LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE II
L'activité publique de
Jésus.
B. L'activité de
Jésus en Galilée.
66. Les sadducéens et les pharisiens.
Jésus est sur le point de quitter les localités
qui ont été jusqu'ici le théâtre de son activité. Il
se dirige d'abord vers Jérusalem. Ce voyage n'est
pas encore le dernier, mais les yeux du Sauveur
voient clairement le but vers lequel il s'avance :
la croix à laquelle il doit être attaché, pour
délivrer le monde du péché, de la mort et de la
puissance du diable. Il entre dès maintenant dans la
voie douloureuse. On pourrait se demander : Qui donc
aurait le triste courage de faire souffrir cet
aimable et doux Sauveur, qui allait de lieu en lieu
faisant du bien, guérissant les malades, prodiguant
ses divines consolations aux âmes fatiguées et
chargées ; dont les mains bandaient les plaies et
dont les pas n'étaient guidés que par un
miséricordieux amour ? Qui donc voudrait faire
souffrir celui dont les lèvres distillaient la
grâce, proclamaient le pardon des péchés. aux âmes
angoissées et annonçaient la paix aux coeurs brisés
? La multitude du peuple lui était attachée et les
foules l'acclamaient partout où il passait.
On devrait donc croire que ses
compatriotes le couvriraient de leurs corps et
l'environneraient d'un mur vivant s'il courait
quelque danger ou si quelque injustice le menaçait.
Eh bien ! Il a dû souffrir, et cela non de la part
des païens, car Pilate ne l'eût jamais livré à la
mort, s'il n'y eût été poussé contre sa volonté ;
mais de la part des Juifs, de la part de son peuple
! Et cela du fait non de la populace, ni des
pécheurs grossiers ou des athées, mais du fait des
hommes pieux, de tous ceux qui étaient
reconnus comme tels par le peuple, du fait despharisiens
! Il faut que nous examinions attentivement ces
faits étrangers pour comprendre le combat que le
Sauveur eut à livrer, surtout aux pharisiens.
Jetons, pour cet effet, un coup d'oeil sur la
situation des partis religieux à cette époque.
Le peuple juif avait, à la vérité, perdu
sa liberté et son indépendance politiques sous la
domination romaine. La famille des Hérodes, par
exemple, ne devait le trône qu'à la faveur de
l'empereur romain. Toutefois, dans les choses
religieuses, la nation jouissait d'une pleine
liberté et d'une indépendance illimitée. Bien que le
pays fût divisé en plusieurs principautés, dans les
affaires religieuses, ces différentes provinces
étaient placées sous une même autorité spirituelle à
laquelle tous obéissaient avec un zèle ardent pour
la loi et la gloire de Dieu.
Le grand conseil ou sanhédrin s'appuyait
sur deux institutions qui embrassaient toute la vie
religieuse de la nation : letemple et la
synagogue. Le service du temple était fait par
lesprêtres ou sacrificateurs ; celui de la
synagogue par les scribes. Le personnel du
temple se recrutait seulement par droit de
naissance, et appartenait exclusivement à la famille
d'Aaron. Ceux qui n'en faisaient pas partie, comme
c'était le cas pour Jésus, par exemple, ne pouvaient
pas aspirer à la sacrificature. Au fond, tous les
sacrificateurs n'étaient que des représentants et
comme les employés du grand prêtre ou souverain
sacrificateur, dont la mission spéciale était de
représenter Israël devant Dieu.
Parmi les sacrificateurs, il s'était
formé, au temps de Jésus, un groupe d'hommes qui
s'étaient emparés de toute l'autorité, et
s'appelaientsadducéens, c'est-à-dire fils de
Zaddoc, parce qu'ils prétendaient descendre de cette
famille. C'est à eux que Dieu rend ce témoignage, à
l'époque de la corruption générale d'Israël.« Ils
ont fait ce que j'avais ordonné et ne se sont point
égarés lorsque les enfants d'Israël se sont égarés,
comme se sont égarés les autres lévites »(Ezéch.
XLVIII, 11). Les sadducéens avaient hérité de la
haute position et de l'honneur de leurs ancêtres,
mais non de leur piété et de leur fidélité au Dieu
de l'alliance. Ce qui les distinguait, c'étaient
leurs sentiments païens revêtus de formes judaïques.
Extérieurement, ils admettaient le contenu des
Écritures ; autrement ils n'auraient pas pu
conserver leur position ; mais en réalité, ils
n'admettaient généralement pas la révélation. Ils ne
croyaient ni à la résurrection, ni à l'existence des
anges, ni à la providence. Le vrai motif de leur
incrédulité était leur matérialisme, leurattachement
aux biens de la terre, leur amour des jouissances.
Le temple et le culte leur servaient uniquement à
conserver leur situation vis-à-vis du peuple. C'est
dans ce même but qu'ils entretenaient des relations
amicales avec leurs dominateurs païens, tandis
qu'avec leurs compatriotes ils étaient réservés et
orgueilleux.
Leur activité se bornait généralement à
l'intérieur de Jérusalem. Ils ne portaient aucun
intérêt à ce qui se faisait dans les provinces. On
ne les rencontre hors de la capitale que dans les
occasions extraordinaires. Les sadducéens étaient
des moqueurs riches, des libres-penseurs, qui
avaient renoncé depuis longtemps aux espérances
d'Israël. Afin de n'être pas dérangés dans leur
existence agréable, ils souhaitaient le maintien de
la paix, et faisaient leur possible pour éviter la
guerre. Leur devise était : « Vivre et laisser
vivre. » D'après eux, lorsque l'homme meurt, tout
est fini. Le ciel et l'enfer, la vie éternelle et le
jugement, autant de chimères inventées pour pouvoir
mieux dominer le peuple.
Les sadducéens se regardaient comme des
hommes éclairés, de fortes têtes, à la sagesse
desquels personne ne pouvait résister. C'étaient desmondains
cultivés. Ils qualifiaient de superstitions
toute croyance que les sens ne pouvaient contrôler,
et regardaient avec mépris cette plèbe, qui ajoutait
encore foi à la Parole de Dieu révélée par Moïse et
les prophètes. Les libres-penseurs de notre époque
ressemblent en tout point aux anciens sadducéens.
ils ont les mêmes sentiments, parlent le même
langage et tiennent la même conduite. Ils proclament
avec une incroyable hardiesse, comme fondement de
toute religion, qu'on ne saurait croire ce qu'on ne
voit pas. Et ils ne se doutent pas de la folie de
semblables paroles. Car c'est précisément le monde
invisible qui est l'objet de la foi.
La foi est une vive
représentation des choses qu'on espère et une
démonstration de celles qu'on ne voit point (Héb.
XI, 1).
Les gens cultivés ne croient plus à la
Parole de Dieu. C'est avec les feuilles de figuier
de leur culture, qu'ils cachent la nudité de leur
incrédulité. On n'a pas encore vu d'esprits, donc il
n'en existe pas. Avec leurs lunettes, ils cherchent
Dieu dans l'univers ; ils ne le trouvent pas, donc
il n'y a pas de Dieu. Ils dissèquent le corps humain
avec leurs scalpels ; ils n'y trouvent pas d'âme ;
donc il n'y a pas d'âme. Et comme il n'y a point de
Dieu, l'homme ne peut pas être créé à son image, il
n'est donc qu'un animal comme les autres, seulement
un peu plus parfait. L'homme a raison de suivre ses
penchants ; dès lors le péché n'existe pas : ce
qu'on nomme ainsi n'est pas un mal, car l'homme ne
fait que suivre les impulsions de la nature qui ne
saurait l'égarer.
Leur parle-t-on de la communion avec
Christ ? ils répondent que c'est là une rêverie qui
a fait tourner plus d'une tête lucide. Les
entretient-on de la repentance et de la conversion ?
selon eux, cela peut être nécessaire pour certaines
personnes ; quant à eux, qu'on les laisse
tranquilles sur ce chapitre. Est-il question du
retour de Christ ? ils répondent qu'on l'attend
depuis dix-huit siècles, et que tout restera tel que
cela a existé depuis l'origine du monde. Leur met-on
devant les yeux la mort et le jugement, le ciel et
l'enfer ? « Quelles singulières idées se fait-on,
disent-ils, d'un Dieu qui s'irrite et punit ? S'il
existe réellement, il ne peut être que très bon et
très doux, à peu près comme le souverain
sacrificateur Héli, qui ne voyait pas de mauvais
oeil les crimes de ses fils. Le Dieu d'amour ne
saurait punir ; il est beaucoup trop bon. »
Les sadducéens de tous les temps ne
voulant pas voir la lumière de l'Évangile, montrent
que leurs prétendues lumières et la prétendue
élévation de leurs esprits, s'allient très bien,
dans la pratique, avec leur sens charnel. Ils n'ont
pas de hautes pensées et ne poursuivent pas un noble
but : « Mangeons et buvons, demain nous mourrons » (l
Cor. XV, 32), telle est leur maxime. Les
jouissances de ce monde, voilà l'objet de leurs
recherches.
On peut voir par tout ce qui précède, que
le véritable combat contre le Sauveur ne venait pas
du camp des sadducéens. Ils se sentaient sans doute
gênés par les paroles et les oeuvres de Jésus, mais
ils ne lui permettaient pas de les déranger dans
leurs jouissances ; ils le laissaient
dédaigneusement de côté. Quant à le haïr, il leur
manquait pour cela l'énergie morale. Ils pouvaient
bien être employés comme troupes auxiliaires dans la
guerre contre Jésus, mais n'étaient pas ses vrais
adversaires ; ils laissaient ce rôle aux pharisiens.
La mission que les sacrificateurs
remplissaient commeadministrateurs du service divin,
était dévolue auxscribes et aux docteurs
de la loi, dans les synagogues établies depuis
le retour de la captivité de Babylone. Ces maisons
de prières remplaçaient jusqu'à un certain point le
temple pour les Juifs éloignés de leur patrie. C'est
là qu'était le centre de leur vie religieuse, que
les fidèles se réunissaient pour rendre à Dieu le
culte public et que le Sabbat se célébrait ; là on
acquérait la connaissance de l'Écriture. Tandis que
les seuls descendants d'Aaron pouvaient fonctionner
dans le temple, il. était permis à quiconque
éprouvait le besoin ou était capable d'exercer une
influence religieuse sur ses frères, de prendre la
parole dans les synagogues, sans y être appelé par
une vocation officielle. De là vient que Jésus et
ses disciples annoncèrent souvent la Parole de Dieu,
dans celles qui étaient établies en Palestine.
Parmi les docteurs de la loi, les
pharisiens avaient la haute main, comme les
sadducéens parmi les sacrificateurs. Seulement,
tandis que les sadducéens, grâce à leurs sympathies
pour le paganisme, frayaient volontiers avec leurs
dominateurs romains, les pharisiens étaient pleins
de zèle pour l'indépendance de la nation. Tandis que
les sadducéens, dans leur incrédulité, faisaient bon
marché de la révélation, les pharisiens tenaient
énergiquement à la religion de leurs pères. Et
précisément cette lutte contre l'incrédulité
païenne, qui tendait à s'infiltrer dans la vie du
peuple, leur donnait une grande influence sur leurs
compatriotes. Toutefois, leur zèle pour la foi de
leurs pères ne provenait pas d'une véritable piété,
ni du besoin de la communion du Dieu vivant, mais
plutôt d'un attachement égoïste à la vie religieuse
d'Israël telle qu'ils la comprenaient, de manière à
mettre en avant leurs propres personnes et à
soumettre le peuple à leur domination. Ceci explique
que les pharisiens, dans tous leurs actes de
dévotion, n'avaient pas les yeux exclusivement
attachés sur Dieu, mais veillaient soigneusement à
paraître saints devant les hommes, afin de se
légitimer comme les gardiens vigilants de la nation,
par une observation stricte et en même temps
publique de la loi divine. Car, sans le respect et
l'appui de leurs concitoyens, ils étaient
impuissants.
Ce qu'il y a surtout de particulier dans
la piété des pharisiens, c'est qu'elle était
indépendante de la régénération, du pardon despéchés
et du Saint-Esprit. Quant à la régénération, même
les plus pieux d'entre eux n'en avaient aucune idée.
C'est ce qui parait par l'entretien de Jésus avec
Nicodème, auquel il dit : « En vérité, en vérité, je
te dis, que si un homme ne naît de nouveau, il ne
peut voir le royaume de Dieu »(Jean
III, 5).
Mais, lorsqu'on refuse de faire cesser
les accusations de la conscience, en acceptant le
pardon des péchés par la pure grâce de Dieu, on est
obligé de les calmer par d'autres moyens. C'est
pourquoi, afin d'apaiser leur conscience, les
pharisiens s'adonnaient avec une extrême ponctualité
à l'observation extérieure, des prescriptions
mosaïques, surtout à celles qui ont trait à la
pureté et à l'impureté légales. Ainsi, dans toutes
les ordonnances auxquelles ils pouvaient se
soumettre sans le secours de la grâce régénératrice,
ils étaient d'une exactitude rigoureuse. Il est vrai
que les meilleurs d'entre eux ne se contentaient pas
de cette piété tout extérieure, et cherchaient à
accomplir parfaitement la loi de Dieu ; mais
l'impossibilité d'atteindre ce but par leurs propres
forces, les jetait dans des combats semblables à
ceux que Paul, ce ci-devant pharisien, décrit au
chapitre Xlle de son Épître aux Romains. Seulement,
c'étaient là de rares exceptions. La foule des
pharisiens cherchaient à émousser le tranchant de la
loi, en faisant complètement abstraction de son côté
spirituel, qui exige l'obéissance du coeur pour n'en
retenir que les obligations extérieures.
Il résulte de là que le véritable nerf et
là racine de la piété pharisaïque étaient la
propre justice. Ils voulaient être justes devant
Dieu par leurs propres vertus, et atteindre à la
perfection par leurs propres efforts. La haute
opinion qu'ils avaient d'eux-mêmes, leur orgueil, le
contentement qu'ils éprouvaient en considérant leur
vie, les empêchaient de remplir les conditions
indispensables de l'entrée au royaume des cieux : la
pauvreté en esprit, la miséricorde, la faim et la
soif de justice. Leur hypocrisie était le fruit
naturel de cette piété extérieure, et celui-ci était
la source du respect dont ils jouissaient de la part
du peuple. Dans tout ce qu'ils faisaient, les
pharisiens voulaient plaire aux hommes beaucoup plus
qu'à Dieu. Leurs observances étaient pour eux un
moyen de se concilier la considération publique et
de la conserver. Leur religion, privée de tout
attrait du coeur, était un corps sans âme. Leur
hypocrisie ne consistait donc pas à vouloir paraître
pieux dans leur vie extérieure, car la vraie piété,
la foi naïve en Dieu, tend aussi tout naturellement
à se traduire par des actes. Ce qui remplit le coeur
doit s'exprimer par la bouche et se manifester dans
la conduite.
Mais l'hypocrisie des pharisiens
consistait en ceci : c'est que leur bouche parlait
de choses qui étaient fort éloignées de leur coeur ;
c'est que leur vie était pleine des formes de la
piété, dont ils se bornaient à faire parade aux yeux
des hommes, tandis que leur coeur restait absolument
étranger à Dieu. Ainsi, aux yeux de Celui qui sonde
les coeurs, les pharisiens étaient assurément des
hypocrites, et ils furent plus d'une fois sévèrement
repris de Jésus à cause de ce vice. Nous leur
ferions cependant tort en les accusant de vouloir,
de propos délibéré, paraître au dehors autres qu'ils
n'étaient au-dedans. Nous nous tromperions
également, si nous croyions qu'ils étaient regardés
par le peuple comme des hypocrites. Les pharisiens
se considéraient eux-mêmes comme les meilleurs et
les plus nobles des hommes, et leurs concitoyens les
tenaient pour tels.
Ils étaient d'ardents patriotes, et
nourrissaient le patriotisme de tous les Juifs en
leur donnant l'espoir d'un règne messianique
brillant, mais purement terrestre et charnel. Ils
attisaient, par tous les moyens, l'irritation et la
haine de la nation contre les dominateurs romains.
Grâce à leur action, elle regardait comme le comble
de l'ignominie d'être soumise, elle, le peuple de
Dieu, au joug d'une autorité païenne. Si l'on se
demandait quels furent les hommes qui avaient le
plus sincèrement à coeur le bien-être, la gloire, la
prospérité du peuple, qui travaillaient avec le plus
de zèle à ennoblir leurs concitoyens, il faudrait
répondre sans hésiter, que ce furent les pharisiens.
Ils constituaient la noblesse du peuple juif.
En tous cas, ils étaient regardés et respectés comme
tels par la population. De là leur puissance et leur
influence. Les emplois publics étaient donnés pour
la plupart aux pharisiens, bien que les sadducéens
n'en fussent pas complètement exclus. Il y en avait
même quelques-uns dans le Sanhédrin (Act.
XXIII, 6).
Pour conserver leur influence, ils
étaient obligés d'inspirer au peuple les sentiments
dont ils étaient eux-mêmes animés. Ils ne pouvaient
indiquer d'autre voie pour aller à Dieu que celle
qu'ils suivaient, ni inspirer d'autre piété que
celle qu'ils pratiquaient. Et comme cette voie était
erronée, Jésus les traitait d'aveugles conduisant
d'autres aveugles. Et lorsque son regard de Sauveur
s'abaissait sur ceux qui étaient ainsi conduits, il
avait pitié de cette foule, qui était comme des
brebis dispersées qui n'avaient point de berger. Son
miséricordieux amour pour son peuple, le portait à
lui montrer que la voie dans laquelle on le
conduisait était fausse, et à le prémunir contre la
funeste direction des pharisiens.
Mais autant le Sauveur met de sérieux et
déploie d'énergie à exhorter ses disciples et tous
les membres de son peuple à se préserver du levain
des pharisiens, autant il montre de zèle dans ses
rapports personnels avec ceux-ci, pour gagner leurs
âmes et les ramener dans le chemin de la vie. C'est
seulement lorsqu'ils ont décidément repoussé
l'expression de son tendre amour, qu'il leur dénonce
tout le sérieux de ses jugements. Mais ce sont
précisément les manifestations de cet amour dont les
pharisiens prennent occasion, non seulement pour
s'éloigner du Sauveur, mais encore pour le repousser
avec une hostilité avouée et une haine mortelle.
Lorsque le coeur des sadducéens
s'endurcit dans son opposition à l'amour de Jésus,
cela tient la plupart du temps à ce que ces hommes
sont dépourvus de tout sentiment moral, et sont
devenus insensibles et indifférents à toute espèce
de réveil spirituel, inaccessibles à tous les
attraits de la grâce et du Saint-Esprit. Ce sont les
sadducéens qui disent dans leur coeur : « Il n'y a
point de Dieu », et regardent avec mépris tout ce
qui s'enquiert de lui et cherche à lui plaire, C'est
là un dédain passif. Au contraire, le dédain
des pharisiens est actif, car il consiste à
fermer les coeurs au pressant amour du Sauveur.
C'est qu'ils ont à conserver un trésor qu'ils se
croient obligés de préserver avec le plus grand zèle
: C'est leurpiété, qu'ils ont obtenue par
leurs propres efforts ; c'est leurjustice,
qu'ils ont acquise par leurs sacrifices et par leurs
bonnes oeuvres, Plus on est convaincu de satisfaire
de cette manière aux exigences de la loi de Dieu,
plus on est jaloux de défendre son trésor, dans la
pensée que l'on rend service à Dieu.
Ce qui met le comble à leur indignation
et à leur prétendu zèle pour la gloire de Dieu,
c'est d'entendre le Seigneur se donner lui-même
comme le Fils unique de Dieu. Par exemple, lorsqu'il
dit. « Celui qui m'a vu, a vu mon Père »(Jean
XIV, 9) ; « Moi et mon Père nous sommes un »(Jean
X, 30). Ces déclarations les remplissent d'une
haine mortelle. Tout ce que Jésus dit et fait les
scandalise. Que celui qui est né dans la bassesse
doive être le Fils de Dieu, cela leur parait un
blasphème digne de mort. Que ce même personnage
réclame la repentance, la conversion, la foi en lui
et la sanctification, cela confond toutes leurs
idées sur Dieu et sur leur propre dignité. Ils
repoussent avec indignation la pensée de se laisser
affranchir par le Fils de Dieu, car ils ne veulent
pas reconnaître leur assujettissement politique ; et
quant à l'esclavage du péché, ils refusent d'en
entendre parler. En un mot, l'orgueil des pharisiens
est abaissé par l'apparition et par toutes les
manifestations de la vie de Christ, et ils
s'opposent de toutes leurs forces à ce que cette
humiliation pénètre dans leurs coeurs.
Plus le Sauveur déploie de zèle, et
montre de divin amour pour sauver leurs âmes, plus
ils mettent d'orgueil à résister à cet amour, et
plus leur haine s'enflamme contre celui qui condamne
en toute occasion leurs vertus et leur justice, et
mine la considération que leurs bonnes oeuvres leur
auront acquise auprès du peuple. Plus ils sentent
clairement qu'il s'agit d'être pour ou contre le
Seigneur, et qu'il n'y a aucun moyen de concilier
cette antinomie, plus ils sont décidés à s'écrier :
« Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous »(Luc
XIX, 14). Plus ils reconnaissent l'impossibilité
d'infirmer le témoignage que Jésus se rend à
lui-même devant le peuple, de lui arracher la
couronne de sa divinité, de nier sa parfaite
sainteté et sa puissance miraculeuse, plus ils
s'arrêtent fermement à la pensée du seul moyen de
sauver, à leurs propres yeux et aux yeux de leurs
concitoyens, l'éclat de leurs vertus :« Il faut
qu'il meure ! » « Il est à propos qu'un seul homme
meure pour le peuple et que toute la nation ne
périsse pas »(Jean
XI, 50).
Le nom de pharisien est tombé, parmi
nous, dans un profondmépris. Cependant les
sentiments, les dispositions morales de ces hommessont
encore vivants aujourd'hui dans la chrétienté,
bien que désignés sous des dénominations plus
favorables. Comme on se laisse facilement aller à
déblatérer contre ces affreux pharisiens, tandis que
le plus détestable des pharisiens règne dans notre
propre coeur !
Aujourd'hui comme alors, l'homme naturel
croit pouvoir subsister devant Dieu sans avoir
besoin de repentance, ni de conversion, ni de foi en
Jésus, par la simple observation extérieure de ses
commandements, par le seul éclat de son honnêteté et
de ses vertus. Aujourd'hui comme alors, le coeur
humain est inquiet, se trouve malheureux, et cherche
sa paix, non auprès de celui qui nous a réconciliés
avec Dieu par son sang, mais dans les feuilles de
figuier des exercices de piété. Aujourd'hui comme
alors, il repousse la grâce de Dieu, afin de pouvoir
se persuader qu'il n'a commis aucune faute. Cette
grâce réussit-elle cependant à enfoncer un aiguillon
dans ce coeur satisfait de lui-même, à réveiller
cette conscience endormie ? Si l'homme ne veut pas
se laisser reprendre par l'Esprit de Dieu, il
arrache l'aiguillon, en s'efforçant de se justifier
à ses propres yeux, en faisant parade de sa propre
honnêteté et de la dignité de la nature humaine.
Mais ces inutiles efforts n'adoucissent nullement la
blessure du coeur ; ils l'enveniment au contraire,
et y allument finalement une haine déclarée contre
Christ. Aujourd'hui comme alors, voilà ce qu'il faut
considérer, si l'on veut comprendre la lutte des
pharisiens contre le Sauveur.
.
67. Le Fils de l'homme.
Il y a un seul médiateur entre Dieu et les
hommes, Jésus-Christ homme, qui s'est donné lui-même
en rançon pour nous (1
Tim. Il, 5. 6.). Pour ramener les hommes à Dieu,
il fallait que le Sauveur réunît en lui la divinité
et l'humanité. Il est véritablement Dieu engendré du
Père de toute éternité, et véritablement homme, né
de la vierge Marie. Fils de Dieu ! Par le fond le
plus intime de son essence, Jésus repose dans le
sein de la Trinité. « Il est la splendeur de la
gloire du Père et l'image empreinte de sa personne (Héb.
I, 3). Celui qui l'a vu a vu le Père (Jean
XIV, 9). Il est un avec le Père » .« Mon
Seigneur et mon Dieu ! » c'est ainsi que Thomas
l'adore (Jean
XX, 28), et Jésus accepte cette confession comme
la vraie expression de la foi en lui. Avant la
création du monde, il était auprès du Père dans la
gloire céleste (1
Jean I, 2). Saint Jean dit de lui : C'est lui
qui est le vrai Dieu et la vie éternelle (I
Jean V, 20). Paul rend de lui ce témoignage,
qu'il est Dieu au-dessus de toutes choses, béni
éternellement (Rom.
IX, 5).
Si Jésus était un simple homme, il
n'aurait pas pu racheter l'humanité pécheresse.«
Personne ne pourra en aucune manière racheter son
frère ni payer à Dieu sa rançon ; car le rachat de
leur âme est trop cher et il ne se fera jamais (Psaume
XLIX, 8). « Et si même Dieu avait consenti à
accepter le sang de ce seul homme pur comme une
rançon pour l'impur, le sang de cet homme pourrait
tout au plus racheter un autre homme, mais non toute
l'humanité pécheresse. Mais Christ étant
véritablement Dieu, le sang qu'il a répandu en sa
qualité d'homme-Dieu a une vertu universelle et
éternelle. Ce n'est qu'un souverain sacrificateur
venu du ciel, qui pouvait réconcilier le monde
pécheur avec le Dieu saint (2
Cor. V, 19) et purifier notre conscience des
oeuvres mortes (Héb.
IX, 14).
D'un autre côté, si le Fils de Dieu
devait réconcilier le monde avec Dieu, il fallait
nécessairement qu'il fût homme, puisque sans
effusion de sang il n'y a point de rémission de
péché. Or, Dieu ne peut ni souffrir ni mourir, ni
par conséquent répandre son sang. Il fallait donc
qu'il se fit homme, afin de pouvoir souffrir et
mourir à notre place. C'est pourquoi, bien qu'il fût
en forme de Dieu et n'ait point regardé comme une
usurpation d'être égal à Dieu, il s'est anéanti
lui-même en prenant la forme de serviteur, et ayant
paru comme un simple homme, il s'est abaissé
lui-même, s'étant rendu obéissant jusqu'à la mort,
et même jusqu'à la mort de la croix (Philip.
II, 6-8). Comme les enfants des hommes qu'il
voulait sauver, participent à la chair et au sang,
il y a aussi participé, afin que par sa mort il
détruisit celui qui avait l'empire de la mort,
c'est-à-dire le diable, et délivrât tous ceux qui
par la crainte de la mort étaient toute leur vie
assujettis à la servitude (Héb.
II, 14. 15).
Le Sauveur était véritablement homme.
C'est d'une viecomplètement humaine qu'il a vécu sur
la terre. Rien de ce qui est de l'homme ne lui est
resté étranger, excepté le péché. Car il nous était
convenable d'avoir un tel souverain sacrificateur,
qui fût saint, innocent, sans souillure, séparé des
pécheurs, et élevé au-dessus des cieux (Héb.
VII, 26). En effet, en sa qualité de Fils de
l'homme, il s'est élevé au ciel et s'est assis à la
droite du Père. Le Fils de Dieu n'a pas revêtu la
nature humaine comme on s'enveloppe d'un manteau. Il
s'est fait homme. La Parole aété faite chair
(Jean
I, 14). Et la nature divine et la nature humaine
n'ont pas été juxtaposées en lui, de manière que ce
soit tantôt la nature divine et tantôt la nature
humaine qui apparût - de même sa passion et sa mort
sont, l'une et l'autre, tout à fait divines et tout
à fait humaines.
Nous nous trouvons ici en présence d'un
insondable mystère qu'aucune intelligence humaine ne
saurait scruter. Certainement le mystère de piété
est grand : Dieu manifesté en chair (1
Tim III, 16).
Le fait que l'existence du Sauveur a
toutes ses racines dans son éternelle communion avec
le Père, donne seul sa vraie signification à
l'expression de Fils de l'homme, par laquelle
il se désigne lui-même Il s'en sert, lorsque les
esprits commencent à être divisés à son sujet,
beaucoup plus fréquemment qu'il ne le faisait dans
les premiers temps de son activité publique ; ce qui
semble marquer un progrès dans la révélation qu'il
fait de lui-même. Il est vrai qu'il s'applique cette
dénomination dans l'appel qu'il adresse à Nathanaël
(Jean
I, 51), dans son entretien avec Nicodème (Jean
III, 13. 14), pendant son deuxième séjour à
Jérusalem, alors qu'il justifie, devant les
pharisiens, la guérison de l'impotent de Béthesda
opérée le jour du sabbat, ainsi que dans quelques
autres circonstances. Toutefois, plus il se met
lui-même à l'avant-plan dans sa prédication du
royaume des cieux, plus il insiste sur le fait que
la participation à ce royaume et la valeur d'un
homme devant Dieu dépendent des relations dans
lesquelles on se trouve avec la personne de Jésus,
plus aussi la désignation de Fils de l'homme
revient fréquemment dans ses discours.
Il est impossible qu'il ait seulement
voulu dire, par cette expression, qu'il est un
enfant des hommes comme tous les autres.
Ce qui le prouve déjà, c'est qu'il ne se
nomme jamais un enfant des hommes, ni un fils
d'homme, mais toujours leFils de l'homme.
Représentons-nous la singulière impression que
ferait un individu qui n'est et ne veut rien être de
plus qu'un simple homme, et qui insisterait
continuellement sur sa qualité d'homme ! Il ressort
de là que Jésus occupe, parmi les hommes, une
situation toute particulière, et que c'est sur celle
situation qu'il veut attirer l'attention en se
nommant Fils de l'homme. Comme « Messie » il
est le but de l'histoire d'Israël, et la réalisation
de toutes ses espérances ; comme Fils de l'homme, il
est le but de l'histoire de l'humanité et
l'accomplissement de toutes les espérances de notre
race. Il ne veut pas être seulement un Christ juif :
tous les peuples, tous les hommes dirigent leurs
regards vers lui. Il est le pain qui donne la vie au
monde. Il est l'attente des hommes pieux de
l'Ancien Testament et l'Époux de l'Église ; mais il
veut recueillir cette Église d'entre toutes les
nations. C'est en lui que toute âme trouve son repos
; mais ceux qui le méprisent s'exposent au jugement
qui frappera tous les peuples.
Le Sauveur s'applique la dénomination de
Fils de l'homme sans l'expliquer. Lui seul en fait
usage. Personne d'autre ne le nomme ainsi. Il est
vrai qu'Étienne, en mourant, dit voir le Fils de
l'homme assis à la droite du Père. Mais il veut
évidemment renvoyer à cette grande parole qui a
conduit le Seigneur à la mort, et par laquelle il
s'annonce comme le juge de ses ennemis, et tout
ensemble comme le libérateur de ceux qui l'ont
confessé devant Caïphe (Matth.
XXVI, 64). Jésus se nomme le Fils de l'homme
devant ses disciples, surtout lorsqu'il veut
insister sur son abaissement et sa forme de
serviteur, et les familiariser avec la perspective
de ses souffrances expiatoires. Devant le peuple et
dans ses discours publics, il se sert de cette
expression lorsqu'il proclame sa dignité de Roi et
de Juge. Ces deux idées sont contenues dans cette
dénomination. Il n'est donc pas exact de dire que
Jésus se l'est appliquée pour rappeler la prophétie
de Daniel (VII,
13. 14), qui parle de la venue du Messie comme
de l'avènement du Fils de l'homme apparaissant sur
les nuées du ciel, et de son éternelle royauté sur
tous les peuples de la terre.
Le rapport de ce nom avec la prophétie de
Daniel est facile à saisir, et il est reconnu avec
joie par le peuple, surtout par les docteurs de la
loi et par les pharisiens. Car Israël rêvait
précisément d'un puissant règne messianique, qui
dominerait sur tous les royaumes de ce monde. Mais
lorsque le Seigneur parle du signe du prophète
Jonas, et déclare que le règne de Dieu doit être
fondé sur ses propres souffrances et sur sa mort,
alors il prêche à des sourds. Même les disciples ne
le comprennent que difficilement. Et cependant ces
deux choses sont comprises dans sa mission de
Sauveur : les souffrances expiatoires et la
puissance royale, qui sont annoncées dès le
commencement dans l'Ancien Testament. C'est ce que
nous trouvons au Psaume
VIIIe v. 5, et surtout dans le prophète
Ezéchiel, que Dieu interpelle plus de quatre-vingts
fois par ce nom, afin de lui rappeler sans cesse sa
faiblesse et sa petitesse, et dont il fait
cependant, par sa grâce et sa force divine, un
invincible instrument de sa sainte volonté. Jésus
réunit donc ces deux faces de sa mission de Sauveur
dans l'expression de Fils de l'homme.
Pour bien comprendre la signification que
Jésus attache à cette dénomination, il faut se
reporter à la première prophétie prononcée par
l'Éternel dans le Paradis : « Je mettrai de
l'inimitié entre toi (le serpent) et la femme, entre
ta postérité et la postérité de la femme. Cette
postérité t'écrasera la tête, et tu la blesseras au
talon (Gen.
III, 15). » Il est nécessaire qu'il y ait une
lutte entre la semence ou la descendance de la
femme, et le diable et ses enfants. Mais le héros
victorieux, c'est Jéhovah lui-même, le Dieu fidèle
de l'Alliance, le Dieu miséricordieux, qui
s'approche de l'homme par une révélation
miraculeuse, et qui, dans son immense amour, a pris
à tâche de l'arracher à sa misère. C'est lui qui
conduit la lutte, mais par les enfants des hommes,
par la descendance de la femme, en s'unissant
toujours plus intimement à eux, jusqu'à ce que les
temps étant accomplis, il apparaisse personnellement
dans la série des enfants des hommes pour se faire
piquer au talon par le serpent, et pour détruire les
oeuvres du diable (1
Jean III, 8) par ses souffrances et sa mort en
Golgotha. Dès ce moment son oeuvre se poursuit
jusqu'à ce que, après une complète victoire, il
revienne sur les nuées du ciel avec une grande
puissance et une grande gloire, pour établir le
royaume éternel de Dieu.
Entre les deux dénominations de Fils de
l'homme et de Fils de Dieu, il n'y a aucune espèce
de contradiction. Cela ressort déjà de la confession
de Pierre à Césarée de Philippe. Jésus demande à ses
disciples :« Qui disent les hommes que je suis, moi
le Fils de l'homme ? » Et Pierre répond : Tu es le
Christ, le Fils du Dieu vivant, et Jésus confirme
cette confession. Ainsi le Fils de l'homme est le
Fils de Dieu (Matth.
XVI, 16). L'apparition historique du Fils de
Dieu est le Fils de l'homme, et le fondement de
l'essence éternelle du Fils de l'homme est le Fils
de Dieu. La puissance par laquelle il exerce son
activité salutaire, lui vient de sa qualité de Fils
de Dieu, et la possibilité pour le Fils de Dieu de
pénétrer dans la vie humaine, comme libérateur et
comme juge, lui vient de sa qualité de Fils de
l'homme. Seulement, la mission du Fils de l'homme
n'est pas épuisée par son activité libératrice. Par
ses souffrances expiatoires d'une part et par le
pardon des péchés d'autre part, les pécheurs doivent
être réintégrés dans leur état originel d'enfants de
Dieu. Alors le développement de l'homme, qui
constituait sa tâche dès le commencement, mais qui a
été interrompu par la chute, peut être repris à
nouveau. Telle est la mission du Fils de l'homme :
conduire l'humanité affranchie jusqu'à la
perfection.
L'homme a été créé à l'image de Dieu, il
a reçu son souffle. Il était, comme lui, une
personnalité spirituelle, consciente et libre. Son
esprit pouvait embrasser les choses divines et
invisibles et vivre dans la communion de son
Créateur. Comme image personnelle de Dieu, l'homme
devait, par une libre détermination, transformer son
innocence ou sainteté naturelle en une sainteté
morale. L'accord inconscient de sa volonté avec la
volonté de Dieu devait devenir, pas sa victoire sur
une tentation, un accord conscient et voulu, et
cette victoire lui aurait donné le pouvoir de ne
point pécher à l'avenir. Par cette union consciente
de sa volonté avec la volonté de Dieu, l'esprit de
l'homme, ce souffle qu'il avait reçu de Dieu, aurait
exercé une puissance incontestée sur toute sa vie
morale, et par elle, sur toutes ses facultés
physiques.
Dans la mesure où l'esprit de l'homme eût
vécu dans une communion d'amour avec Dieu, et eût
par là fait des progrès dans la lumière céleste et
dans la force divine, dans la même mesure, le corps
fût devenu le docile instrument de l'esprit et eût
été ennobli, glorifié et élevé à un plus haut degré
de spiritualité. Exempt de maladies, soustrait à
l'empire de la mort et de la corruption, l'organisme
devait parvenir par degrés à un état de pureté
céleste. Par l'union constante de sa volonté avec la
volonté de Dieu, l'homme eût exercé sur la création
la domination dont le Créateur l'avait investi. Dieu
avait placé l'homme dans le jardin d'Eden pourle
garder et le cultiver. Celte culture
marquait la soumission de la nature par rapport à
l'homme, cette garde lui conférait le pouvoir
d'éloigner d'elle toute espèce de danger. Or, le
danger qui menaçait la nature, résidait précisément
dans son union avec l'homme, son seigneur, et dans
la dépendance où elle était vis-à-vis de lui. Si
l'homme était resté dans l'obéissance au
commandement de Dieu, il aurait préservé la nature
de la malédiction dont elle fut frappée à cause du
péché qu'il commit, et il aurait ainsi favorisé le
développement auquel elle aussi était destinée.
L'influence spirituelle et glorieuse que l'esprit de
l'homme aurait exercée sur son corps formé de la
terre, aurait agi sur la nature de manière à mettre
toujours plus complètement ses forces au service de
son Maître et ainsi toute la terre serait devenue un
théâtre de mieux en mieux préparé pour
l'établissement du royaume de Dieu.
Ce développement a été interrompu par la
chute. Dès lors, l'homme séparé de Dieu devenait
incapable de remplit sa tâche. Son esprit, éloigné
de Celui qui est la source de la vie, perdit sa
domination sur son âme et sur son corps, il fut
asservi à la chair et devint chair (Gen.
VI, 3). À partir de ce moment, le corps de
l'homme fut assujetti à la maladie, à la mort, à la
corruption. La terre, arrosée de ses sueurs,
produisit des ronces et des chardons. Le péché, qui
avait séparé l'homme d'avec Dieu, divisa aussi les
hommes. Chacun d'eux suivit ses propres voies ; la
paix et l'amour devinrent étrangers à leurs coeurs ;
les relations sociales s'altérèrent en se
prolongeant, et la terre devint une vallée de
larmes.
Mais ce mal peut être réparé ; la
postérité de la femme, mêmeétant blessée au talon,
écrasera la tête du serpent. De la série des
descendants de la femme, doit sortir le héros, qui
remportera la victoire sur le serpent et sur son
règne, par les amères souffrances auxquelles il se
soumettra. Ainsi l'homme était préservé du
désespoir, car la promesse de Dieu ouvrait devant
lui la perspective de pouvoir être un jour délivré
de tous les maux qu'il avait attirés sur lui par son
péché. C'est sur ce libérateur, sur cette postérité
de la femme, sur ce Fils de l'homme, que furent
désormais dirigés, les regards de toute la race
future. Le temps de l'accomplissement de cette
prophétie n'étant pas déterminé, la première
génération des hommes attendait avec une vive
espérance l'apparition de ce libérateur. Lorsqu'un
fils naquit à Lémec, il crut voir en lui l'objet de
la promesse, le nomma Noé et dit :« Celui-ci nous
soulagera de notre oeuvre et du travail de nos
mains, sur la terre que l'Éternel a maudite »(Gen.
V, 29). Puis le souvenir de cette promesse fut
tenu en éveil par diverses institutions. C'est à
quoi était particulièrement destiné l'établissement
permanent du Sabbat.
Lorsque, Israël avait travaillé pendant
six jours avec son Dieu et se reposait en lui le
septième jour, il devait se souvenir que ce Dieu
voulait encore réaliser au profil des siens la
promesse faite dans le Paradis, en leur ménageant un
jour de fête pendant lequel ils seraient nourris
sans travailler. De même, le pays devait jouir tous
les sept ans du repos d'Eden, par l'exemption de
toute culture ; et après sept semaines d'années,
venait la cinquantième, l'année du Jubilé (Lév.
XXV, 11), l'année des réparations, dans laquelle
la propriété était rendue au pauvre qui l'avait
aliénée, la dette quittée au débiteur et la liberté
rendue à l'esclave. Cette année du Seigneur était un
avertissement qu'Israël devait être le peuple de
l'Éternel, une famille d'enfants de Dieu, et écarter
toujours de nouveau de son sein tout ce qui était en
contradiction avec cette sainte vocation. Mais
l'année du Jubilé d'Israël commençait le jour de la
fête des expiations et ne pouvait être célébrée
qu'avec elles. Cette année était donc la promesse
d'une expiation complète et gratuite de tous les
péchés, de tous les délits et de tous les maux qui
en sont la conséquence. C'est de cette année que
Jésus parle dans la synagogue de Nazareth (Luc
IV, 18-21) et dont il annonce qu'elle est
accomplie en sa personne.
Parmi tous les enfants des hommes, il
n'en était apparu aucun jusqu'alors qui eût vécu
comme Jésus dans une intime et constante communion
avec Dieu, aucun en qui la nature humaine eût été
sans tache, aucun qui eût eu le droit de s'appeler
homme, dans le sens le plus profond de ce mot ;
aucun, par conséquent, qui eût été capable
d'accomplir sur la terre la tâche assignée au
premier homme. Maintenant le Fils de l'homme,
qui avait été promis, est venu. Jésus est cette
postérité de la femme, qui, par la vertu de la
réconciliation opérée en Golgotha, efface le péché,
anéantit tous les maux qu'il entraîne, la
souffrance, la maladie, la mort et rétablit la
félicité du Paradis. Mais il est venu aussi pour
reprendre le développement de l'homme interrompu par
le péché, pour glorifier sa vie corporelle et
spirituelle, et pour le rendre participant de la
nature divine. C'est lui qui recommence le travail
dont l'homme avait été chargé dans le Paradis, et
qu'il avait abandonné ; travail qui consiste à faire
de toute la terre le théâtre où Dieu établira son
royaume et de toute la vie des individus, des
familles, de la société, de l'humanité tout entière
l'instrument de la fondation de ce royaume.
Jésus est la postérité, de la femme, non
seulement parce qu'en lui sont accomplies toutes les
prophéties de l'Ancienne Alliance et toutes les
espérances d'Israël, mais encore parce que c'est à
lui que s'attend toute la race humaine, parce que
c'est lui qui apaise les soupirs et comble les voeux
de tous les coeurs ; lui qui, dans tout le cours de
l'histoire, remporte sur la puissance du mal la
victoire promise ; lui enfin qui conduit l'humanité
à sa perfection et la couronne de gloire et de
délivrance : Voilà pourquoi il est le Fils de
l'homme. |