Page 159 - LES DEUX BABYLONES

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est le Père des lumières, et de qui procède tout bien ou tout don parfait. La
papauté inspire le même sentiment à l'égard de la déesse romaine, la reine des
cieux, et entraîne ses sectateurs à considérer la faute d'Ève de la même manière
que le faisait le paganisme. Dans le canon de la messe le service le plus solennel
du missel romain, on trouve l'expression suivante, dans l'apostrophe à la faute de
nos premiers parents :
"O beata culpa, quas talem meruisti Redemptorem
!"
Ô faute bénie, qui nous a procuré un tel Rédempteur. – L'idée contenue dans ces
paroles est entièrement païenne. Voici à quoi elles reviennent :
"Grâces soient
rendues à Ève, dont la faute nous a obtenu le glorieux Sauveur."
– Il est vrai que
l'idée contenue dans ces mots se trouve identiquement dans les écrits d'Augustin ;
mais c'est une idée entièrement opposée à l'esprit de l'Évangile, qui fait le péché
d'autant plus coupable qu'il a fallu une telle rançon pour nous délivrer de sa
malédiction épouvantable. Augustin avait bien des sentiments païens qu'il ne
dépouilla jamais complètement. Il est étrange qu'un homme sérieux, éclairé
comme Merle d'Aubigné ne voie aucun mal dans ce langage ! Comme Rome
entretient les mêmes sentiments que le paganisme, elle a adopté les mêmes
symboles selon qu'elle le jugeait opportun. En Angleterre et dans beaucoup de
pays de l'Europe, on ne trouve pas de grenades ; et cependant même en
Angleterre, on cherche à entretenir la superstition de la grenade. Au lieu de la
grenade, on a l'orange ; c'est ainsi que les papistes d'Irlande unissent à Pâques les
oranges et les oeufs : c'est ainsi que dans cette cérémonie vaine et prétentieuse où
l'évêque Gillis d'Edimbourg il y a quelques années, lava les pieds à douze
Irlandais en haillons, il offrit à chacun d'eux une orange et deux oeufs.
Or, cet usage de l'orange comme symbole du fruit
"de l'arbre mystérieux de
l'épreuve"
en Éden, n'est pas, il faut le remarquer, d'invention nouvelle ; il date
des temps les plus reculés de l'antiquité classique. Les jardins des Hespérides de
l'Occident étaient exactement, d'après tous ceux qui ont étudié le sujet, la
contrepartie du paradis d'Éden dans l'Orient. La description de ces jardins sacrés
situés dans les îles de l'Atlantique, le long de la côte d'Afrique, montre que leur
site légendaire correspond parfaitement au Cap-Vert ou aux Îles Canaries, ou à
d'autres de ce groupe, et que le fruit doré de l'arbre sacré, gardé avec un soin si
jaloux, n'était autre que l'orange.
Or, que le lecteur remarque ceci : d'après l'histoire du paganisme, il n'y avait
point de serpent dans le jardin de délices de ces îles bénies, pour entraîner
l'humanité à violer ses devoirs envers son grand bienfaiteur, et à manger le fruit
de l'arbre sacré qu'il s'était réservé comme pierre de touche de son obéissance.