LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE II
L'activité publique de
Jésus.
E. Jésus en Pérée.
Les quatre Évangiles sont unanimes à raconter que
le Sauveur, avant son dernier voyage à Jérusalem, se
rendit en Pérée où il séjourna quelque temps.
D'après Jean, il semble n'avoir visité qu'une
seule localité, Béthabara. Mais comme cet
évangéliste ne ditpas combien de temps Jésus resta
dans cette province, il n'est nullement impossible,
même d'après le quatrième Évangile, d'admettre que
le Sauveur l'ait parcourue tout entière, soit avant
soit après son séjour à Béthabara. Or, ceci est
clairement raconté par les autres évangélistes.
Ainsi Matthieu (XIX,
1) dit : « Quand Jésus eut achevé tous ces
discours, il s'en alla dans les quartiers de la
Judée, au delà du Jourdain ». Marc (X,
1) « Jésus, étant parti de là, vint aux confins
de la Judée, au delà du Jourdain ». Et si même Luc (XVII,
11) rapporte qu'en se rendant à Jérusalem, Jésus
passa par le milieu de la Samarie et de la Galilée,
il est impossible, vu ! a situation géographique des
lieux, que ce qui est ici nommé Galilée, soit la
province qui forme la frontière septentrionale de la
Samarie. Ce ne peut être que la Pérée, puisque cette
contrée, étant administrativement unie à la Galilée,
était souvent désignée sous la même dénomination.
Du reste, comme les Évangiles racontent
une foule d'événements dont ils n'indiquent pas
clairement l'époque, il est fort possible que ce que
nous attribuons à l'activité de Jésus en Pérée, se
soit déjà passé en Samarie et vice-versa.
D'ailleurs, les faits sont infiniment plus
importants que le temps où ils se sont produits.
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85. Le mariage et le divorce.
(Matth.
XIX, 3-15.)
Quoique la Pérée fût moins peuplée que les autres
provinces de la Terre Sainte, la foule se pressait
tout aussi nombreuse sur les pas du Sauveur. C'est
pourquoi les pharisiens ne manquèrent pas de se
rendre immédiatement dans cette contrée, pour
l'épier et travailler à paralyser son activité. Ils
s'approchèrent de lui et lui dirent :Est-il
permis à un homme de répudier sa femme pour quelque
sujet que ce soit ? Cette question était
agitée parmi les pharisiens. Les uns pensaient que
le mariage pouvait être rompu pour un motif
quelconque, et que le caprice du mari suffisait pour
légitimer la séparation. Les autres, au contraire,
ne permettaient la rupture du lien matrimonial qu'à
la suite de faits particulièrement scandaleux. Les
pharisiens espéraient sans doute que, vu
ladifficulté du cas, le Seigneur se laisserait aller
à émettre quelque opinion contraire à la loi
mosaïque.
Mais il répondit :
N'avez-vous pas lu que celui
qui créa l'homme au commencement du monde fit un
homme et une femme ; et qu'il est dit : C'est à
cause de cela que l'homme quittera son père et sa
mère et s'attachera à sa femme, et les deux ne
seront qu'une seule chair. Ainsi ils ne sont plus
deux, mais ils sont une seule chair. Que l'homme ne
sépare donc pas ce que Dieu a uni !
Christ ne s'inquiète pas des opinions des hommes. Il
renvoie ses interlocuteurs à l'ordre primitivement
établi par Dieu, et auquel le droit et la loi
doivent se plier. Et si les lois faites par les
hommes sont contraires à l'institution divine, cette
institution n'en demeure pas moins la règle pour le
chrétien. Car il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux
hommes (Act.
V, 29).
Ils lui dirent :
Pourquoi donc Moïse a-t-il
commandé de donner la lettre de divorce, quand on
veut répudier sa femme ? Jésus leur
répondit : C'est à cause de
la dureté de votre coeur que Moïse vous a permis de
répudier vos femmes ; mais il n'en était pas ainsi
au commencement. Moïse n'a pas ordonné la
séparation des époux ; il l'a simplement permise,
parce qu'il lui était impossible de réprimer les
habitudes païennes qui s'étaient introduites dans
les moeurs du peuple d'Israël. C'est pourquoi il
ordonne à l'homme qui, contrairement au commandement
de Dieu, répudierait sa femme, de lui donner du
moins une lettre de divorce, afin qu'une chose aussi
importante pour la vie de famille, ne dépendit pas
du caprice d'un moment.
Mais je vous
dis, moi, ajoute Jésus,
que quiconque répudiera sa
femme, si ce n'est pour cause d'adultère, et en
épouse une autre, commet un adultère ; et que celui
qui épousera la femme qui aura été répudiée, commet
aussi un adultère. Le mariage n'est pas
un contrat ordinaire. C'est un état établi par Dieu
lui-même et qui doit être maintenu intact par les
deux parties, jusqu'à ce que la mort vienne les
séparer. Toute autre séparation est un péché devant
Dieu, si même elle est autorisée par les lois
humaines.
Lorsque l'autorité civile, établie sur
les croyants et sur les incrédules, promulgue une
loi matrimoniale conforme à l'ordremosaïque et non
au commandement de Dieu, en ayant égard surtout aux
personnes étrangères à la foi, cela se comprend.
Mais les chrétiens, qui veulent être sauvés par leur
obéissance à la foi en Christ, doivent se diriger
exclusivement d'après la Parole de Dieu, alors même
que les lois humaines lui seraient contraires, dût
cette conduite les exposer à diverses souffrances.
Le Seigneur admet une seule exception à la règle
qu'il vient de poser, et à y regarder de près, cette
exception n'en est pas une : c'est l'adultère. Car
lorsqu'une femme s'est donnée à un autre homme, elle
a rompu par le fait l'union matrimoniale, et son
mari n'est plus lié avec elle.
Alors ses
disciples lui dirent : Si telle est la condition de
l'homme et de la femme, il ne convient pas de se
marier. Ces paroles des disciples ne
s'accordent point avec la déclaration que Dieu fit
au commencement : Il n'est
pas bon que l'homme soit seul ; je lui ferai une
aide semblable à lui. Dans la pensée de
Dieu, le mariage est une institution excellente, un
état saint. Et comme il doit lier l'homme et la
femme pour toute leur vie, il faut se garder de
l'accomplir légèrement. Il convient donc que ceux
qui veulent entrer dans cet état, apprennent d'abord
à se connaître à fond l'un l'autre.Mais
il leur dit : Tous ne sont pas capables de cela,
mais ceux-là seulement à qui il a été donné. Car il
y a des eunuques qui sont nés tels dès le ventre de
leur mère, il y en a qui ont été faits eunuques par
les hommes, et il y en a qui se sont faits eunuques
eux-mêmes pour le royaume des cieux. Que celui qui
peut comprendre ceci, le comprenne.
Jésus parle ici du célibat. Les uns sont
nés avec des dispositions telles ; qu'ils n'ont
aucune inclinaison, aucun penchant, pour la vie
conjugale ; les autres sont condamnés au célibat par
une force étrangère à leur volonté ; d'autres
refusent de se marier afin de pouvoir se consacrer
d'autant plus librement à l'avancement du règne de
Dieu. Le célibat peut donc être agréable à Dieu, si
celui qui s'y voue est capable de résister à ses
désirs et le fait dans l'intention de servir Dieu
sans distractions. La vie conjugale vient de Dieu,
mais le célibat vient aussi de Dieu. Lorsqu'une
jeune fille n'est recherchée par aucun homme, elle
ne doit pas regarder cela comme un malheur, mais
apporter tous ses soins à obéir et à plaireau
Seigneur. Dieu, qui dirige les coeurs, pourrait
facilement incliner le coeur d'un homme vers celui
de cette jeune fille. S'il ne le fait pas, elle doit
reconnaître que telle est à son égard la volonté de
Dieu, qui a sur nous des pensées de paix et non
d'adversité.
Que les célibataires mettent donc leur
liberté au service de Dieu. Partout on a besoin
d'aide. Il y a des pauvres à soulager, des malades à
soigner, des enfants abandonnés à recueillir. Que
celle qui veut servir le Seigneur d'un coeur joyeux,
se présente à une maison de diaconesses. Aucune de
celles qui veulent donner leur coeur à Jésus et se
consacrer à lui, ne sera refusée.
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86. Jésus bénit les petits enfants.
(Marc
X, 13-16.)
Alors on lui présenta
des petits enfants, afin qu'il les touchât mais les
disciples reprenaient ceux qui les présentaient. Et
Jésus, voyant cela, en fut indigné, et il leur dit :
Laissez venir à moi ces petits enfants et ne les en
empêchez point, car le royaume des cieux est pour
ceux qui leur ressemblent. Je vous dis en vérité que
celui qui ne recevra pas le royaume des cieux comme
un petit enfant, n'y entrera point. Ces
mères avaient sûrement obtenu de riches bénédictions
de Jésus, puisqu'elles veulent que leurs enfants en
aient leur part. Toute la personne de Jésus, malgré
la gloire céleste dont elle brillait, devait avoir
quelque chose d'extraordinairement aimable et
attrayant, qui provoquait la confiance, puisque ces
mères viennent sans crainte et sans hésitation lui
demander de bénir leurs enfants.
Les disciples ne voulaient pas permettre
que leur Maître fut ainsi importuné. Ils pensaient
d'ailleurs que sa bénédiction ne pouvait pas être
d'une grande utilité aux petits enfants, puisqu'ils
ne la comprenaient pas. Il leur manquait cette bonté
du Sauveur, qui ne se sent jamais importuné, dès
qu'il a une occasion de manifester son amour.
Combien pensent encore aujourd'hui comme les
disciples, et tiennent leurs enfants loin de Jésus !
Combien regardent aussi comme inutile, peut-être
même nuisible, de leur faire apprendre par coeur des
passages de la Bible et de leur enseigner à prier !
Mais Jésus, l'ami des enfants, reprend ses disciples
avec une sainte indignation, et ordonne qu'on les
laisse venir à lui.
Laissez-les
venir à moi. Les enfants aussi ont besoin
d'un Sauveur et sont capables de l'aimer. L'humilité
des petits enfants, leur simplicité, leur confiance,
pleine d'abandon, les rendent propres pour le
royaume des cieux, qui ne peut être accordé qu'à
ceux qui leur ressemblent. Les enfants ont donc un
droit divin au royaume des cieux ; Jésus le leur
reconnaît. Dès lors, quel père, quelle mère, quel
ami des enfants voudrait les empêcher d'aller à
Jésus ? Il les redemanderait un jour de leur main.
C'est assurément une bonne chose, lorsque des mères
chrétiennes apprennent le plus tôt possible à leurs
enfants à joindre les mains pour la prière, et leur
racontent des faits de la vie de Jésus, l'ami des
enfants. Cela s'accorde parfaitement avec cette
exhortation du Seigneur :
Laissez tenir à moi les petits enfants.
Malheureusement, ces soins spirituels cessent
bientôt, comme si Jésus n'avait commandé de lui
amener que les tout petits enfants. En sorte, que
lorsqu'ils commencent à fréquenter l'école, Ils ont
perdu depuis longtemps l'habitude de prier.
Laissez venir à
moi les petits enfants. Ces paroles ont
aussi pour but de marquer la nécessité de leur
administrer le baptême. Tous ceux qui ont été
baptisés en Christ, ont été revêtus de Christ ; et
les petits enfants veulent aussi le revêtir Jésus
leur promet le royaume des cieux ; or, la seule
porte par laquelle on puisse y entrer, est la
régénération par l'eau et par le Saint-Esprit,
conférée dans le baptême. Si donc la parole de Jésus
a conservé sa valeur, ou ne peut pas refuser le
baptême aux enfants.
Laissez venir à
moi les petits enfants. Que les parents
affligés, auxquels le Seigneur a redemandé un cher
enfant, prêtent une oreille attentive à ces paroles
! Sans doute, l'amour voudrait les retenir ; mais
celui qui les retire à lui, c'est Jésus, le fidèle
Sauveur. Ces chers êtres sont infiniment mieux
préservés dans ses mains, qu'ils ne le seraient dans
celles du père le plus fidèle, de la mère la plus
tendre. Et cependant, comme il est difficile aux
parents de rendre volontairement leur enfant au
Sauveur ! Ils ne reconnaissent pas dans cette
douloureuse dispensation, son intention pleine
d'amour. C'est qu'en leur reprenant leur enfant, il
brise leur coeur afin de les décider à se donner
eux-mêmes à lui.
Une famille européenne était allée
s'établir à la frontière occidentale des États-Unis
d'Amérique. Non loin de cette frontière, se trouvait
une tribu d'Indiens qui la franchissaient souvent
pour ravager et brûler, piller et tuer. Un de ces
brigands voulait témoigner sa reconnaissance à cette
famille pour un bienfait qu'il en avait reçu.
Lorsque les chefs de cette tribu eurent décidé
d'attaquer ces immigrés, il résolut de chercher à
leur sauver la vie. Il se hâta d'atteindre leur
demeure avant ses cruels compagnons, et les avertit
du danger qui les menaçait. Mais ils ne comprenaient
pas sa langue. Il essaya de leur faire entendre par
des signes qu'ils devaient quitter leur maison et
sauver leur vie. Ils ne saisissaient pas son
intention. Dans son angoisse, il s'empara d'un petit
enfant couché dans son berceau, et, avant que les
parents consternés eussent pu l'en empêcher, il
s'enfuit avec son fardeau, dans une forêt éloignée
d'un demi-mille. Les parents de l'enfant le
poursuivirent. Lorsqu'ils furent tous en sûreté dans
les montagnes, l'Indien s'arrêta et rendit l'enfant
à ses parents. Et comme ceux-ci l'accablaient de
reproches et le menaçaient, il se retourna et leur
montra leur maison en feu. Les Indiens étaient
occupés en ce moment à piller tout ce qu'ils
pouvaient emporter. Si leur libérateur ne leur avait
pas enlevé leur enfant, ils auraient tous péri avec
lui.
C'est ainsi que souvent Jésus reprend un
enfant ; et les pauvres parents se lamentent. Mais
Jésus veut les attirer à lui par cette affliction.
Et ceux qui se sont laissé attirer, lui ont rendu
grâces plus tard. Et les
ayant pris entre ses bras, il leur imposa les mains
et les bénit. Celui que Jésus prend dans
ses bras et presse sur son coeur, est marqué pour la
vie éternelle. Celui auquel il impose les mains, est
garanti contre toutes les attaques de l'ennemi.
Celui qu'il bénit est béni pour l'éternité.
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87. Le jeune homme riche.
(Matth.
XIX, 16-22 ;Marc
X, 17-23.)
Comme Jésus sortait pour se mettre en chemin, un
homme accourut, et s'étant mis à genoux devant lui,
il lui demanda :Mon bon
maître, que dois-je faire de bon pour hériter la vie
éternelle ? Ce jeune homme avait une
conduite honorable et s'était appliqué avec zèle à
observer les commandements de Dieu. Mais il ne
connaissait pas ses péchés et croyait avoir accompli
la loi, parce qu'il l'avait gardée extérieurement.
D'un autre côté, comme il aspirait réellement à la
vie éternelle, il avait conscience que cette
obéissance extérieure ne lui procurait aucune paix.
Il n'était pas complètement sûr de son salut, et
sentait qu'il lui manquait encore quelque chose.
Pénétré d'un profond respect pour Jésus, il espérait
obtenir de lui la lumière qui lui faisait défaut sur
ce point. Il veut faire quelque chose de bon
pour parvenir à la vie. Il ignore seulement quellebonne
oeuvre Dieu réclame encore de lui, et il compte
sur ses propres forces pour l'accomplir.
Lorsqu'il appelle Jésusbon Maître,
ce n'est qu'un titre d'honneur qu'il lui donne. Il
veut lui montrer le respect qu'il a pour lui. C'est
comme s'il disait : Maître, tu es le meilleur homme
que j'aie jamais vu. Du reste, il n'a aucune idée de
la vraie signification du motbon. Pour
comprendre la réponse de Jésus, il faut ne pas
oublier qu'en parlant à ce jeune homme sincère,
qu'il s'efforce de gagner pour le royaume des cieux,
il veut prendre un soin spécial et personnel de son
âme. Il manque à ce jeune homme deux choses : la
connaissance de ses péchés et l'attrait pour le
Sauveur des pécheurs ; la connaissance de soi-même
et la connaissance de Jésus. Ce jeune homme ne voit
dans Jésus qu'un homme qui, par ses propres forces,
par des efforts énergiques et soutenus, est parvenu
à un degré de perfection morale digne de toute son
admiration. C'est contre cette notion que le
Seigneur proteste. « Si j'étais l'homme que tu
crois, je ne mériterais pas d'être appelé bon
Maître. » Je serais un pécheur comme tous les hommes
; Dieu seul est vraiment bon.
Si le jeune homme s'était incliné devant
cette parole que Jésus ajoute immédiatement, il
aurait compris que ce bon, le seul vraiment
bon, s'était approché de lui dans la personne
de Jésus, et il aurait été pleinement autorisé à
l'appeler « bon Maître » ; mais dans un sens tout
autre que celui qu'il attachait à ce terme. Celui
qui est le vrai Dieu, est par cela même la vie
éternelle. Il ne seborne pas à la manifester ; il
est lui-même cette vie, et il la donne.
Que si tu veux entrer dans la
vie, garde les commandements.
Le jeune homme n'était pas préparé à une
telle réponse. Il croit qu'en parlant des
commandements, le Sauveur ne peut pas avoir en vue
les dix commandements, car ceux-là il les a toujours
observés. Il pense donc à quelque autre commandement
plus difficile, et demande à Jésus : Quels
commandements ? Et à son grand étonnement, il
apprend que Jésus voulait parler de ces
commandements tout ordinaires du Décalogue, qui sont
obligatoires pour tout le monde :
Tu ne tueras point, tu ne
commettras point adultère, lit ne déroberas point,
lu ne diras point de faux témoignage, contre ton
prochain, honore ton père et ta mère, et tu aimeras
ton prochain comme toi-même. C'est avec
intention que Jésus énumère seulement les
commandements qui règlent les rapports des hommes
entre eux. Chacun était persuadé de les avoir
sûrement observés. En rappelant le commandement
relatif à l'amour du prochain, Jésus veut
précisément amener ce jeune homme à reconnaître
l'illusion dans laquelle il vit. Le jeune homme lui
dit : J'ai observé toutes
ces choses dès ma jeunesse ; que me manque-t-il
encore ?
Ce jeune homme manifeste évidemment un
très grand contentement de lui-même, joint à une
ignorance absolue de ses propres dispositions. Il se
dit, dans son for intérieur : S'il n'y a rien à
faire de plus pour hériter la vie éternelle, je suis
dans d'excellentes conditions !
Et cependant, Jésus le regarde avec
amour. C'est que le Sauveur voit toujours avec
plaisir les âmes qui cherchent, même lorsqu'elles ne
trouvent pas, même lorsqu'il leur manque quelque
chose pour trouver. Ce jeune homme est très
vertueux, peut-être même parfait, à ses propres
yeux. Il n'a pas le sentiment de ce qu'il lui manque
pour être sauvé ; c'est à ce sentiment que Jésus
veut l'amener. Il te manque
une chose, qui est absolument nécessaire
pour hériter la vie éternelle, savoir : la
repentance et la foi au Sauveur des pécheurs.
Si tu veux être parfait, vends
tout ce que tu as et le donne aux pauvres, et tu
auras un trésor dans le ciel ;après cela, viens et
suis-moi, tétant chargé de la croix.
L'Église romaine, pour appuyer sa
doctrine des oeuvres surérogatoires, a compris ces
paroles, comme si le Seigneur disait à ce jeune
homme qu'il avait déjà fait ce qui est nécessaire
pour être sauvé, et que s'il l'engageait à vendre
ses biens, c'était afin de lui faire atteindre un
plus haut degré de perfection et de lui assurer
ainsi un trésor particulier dans le ciel. Mais cette
interprétation est contraire au contexte. Le
Seigneur veut précisément lui indiquer ce qu'il lui
faut encore nécessairement pour être sauvé, et lui
faire comprendre que la perfection exigée de tous (Matth.
V, 48) consiste en ceci : c'est qu'il
s'approprie par la foi le trésor céleste, la perle
de grand prix, avec un coeur affranchi de tout amour
des créatures, de tout lien terrestre. Considérer
toutes les autres choses comme une perte, tout
abandonner, choisir Christ comme le trésor au-dessus
de tous les trésors, et le suivre, tel est le chemin
du salut pour tous, et aussi pour ce jeune homme.
Quiconque est affranchi intérieurement de l'amour du
monde et de l'amour de l'argent, peut être sauvé,
même en restant extérieurement en possession de ses
richesses.
Toutefois, ce qui n'est pas exigé de
tous, était nécessaire à ce jeune homme, afin qu'il
devînt intérieurement libre à l'égard de Mammon. Il
lui paraissait sans doute difficile de se séparer de
Jésus, mais il trouva plus difficile encore de se
séparer de ses richesses.
Mais quand le jeune homme eut entendu ces paroles,
il s'en alla tout triste, car il possédait de grands
biens. Qui sait si dans cette tristesse,
il y avait un grain de tristesse selon Dieu, qui pût
le ramener plus tard à Jésus ? Ce que rapporte une
ancienne tradition serait bien beau si c'était vrai
: c'est que ce jeune homme ne serait autre que
l'évangéliste saint Marc, qui plus tard, affranchi
de tout attachement terrestre, se serait donné
complètement au Seigneur Jésus. Quand nous le
reverrons un jour dans le Ciel, il pourra lui-même
nous renseigner sur la valeur de cette tradition.
Alors Jésus dit à ses disciples :
Je vous dis en vérité qu'un
riche entrera difficilement dans le royaume des
cieux. Je vous dis encore qu'il est plus facile
qu'un chameau passe par le trou d'une aiguille qu'il
ne l'est qu'un riche entre dans le royaume des cieux.
Ce ne sont pas les richesses qui excluent du royaume
des cieux, c'est laconfiance qu'on met en elles (Ps.
LXII, 11). Les richesses ne permettent à ceux
qui les possèdent, ni une vraie repentance, ni le
désir de recourir au Sauveur, ni la soif du salut.
Elles excitent l'amour des biens terrestres ; elles
affaiblissent l'attrait pour les choses invisibles ;
elles rendent l'abnégation pénible ; elles
favorisent l'égoïsme et l'orgueil, au point de
persuader aux hommes qu'ils n'ont pas besoin de ce
Sauveur humilié. Les riches connaissent bien cette
sérieuse parole du Seigneur ; mais qui est-ce qui la
prend à coeur ? Les disciples, ayant entendu cela,
furent fort étonnés, et disaient :
Qui peut donc être sauvé ?
Les disciples comprennent. que ce n'est pas la
possession des biens de la terre, mais l'attachement
du coeur à ces biens, qui exclut du royaume des
cieux. Ils sentent parfaitement que cette parole du
Seigneur est dirigée contre l'amour des choses
terrestres, qui est dans tous les hommes. C'est
pourquoi il les console en leur disant :Quant
aux hommes, cela est impossible, mais quant à Dieu,
toutes choses sont possibles.
C'est par la seule grâce de Dieu qu'un
riche peut ne pas se laisser éblouir par l'éclat des
biens terrestres, ni enchaîner par l'amour de
l'argent. Mais lorsque les puissants et les riches
de la terre tombent à genoux et, déposant leur
fardeau doré an pied de la croix de Golgotha,
célèbrent, dans une langue nouvelle, comme des
pécheurs perdus, mais reçus en grâce, le sang de
l'alliance et les richesses incompréhensibles de
Christ, alors les saints anges de Dieu saisissent
avec une double joie leurs harpes d'or pour chanter
cette glorieuse victoire de l'amour de Jésus.
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88. Les ouvriers loués à différentes heures.
(Matth.
XX, 1-16.)
À peine le jeune homme s'était-il éloigné, que
Pierre, prenant la parole, dit à Jésus :
Voici, nous avons tout quitté
et nous t'avons suivi ; qu'en sera-t-il pour nous ?(Matth.
XIX, 27.) On a souvent reproché à Pierre cette
question, comme trahissant une aspiration à un
salaire. À coup sûr, la pensée de l'apôtre n'était
pas tellement répréhensible, autrement le Seigneur
ne lui aurait pas donné une réponse aussi amicale.
Il y a toutefois du calcul dans les paroles de
l'apôtre. De fait, personne n'abandonne sa vie de
péché et son amour du monde, sans se demander
d'abord : « Qu'en sera-t-il pour moi ? » Comment
exiger qu'un homme rompe avec son existence vide de
Dieu, avec ses jouissances mondaines qui ont été
pendant toute sa vie son seul bonheur, sans lui
donner l'assurance de goûter des joies infiniment
plus pures que celles qu'il quitte, un bonheur vrai
et éternellement parfait, au lieu de son prétendu
bonheur actuel ? Il est vrai que Pierre n'avait pas
abandonné de grandes richesses pour suivre Jésus ;
mais ce qui importe, ce n'est pas qu'on abandonne
peu ou beaucoup, c'est qu'on abandonne
tout, que le coeur soit détaché des biens qu'on
possède.
Jésus répondit :Je
vous dis en vérité, qu'il n'y a personne qui ait
quitté maisons, ou frères, ou soeurs, ou père, ou
mère, ou femme, ou enfants, ou des biens, pour
l'amour de moi, et de l'Évangile, qui n'en reçoive
dès à présent, dans ce siècle, cent fois autant, des
maisons, des frères, des soeurs, des pères, des
mères, des enfants et des terres, avec des
persécutions, et dans le siècle à venir la vie
éternelle. Par ces paroles, le Seigneur
n'entend pas nous mettre en main un inventaire des
choses que nous serons autorisés à réclamer, en
échange des sacrifices que nous pouvons être appelés
à faire pour lui. Il veut nous donner l'assurance
que tous ces sacrifices seront richement compensés,
qu'il« remplira notre coupe » et comblera
parfaitement tous nous voeux pendant le cours de
cette vie, et pour toujours dans l'éternité. Si nous
lui donnons tout ce que nous possédons, il nous
donnera aussi tout ce qu'il possède. Un
missionnaire, qui abandonne sa famille et ses amis,
trouve chez les païens une nouvelle patrie, et dans
les âmes converties, des frères et des soeurs. Et
celui qui, dans son propre pays, abandonne ses amis
mondains, qui est même haï des siens pour l'amour de
Jésus-Christ, trouve un riche dédommagement dans sa
communion avec lui et avec ceux qui lui
appartiennent.
Toutefois, afin que sa promesse d'une
compensation ne soit pas mal comprise, il nous
enseigne formellement, par la parabole suivante, que
dans le royaume des cieux, tout est grâce. L'appel
est une grâce, le travail est une grâce, la
récompense est une grâce.
Le royaume des cieux est semblable à un père de
famille qui sortit dès lepoint du jour, afin de
louer des ouvriers pour travailler dans sa vigne. Et
ayant accordé avec des ouvriers à un denier par
jour, il les envoya dans sa vigne. La vie
du chrétien est une vie de joie, mais ce ne sont pas
des joies que l'on goûte paresseusement, car la vie
dans le royaume de Dieu est aussi une vie de travail
: non pas un travail qui use, par le chagrin, la
peine et les soucis, mais un travail qui réjouit,
restaure et fortifie le coeur. Si quelqu'un croyait
que les pasteurs, les instituteurs, les diaconesses
sont les seuls ouvriers appelés à travailler dans la
vigne du Seigneur, il prouverait par là qu'il est
resté lui-même jusqu'à ce moment sur la place sans
rien faire (v.
3).
D'un autre côté, plusieurs voyant
d'autres déployer tant d'activité dans la vigne du
Seigneur, voudraient y travailler eux-mêmes ; mais
ils ne le peuvent pas. Il faut qu'auparavant ils
soient accordés avec le père de famille. Pour porter
du fruit, il faut être devenu un sarment vivant du
vrai cep, qui est Christ. Quiconque entreprend de
travailler avec ses propres forces, ne peut pas le
faire comme Jésus le demande. Tous les ouvriers
occupés à la mission intérieure, sont-ils unis au
Seigneur ? Ceux qui, du haut de la chaire,
travaillent à lui arracher sa couronne de gloire, ne
se sont certainement pas accordés avec lui.
Quiconque est avec Jésus, n'a pas besoin de chercher
du travail. Le Seigneur lui en montre suffisamment.
Le travail auquel chacun doit se livrer sur son
propre coeur, demeure toujours le plus important.
Celui qui l'accomplit est aussi en mesure de
consoler et d'aider les autres.
Le père de famille qui distribue chaque
jour aux siens le pain de la Parole, la mère qui
enseigne à ses enfants à prier, l'ami qui avertit ou
console, sont autant d'ouvriers dans la vigne du
Seigneur. Chaque coeur croyant a son travail à
accomplir dans le royaume de Dieu, même la bonne
vieille grand'mère, qui, affaiblie, décrépite, croit
n'être plus bonne à rien, s'acquitte aussi de sa
tâche, lorsqu'elle joint les mains pour prier pour
les siens. De même le jeune enfant, qui a appris à
lire à l'école, accomplit la sienne, lorsqu'il lit
au grand-père aveugle quelques strophes de
cantiques, ou quelques versets de la Bible. Ne rien
faire dans le règne de Dieu, équivaut à marcher sans
Dieu, au-devant de la mort éternelle. C'est pourquoi
le père de famille se rend sur la place aux
différentes heures du jour, pour engager les oisifs
à aller travailler dans sa vigne.
Quant à nous, chrétiens, le Sauveur nous
a tous appelés à cette oeuvre. Il nous a même
introduits dans sa vigne, qui est son Église, par
l'acte de notre baptême. Seulement, la plupart de
ceux qui ont été baptisés ont perdu la grâce que ce
sacrement confère, se sont endormis et se sont
joints aux« oisifs ». Alors le Sauveur s'approche
d'eux aux différentes heures du jour pour les
pousser au travail. Heureux ceux qui dès le matin
de leur vie ont entendu la voix de Jésus ! Car
ceux qui cherchent de bonne heure, trouvent aussi de
bonne heure. Des fleuves de bénédiction découlent
d'un enfant qui n'a jamais abandonné Jésus, ou qui
est promptement revenu à lui.
À la troisième
heure, qui correspond à neuf heures du
matin de notre journée, le père de famille se rend
une seconde fois sur la place. C'est Jésus qui
frappe à la porte du coeur du jeune homme et qui lui
dit : « Veux-tu être à moi ? » Combien de jeunes
gens ont été ainsi effrayés au milieu du tumulte de
leurs plaisirs mondains et ont saisi le Sauveur par
la foi !
Au midi de la vie, lorsque l'homme est
dans toute sa force, et plus tard, lorsque cette
force commence à décliner, ce qui correspond à la
sixième et à la neuvième heure de notre parabole,
Jésus, le Roi céleste, cherche encore, tantôt par sa
Parole, tantôt par ses dispensations, à diriger les
pensées des hommes vers l'éternité, afin qu'ils
s'occupent de leur salut et fassent leur paix avec
Dieu.
Enfin, à la onzième heure, alors que la
vie touche à sa fin, dans la dernière maladie, sur
le lit de mort, le Seigneur fait encore une dernière
tentative, pour voir si ces âmes, qui ont passé
toute leur vie dans l'oisiveté, étrangères aux
travaux de la grâce, ne se décideront pas, à la fin
du jour, à se donner à lui. À ce moment encore,
elles ont une oeuvre à faire. De quelles
bénédictions la conversion du brigand sur la croix,
à la dernière heure, n'a-t-elle pas été l'occasion ?
Que de coeurs ont été consolés par le pardon qu'il
obtint ! Que d'âmes, prêtes à tomber dans le
désespoir, ont été relevées par la promesse qui lui
fut faite ! C'est là une douce consolation ;
seulement il ne faudrait pas en abuser ! Plusieurs,
en sentant l'appel du Sauveur des pécheurs, se
disent : J'ai encore le temps. Il faut d'abord jouir
de la vie ; plus tard, sur le lit de mort, je
pourrai encore imiter l'exemple du brigand et être
sauvé. Ne te fais pas illusion et ne joue pas avec
ton salut ! Il est vrai que Jésus est prêt à
recevoir ceux qui vont à lui à la onzième heure. Il
est possible aussi que quelqu'un saisisse,
encore à ce moment tardif, la main miséricordieuse
qu'il lui tend. Mais ces cas sont rares, et cela se
conçoit. Comment un homme qui, pendant ses jours de
force et de santé, a constamment repoussé le
Sauveur, en comptant sur la dernière heure pour se
convertir, pourra-t-il être assuré de se trouver en
état de le faire au dernier moment, et de goûter la
paix de Dieu ? Cela n'est pas impossible. Mais que
tous ceux qui méprisent les appels du Seigneur, dans
l'espoir de se convertir plus tard, sachent qu'après
chaque rejet de la grâce le coeur s'enfonce
davantage dans l'amour du péché et des jouissances
mondaines ; qu'après chaque résistance opposée à
l'esprit de Dieu, il devient plus incapable de se
repentir et plus inaccessible à l'action de la
grâce.
Le soir, les ouvriers reçurent leur
salaire. Et ceux qui
avaient été loués à la onzième heure étant venus,
ils reçurent chacun un denier. Or, quand les
premiers furent venus, ils s'attendaient à recevoir
davantage, mais ils reçurent aussi chacun un denier.
Et l'ayant reçu, ils murmuraient contre le père de
famille, disant : Ces derniers n'ont travaillé
qu'une heure, et tu les as égalés à nous qui avons
supporté la fatigue de tout le jour et la chaleur !
Les premiers se sentent humiliés comparativement aux
derniers. Ils se croient meilleurs. Ils oublient
qu'ils ont été engagés à travailler dans la vigne,
sans aucun mérite de leur part. Ils murmurent et se
plaignent d'avoir supporté la fatigue et la chaleur
du jour, et en manifestant ainsi la peine que ce
travail leur a causée, ils trahissent leur esprit
mercenaire.
Mais il répondit
à l'un d'eux et lui dit : Mon ami, je ne te fais
point de tort. N'as-tu pas accordé avec moi à un
denier par jour ? Prends ce qui est à toi et t'en
va, mais je veux donner à ce dernier autant qu'à
toi. Ne m'est-il pas permis de faire ce que je veux
de cequi est à moi ? Ton oeil est-il malin de ce que
je suis bon ? Ainsi les derniers seront les premiers
et les premiers seront les derniers, car il y en a
beaucoup d'appelés, mais peu d'élus. Mon
ami, dit le père de famille, à celui qui, au lieu de
considérer ce denier comme une grâce, prétendait
qu'on lui faisait tort en ne lui donnant pas
davantage ; mon ami, prends ce qui est à toi et t'en
va. Ceci est une parole de condamnation. Car, bien
qu'il ait exactement reçu le salaire dont il était
convenu, bien qu'il ait été comblé des bénédictions
terrestres, il ne peut cependant pas demeurer dans
la proximité, dans la communion du Seigneur. Il sera
toujours tenu loin de lui par son ingratitude, par
son humeur chagrine, par sa jalousie. Tous ceux qui
prétendent mériter l'entrée au royaume des cieux par
leur conduite ou par leurs oeuvres, et ne reçoivent
pas la grâce d'un coeur humble et confiant, seront
nécessairement séparés de la maison et du coeur du
père de famille.Tous les chrétiens sont
appelés et tous les hommes doivent l'être par
l'Évangile ; mais seront élus seulement ceux,
comparativement en petit nombre, qui reçoivent la
grâce de Dieu avec un coeur plein d'humilité. Cette
grâce est offerte à tous ceux qui sont appelés ;
mais celui qui veut la mériter, et qui porte envie à
ses compagnons qui l'ont obtenue, est lui-même cause
de sa perte. |