LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE II
L'activité publique de
Jésus.
C. Activité de
Jésus à Jérusalem.
68. Jésus à la fête des tabernacles.
(Jean
VII, 8-11.)
L'activité du Sauveur en Galilée est terminée. Il
sait que sa mort sur la croix n'aura pas lieu
immédiatement (v.
8), et qu'il quittera encore une fois Jérusalem
pour annoncer l'Évangile en Samarie et en Pérée.
Mais il sait aussi qu'il finira sa vie à Jérusalem.
Dès lors, toutes ses pensées sont tournées de ce
côté ; il se prépare à souffrir et à mourir. Après
avoir évangélisé la Galilée pendant un an et demi,
depuis le printemps de l'an 31 jusqu'à l'automne de
l'an 32, il se dispose à se rendre à Jérusalem pour
la fête des Tabernacles. La signification de cette
solennité nous est indiquéeLévitique
XXIII, 42-43 :« Vous demeurerez sept jours dans
des tentes, afin que votre postérité, sache que j'ai
fait demeurer Israël dans des tentes, lorsque je les
retirai d'Égypte. » On habitait dans des tentes
construites sur les toits ou dans les rues ; on
portait des branches de palmier et d'olivier dans
les mains ; on prenait de joyeux repas et l'on
célébrait la fête par une multitude de sacrifices.
En souvenir de l'eau qui jaillit miraculeusement du
rocher, et dont le peuple étancha sa soif, on
remplissait chaque matin une cruche d'or à la
fontaine de Siloé, et on la versait, avec des chants
de louanges, à côté de l'autel. En souvenir de la
colonne de feu qui avait éclairé les Israélites au
désert, brillaient chaque soir, sur des candélabres
d'or dressés dans la cour du temple, des lampes qui
répandaient au loin leur éclat.
Les frères de Jésus, qui ne croyaient pas
en lui (v.
5) auraient voulu pouvoir se glorifier d'un
Messie terrestre ; ils étaient mécontents de ce que
Jésus s'était arrêté si longtemps en Galilée. Ils
pensaient que le Messie ne devait pas sortir d'un
coin obscur de cette province ignorée. Selon eux,
Jérusalem était le théâtre où son activité devait se
déployer, en présence des savants et surtout du
Sanhédrin, afin qu'il reçût une sanction officielle,
dans la capitale du pays.«
Pars d'ici, lui dirent-ils, et t'en va en Judée,
afin que les disciples voient aussi les oeuvres que
tu fais. » Cette grande fête était une
excellente occasion pour enthousiasmer et entraîner
la foule par des miracles et pour prendre enfin
possession du trône royal. Mais c'est précisément
pour cette raison que Jésus repousse cette
prétention de ses frères. Il se refuse à monter à la
fête avec les grandes caravanes qui s'y rendaient.
Son temps n'était pas encore accompli : il le sera
seulement à la prochaine fête de Pâques. Alors il
fera publiquement son entrée à Jérusalem comme le
vrai Roi et le vrai souverain sacrificateur
d'Israël.« Montez à cette fête, dit-il à ses frères
; pour moi, je n'y monte pas encore, parce que mon
temps n'est pas encore venu. » Ce n'est ni avec eux
ni comme ils l'entendent, qu'il veut monter à
Jérusalem.
À peine Jésus est-il entré en Samarie,
qu'il se heurte à une haine comme il n'en avait pas
rencontré en Galilée. Le premier village des
Samaritains où il désire passer la nuit, lui refuse
l'hospitalité, parce qu'il se rend à la fête de
Jérusalem. Les Juifs et les Samaritains se
haïssaient réciproquement, et si pendant les fêtes,
quelque Juif traversait la Samarie pour assister à
ces solennités, il était fort mal accueilli. Voilà
pourquoi le Seigneur fut ainsi repoussé. Le Sauveur
se tient à la porte et demande à entrer, et l'entrée
lui est refusée ! Quel triste spectacle ! Qui donc
ne serait indigné de ce refus ? Et cependant le
Sauveur ne l'éprouve-t-il pas encore continuellement
? Lui as-tu immédiatement ouvert ton coeur, cher
lecteur, quand il est venu frapper à ta porte ? On
comprend très bien les sentiments des deux chers
disciples Jacques et Jean lorsqu'ils lui dirent :
Seigneur, veux-tu que nous
disions que le feu du ciel descende sur eux et qu'il
les consume, comme Élie le fit ? (Luc
IX, 54.) Ces deux disciples furent plus d'une
fois repris pour leur zèle ; ils le sont encore dans
cette circonstance. Mais quelle différence entre les
répréhensions du Seigneur et les nôtres ! Il avait
le droit de les reprendre, car il était dévoré du
feu de la colère de Dieu contre les péchés des
hommes. Quant à nous, nous devrions rougir en
présence du zèle de ces deux disciples, car nous en
avons bien peu pour la gloire et l'avancement du
règne de notre Sauveur.
Jacques et Jean venaient de voir leur
Maître rayonner de la gloire divine sur la
montagne. Ils avaient été témoins de l'honneur que
Moïse et Élie, et Dieu lui-même lui avaient rendu.
Et maintenant des hommes lui refusent un gîte pour
la nuit ! Que ce refus ait indigné les disciples, et
qu'ils aient été animés du zèle d'Élie, il ne faut
pas s'en étonner, car peu de temps auparavant la
personne de ce prophète avait été rappelée à leur
souvenir (Luc
IX, 19. 20 ;Matth.
XVII, 10). Ils sont zélés pour l'honneur de leur
Maître ; mais leur zèle ne ressemble pas au sien ;
on le voit par les larmes que Jésus versa sur
Jérusalem. Quant à eux, leur zèle est une excitation
charnelle. C'est pourquoi le Seigneur les reprend :
Vous ne savez de quel
esprit vous êtes animés(littéralement :
de quel esprit vous êtes les fils) ;
car le Fils de l'homme n'est
pas venu pour faire périr les hommes, mais pour les
sauver (Luc
IX, 55. 56).
Par ces paroles sévères, Jésus excite le
sentiment de l'honneur chrétien chez ses disciples
et leur rappelle l'esprit qui était en eux, et que
leur zèle terrestre avait refoulé à l'arrière-plan.
Le Saint-Esprit dont les disciples étaient les fils,
animait aussi Élie. Cet Esprit, tout en tendant
toujours au même but, qui est la gloire de Dieu,
parle cependant autrement dans la loi que dans
l'Évangile, autrement à ceux que Jésus cherche à
sauver dans le temps de grâce qu'à ceux qu'il jugera
au dernier jour. Les disciples ne se trompaient pas
en croyant que leur Maître tenait dans ses mains le
feu du jugement, mais dans leur zèle inconsidéré,
ils oubliaient que le jour du jugement n'est pas
encore venu, que le temps de la grâce dure encore,
et que le feu que le Sauveur est venu apporter sur
la terre, n'est pas le feu de la colère, mais le feu
d'un vivant et salutaire amour.
Nous ne voulons pas omettre de remarquer
ici que le Seigneur, pendant son séjour sur la
terre, a exercé sa puissance sur toutes choses : sur
les éléments, les vents, les eaux, les arbres ;
Quant à sa puissance sur le feu, il en a toujours
réservé la manifestation pour le grand jour « où il
exercera la vengeance avec des flammes de feu contre
ceux qui ne connaissent point Dieu et qui
n'obéissent point à l'Évangile (2
Thes. 1, 8). » Ne
savez-vous pas de quel esprit vous êtes les fils ?
Si les disciples se sont rappelé avec quel amour
plein de douceur et de patience Jésus a gagné leurs
propres âmes,ses paroles durent tomber sur leurs
coeurs comme des charbons ardents. C'est ce zèle
brûlant qui valut à Jacques et à Jean le surnom de
Boanergès, c'est-à-dire enfants du tonnerre. Lorsque
leur zèle fut purifié par le Saint-Esprit, ce surnom
devint pour eux un titre d'honneur (Marc
III, 17). Ce zèle plein d'un ardent amour, qui
pénètre les lettres de l'apôtre Jean, le pressait
plus tard d'implorer l'effusion du Saint-Esprit pour
ces mêmes Samaritains sur lesquels il aurait voulu
faire descendre le feu du ciel (Act.
VIII, 15).
.
69. Jésus enseigne dans le temple.
(Jean
VII, 11-53.)
Lorsque ses frères se furent mis en chemin avec
les caravanes qui se rendaient à Jérusalem, Jésus
attendit encore quelques jours, afin de pouvoir y
monter sans attirer l'attention. Mais, même en son
absence, il était le sujet des conversations de la
foule réunie pour célébrer la fête. Tous avaient
espéré l'y rencontrer, et se demandaient les uns aux
autres avec étonnement : Où
est-il ?On parlait diversement de lui
parmi le peuple, mais nul n'osait dire franchement
ce qu'il pensait,par crainte des Juifs,
influencés par les pharisiens. On savait
généralement que les chefs du peuple, animés de
l'esprit pharisaïque, étaient hostiles à Jésus, et
la servitude morale dans laquelle ils tenaient la
foule, était trop lourde pour que les hommes
bienveillants eux-mêmes eussent le courage
d'exprimer hautement leur opinion sur le Sauveur.
Il parait que leur foi était encore bien
faible, car la vraie foi ne connaît aucune crainte.
Lorsqu'ils entendaient ses discours et voyaient ses
miracles en Galilée, ils osaient s'en réjouir
franchement, et disaient : « Un grand prophète s'est
levé parmi nous et le Seigneur a visité son peuple.
» Ou bien :« Celui-ci est véritablement le prophète
qui devait venir dans le monde. » Mais à Jérusalem,
où ils subissaient la pression d'en haut, leurs
langues étaient liées par la crainte des hommes.
C'est tout au plus s'ils osaient dire : C'est un
homme de bien.Quant à ceux
qui tenaient avec les pharisiens, ils ne se gênaient
pas pour exprimer franchement leur manière de voir.
Ils ne permettaient pas même qu'on dit de Jésus
:C'est un homme de bien. Non,
disaient-ils, mais il
séduit le peuple. Ces paroles leur
étaient dictées par les pharisiens. C'étaient des
feuilles de figuier au moyen desquelles ils
s'efforçaient de cacher ou même de parer leurs plans
meurtriers. Car, d'après la loi, (Deut.
XIII, 6-10), un pareil séducteur était puni de
mort.
Mais, au milieu de la fête, Jésus
apparaît ; il monte immédiatement au temple et
commence à enseigner publiquement et à expliquer les
Écritures. Ses paroles faisaient une profonde
impression, même sur l'esprit de ses ennemis. Ils
étaient étonnés, et une voix se faisait entendre en
eux qui disait que Jésus pourrait cependant bien
être un envoyé de Dieu. Mais ils étouffaient cette
voix, en se disant qu'il n'avait pas étudié à la
manière des docteurs de la loi.
Comment cet homme sait-il les
Écritures, ne les ayant point apprises ?
En effet, le Sauveur n'avait pas puisé sa doctrine
dans la haute école des scribes, en étudiant avec
zèle, comme ils se vantaient de l'avoir fait
eux-mêmes. Voilà pourquoi on le croyait incapable de
reconnaître le vrai sens des Écritures.
Mais il répondit :
Ma doctrine n'est pas de moi,
par où il entend qu'il ne l'a pas apprise par des
moyens humains. Mais elle
est de celui qui m'a envoyé. De même que
le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais
seulement ce qu'il voit faire au Père, de même il ne
dit rien de lui-même, mais seulement ce qu'il entend
du Père. Le contenu de sa doctrine est celui-ci :«
Le Père l'a envoyé pour sauver le monde pécheur. »
Il est l'objectif de tous les prophètes ; il est
l'objet du témoignage de tous les apôtres et de tous
les prédicateurs. Mais il s'annonce lui-même comme
prophète et comme étant la vérité. Sa personne
est le contenu de sa doctrine.
Si quelqu'un veut faire la
volonté de Dieu, il reconnaîtra si ma doctrine est
de Dieu, ou si je parle de mon chef. Il
ne dit pas : Si quelqu'un fait, mais si
quelqu'un veut faire la volonté de Dieu.
Nous avons donc un moyen infaillible de
reconnaître la vérité divine. Le célèbre
Jean-Jacques Moser, après avoir lu ce passage, se
dit en lui-même : « Quoi ! Jésus aurait indiqué un
moyen si facile de faire l'épreuve de sa doctrine !
Ce serait un scandale et un manque de conscience, si
une âme altérée de vérité n'en faisait pas usage !
Je veux essayer. » Il commença dès lors à chercher
sincèrement et loyalement à connaître la volonté de
Dieu, travailla non moins loyalement et sincèrement
à l'accomplir, et devint un fidèle chrétien.
Mais comment se fait-il que ceux qui
veulent sincèrement accomplir la volonté de Dieu,
reconnaissent immédiatement la divinité de la
doctrine du Sauveur ? C'est que la volonté de Dieu
exige que l'homme reconnaisse ses péchés et en
cherche le pardon. Quiconque désire avant tout faire
cette volonté, soupirera bientôt après cette
connaissance et ce pardon, et acceptera avec joie la
doctrine de Christ, qui enseigne précisément qu'il
est l'Agneau de Dieu. En revanche, quiconque refuse
de reconnaître ses péchés et dore orgueilleusement
sa misère, sera scandalisé jusqu'au fond du coeur
par cette doctrine. La volonté de Dieu exige encore
que nous l'aimions de tout notre coeur, de toute
notre âme et de toutes nos forces. Quiconque veut
sincèrement faire cette volonté, vient à Christ avec
un ardent désir d'obtenir de lui la force d'aimer
Dieu de cette manière, et de tuer toutes les
passions et les mauvaises convoitises qui tendent à
étouffer cet amour. Quiconque au contraire ne
s'inquiète pas de faire cette volonté, donne son
coeur aux vanités de ce monde, travaille à
satisfaire ses passions et ses convoitises, ne voit
dans la doctrine de Christ qu'une énigme
indéchiffrable, et dans les témoignages rendus à sa
personne, que de vaines et creuses prétentions.« Dès
que tu veux satisfaire les passions, la lumière de
la grâce s'éteint. »
Pour fournir une autre preuve de la
divinité de sa doctrine, le Seigneur déclare encore
qu'il ne cherche point sa
propre gloire, mais la gloire de celui qui l'a
envoyé. Celui qui cherche la gloire de la
part des hommes, est aussi obligé de leur en donner,
de flatter l'esprit du siècle, de s'incliner devant
les grands de ce monde. Quant à Jésus, ses plus
ardents ennemis devaient lui rendre ce témoignage,
qu'il était libre de toutes ces préoccupations.«
Maître, nous savons que tu es sincère, et que tu
enseignes la voie de Dieu selon la vérité, sans
avoir égard à qui que ce soit »(Matth.
XXII, 16). Jésus cherche la gloire de celui qui
l'a envoyé, donc sa doctrine est la vérité.
Puis le Sauveur expose publiquement les
desseins meurtriers que les pharisiens avaient
conçus contre lui, lors de son dernier voyage à
Jérusalem dix-huit mois auparavant (Jean
V, 16). Pourquoi
cherchez-vous à me faire mourir ? Le
peuple fait semblant d'ignorer complètement cette
intention des chefs. Tu es
possédé du démon ; qui est-ce qui cherche à te faire
mourir ? Lorsque les Juifs sont mis au
pied du mur par Jésus, ils cherchent toujours à se
tirer d'affaire en disant qu'il est possédé du
démon. Ils ne veulent pas qu'on leur attribue de
pareilles intentions, et ils les nient tout
simplement. Mais leur hypocrisie est bientôt
découverte, car plusieurs dirent :N'est-ce
pas celui qu'ils cherchaient à faire mourir, et le
voici qui parle librement ; les chefs auraient-ils
en effet reconnu qu'il est véritablement le Christ ?
Le Sauveur laisse tomber leurs outrages et leurs
dénégations sans y faire attention. Maïs il se
justifie du reproche d'avoir transgressé la loi en
guérissant le paralytique de Béthesda le jour du
sabbat. Si un homme reçoit
la circoncision le jour du sabbat, afin que la loi
de Moïse ne soit point violée, elle ne devait pas
non plus l'être parce que le Sauveur guérissait un
homme dans tout son corps le jour du sabbat.
Cette justification fit sur un grand nombre une
impression favorable. Toutefois ils semblent avoir
eu honte de cette bienveillance et cherchent
immédiatement à étouffer cette bonne disposition des
coeurs envers le Sauveur en ajoutant :
Mais nous savons d'où est
celui-ci, au lieu que quand le Christ viendra,
personne ne saura d'où il est. Ils
avaient un pressentiment de la nature divine et de
l'origine surhumaine du Messie, mais ils ne
pouvaient les accorder avec sa naissance humaine et
sa forme de serviteur. S'ils avaient eu une soif
ardente de salut, ils auraient reconnu aussi bien
que Jean, dans l'homme Jésus, la gloire du Fils
unique du Père, pleine de grâce et de vérité.
Profondément affligé de leur aveuglement,
Jésus rend de nouveau témoignage de sa divinité, en
s'écriant à haute voix dans le temple :
Vous me connaissez et vous
savez d'où je suis ; je ne suis pas venu de moi-même
; mais celui qui m'a envoyé est véritable, et vous
ne le connaissez point, mais moi je le connais ; car
je viens de sa part et c'est lui qui m'a envoyé.
Ils s'obstinent à ne reconnaître que la nature
humaine de Jésus. C'est pourquoi il insiste d'autant
plus fortement sur sa nature divine. Ils prétendent
connaître Christ, mais ils ne veulent pas convenir
qu'il est venu de la part de Dieu. Ils ne le
connaissent donc pas réellement, et dès lors ils ne
connaissent pas Dieu, car quiconque ignore qui est
Christ, n'a aucune connaissance de Dieu ; il est
athée. Les Juifs étaient dans l'orgueilleuse
illusion qu'ils faisaient les affaires de Dieu ;
mais le Sauveur leur dénie absolument cette
prérogative et se l'attribue à lui-même. Se sentant
repris dans leur conscience, ils sont tellement
aigris, qu'ils cherchent à
se saisir de lui, mais personne ne mit la main, sur
lui, parce que son heure n'était pas encore venue.
Ils ne purent pas exécuter leurs desseins
publiquement énoncés ; leurs bras étaient liés par
une puissance supérieure. Ils n'osent pas. Le
Seigneur est là, dans un calme majestueux au milieu
de ses ennemis. Ils auraient voulu se précipiter sur
lui, mais ils étaient retenus par une main
invisible. Cette scène fit une telle impression sur
les coeurs droits, que plusieurs de ceux qui y
assistaient crurent en lui, et ils disaient :
Quand le Christ viendra,
fera-t-il plus de miracles que n'en fait celui-ci ?
Dès que les pharisiens apprirent ce que
le peuple disait du Sauveur, ils décidèrent
d'étouffer immédiatement dans son germe cette bonne
disposition à son égard.
Ils envoyèrent, de concert avec les principaux
sacrificateurs, ainsi d'une manière
officielle, des sergents
pour se saisir de lui. Pendant que le
Sanhédrin dressait ses batteries, Jésus avertissait
le peuple de la brièveté du temps de grâce. Son
heure n'était pas encore venue, mais elle allait
bientôt venir. Et alors, leur dit-il,
je m'en irai à celui qui m'a
envoyé ; vous me chercherez et vous ne me trouverez
point, parce que vous ne pouvez pas venir où je
serai. C'est seulement lorsqu'ils
l'auront mis à mort, qu'ils seront saisis de la
douleur d'Ésaïe, car ils sauront alors qui ils
auront méprisé et rejeté. Ceux qui, parmi eux,
sondaient les Écritures, durent se souvenir, en
entendant ces paroles de Jésus, de la plainte
douloureuse de la fille de Sion (Cant.
V, 6), qui, endormie et rassasiée, refuse
d'ouvrir à son fiancé qui heurte à sa porte, mais
qui ensuite le cherche sans pouvoir le trouver.« Je
le cherchai, mais je ne le trouvai point ; je
l'appelai, mais il ne me répondit point. » Ils ont
devant les yeux la douleur d'Ésaü,« qui ne put
trouver moyen de faire changer son père de
résolution, quoiqu'il le demandât avec larmes (Héb.
XII, 17). »
Cette parole du Seigneur était de nature
à chasser toute légèreté et toute torpeur du coeur
de ceux auprès desquels il se trouvait encore, avec
ses enseignements et les attraits de sa grâce. Ce
qui a été négligé pendant le temps de grâce, ne peut
plus se réparer. Dans sa prière sacerdotale, Jésus
demande à son Père d'accorder à ceux qu'il lui a
donnés, le bienheureux privilège d'être là où il est
lui-même. Quiconque ne le cherche pas et ne se
laisse pas trouver par lui pendant qu'il fait jour,
ne le trouvera pas dans l'éternité, malgré les
plaintes les plus déchirantes. Les Juifs ne veulent
pas comprendre la douloureuse expression de cet
amour. Ils se demandent les uns aux autres d'un ton
railleur : Où ira-t-il
donc, que nous ne le trouverons point ? Doit-il
aller chez ceux qui sont dispersés parmi les Grecs
et enseigner les Grecs ? Par ces
sarcasmes, ils prononcent leur propre condamnation.
Ils tiennent le même langage que Caïphe. Le royaume
de Dieu devait en tout cas leur être ôté pour être
donné aux païens.
Le dernier et
grand jour de la fête, un sacrificateur
puisait de l'eau avec une cruche d'or à la source de
Siloé. Les autres sacrificateurs la recevaient dans
le temple, au son des trompettes, et chantaient avec
tout le peuple présent à cette cérémonie :
Vous puiserez des eaux avec
joie aux sources de la délivrance(Ésaïe
XII, 3). Ensuite l'eau était mêlée au vin du
sacrifice et répandue autour de l'autel. Jésus se
trouva là et dit à haute voix :
Que celui qui a soif vienne à
moi et qu'il boive ! Ainsi le Sauveur se
désigne lui-même comme étant l'eau de la délivrance
annoncée par le prophète. Il offre sa personne pour
restaurer et rafraîchir toutes les âmes qui
soupirent après le Dieu vivant, comme le cerf brame
après les eaux courantes. Y a-t-il ici un coeur
altéré pour se rendre à cette tendre, invitation ?
Ainsi, coeur chrétien, garde-toi de la négliger
lorsque tu cherches avec angoisse des consolations,
lorsque tu sens douloureusement le vide qui est en
toi. Jésus étanche la soif de l'âme. Ce qu'il a dit
à la Samaritaine près du puits de Jacob, que celui «
qui boira de cette eau deviendra une source d'eau
jaillissante, une source de salut pour le monde, il
le répète ici, dans le temple, en présence des Juifs
: Qui croit en moi, des
fleuves d'eau vive découleront de lui.
Quiconque est uni à Christ par la foi, a part à sa
plénitude. Ce ne sont pas seulement des gouttes ou
des ruisseaux, ce ne sont pas seulement des
torrents, ce sont des fleuves qui découleront du
corps des croyants. Leur intime union avec Christ
est cachée en Dieu, mais cette source de vie cachée
jaillit comme un fleuve de bénédictions pour les
âmes altérées. De là le nom de la fiancée du
Cantique des Cantiques, qui est appelée « une
fontaine fermée, une source scellée, comme un puits
d'eau vive descendant du Liban.
L'Église, l'Épouse de Christ, est bénie
grâce à son intime union avec son Chef, et c'est
pour cela qu'elle est une bénédiction, ainsi que
chacun de ses membres en particulier. C'est ce qui
parait pour la première fois le jour de la
Pentecôte. La puissante plénitude d'Esprit et de vie
de ce petit troupeau de croyants, se déversa si
abondamment au dehors, que des milliers d'âmes
furent saisies. Cependant les fleuves de
bénédictions qui jaillissent des croyants, ne sont
pas seulement pour le monde ; ils doivent aussi
couler d'un membre à l'autre, afin que la vie de
chacun d'eux soit rafraîchie et nourrie par le
fleuve qui traverse tout le corps de l'Église. La
parole apostolique par laquelle nous croyons, la
confession de l'Eglise à laquelle nous nous
associons, les prières des croyants qui montent vers
le trône de la grâce, les cantiques que nous
chantons dans nos assemblées, les prédications qui
annoncent Christ, tous ces témoignages de la foi et
de l'amour en paroles et en oeuvres, sont autant de
bras du grand fleuve qui, le jour de la Pentecôte,
s'échappa du coeur de Jésus, et qui, à travers les
siècles, inonde les déserts de la terre et procure
la santé aux païens.
Jean ajoute l'explication suivante :
Or, il disait cela de l'Esprit
que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui,
car le Saint-Esprit n'avait pas encore été donné,
parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié.
Jésus ne veut pas garder pour lui seul l'Esprit
qu'il a reçu sans mesure ; il le répand dans son
corps qui est l'Église, afin que cet Esprit se
manifeste comme le principe régénérateur de la vie
de l'humanité. Cela ne pouvait pas encore se faire
au moment où Jésus parle ici, parce qu'il n'avait
pas encore été glorifié. Il estvrai que le
Saint-Esprit avait déjà parlé par les prophètes sous
l'Ancienne Alliance il est vrai que cet Esprit se
répandait déjà par la parole de Jésus, mais il ne
pouvait pas encore faire sa demeure dans le coeur
des hommes, parce qu'ils étaient séparés du Dieu
saint par leurs péchés. Il faut d'abord que le mur
de séparation élevé entre l'homme et Dieu, le péché,
soit détruit, pour que le Saint-Esprit puisse faire
du coeur de l'homme le temple de Dieu. Il faut que
Dieu prenne avant de donner. Il faut
que la réconciliation opérée par les souffrances de
l'Agneau de Dieu, ait rendu possible le pardon des
péchés, pour que le Saint-Esprit puisse réellement
habiter dans le coeur des pécheurs sauvés. La
régénération par le Saint-Esprit ne peut s'accomplir
que sur la base de la rédemption effectuée. Ce n'est
qu'après avoir été glorifié, que Jésus a pu envoyer
les biens célestes qu'il a acquis par ses
souffrances.
Ce discours de Jésus fit une profonde
impression. Les âmes altérées, qui avaient été
restaurées par le breuvage fortifiant qu'il leur
avait donné, disaient hautement :
Celui-ci est véritablement le
prophète. D'autres disaient même :
Celui-ci est le Christ.
Et ces propos allaient de bouche en bouche. Quant à
ceux qui n'avaient aucun besoin d'eau vive, ils
trouvèrent facilement un prétexte pour excuser leur
incrédulité. Ils disaient que le Christ devait
naître à Bethléem, ce en quoi ils avaient raison ;
mais leur folie consistait à nier qu'il pût venir de
la Galilée, comme si le Christ ne pouvait pas venir
de la Galilée tout en étant né à Bethléem. Cependant
la multitude avait été tellement saisie par les
paroles de Jésus, que les sergents eux-mêmes, qui
devaient l'arrêter, ne purent se soustraire à leur
influence.Personne ne mit
la main sur lui. Et lorsque les
sacrificateurs irrités leur demandèrent pourquoi ils
ne l'amenaient pas, les sergents répondirent
simplement : Jamais homme
n'a parlé comme lui. Ils savaient bien
que le Sanhédrin ne leur serait guère reconnaissant
pour cette réponse, mais ils ne purent se taire, et
ils rendirent témoignage à celui dont la parole
avait soulagé leurs coeurs.
Les pharisiens adressèrent d'amers
reproches aux soldats. Mais voici qu'un autre
témoignage en faveur de Jésus jaillit du milieu
d'eux. Nicodème, qui, par crainte des Juifs, était
venu trouverJésus pendant la nuit, prend maintenant
courageusement son parti comme membre du Sanhédrin.
Il est vrai qu'il ne demande que la justice - il ne
réclame qu'une enquête régulière. Il veut qu'on
entende le Sauveur avant de le condamner. Mais cela
suffit pour enflammer la colère des autres membres
du Conseil suprême. Ils se répandent en ironiques
injures contre Nicodème :
Es-tu aussi Galiléen ? informe-toi et tu verras
qu'aucun prophète n'a été suscité de la Galilée.
Leur connaissance de l'Écriture présente ici une
lacune. Ils oublient que le prophète Ésaïe (VIII.
23; IX. 1-2), a vu la grande lumière des païens
se lever aussi sur la Galilée et que le prophète
Jonas était aussi Galiléen.
La haine avouée contre Jésus a fait un
pas important. L'affaire avait été débattue dans une
séance officielle des premiers dignitaires
ecclésiastiques du pays, et une seule voix s'était
timidement élevée en faveur du Sauveur. Par cette
comparution publique de Jésus, la persécution
dirigée contre lui avait pris un puissant élan. Bien
que ce premier coup ne l'ait pas encore atteint, son
procès est désormais à l'ordre du jour du Sanhédrin,
et les pharisiens sauront l'y maintenir. Ils
dominaient la vie ecclésiastique en Judée beaucoup
plus qu'en Galilée, et ils se servaient de cette
force sans ménagements, afin que ce procès eût le
plus tôt possible une issue conforme à leurs désirs.
Déjà dans les jours qui suivirent immédiatement,
Jésus put s'apercevoir qu'il n'était plus en
Galilée, mais bien dans la ville où siégeait le
Grand Conseil de la nation.
.
70. La femme adultère.
(Jean
VIII, 1 -11.)
La tentative faite par le Sanhédrin de s'emparer
de Jésus a échoué. La séance est levée et chacun
s'en est allé dans sa maison. Jésus passa en prière
sur le mont des Oliviers la nuit qui suivit la fête
des tabernacles :Au point
du jour il retourna au temple. Mais, ses
ennemis ne se reposent pas non plus. Ils voient
clairement qu'ils ne peuvent user d'aucune violence
contre lui pour le moment ; ils auront donc recours
à la ruse. Et voici qu'il se présente à point nommé
une occasion de l'accuser ou de lui enlever la
faveur populaire. Les
scribes et les pharisiens lui amenèrent une femme
qui avait été surprise en adultère. Ils
viennent triomphalement à Jésus et lui adressent
cette question : Maître,
celle femme a été surprise commettant adultère. Or,
Moïse nous ordonne, dans la loi, de lapider ces
sortes de personnes. Toi donc, qu'en dis-tu ?
L'adultère et toutes sortes d'impuretés
avaient pris une telle extension parmi toutes les
classes sous le règne d'Hérode, qu'on avait cessé de
les punir. Bien que les adversaires de Jésus
n'eussent pas honte de parler publiquement de cette
affaire, bien qu'ils ne prissent aucune peine pour
la cacher, puisqu'ils saisissaient avec plaisir
l'occasion de soumettre un pareil cas au Sauveur,
ils se présentent cependant comme les gardiens de la
vertu et des bonnes moeurs devant Jésus, qu'ils
soupçonnaient de favoriser ou du moins d'excuser ces
péchés. Voici leur raisonnement : Si Jésus laisse
boire cette femme à la source du pardon, et la
reçoit en grâce on peut l'accuser d'être un
contempteur de la loi. Si, au contraire, il juge
qu'elle doit être traitée selon la rigueur de la
loi, c'est-à-dire lapidée, son prétendu amour pour
les pécheurs reçoit un coup fatal.
Au point de vue humain, la situation est
difficile. Jésus ne peut pas prendre cette femme
sous sa protection, car elle n'est pas venue à lui
dans le sentiment de son péché et pour implorer son
pardon. Au contraire, on la lui a amenée malgré
elle. D'un autre côté, il ne peut pas laisser croire
aux accusateurs de cette femme, qu'il juge son péché
moins grave qu'ils ne le jugent eux-mêmes.
Cependant, il veut aider les deux partis à
reconnaître leurs propres péchés, afin de les amener
à en rechercher le pardon. Toute sa manière d'agir
est surtout dirigée contre ses adversaires, afin de
les porter à se juger eux-mêmes et à s'humilier.
S'il leur avait reproché leurs péchés comme il le
faisait ordinairement, ils auraient probablement
préféré mentir, plutôt que de s'exposer à une honte
publique. Ce n'était pas par étourderie ni par
distraction, mais avec une intention bien arrêtée,
que Jésus écrivait avec
soit doigt sur la terre. Quelle autre
attitude aurait-il pu prendre pour prier avant
d'énoncer son jugement ?
Les pharisiens triomphaient déjà, car le
Sauveur leur semblait perplexe et chercher un
expédient. Ils le pressaient d'autant plus de leurs
questions. Alors, s'étant redressé, Jésus leur dit :Que
celui d'entre vous qui est sans péché, jette le
premier la pierre contre elle. Et s'étant encore
baissé, il écrivait avec son doigt sur la terre.
Il veut que les pharisiens croient n'être pas
remarqués, afin qu'ils aient le temps de laisser sa
parole agir sur eux. S'il s'était baissé alors pour
la première fois, ils auraient pu pénétrer son
intention, mais comme il ne fit que continuer ce
qu'il avait commencé, ils n'en furent pas frappés,
et sa parole put agir sur eux sans qu'ils eussent à
craindre et être rendus confus par lui. Comme son
oeil ne les voit pas, il leur est plus facile d'être
sincères avec eux-mêmes.
La parole du Sauveur avait touché le
point sensible de leur conscience. Leur conduite
n'est ni plus pure ni plus morale que celle de cette
femme. Il y avait seulement celle différence entre
elle et eux, qu'ils avaient su cacher leurs actions
coupables. La parole de Jésus pénètre dans leurs
coeurs comme un flambeau ; ils se sentent frappés.
Ils sont effrayés intérieurement de leurs propres
souillures et oublient la femme ; ils ont le
sentiment que chacun peut lire sur leur front ce
qu'ils ont fait ; ils n'osent plus se regarder les
uns les autres. Le sol leur brûle sous les pieds ;
ils regardent le Sauveur, et se réjouissent de ce
qu'il ne les regarde pas, et c'est ainsi qu'ils
s'esquivent l'un après l'autre.
Quand ils entendirent cela,
ils sortirent tous, depuis le plus vieux jusqu'au
plus jeune, et Jésus demeura seul avec la femme qui
était là au milieu.
La parole du Sauveur agit tout autrement
sur elle que sur les pharisiens. Ceux-ci, convaincus
par leur conscience, s'éloignent de Jésus ; celle-là
convaincue par sa conscience, demeure auprès de
Jésus. Elle attend avec angoisse le jugement qu'il
prononcera sur elle. Mais le Seigneur, s'étant
redressé, lui dit : Femme, où sont ceux qui
t'accusaient ? personne ne t'a-t-il condamnée ? Elle
dit : Personne, Seigneur. Alors celui à qui le Père
a donné tout pouvoir de juger, qui seul a le droit
de condamner, mais qui pardonne et sauve partout où
il voit une étincelle de repentance et de foi, lui
dit : Je ne te condamne pas
non plus, va et ne pèche plus à l'avenir.
Il est vrai qu'il ne lui dit pas comme à d'autres
pécheurs : Tes péchés te sont pardonnés, va-t'en en
paix. Elle n'était pas mûre pour entendre ces
paroles. Mais pour le Seigneur, il n'y a pas de voie
mitoyenne : il condamne ou bien il pardonne.
Lorsqu'il dit à cette femme : Je ne te condamne pas
non plus, il tend la main à sa foi naissante, afin
qu'elle entende et s'approprie la parole de
délivrance qu'elle contient. Jésus réunit ici comme
partout la miséricorde et la justice, l'amour et le
sérieux, les ménagements et la sévérité ; il
condamne le péché et délivre la pécheresse. |