LA VIE DE JÉSUS
 

CHAPITRE II

 

L'activité publique de Jésus.
E. Jésus en Pérée.
89. La parabole des conviés.
(Luc XIV, 16-24.)

 

Jésus avait déclaré la guerre aux pharisiens, en sorte qu'ils pouvaient savoir qu'il n'y aurait de paix entre eux et lui que lorsqu'ils auraient cessé d'être pharisiens et se résigneraient à n'être que de pauvres pécheurs altérés de salut. Et malgré cela, ils continuaient à l'inviter à leur table. La plupart du temps, il est dit clairement que c'était pour l'éprouver. Néanmoins, le Sauveur ne refusait jamais ces invitations. Il en profitait au contraire pour chercher à amener ses brebis au sentiment de leurs péchés. Ayant été un jour invité par un pharisien, il proposa aux convives cette parabole : Il y avait un homme qui fit un grand souper, et il y convia beaucoup de gens. Puis il envoya son serviteur à l'heure du souper pour direaux conviés : Venez car tout est prêt. Les hommes assistent volontiers à un copieux et splendide repas. Le royaume des cieux offre beaucoup de dons magnifiques aux hommes. Il leur présente non seulement des images à contempler, non seulement des pensées élevées sur des sujets importants, tels que Dieu et les hommes, le temps et l'éternité ; mais des biens réels destinés à entrer dans notre vie intérieure, et par conséquent à devenir notre propriété.

Tous les biens et tous les dons du royaume de Dieu sont des aliments et des breuvages que nous devons nous assimiler. Notre âme a soif de Dieu, du Dieu vivant. Or, celle soif ne saurait être étanchée par des idées sur Dieu, des notions et des rêves. Il faut que notre âmeboive, qu'elle boivevéritablement, si elle doit être délivrée de sa soif. Notre coeur est de sa nature vide et tourmenté par une faim qui ne saurait être apaisée par de bonnes résolutions ou de nobles pensées. Il faut qu'il mange, qu'ilmange véritablement ce qui est bon. Il faut que nous absorbions des biens vrais et réels, si nous voulons que les vides de nos coeurs soient comblés par la vie, et même par la plénitude de la vie, L'homme qui donne le grand souper, c'est notre Emmanuel. Dieu s'est fait homme, précisément afin que nous puissions le posséder, et avec lui tous les biens et tous les dons du royaume des cieux.

Lorsqu'il eut tout préparé, il envoya ses serviteurs pour dire aux conviés :Goûtez et voyez combien le Seigneur est bon ! (Ps. XXXIV, 9.) Le souper est appelé grand, parce que c'est Dieu qui l'a préparé, parce qu'une foule de biens et de dons y sont offerts, et que les invités sont une grande multitude. Toutefois, ces conviés refusent d'assister au banquet. Ils croient avoir quelque chose de meilleur qu'ils ne veulent pas laisser échapper. Cependant ils sentent qu'ils devraient s'y rendre et ils cherchent à s'excuser. L'un a acheté une terreet dit : Il me faut nécessairement partir pour aller la voir. Ce « il faut »sonne comme le soupir d'une âme soumise au joug des choses de la terre et qui désire cependant en être affranchie. Que de fois de pauvres âmes ainsi asservies passent à côté du royaume des cieux sans y entrer, parce qu'elles sont absorbées tout entières par leur vocation terrestre ! Elles pensent qu'il n'est pas possible de vivre d'une manière conforme à la Parole deDieu, qu'il faut nécessairement s'en écarter si l'on ne veut pas mourir de faim.

Un autre a acheté des boeufs et il ne songe nullement à les céder pour acquérir la perle précieuse du royaume des cieux. Je m'en vais les éprouver, dit-il, et il estime que personne n'a le droit de lui trouver à redire. Cependant, comme le premier, il éprouve le besoin de s'excuser. Je te prie de m'excuser, dit-il au serviteur. Ce sont de ces âmes qui ne regardent pas le travail en vue de leur salut comme assez important, pour devoir se refuser quoi que ce soit afin de s'y livrer. Que d'excuses insensées s'ont ainsi faites aux serviteurs envoyés, non pour recevoir ces âmes, mais pour les inviter au souper ! Aurait-on le courage de s'excuser ainsi devant Dieu lui-même ? Je ne le pense pas. Probablement les conviés garderaient le silence.

Le troisième ne pense nullement avoir besoin de s'excuser. J'ai épousé une femme, dit-il, ainsi je ne puis y aller. Ce devait être une femme impie, qui empêchait son mari d'entrer dans le royaume des cieux. Il ne peut pas y aller ! Pourquoi non ? Il eût peut-être parlé d'une manière plus vraie s'il eût dit : Je ne puis pas y aller seul. Il faut que je m'occupe aussi de ma femme. Mais on ne force personne à entrer dans ce royaume. Ce serait un travail peu récréatif et parfaitement inutile d'inviter à manger celui qui n'a pas faim.

Le père de famille, ayant entendu le rapport de son serviteur, lui dit :Va promptement par les places et par les rues de la ville et amène ici les pauvres, les impotents, les boiteux, les aveugles. Ceux-là ont faim et soif ; ils ne refuseront pas l'invitation.Mais il y a encore de la place. Alors le maître envoya son serviteur dans les chemins et le long des haies, et lui ordonna de presser d'entrer ceux qu'il trouvera, afin que sa maison soit remplie. Ils sont bien loin de la cité de Dieu, ces malheureux infirmes, ces pauvres païens, qui ne savent rien de Dieu. Ce sont ces autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie. L'amour secourable de Jésus pense aussi à elles. « Il faut qu'il les y amène. »

Le Seigneur donne à son serviteur des ordres correspondant à la disposition de chacun des conviés. Il l'envoie d'abord à ceux qui avaient été invités, qui savaient qu'un souper avait été préparé àleur intention, et qui s'étaient engagés à y participer. C'étaient alors les Juifs, qui avaient été appelés au royaume des cieux par Moïse et les prophètes. Aujourd'hui, c'est nous, chrétiens. À ceux qui ont été conviés, il suffit de dire : Venez, car tout est prêt. Ils savent immédiatement de quoi il s'agit. Ce qu'on leur offre à ce festin, leur a été depuis longtemps annoncé. C'est le pardon des péchés, la justice devant Dieu, la paix et la joie du Saint-Esprit, l'union avec Christ, afin que l'âme et le corps puissent se réjouir dans le Dieu vivant. Toutefois, lorsque les serviteurs abordent ces pauvres et ces impotents, ces boiteux et ces aveugles, ceux qui, vu leur état, se croient exclus du repas de noces, il ne suffit pas de leur parler ; c'est pourquoi le Maître leur ordonne de prendre par la main ces coeurs timides, ces âmes tremblantes, pour les faire entrer. Il faut qu'ils joignent à l'appel les directions et les encouragements.

Mais lorsque les serviteurs sont envoyés hors de la ville, le long des haies et sur les chemins, c'est-à-dire vers les païens, il faut que l'appel de la grâce prenne les accents d'un brûlant amour chrétien, pour obéir à cet ordre du Maître : Presse-les d'entrer. D'un autre côté, comme cette parole de condamnation dut retentir dans le coeur des pharisiens, lorsque le Seigneur dit : Car je vous dis en vérité qu'aucun de ceux qui avaient été conviés ne goûtera de mon souper. Ce dut être une profonde douleur pour le coeur de Jésus, lorsqu'il fut obligé de déclarer à son peuple que le royaume de Dieu sera ôté pour être donné aux païens. Pendant des siècles avant son incarnation, il avait travaillé à l'éducation de ce peuple. Il l'avait toujours aimé et avait tout fait pour l'attirer à lui. Mais les siens l'ont méprisé, lui et sa grâce.

Toutefois, dans cette douleur, il a une consolation : C'est que le royaume de Dieu ne demeure pas vide. Il faut que sa maison soit remplie. Les premiers invités refusent, les derniers accepteront. Les scribes et les pharisiens résistent à l'appel du Sauveur ; les péagers et les gens de mauvaise vie, dont la conversion réjouit les anges du ciel, l'entendront et le suivront. Les Juifs sont rebelles, les païens se soumettront. Les hommes vertueux et justes le dédaignent, les âmes travaillées et chargées s'y rendront. Les habitants de la ville, c'est-à-dire ceux qui sont membres de l'Église depuis leur jeunesse, sont insensibles aux biens qu'elle leur offre ; les étrangers, les gens sans foyer, les malheureux qui sont errants et abandonnés, les saisiront. Nulle place ne restera vide. Il faut que la maison soit remplie. Il n'y aura d'exclus que ceux qui se seront exclus eux-mêmes. Et toi, coeur chrétien, arrête-toi et réfléchis.. Es-tu entré dans la salle du festin ?

 


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90. Les dix lépreux.
(Luc XVII, 11-19.)

 

En entrant dans un bourg, Jésus rencontra dix hommes lépreux, qui se tenaient éloignés, et s'écrièrent : Jésus notre Maître, aie pitié de nous ! Ces malheureux s'étaient réunis pour adresser au Seigneur une prière commune. Confiants dans sa tendre miséricorde, ils s'enhardissent à lui demander leur guérison, et ils ne sont pas trompés. Jésus les voit, et son regard les guérit. C'est ainsi qu'il les nettoie sans les toucher, par son seul regard et sa seule parole.

Il leur dit : Allez, et montrez-vous au sacrificateur. En leur parlant ainsi, il les déclare guéris. Ils n'ont plus qu'à se présenter au sacrificateur. Ces hommes sont allés à Jésus dans la foi ; mais cette foi est augmentée par l'ordre qu'il leur donne. Ils ne sentent pas encore la guérison ; ils ne voient encore en eux que la lèpre ; mais confiants dans la parole du Seigneur, ils s'en vont, et il arriva, qu'en s'en allant ils furent guéris. Mais Jésus ne leur a pas demandé plus qu'il n'exige de nous tous. Si, couvert de la lèpre du péché, tu vas à lui en demandant ta guérison, il te traitera absolument comme il a traité les dix lépreux. Par la bouche de ses serviteurs, il te donne l'absolution, en vertu de laquelle tu es délivré de tous tes péchés, et il attend que tu croies à sa parole. Si dans l'obéissance de la foi, tu t'en tiens fermement à cette parole qui te déclare affranchi de tes péchés, tu l'es réellement, malgré la douleur qu'ils peuvent encore te causer. Alors tu feras l'expérience que le péché est vaincu en toi par la foi et que tu es purifié.

Neuf de ces malheureux reçoivent ce bienfait comme une chose due, sans songer à remercier leur bienfaiteur. Mais l'un d'entreeux, voyant qu'il était guéri, retourna sur ses pas, glorifiant Dieu à haute voix. Et il se jeta aux pieds de Jésus, le visage contre terre, lui rendant grâces. Or, il était Samaritain. Cet homme avait reçu ce bienfait comme une grâce imméritée ; de là sa reconnaissance. Le coeur de Jésus en fut sans doute réjoui, mais en même temps, de quelle douleur ne dut pas le remplir l'ingratitude des neuf autres ! Tous les dix n'ont-ils pas été guéris, dit-il, et les neuf autres où sont-ils ? Il ne s'est trouvé que cet étranger qui soit revenu pour donner gloire à Dieu ! Jésus est affligé de cette ingratitude ; il attendait donc de la reconnaissance. Cette remarque du Sauveur pourrait nous étonner, nous qui sommes enclins à accuser de présomption ceux qui sont affligés parce qu'ils ne recueillent que de l'ingratitude en échange de leurs bienfaits. Est-ce donc un manque d'amour de la part de Jésus, d'avoir compté sur la reconnaissance de ces lépreux et d'être affligé de ne pas l'obtenir ? En aucune façon. Au contraire, cette attente nous montre combien son amour est humble et désintéressé. Partout, dans l'Écriture, nous rencontrons des exhortations à la reconnaissance pour les bienfaits divins. Même l'origine du paganisme est un fruit de l'ingratitude (Rom. I, 11-23)

Dieu demande la reconnaissance des hommes non pour lui-même, mais afin de les préserver de chutes et de les retenir dans sa bienheureuse communion. Chaque bienfait éveille, dans le coeur qui le reçoit, le sentiment de ses obligations et de son péché, et ce sentiment devient d'autant plus pénible qu'on se trouve plus indigne, et plus incapable de rendre quoi que ce soit en échange des bienfaits qu'on a obtenus. Si le bienfaiteur se déclare satisfait de la reconnaissance, sans exiger aucune rétribution, le coeur se sent affranchi du sentiment du péché par cette reconnaissance même. Ainsi, lorsque Jésus l'exige, il prouve que son amour ne se recherche pas lui-même. Il sait que la reconnaissance est un deuxième bienfait ajouté au premier. Il veut par là exciter notre coeur et notre bouche à le louer, lui qui nous couronne de bonté et de compassion. Il sait que celui qui sacrifie la louange, honore Dieu, et qu'il lui fera voir sa délivrance (Ps. L, 23).

Cette délivrance, le salut de l'âme, fut accordée au Samaritain,Jésus lui dit :Lève-toi, va, ta foi t'a sauvé. Il aurait bien aimé accorder le même salut aux autres qui avaient été guéris. C'est pourquoi il demande au Samaritain reconnaissant : Et les neuf autres, où sont-ils ? Cette question semble bien renfermer un léger reproche à l'adresse de cet homme, de ce qu'il n'a pas amené les autres avec lui. Sans doute, le coeur lui battait, il baissait les yeux et se demandait s'il avait fait tout ce qu'il pouvait faire pour les exciter à la reconnaissance. Le Seigneur remarque ce trouble, c'est pourquoi il le console.
Où sont les neuf autres ? C'est ce que demande encore le Sauveur, toutes les fois que, par le moyen des missionnaires, un païen se convertit, donne gloire à Dieu et est reçu en grâce. Ces païens cherchent et trouvent la grâce de Dieu en se convertissant à lui, et la foule des anciens chrétiens suit son propre chemin et oublie son Sauveur ! Le Seigneur demande aussi où sont ceux-là. - Mais comme cette question résonnera autrement, lorsque le Sauveur, assis sur le trône de sa gloire, verra un pécheur gracié s'approcher seul, sans aucun de ceux qui lui appartenaient, et lui demandera : Où sont tes enfants, où est ta femme, où est ton mari ? pourquoi es-tu seul ? Oh ! puisse chacun de nous, lorsqu'il est converti, être assez zélé pour rendre grâces au Seigneur avec adoration et prendre tous ses bien-aimés par la main en leur disant:
« Venez, allons ensemble au Sauveur ! »

 


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91. Le juge inique.
(Luc XVIII, 1-8.)

 

Le Sauveur brûle du désir de pourvoir aux besoins de ses disciples, pour le temps où il ne sera plus visiblement avec eux. Afin de pouvoir se tenir continuellement en communion d'amour avec lui, il faut que toute leur vie ne soit qu'une incessante prière.Jésus leur dit cette parabole pour leur montrer qu'il faut toujours prier et ne se relâcher point. Il y a quelque chose de respectable dans la crainte de parler d'un commandement de Dieu relatif à la prière, mais cela n'est pas conforme à l'Écriture. Il ne faut pas éviter de dire qu'il nous est ordonné de prier, en nous contentant de louer l'immense faveur que Dieu nous fait en nous permettant de répandre notre coeur devant lui. Ce sentiment est juste, mais il est incomplet. Il suppose que notre coeur est toujours rempli du besoin de prier et des douceurs que cet exercice procure. Or, il est malheureusement bien loin d'en être ainsi. Lorsque le coeur n'éprouve aucune joie à prier et que, dans cet état de sécheresse, il se souvient que le privilège de la prière est une gracieuse permission de Dieu, il se dit : Je puis pour le moment ne pas profiter de cette permission ; je me sens trop sec et trop froid pour prier. Cet engourdissement que nous éprouvons pour la prière, surtout quand il se prolonge, nous fait complètement négliger le commandement de Dieu, qui nous ordonne de prier sans cesse. Comme le coeur devient promptement incapable de prier ! Lorsque nous sentons approcher ce danger, rappelons-nous les préceptes suivants : Priez, cherchez, heurtez (Matth. VII, 7) ; priez sans cesse (I Thess. V, 17) ; soyez persévérants dans la prière (Rom. XII, 12).

Le Seigneur ne nous présente pas cet exercice comme facultatif, de telle sorte qu'il nous soit loisible de le négliger, lorsque nous ne nous y sentons pas particulièrement disposés. Aussi certainement que le Seigneur veut que nous vivions dans une communion continuelle avec lui, aussi certainement il veut que nous priions en tout temps. Celui qui cesse de prier, cessera bientôt de croire, car la prière est la respiration vitale de la foi. Celui qui cesse de prier, cessera de puiser dans le coeur de Jésus les bénédictions fortifiantes dont il a besoin, car la prière est cette main tendue vers le ciel, par laquelle non seulement nous touchons le bord de son vêtement, mais allons jusqu'à son coeur. Celui qui cesse de prier est séparé du ciel et relégué sur la terre, car la prière est cette échelle de Jacob qui relie le ciel à la terre.

Lorsque notre coeur est paresseux à prier, lorsque ses ailes sont comme paralysées, prions par obéissance au commandement du Seigneur, même si nous n'en éprouvons aucune joie. Lorsque les paroles nous manquent, soupirons dans notre coeur. Plaignons-nous au Seigneur d'être si froids, si vides, mais ne cessons pas de prier ! Moïse cria à Dieu au bord de la Mer Bouge, sans remuer les lèvres, et Dieu entendit son cri. Ainsi laissons échapper nos plaintes, et soyons sûrs qu'elles percent les nues. Quelques-uns ont surmonté leur froideur pour la prière, en redisant l'oraison dominicale. Chacune des sept demandes est un bâton et une houlette qui raniment le coeur incapable de prier, et le remplissent d'une vie nouvelle.

Les vieux livres de prières, composés par des hommes pieux, sont regardés comme des« béquilles » qui ne conviennent pas à des coeurs chrétiens. Sans doute, celui qui peut marcher sans ces béquilles, fait bien de les jeter, et celui qui a des ailes n'a pas besoin de ramper dans la poussière. Mais lorsque je me sens peu disposé à prier, je recours sans hésiter aux béquilles. Je récite les psaumes de David et les prières de quelque autre homme de Dieu, et je me crois autorisé à le faire par l'exemple de mon bien-aimé Sauveur, qui, dans l'indicible angoisse de la croix, se sentant abandonné de Dieu, n'offre pas à son Père sa propre prière, mais la puise dans le Psaume XXIle. En un mot, prions avec des paroles ou soupirons dans le secret de nos coeurs ; prions en répétant« Notre Père » ou des psaumes ou des prières tirées d'autres livres ; prions à haute voix ou implorons silencieusement le Seigneur en levant vers lui des regards suppliants ; prions comme nous pouvons et comme cela nous est donné, mals en aucun cas ne cessons pas de prier.

Cet ordre du Seigneur ressort de la parabole suivante : Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait point Dieu et qui n'avait aucun égard pour personne. Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait souvent à lui et qui lui disait : Fais-moi justice de ma partie adverse. Pendant longtemps il n'en voulut rien faire. Cependant il dit enfin en lui-même : Quoique je ne craigne point Dieu, et que je n'aie aucun égard pour aucun homme, néanmoins, parce que celle veuve m'importune, je lui ferai justice afin, qu'elle ne vienne pas toujours me rompre la tête. Ce juge inique n'a aucune crainte de celui qui jugera le monde, et il ferme son oreille et son coeur à la requête de cette pauvre veuve affligée. À la fin cependant, il lui fait justice. Qu'est-ce qui le décide à agir ainsi ? A-t-il reconnu que le droit est du côté de cette femme ? Il ne s'inquiète nullement du droit. Est-il touché de la misère de cetteveuve ? Elle le laisse froid et indifférent. Ce qui le détermine, il le dit lui-même avec une cynique franchise. « Afin qu'elle ne vienne pas toujours me rompre la tête. » La prière continuelle de cette femme est une puissance à laquelle il ne peut résister. Cet impie, qui se flatte de ne point craindre Dieu, et de n'avoir d'égard pour aucun homme, craint la prière persévérante et pressante d'une faible femme. Quelle mystérieuse puissance dans la prière ! Aussi le Seigneur ajoute-t-il : Écoutez ce que dit ce juge injuste. Et Dieu ne vengera-t-il pas ses élus qui crient à lui jour et nuit, quoiqu'il diffère sa vengeance ? Je vous dis qu'il les vengera bientôt.

Si la prière de cette veuve a eu tant de succès auprès de ce juge inique, combien celles des élus, des croyants, ne sont-elles pas. assurées d'être exaucées par ce Dieu, dont la plus grande joie est de bénir et de sauver les siens ? Quelquefois, à la vérité, il parait ressembler à ce juge dont il est dit que « pendant longtemps il n'en voulut rien faire ».C'est l'expérience que fit la Cananéenne, lorsque Jésus ne lui répondit d'abord pas un mot, et ensuite lui refusa longtemps de lui accorder sa demande. Toutefois, lorsque notre Dieu « n'en veut longtemps rien faire » c'est qu'il a envers nous des pensées de paix et non d'adversité. Il veut nous exercer à la persévérance dans la prière, afin de nous faire expérimenter la vérité de ces paroles Heureux celui dont l'attente est à l'Éternel son Dieu(Ps. CXLVI, 5) Si nous sommes fidèles, notre délivrance arrivera bientôt.

Par la parabole du juge inique, le Seigneur nous a montré la nécessité de la prière persévérante et confiante. Par celle du pharisien et du péager, il nous enseigne la prière humble.

 


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92. Le pharisien et le péager.
(Luc XVIII, 9. 14.)

 

Il leur dit aussi cette parabole au sujet de quelques-uns qui présumaient d'eux-mêmes comme s'ils étaient justes, et qui méprisaient les autres. Deux hommes montèrent au temple pour prier ; l'un était pharisien et l'autre péager. Le pharisien, se tenant debout, priait ainsi en lui-même : 0 Dieu, je le rends grâces de ce que je ne suispas comme le reste des hommes, qui sont ravisseurs, injustes, adultères, ni même comme ce péager. Je jeûne deux fois la semaine ; je donne la dîme de tout ce que je possède. Mais le péager, se tenant éloigné, n'osait pas même lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant : 0 Dieu, sois apaisé envers moi qui suis pécheur ! Je vous déclare que celui-ci s'en retourna justifié dans sa maison, préférablement à l'autre. Car quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé. Celui qui, en lisant cette parabole, éprouve de la répugnance et de l'aversion pour ce pharisien, et se dit en lui-même : Je rends grâces à Dieu de ne pas être comme lui, celui-là n'a pas besoin de chercher le pharisien bien loin. Il le trouvera dans son propre coeur. Les pharisiens de nos jours disent aussi : 0 Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme les autres : ni comme ces vagabonds, qui passent leur vie sur les grandes routes et qui n'ont point de domicile fixe, ni comme ces malfaiteurs enfermés dans des maisons de correction, ni comme les meurtriers ou les adultères ou les voleurs. Je ne joue pas, je ne bois pas, je ne fréquente pas les cabarets. Je vais tous les dimanches à l'église, je communie tous les trimestres. Je donne pour les pauvres, pour les missions, et pour toutes les oeuvres fondées en vue du règne de Dieu. -Heureux celui qui peut dire tout cela avec vérité ! Il sera considéré comme un honnête homme et même comme un homme pieux par ses semblables. Mais malheur à celui qui n'a pas d'autre fondement de son salut !

Le péager qui présente sa prière pleine d'humilité et de repentance : 0 Dieu, sois apaisé envers moi qui suis pêcheur, nous montre comment il faut prier pour être exaucé, mais aussi pour être justifié devant Dieu. Dès que notre coeur est ainsi disposé, notre prière pénètre jusqu'au coeur de Dieu et nous attire sa grâce. Le pharisien n'a aucune idée de ses péchés, c'est pourquoi il ne songe pas à demander pardon. À la vérité, il remercie Dieu, mais toute sa prière n'est qu'une glorification de lui-même. Et cette louange qu'on se donne à soi-même est plus mal vue encore devant Dieu que devant les hommes. Le pharisien est tellement satisfait de sa piété qu'il l'étale devant Dieu dans sa prière. Il semble mécontent de ce que Dieu ne l'a pas assez remarqué, et il estime quel'Éternel doit se trouver très honoré qu'un homme aussi pieux vienne prier dans son temple. On ne trouve en lui nulle trace d'humilité ni d'amour. D'où lui vient donc cette orgueilleuse satisfaction de lui-même ? Le Sauveur nous l'apprend : il présumait de lui-même, comme s'il était juste,et méprisait les autres. La véritable piété et la véritable humilité peuvent bien distinguer chez les autres la piété ou l'impiété, l'orgueil ou l'humilité ; mais quiconque se croit humble et pieux, est déjà déchu de ces vertus ; et quiconque se glorifie de sa piété et de son humilité, est un pharisien. L'homme vraiment pieux s'efforce de le devenir et il est confus de ne l'être pas. Le pharisien, en se mesurant lui-même, s'est appliqué une fausse mesure. Celui qui commet cette faute, arrive nécessairement à présumer de lui-même. Il n'y a pour l'homme qu'une seule mesure : c'est la loi de Dieu et la sainteté de Dieu. « Soyez saints, car je suis saint »(1 Pierre I, 16 ;Lév. XIX, 2). Et comme Dieu s'est fait homme, Jésus, l'Homme-Dieu, est le seul modèle pour tous les hommes. -« Ayez les mêmes sentiments que Jésus-Christ a eus »(Philip. II, 5).

Le pharisien s'est comparé à d'autres hommes dont les péchés étaient plus ostensibles que les siens. Dans ces conditions, il devait nécessairement devenir présomptueux, puisque, plus on est attentif à voir les péchés des autres, plus on est aveugle sur ceux qu'on a commis soi-même. S'il s'était comparé à la loi de Dieu, il aurait dit :« 0 Dieu, je m'étonne de n'être pas comme le reste des hommes, car mon coeur est plein de convoitises, et c'est par ta grâce qu'elles ne se sont pas manifestées comme elles le font chez d'autres.

En revanche, le péager se présente devant Dieu avec le profond sentiment de ses péchés et un ardent désir d'en obtenir le pardon. Il est confus et se frappe la poitrine et il a raison, car le fardeau qui pèse sur sa conscience est sans doute bien lourd. Il ne trouve rien de bon en lui, mais seulement du mal ; toutefois il croit fermement que la grâce de Dieu s'élève au-dessus de ses péchés. C'est un grand privilège, pour une créature souillée, de pouvoir se confier dans la miséricorde du Dieu saint, lorsque le sentiment de ses fautes s'éveille en elle. Aussi longtemps que la conscience dort, etque l'homme est mort dans ses péchés, il se console facilement et dit : « Dieu est miséricordieux ! » c'est tout naturel qu'il pardonne. Mais lorsque le péché est apparu comme péché (Rom. VIII, 13), et que le coeur sort du sommeil dans lequel il était retenu, alors il lui semble impossible que Dieu lui fasse grâce. D'un autre côté, celui qui est vraiment pauvre en esprit, et qui désire sincèrement le pardon de ses péchés, est déjà justifié. Dieu résiste aux orgueilleux, mais il fait grâce aux humbles.

 


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93. Hérode traité de renard. Retour à Jérusalem.
(Luc XIII, 31-35.)

 

L'activité de Jésus en Pérée parait avoir été richement bénie, car Jean (X, 41-42) nous dit : Et il vint beaucoup de gens qui disaient : Jean n'a fait aucun miracle, mais tout ce que Jean a dit de cet homme était vrai ; et il y en eut là plusieurs qui crurent en lui. Les pharisiens de cette contrée avaient vu depuis longtemps, avec un profond déplaisir, que le peuple se tournait vers Jésus et croyait en lui. Ils auraient bien aimé le voir quitter leur frontières.
C'est pourquoi ils accueillirent avec une grande joie le bruit qu'Hérode voulait le faire mourir. Ayant déjà fait tuer Jean, et résistant obstinément à toutes les voix qui lui parlaient de repentance, Hérode aurait voulu éloigner Jésus de son royaume pour ne pas être de nouveau importuné par le souvenir de sa victime. Il cherchait à l'effrayer en lui faisant connaître ses intentions meurtrières, afin de le décider à s'enfuir. - Les pharisiens, qui étaient animés du même désir, vinrent donc à Jésus sous les apparences d'une trompeuse amitié pour l'avertir du danger qu'il courait :Retire-toi d'ici, lui dirent-ils, car Hérode veut te faire mourir. Jésus sait fort bien que personne ne peut lui ôter la vie, mais il est prêt à la sacrifier au moment déterminé par le Père, moment qui n'est plus éloigné.

Il dit à ceux qui lui donnaient ce charitable avertissement : Allez et dites à ce renard : Voici, je chasse les démons et j'achève de faire des guérisons aujourd'hui et demain et le jour suivant, et le troisième jour je finis ma vie. Cependant il me faut marcher aujourd'hui, demain et le jour suivant, parce qu'il n'arrive pas qu'un prophète meure hors de Jérusalem. Jésus appelle Hérode un renard, non seulement à cause de la ruse, mais aussi parce qu'il ravage la vigne du Seigneur (Cant. des Cant. II, 15). Il sait très bien que l'heure de sa mort approche, mais il sait aussi que la fin de sa carrière ne dépend ni d'Hérode ni des pharisiens, mais uniquement de son Père céleste ; il sait, de plus, qu'il ne mourra pas hors de Jérusalem.

Mais aussitôt que Jésus pense à cette ville, son coeur est rempli d'une amère douleur. Jérusalem ! Jérusalem !s'écrie-t-il, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble sa couvée sous ses ailes, mais vous ne l'avez pas voulu. En laissant échapper cette explosion de douleur causée par le rejet hautain de son amour, le Sauveur avait sûrement les yeux pleins de larmes.« Pourquoi mourriez-vous, ô maison d'Israël ? »(Ezéch. XVIII, 31.)« Je t'ai aimée d'un amour éternel, c'est pourquoi je t'ai attirée par ma miséricorde ! »(Jérém. XXXI, 3.)
Mais ni Jérusalem, ni Israël ne veulent se laisser à Jésus. Telle est la cause de leur condamnation. Qui m'éprise les ailes de la poule, tombe sous les serres de l'aigle.Voici, votre habitation va devenir déserte, et je vous dis en vérité que vous ne me verrez plus jusqu'à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Le signe par lequel le Père devait mettre un terme à l'activité de Jésus en Pérée n'était pas éloigné : c'était la maladie et la mort de son ami Lazare.


 

 

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