte à la ligne 20 de la page 226). (17) Νομοθέτης δὲ οὖ τι σμικρόν ὄφελος εἰ μὴ καὶ τοῦτο ἦν οὕτως ἔχον, ὡς καὶ νῦν αὐτὸ ᾕρηχ' ὁ λόγος ἔχειν. —Sur la formule αἱρεῖ ὁ λόγος, voir ci—dessus l. iii, c. 15, et la note du l. viii, c. 13, où les exemples sont réunis. Voir Wyttenbach sur Plutarque, De Sera N. vindicta-animadv., p. 8; Clém. Alexand., Stromat. vii, p. 868, 874, 879, 890. (18) Sophocle, Œdipe roi; derniers vers:
Ὥστε, θνητὸν
ὄντ', ἐκείνην τὴν τελευταίαν ἰδεῖν . Beaucoup d’auteurs ont répété cette sentence. (19) Platon, Lois, xx, p. 682 de Laemarius; 931, Steph.: « Œdipe, insulté, maudit ses propres enfants; et ce récit, que chacun répète, prouve que de semblables imprécations sont accueillies et accomplies par les dieux. Amyntor en fit autant à l’égard de Phénix, un de ses enfants, et Thésée dans sa colère contre Hippolyte; puis une foule d’autres envers d’autres: d’où l’on peut conclure, comme un fait certain, que les dieux sont disposés à exaucer les pères contre leurs enfants. » (20) J’ai ajouté la traduction de ἢ τείσῃ τὸν καταδικασάμενον, qu’a Platon, et qu’Eusèbe a passé sous silence. (21) Aristote combat cette doctrine, en ce qu’elle supposerait la perpétuité des magistratures dans les mêmes races. Politic., l. ii, § 5; « Il semble évident que c’est une nécessité pour Socrate de rendre les magistratures à vie, car l’or des dieux n’est pas tantôt accordé aux uns, tantôt accordé aux autres; il dit, en effet, que cet or est amalgamé aux âmes au moment même de la naissance: à celle-ci l’argent, l’airain et le fer aux hommes qui doivent exercer les arts mécaniques, et aux laboureurs. » (22) Cette définition du médecin (τῶν καμνόντων θεραπευτής), d’après l’opinion de Vigier, dans sa note 15, devait être répétée ici, et a été mal à propos omise. (23) Cette peinture convient si bien à Athènes, qu’il est présumable que Platon a voulu en faire la critique d’une manière détournée. (24) Ce qui nous est parvenu des relations qui ont existé entre Homère et Créophyle est fort obscur; il parait avoir été son hôte, et, en échange de l’hospitalité qu’il lui a donnée, su avoir reçu le poème de la Prise d’Oechatie par Hercule; d’autres, au contraire, disent qu’il en fit présent à Homère. Callimaque a suivi cette dernière version dans une épigramme citée par Strabon, l. xiv, p. 638; Sextus Empiricus contre les grammairiens, i, 2, p- 225, et le scholiaste de Denis le Thrace, p. 725, de l’édition de Bekker. La voici telle que la donne Ernesti dans son édition de Callimaque; Vigier ne l’a pas connue entière, comme on le voit par sa note:
Τοῦ σαμίου πόνος
εἰμὶ, δόμῳ ποτὲ θεῖον Ὅμηρον
(25) Toute cette partie de la citation jusqu’à « puisque sous en avons fait la seule cause d’existence de toutes choses », forme le chapitre 28 ci-dessus. (26) J’ai lu à la troisième personne ἤκουον γάρ που, et, plus bas, la réponse καὶ σφόδρα γε ἐπήκουεν avec quelques manuscrit, de Platon, k Le sens paraissant l’exiger. (27) Au lieu de ὥς περ καὶ τὸ οὐρανὸν ὅλον, Wyttenbach, dans ses notes sur le Phédon, propose ὧς πλήρη καὶ τὸ οὐρανὸν, « dont le ciel est rempli. » Je n’approuve pas ce changement; en donnant une âme à l’univers, Platon en fait un animal: Ficin traduit comme s’il y avait ὥσπερ quemadmodum. - (28) Tout ce passage commençant par : « Jamais elle ne vous perdra de vue » a été cité sans nom d’auteur par Clément d’Alexandrie. Voir Stromates, V, p. 723, et par suite, d’après lui, par Eusèbe, Préparation évangélique, l. xiii, c. 13.
[1] Isaïe, 7, 9. [2] Psaume 115, 1. [3] Matth., XIV. [4] Matth., XXV. [5] Deuxième livre de la République. [6] Deuxième livre de la République. [7] Gorgias. [8] II Corinth., 3, 10. [9] Romains, 2, 6. [10] Deuxième lettre à Denys. [11] Matth., 7, 6. [12] I Corinth., 2, 14. [13] Exode, 4, 15. [14] République, liv. I. [15] République, liv. II. [16] St Paul aux Hébreux, 11, 37. [17] I Corinth. [18] Platon, Banquet. [19] Genèse, 2, 20-22. [20] Platon, Banquet. [21] Platon, Politique. [22] Ibid. [23] Troisième livre des Lois. [24] Platon, Premier livre des Lois. [25] Mathieu, 6, 53. [26] 1er livre des Lois. [27] Deut., 6, 6. [28] Platon. 1er des Lois, ibid. [29] Ps., 33, 11-14. [30] Proverbes, IV, 1. [31] Ibid., 5. [32] VII, 4. [33] IV, 14. [34] Exode, 25, 40. [35] Ep. Aux Hébr., 8,5. [36] Tiré du 2e livre des Lois. [37] Ibid. [38] Ps. 1. [39] Ps. 61, 11. [40] Ps. 48, 17. [41] Platon, 2e livre des Lois. [42] Platon, 2e livre des Lois. [43] Platon, 2e livre des Lois. [44] Platon, 2e livre des Lois. [45] Lévit., 10,8. [46] Nomb., 6, 3. [47] Prov., 31, 4. [48] 1re à Timothée, 5, 25. [49] 6e de la République. [50] 1er des Lois. [51] Platon, 1er livre des Lois. [52] Ibidem. [53] Saint Paul aux Romains, 7, 22. [54] Ibid., 2, 15. [55] Livre X des Lois. [56] Lamentations de Jérémie, 3. [57] Théétète. [58] Isaïe, 29, 14 ; 33, 18 et I Cor. c. 1. 19. [59] II Cor. 4, 18. [60] Ephes. 5, 16. [61] Matth., 6, 34. [62] Osée, 4, 2. [63] Deutér., 10, 20. [64] Lévit., 11, 43. [65] Ps. 10, 8. [66] Ps. 61, 11. [67] Ps. 48, 17. [68] Ps. 145, 3. [69] Platon, 1er des Lois. [70] Platon, 2e des Lois. [71] 1er des Lois. [72] Prov. 10, 7. [73] Ecclesiast. 11, 30. [74] Prov. 30, 8. [75] Lévit. 19, 3. [76] Exode, 20, 12. [77] Platon, 11e des Lois. [78] Platon, 9e des Lois. [79] Exode, 21, 2. [80] Platon, 5e de la République. [81] Livre VIII des Lois. [82] 9e des Lois. [83] Exode, 22, 1 et 4. [84] Lois IX. [85] Exode, 22, 2. [86] 9e des Lois. [87] 9e des Lois. [88] Exode, 21, 28. [89] Ezéch., 21, 18. [90] Républ., liv. 3. [91] Ezéch., 54, 2. [92] Evang. De St Jean, 10, 14. [93] 1er livre de la République. [94] Isaïe, 26, 18. [95] Ezéch., 1, 3-5 et 10. [96] 9e livre de la République. [97] 6e liv. des Lois. [98] Livre IV. [99] Platon, livre X de la République [100] Hésiode, Les jours et les travaux. [101] Ps. 138, 7. [102] Ps. 18, 4. [103] Sagesse de Salomon, 13, 5. [104] St Paul aux Romains, I, 20. [105] Ps. 72, 3.
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