LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE II
L'activité publique de
Jésus.
D. Activité de
Jésus en Samarie.
83. Le mauvais riche et le pauvre Lazare.
(Luc
XVI, 19-31.)
Par la parabole de l'économe infidèle, Jésus
exhorte ses disciples à faire un bon usage des biens
temporels ; par celle du mauvais riche et du pauvre
Lazare, il montre l'abus de ces biens par suite du
manque d'amour de Dieu et du prochain. Il a voulu
nous signaler le danger auquel nous nous exposons,
lorsque nous employons l'injuste Mammon, non à nous
faire des amis, mais à satisfaire notre égoïsme et
notre orgueil.
Il y avait un
homme riche, qui se vêtait de pourpre et de fin lin,
et qui se traitait bien et magnifiquement 101,18 les
jours. Il y avait aussi un pauvre nommé Lazare, qui
était couché à la porte dit riche, et qui était
couvert d'ulcères. Il désirait se rassasier des
miettes qui tombaient de la table dit riche, et même
lés chiens venaient lécher ses ulcères.
«Le riche et le pauvre se rencontrent, et celui qui
les a faits l'un et l'autre, c'est l'Eternel (Prov.
XXII, 2). L'égalité des biens, qui préoccupe
tant de têtes aujourd'hui, ne subsisterait pas un
seul jour, en supposant qu'elle pût être
établie. Il faut que le riche et le pauvre se
rendent des services mutuels. En dehors de la foi et
de l'amour du prochain, les richesses sont une
source de grandes tentations. C'est pourquoi les
riches doivent veiller et prier, afin que leurs
richesses ne s'emparent pas de leurs coeurs, et ne
fassent pas d'eux des esclaves de Mammon.
Mais la pauvreté aussi est une tentation
pour ceux qui n'ont ni la foi ni l'amour du
prochain. Les riches incrédules méprisent les
pauvres parce qu'ils apprécient la valeur des
hommes, non d'après ce qu'ils sont, mais
d'après ce qu'ils ont. Les incrédules pauvres
sont aigris et dévorés par l'envie. Ils voudraient
être riches et tous leurs désirs se résument dans ce
voeu : Si seulement j'avais autant d'argent que tel
ou tel ! Le chrétien accepte avec humilité ce que
lui donne la main paternelle de son Dieu ; et pour
le reste, il répète avec Salomon : « Ne me donne ni
pauvreté ni richesse ; nourris-moi du pain de mon
ordinaire, de peur qu'étant rassasié, je ne te renie
et ne dise : Qui est l'Éternel ? de peur aussi
qu'étant appauvri, je ne dérobe et ne prenne en vain
le nom de l'Éternel mon Dieu »(Prov.
XXX, 8. 9).
Or il arriva que
le pauvre mourut et fut porté par les anges dans le
sein d'Abraham. Le riche mourut aussi et fut
enseveli. Et étant en enfer et dans les tourments,
il leva les yeux et vit de loin Abraham et Lazare
dans son sein ; et s'écriant, il dit : Père Abraham,
aie pitié de moi et envoie Lazare, afin qu'il trempe
dans l'eau le bout de son doigt pour me rafraîchir
la langue, car je suis extrêmement tourmenté dans
celle flamme. Le riche en est arrivé à
vivre sur la terre comme un aveugle, et à n'avoir
d'yeux que pour la gloire et les puissances
d'ici-bas. Il n'a pas même véritablement vu Lazare
devant la porte de sa maison. Maintenant qu'il est
dans l'enfer, ses yeux s'ouvrent. L'illusion et les
chimères ne sont plus possibles ; il voit les choses
dans leur épouvantable réalité. Il est dans les
tourments, tandis que Lazare, pour lequel il n'avait
que du mépris, est dans le ciel. Quel profit a-t-il
qu'on ait porté son corps en grande pompe à sa
dernière demeure, qu'on se soit encore servi de ses
richesses pour faire un splendide festin à
l'occasion de ses funérailles, qu'un nombreux et
noble cortège ait suivi son cercueil ? Tout cela
n'adoucit pas ses tourments.
En revanche, quel préjudice peut causer
au pieux Lazare, la circonstance qu'il a été enterré
aux frais de la communauté, aussi simplement que
possible ? Cela ne diminue en rien sa félicité. Sa
soif du Dieu vivant est étanchée par cette eau
jaillissante en vie éternelle. Le riche n'a voulu
renoncer à aucun de ses appétits, aucun de ses
désirs charnels. Il les a tous emportés au delà
dutombeau ; mais les objets au moyen desquels il
satisfaisait ses désirs, il a dû les abandonner. Et
maintenant il est dans le dénûment. Il est dévoré
par la soif de ses convoitises qui ne pourra jamais
être étanchée. Voilà son tourment. Maintenant c'est
lui qui demande à Lazare une goutte de consolation
pour soulager ses souffrances.
Mais Abraham lui répondit :Mon
fils, souviens-toi que tu as eu tes biens pendant ta
vie, tandis que Lazare y a eu des maux ; maintenant
il est consolé et tu es dans les tourments.
On a voulu conclure de ces paroles d'Abraham que les
pauvres et les malheureux sont dédommagés dans
l'éternité par les joies du ciel, tandis que les
riches et les heureux sont précipités dans l'enfer
parce qu'ils ont été riches et heureux. Mais,
outre qu'Abraham était très riche des biens de ce
monde, et que par conséquent, d'après cette
doctrine, il aurait dû être dans les tourments avec
le mauvais riche, outre que dans la gloire et dans
la lumière, il a dû être assez éclairé sur la cause
de sa félicité pour ne pas avoir une pareille
pensée, le Sauveur n'aurait pas pu mettre des
paroles aussi insensées dans la bouche du père des
croyants, sans être aussitôt convaincu d'erreur.
Non, ce n'est pas ainsi qu'il faut
comprendre les paroles du Sauveur. Il ne veut pas
indiquer le motif de cet acte de la justice de Dieu
; il veut seulement expliquer au riche, pourquoi
Lazare ne saurait accéder à son désir, ce que le
riche peut très bien comprendre. Ton bien, ce
qui à tes yeux était un bien, tu l'as eu sur
la terre, il ne peut pas t'être donné ici. Plaisirs
charnels, jouissances sensuelles, il n'y a rien de
pareil dans le ciel. Il n'y a pas d'eau pour
étancher tasoif. Tu regardes Lazare ; tu
voudrais qu'il vint à ton secours. Sa félicité ne
consiste pas dans des jouissances extérieures, mais
dans sa communion avec Dieu qui était sa consolation
sur la terre, dans toutes ses souffrances. Elles ont
accompli en lui l'oeuvre en vue de laquelle elles
lui ont été envoyées ; il pouvait donc en être
délivré.
Outre. cela, il
y a un grand abîme entre vous et nous, de sorte que
ceux qui voudraient passer d'ici vers vous ne le
pourraient, non plus que ceux qui voudraient passer
de là ici. Les murs escarpés de cet
infranchissable abîme s'appellent sens terrestre et
sainteté de Dieu. Quiconque est entré dans les joies
du ciel, est préservé des tourments de l'enfer pour
l'éternité, et quiconque a été précipité dans
l'enfer, doit renoncer à tout espoir, étant lié des
chaînes d'une éternelle obscurité.
Et le riche dit
: Je te prie donc, père Abraham, d'envoyer Lazare
dans la maison de mon père, car j'ai cinq frères,
afin qu'il les convertisse, de peur qu'ils ne
viennent eux-mêmes dans ce lieu de tourment.
Comme les yeux de cet homme se sont ouverts ! Il
voit maintenant qu'il moissonne ce qu'il a semé. On
peut remarquer en outre comment les damnés, aussi
bien que les bienheureux, se souviennent exactement
de leur condition terrestre, de leur situation parmi
les hommes, de l'oeuvre de Moïse et des prophètes.
Et si Abraham reconnaît le mauvais riche et est
reconnu de lui, s'ils peuvent avoir des relations
spirituelles par-dessus l'abîme qui les sépare, nous
pouvons croire et espérer avec joie que les
bienheureux se reconnaissent aussi, et que, jetant
un radieux regard en arrière, sur les voies par
lesquelles la main paternelle de Dieu les a
conduits, ils sont ensemble dans une vivante
communauté d'amour.
Ce n'est pas par amour pour ses frères
que le mauvais riche veut leur envoyer Lazare, mais
pour se justifier. Si on l'avait averti, si on lui
avait envoyé un pareil messager, il ne serait pas
perdu. Abraham le devine et lui dit :
Ils ont Moïse et les
prophètes, qu'ils les écoutent. Les
témoins capables de l'exhorter ne lui ont pas
manqué, non plus qu'à ses frères. Mais il a méprisé
leur témoignage, comme il méprise maintenant celui
d'Abraham. Non, père
Abraham, mais si quelqu'un des morts va vers eux,
ils s'amenderont. L'esprit de
contradiction qui a repoussé la Parole de Dieu sur
la terre, oppose dans l'éternité un arrogant « non »
à la déclaration d'Abraham. Mais il lui répondit :
S'ils n'écoutent pas Moïse
et les prophètes, ils ne seraient pas non plus
persuadés, quand même quelqu'un des morts
ressusciterait. Ce que la Parole de Dieu
n'a pas pu opérer dans un coeur, les miracles ne
l'opéreront pas davantage. Un autre Lazare est
ressuscité des morts (Jean
XI, 44), et ils ne se sont pas repentis, et ils
n'ont pas cru.Les pharisiens étaient bien plutôt
disposés à tenir conseil pour savoir comment ils
feraient mourir Jésus.
.
84. Jésus à la fête de la dédicace.
(Jean
X, 22-29.)
C'était à la fin de l'automne, après la fête des
tabernacles, que Jésus s'était rendu en Samarie pour
y annoncer l'Évangile. À la fin de décembre, époque
à laquelle on célébrait la fête de la dédicace, il
revint pour peu de temps à Jérusalem, en vue de
faire une nouvelle tentative pour se donner à
connaître à la foule réunie dans la capitale, à
cette occasion. Cette fête était célébrée en
souvenir de la nouvelle consécration du temple et de
l'autel, après la victoire remportée par Judas
Macchabée sur Antiochus Épiphane, roi de Syrie, qui
avait profané le sanctuaire par ses abominations
païennes.
Saint Jean fait remarquer que c'était en
hiver. Oui vraiment, c'était l'hiver dans les coeurs
comme dans la nature. Jésus se promenait dans
le temple, sous le portique de Salomon. Le peuple
célèbre la fête du temple, et repousse le Seigneur
du temple. Le portique est encore mentionné plus
tard dans les Actes des apôtres (III,
11 ;V,
12). Grâce à sa solidité extraordinaire, il
avait résisté à la destruction de l'édifice par les
Caldéens, et restait debout comme la seule ruine du
sanctuaire élevé par Salomon. C'est là que Jésus se
promenait sans enseigner. Ce silence fut considéré
par les Juifs comme une accusation. Ils
s'assemblèrent autour de lui et lui dirent :
Jusques à quand nous
tiendras-tu l'esprit en suspens ? Si tu es le
Christ, dis-le nous franchement.
Les Juifs se trouvaient dans une fausse
position vis-à-vis de Jésus. Ils sont tiraillés en
sens divers. Tantôt ils sont portés à croire, tantôt
ils ne veulent plus. Christ, le Messie promis est
l'objet de leurs ardentes aspirations. Ils
trouvaient presque complètement réalisées en Jésus
leurs plus chères espérances, l'âme de la vie de
leur peuple. Il avait accompli de si grandes choses
au milieu d'eux, qu'ils comprenaient fort bien que
s'ils le rejetaient, leur domination universelle,
qui était l'objet de tous leurs rêves, était reculée
dans un lointain immense. C'est pourquoi ils
nepeuvent pas complètement se détacher de lui, bien
que plusieurs choses soient fort loin de leur plaire
; ils étaient toujours de nouveau attirés.
D'un autre côté, ils se sentent
invinciblement éloignés de lui lorsqu'il leur parle
de conversion, de nouvelle naissance, de renoncement
à tout ce qu'ils possèdent. S'ils voulaient se
donner sérieusement à Christ, il fallait qu'ils
rejetassent loin d'eux tout ce en quoi ils mettaient
leur orgueil. Toutes leurs hautes pensées, toutes
les espérances qu'ils avaient conçues pour leur
nation, ils devaient les abandonner comme de vaines
chimères. Et c'est ce qu'ils ne veulent pas. C'est
pourquoi ils sont dans une mortelle inquiétude. Un
tison enflammé a été jeté dans leurs âmes, et ce
tison, c'est la vérité. Mais, ne voulant pas agir
selon la vérité, ils cherchent à la supprimer. Ils
n'y réussissent pas ; et cette situation produit en
eux une inquiétude intérieure dont ils ne peuvent
s'affranchir, et dont ils attribuent la cause à
Christ, auquel ils reprochent de leur tenir l'esprit
en suspens.
Lorsqu'ils lui demandent de leur dire
franchement s'il est le Christ, ils ne veulent
certainement pas l'accuser de le leur avoir caché
jusqu'ici, ni de ne le leur avoir déclaré qu'à mots
couverts. Mais cette franchise doit équivaloir pour
eux à une déclaration de guerre aux Romains.
Jésus leur répondit : Je vous
l'ai dit et vous ne le croyez point. Les oeuvres que
je fais de la part de mon Père, rendent témoignage
de moi. Il le leur a déclaré par ses
paroles et par ses actes. S'ils ne le croient pas,
ce n'est pas sa faute, c'est celle de leur
incrédulité.
Mais vous ne
croyez pas, parce que vous n'êtes pas de mes brebis,
comme je vous l'ai dit. Mes brebis entendent ma voix
et je les connais et elles me suivent. Je leur donne
la vie éternelle ; elles ne périront jamais, et
personne ne les ravira de ma main. Comme
le Seigneur sait unir la vérité avec la charité ! Il
repousse le reproche d'avoir manqué de clarté dans
le témoignage qu'il s'est rendu à lui-même. Leur
incertitude relativement à sa personne, vient de ce
qu'ils ne sont pas ses brebis, et ils ne sont pas
ses brebis, parce qu'ils n'écoutent pas sa voix.
Mais il ne veut pas les juger ; il cherche à les
sauver. C'est pourquoi il les invite encore une
fois, d'une voixpleine de tendresse, comme il l'a
fait à la fête des tabernacles, à devenir ses
brebis, en leur représentant les avantages dont ils
jouiront, s'ils se donnent décidément à lui de tout
leur coeur. Il ne s'agit de rien de moins, dans
toute cette affaire, que de leur éternelle félicité.
Jésus ne laisse pas périr ses brebis et
il ne permet à personne de les ravir de sa main.
Quelle précieuse consolation ! Nulle haine, nulle
puissance de Satan ni du monde, ne peut nous priver
de la communion du bon Berger. C'est ce qu'ont
expérimenté ces nombreux martyrs que la haine
meurtrière d'un monde ennemi de Christ a essayé, par
les tourments les plus raffinés, d'arracher de ses
mains, sans pouvoir y réussir. Jésus était avec eux
et les fortifiait par une telle abondance de joie
céleste, qu'ils n'avaient aucune crainte des
souffrances, et allaient au-devant d'une mort
cruelle comme on assiste à un festin de noces.
Nul ne les
ravira de ma main. Cette parole nous
offre aussi la protection dont nous avons besoin
contre nous-mêmes. Aussi bien dans les temps de
souffrances, que sous les rayons du brillant soleil
de la prospérité, nous n'avons pas de plus grands
ennemis de notre félicité que notre propre personne.
Car la nature trouve singulièrement amer de mourir
chaque jour avec Christ. Et cependant, ce n'est que
par cette mort de chaque jour, que la vie éternelle
et notre communion avec Christ nous sont assurées.
Quel chrétien ne voit pas avec une profonde douleur
la faiblesse de sa chair et l'inconstance de son
coeur ? Toutefois, ne désespérons pas. Le bon Berger
n'abandonne pas sa pauvre brebis. La main de Jésus
est l'ancre ferme de notre foi.
Sous ce rapport, le sentiment de notre
faiblesse ne nous nuit pas ; il nous pousse au
contraire à nous appuyer sur cette puissante main.
Par suite d'une trop grande confiance dans notre
propre force, notre foi diminue et finit par
s'éteindre peu à peu. Mais ceux qui travaillent à
leur salut avec crainte et tremblement, sont les
brebis de Jésus, et elles sont en sûreté dans sa
main.Mon Père qui me les a
données est plus grand que tous, plus
grand même que les loups les plus féroces.
Et personne ne peut les ravir
de la main de mon Père. Moi et mon Père nous sommes
un. Que celui quitenterait de ravir les
brebis de Jésus de sa main, sache qu'il s'engage
dans une lutte contre le Tout-Puissant. Par cette
union essentielle entre le Père et le Fils, la main
du Père et la main du Fils sont une seule main.
La brebis demeure dans la main du bon Berger. Aucun
loup, quelque féroce qu'il soit, ne peut la dérober,
puisque celui en qui elle se confie est le
Tout-Puissant.
Les Juifs comprennent fort bien que
Jésus, en se rendant ainsi témoignage à lui-même, se
fait égal à Dieu en puissance et en honneur Mais
comme ils ne sont pas de ses brebis, ils n'écoutent
pas sa voix et ils ne peuvent faire autrement que
taxer cette prétention de blasphème.
Alors les Juifs prirent encore
des pierres pour le lapider. Ils ont
demandé à Jésus de leur dire franchement s'il est le
Christ, et quand il le leur déclare franchement, ils
veulent le lapider ! Mais il les renvoie encore une
fois à la loi et aux psaumes, pour leur prouver que
l'incarnation de Dieu était préfigurée dans les
Écritures, lorsque Dieu appelle dieuxles rois
et les juges, à cause d'un rayon de la majesté
divine, qui brille en eux. Et il en conclut que lui,
en qui toute la plénitude de la Divinité habite
corporellement, a bien le droit de s'appeler le Fils
de Dieu.
Ils cherchaient donc encore à se saisir
de lui, mais il échappa de leurs mains. Le moment,
où, par un libre amour, il voulait donner sa vie,
n'était pas encore venu. C'est pourquoi les Juifs ne
purent pas le saisir. Mais comme ils ne voulaient
pas se ranger au nombre de ses brebis, Jésus quitte
Jérusalem, pour n'y revenir que lors de son dernier
voyage dans cette ville, à la prochaine fête de
Pâque. En attendant il va répandre la Bonne nouvelle
en Pérée. Il s'en alla de
nouveau au delà du Jourdain, où Jean baptisait, et
il demeura là. |