LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE II
L'activité publique de
Jésus.
B. L'activité de
Jésus en Galilée.
46. Jésus parle en paraboles.
(Matth.
XIII ;Marc
IV ;Luc
VIII.)
Le coeur de Jésus est rempli d'une profonde
douleur, en voyant le peuple accourir à lui en
foule, sans avoir connaissance de ses péchés, sans
éprouver aucun besoin de salut. Ils ne veulent pas
comprendre les choses qui appartiennent à leur paix;
ils ne demandent que des miracles. Ils écoutent
volontiers la parole du Seigneur, mais non comme un
appel adressé aux consciences endormies. Elle n'est
pour eux qu'une matière d'agréables entretiens. Il
en est de même aujourd'hui : le monde, en s'occupant
des choses religieuses, n'entend nullement se
convertir à Jésus, ni croître dans la foi en lui,
mais seulement y trouver un intéressant et spirituel
passe-temps.
Il fallait que le Seigneur travaillât
contre de pareilles dispositions. Il ne pouvait pas
garder un silence absolu, à cause de ceux qui
avaient réellement faim et soif de justice, et qu'il
ne voulait pas priver de toute nourriture
spirituelle. Voilà pourquoi il adopte un mode
d'enseignement dont le contenu divin était
communiqué aux âmes altérées de salut, tandis qu'il
était caché aux coeurs rassasiés et satisfaits de
leur propre justice : il ne parlait plus devant le
peuple qu'en paraboles. Elles avaient un double but
; elles devaient voiler la vérité divine aux
incrédules et ladévoiler aux croyants. Les
mystères de Dieu y sont exposés sous des images
tirées tantôt de la nature, tantôt de la vie
ordinaire. Ces comparaisons des vérités célestes
avec leurs occupations de tous les jours, en
facilitaient l'intelligence aux disciples. Elles
avaient aussi pour effet de provoquer leurs
réflexions, de leur rendre l'enseignement plus
clair, et de le graver plus profondément dans leur
mémoire. Quantà ceux qui n'avaient aucun goût pour
la vérité, les paraboles devaient la leur dérober
complètement.
Les disciples remarquèrent immédiatement
que le Sauveur avait adopté un nouveau mode
d'enseignement, et ils lui demandèrent pourquoi il
s'exprimait en paraboles.
Il vous est donné, leur dit-il, de connaître le
mystère du royaume des cieux ; mais cela ne leur est
point donné. Car on donnera à celui qui a déjà, et
il aura, encore davantage ; mais pour celui qui n'a
pas, on lui ôtera même ce qu'il a.
L'Écriture appelle mystère, tout ce que l'homme ne
peut pas connaître au moyen de son intelligence,
mais seulement par révélation.
Jusqu'alors les discours de Jésus avaient
opéré, une scission parmi ses auditeurs. Les uns,
comme les disciples, allaient à lui dans le
sentiment de leur indignité et en éprouvant le
besoin du salut. À ceux-là, en vertu de la
bienveillance paternelle de Dieu, il était donné de
pénétrer plus profondément dans la connaissance de
la vérité divine. Les autres méprisaient les
conseils de Dieu, et refusaient d'aller à Jésus,
malgré ses invitations réitérées. C'est pourquoi il
leur cachait le mystère du royaume des cieux sous le
voile de la parabole. Jésus ne voulait pas donner
les choses saintes aux chiens, ni jeter ses perles
devant les pourceaux. Mais il ne voulait pas
permettre non plus que l'habitude d'entendre la
Parole de Dieu les rendit insensibles intérieurement
à la sévérité et à la bonté de Dieu dont cette
Parole rend témoignage.
C'est par une sorte de jugement, que
Jésus cache sa personne et son règne aux incrédules
sous le voile de la parabole. Cependant, même dans
ce jugement, il y avait encore un reste de grâce
pour eux. Car jusqu'à sa mort sur la croix, le
Seigneur ne s'était pas entièrement dérobé à la vue
du peuple. Il ne lui avait pas complètement retiré
sa personne et sa parole, comme il le fit après sa
résurrection. Et si un pécheur non repentant eût été
excité par la forme parabolique de l'enseignement de
Jésus, à venir à lui et à lui dire : « Seigneur, je
ne comprends pas ton discours et je voudrais bien le
comprendre » il eût certainement été donné à cet
homme de connaître le mystère du royaume des cieux.
On donnera à celui dont le coeur est avide de Dieu
et disposé à l'obéissance de la foi, afin qu'il ait
encore davantage. Le serviteur impitoyable, dont
parle l'Évangile (Matth.
XVIII, 23-35), avait obtenu du roi
l'acquittement de toute sa dette ; mais il ne
s'était pas véritablement approprié intérieurement
cette grâce ; elle resta pour lui quelque chose
d'extérieur, qui n'eut aucune action sur son
sentiment ni sur sa conduite envers son prochain.
C'est pourquoi, ce qu'il avait lui fut ôté.
Pareillement, quiconque garde la parole de Dieu dans
sa mémoire, mais ne lui permet pas de diriger toute
sa vie intérieure et extérieure, ce qu'il ne possède
qu'extérieurement lui sera ôté. En revanche, le
moindre don de la grâce, s'il est bien employé, sera
augmenté et multiplié. Dieu donne abondamment sans
rien reprocher ; il donne richement à celui qui
désire ardemment posséder.
C'est à cause de
cela que je leur parle en similitudes ; pour qu'en
voyant ils ne voient point et qu'en entendant ils
entendent et ne comprennent point. Ainsi s'accomplit
en eux la prophétie d'Ésaïe, qui dit : Vous
entendrez de vos oreilles et vous ne comprendrez
point ; vous verrez de vos yeux et vous n'apercevrez
point. Car le coeur de ce peuple est appesanti ; ils
ont ouï dur de leurs oreilles ; ils ont fermé leurs
yeux, afin qu'ils n'aperçoivent point de leurs yeux,
qu'ils n'entendent pas de leurs oreilles, qu'ils ne
comprennent pas du coeur. qu'ils ne se convertissent
pas et que je ne les guérisse pas. Ce
peuple avide de miracles, voyait le Seigneur de très
près. Ils le voyaient, mais son aspect ne leur
plaisait pas. Ils n'avaient pas les yeux de St-Jean.
Jésus leur révélait son autorité divine, mais leurs
yeux ne la distinguaient pas. Il prononçait à leurs
oreilles les paroles de la vie éternelle, mais ils
ne percevaient que le son de ces paroles, et le
Sauveur en était réduit à proférer cette plainte : «
Pourquoi ne comprenez-vous point mon langage ? C'est
que vous ne pouvez écouter ma parole. » L'obstacle
se trouvait dans leurs coeurs endurcis. Cet
endurcissement était un juste jugement de Dieu sur
ces hommes, qui avaient à leur disposition les
paroles de la grâce, mais qui n'en faisaient pas
l'usage en vue duquel elles leur avaient été
données.
D'abord l'homme s'endurcit lui-même, par
un mépris criminel de la grâce, puis Dieu, pour lui
infliger la juste punition de ce mépris, l'endurcit
à son tour. C'est un dangereux état d'âme que celui
d'un homme qui s'occupe beaucoup de la Parole de
Dieu, sans lui obéir. Car, par cecommerce purement
extérieur avec cette Parole, le coeur s'émousse et
devient insensible à ses traits. Tel n'était pas le
cas des disciples, car le Seigneur leur dit :
Mais pour vous, vous êtes
heureux d'avoir des yeux qui voient et des oreilles
qui entendent. Car je vous dis que plusieurs
prophètes et plusieurs justes ont désiré de voir les
choses que vous voyez et ne les ont point vues, et
d'entendre les choses que vous entendez et ne les
ont point entendues. Les yeux des
disciples sont heureux, car ils voient combien le
Seigneur est bon ; leurs oreilles sont heureuses,
car en entendant l'Évangile de Christ, leur coeur
peut dire avec une sainte joie :« Cette bonne
nouvelle est aussi pour moi »
a) La parabole du Semeur.
Par cette parabole, le Seigneur veut indiquer les
causes des différences dans l'action que la Parole
divine exerce sur les coeurs. Cette parole,
parfaitement une et toujours identique à elle-même,
est annoncée à tous. Tous l'entendent également, et
cependant elle est aux uns une odeur de vie et aux
autres une odeur de mort. Les uns sont éclairés et
consolés par elle, tandis que les autres sont
repoussés et endurcis. La raison de cette différence
provient des différentes dispositions des coeurs.
Lorsque le soleil, de ses rayons brûlants, amollit
la cire et durcit l'argile, la différence entre ces
deux actions ne provient pas du soleil, qui est
toujours le même, mais de la différence entre la
nature de la cire et celle de l'argile.
Un semeur sortit
pour semer. La semence, c'est l'Évangile
de Christ. Cette divine Parole, pleine de force et
de vie, diffère de la parole de l'homme comme la
semence qui renferme un germe vivant, propre à
croître et à se développer, diffère du grain de
semence artificiellement formé d'un morceau de pâte
cuite. Celui-ci ressemble parfaitement au bon grain,
mais il ne renferme aucun germe de vie. La semence
répandue par le semeur est pleine de la vertu
vivifiante du Saint-Esprit, et se nomme pour cette
raison la semence régénératrice, selon cette parole
de saint Pierre (1
Pierre I, 23) : Étant
régénérés non par une semence corruptible, mais par
une semence incorruptible, par la Parole de Dieu,
qui vit et demeure éternellement. Le
Saint-Esprit agit par la Parole de Dieu,mais non
d'une manière irrésistible. Il est humiliant pour
nous de voir, par notre parabole, que la Parole de
Dieu ne trouve un sol favorable que chez un si petit
nombre de personnes. Sur l'ordre du divin semeur,
les pasteurs, les instituteurs, les missionnaires.
s'en vont et sèment la Parole dans les coeurs. De
même, lorsque les pères et mères de famille élèvent
leurs enfants en les exhortant selon le Seigneur ;
ils sont aussi les semeurs du Seigneur Jésus.
Et comme il
semait, une partie de la semence tomba le long du
chemin, et les oiseaux des cieux vinrent et la
mangèrent toute. - Ceux qui reçoivent la Parole le
long du chemin, ce sont ceux qui l'écoutent ; mais
le diable vient, qui ôte la Parole de leur coeur, de
peur qu'en croyant ils ne soient sauvés.
En parlant du chemin, le Seigneur ne pouvait guère
avoir en vue une grande route, car on n'y répand
jamais de semence. Il est probablement question d'un
de ces sentiers qui traversent les champs cultivés
et qu'on prend pour abréger sa route. Naturellement
il tombe aussi, pendant les semailles, beaucoup de
graine dans ces endroits foulés par les passants.
Elle ne peut pas y croître parce qu'elle ne peut pas
pénétrer dans ce sol durci. L'attachement aux choses
de la terre, l'indifférence, la propre justice
endurcissent le coeur, et la Parole de Dieu ne
saurait y prendre racine ni s'y développer. Les
oiseaux du ciel, c'est-à-dire le diable vient et
enlève la Parole, afin que les hommes. ne puissent
pas croire pour être sauvés.
Ce ne sont pas seulement des oiseaux de
proie qui mangent cette semence, ce sont aussi
d'aimables oiseaux chanteurs, au ramage harmonieux,
au plumage éclatant. Divertissements mondains,
fréquentations de sociétés incrédules, lectures de
livres ou de journaux mis au service des adversaires
de la foi, autant de moyens dont le diable se sert
pour ravir au coeur la Parole qu'il avait entendue.
Il faut donc éprouver avec une grande attention les
gens que nous fréquentons. S'ils veulent nous
inspirer des doutes sur notre foi, s'ils nous
parlent des commandements de Dieu comme le serpent
en parla à Eve : « Quoi ! Dieu aurait-il dit ? »(Genèse
III, 1) sachons que Satan veut nous tromper et
nous empêcher de croire pour être sauvés.
Et l'autre
partie tomba dans des endroits pierreux, où elle
n'avait que peu de terre, et elle leva aussitôt,
parce qu'elle n'entrait pas profondément dans la
terre ; mais le soleil, étant levé, parce qu'elle
n'avait point de racines, elle sécha. - Ceux qui la
reçoivent dans des lieux pierreux, ce sont ceux qui,
ayant ouï la Parole, la reçoivent avec joie, mais
ils n'ont point de racines en eux-mêmes et ne
croient que pour un temps, et quand la tentation
survient, ils se retirent. Ce sont les
coeurs facilement impressionnables qui sont saisis
par la puissance bienfaisante de la Parole de Dieu,
qui sont touchés jusqu'aux larmes par l'amour de
Jésus, qui prennent de bonnes résolutions ; mais
l'exaltation du sentiment religieux passe vite. La
semence n'avait pas pénétré profondément ; elle
n'avait pas atteint la volonté. On croyait que la
foi apporterait une paix inaltérable, une joie
constante et un bonheur sans mélange. Et l'on est
surpris de trouver aussi des souffrances dans la
société de Jésus, de ne pouvoir le suivre qu'en
portant sa croix. On avait espéré des jouissances,
et l'on n'est pas préparé aux afflictions et à
l'opprobre de Christ. Ainsi l'on est déçu et l'on se
retire.
L'autre partie
tomba parmi les épines, et les épines crurent et
l'étouffèrent. - Ce qui est tombé parmi les épines,
ce sont ceux qui ont entendu la Parole ; mais qui,
s'en allant. la laissent étouffer par les
inquiétudes, par les richesses et par les voluptés
de cette vie, de sorte qu'ils ne portent point de
fruit qui vienne à maturité. Cette partie
de la semence tombe dans une bonne terre, mais cette
terre n'est pas préparée. La Parole de Dieu vivifie
le coeur et lui donne la force de renoncer à tout ;
car elle lui montre sa corruption et le convainc que
Christ seul peut le sauver. Mais, comme dans la
conquête du pays de Canaan, il restait toujours
quelques Cananéens qui n'étaient pas exterminés, de
même il reste dans le nouveau croyant beaucoup
d'éléments du vieil homme, des passions, de
mauvaises convoitises, qui n'ont pas été noyées dans
le sang de Christ. Ce sont les péchés favoris qui
n'ont pas été combattus, qui croissent avec la bonne
semence et finissent par étouffer complètement le
germe de la nouvelle créature. Ce qui manque, c'est
une vigilance continuelle, un combat ; c'est un oeil
invariablement fixé sur Jésus, et que rien d'autre
ne peut captiver. C'est la sanctification, qui doit
nécessairement suivre la vraie conversion. On
nedemande pas mieux que de posséder et de conserver
Christ, mais on ne veut pas renoncer au monde. Pour
ces âmes, les larmes de la dévotion et les
jouissances sensuelles sont proches parentes. Mais
quiconque ne veut servir Jésus que d'un coeur
partagé, devient infailliblement la proie du monde.
Si le chemin battu représente ceux qui se
tiennent loin du Seigneur, si les lieux pierreux
figurent les nouveaux convertis, les épines sont
l'image de ces chrétiens qui ont maintes fois
expérimenté la puissance de la grâce, mais qui
ensuite ont refusé d'obéir aux impulsions de
l'Esprit. Si nous considérons que Démas, qui a
abandonné Paul par amour pour ce présent siècle (2
Tim. IV, 16), que Judas qui trahit le Sauveur,
sont du nombre de ceux chez qui les épines des
richesses et des voluptés étouffèrent la bonne
semence, nous nous sentirons pressés de nous écrier
: Père céleste, garde-nous d'un tel malheur !
Et l'autre
partie tomba dans une bonne terre ; et étant levée,
elle produisit du fruit : un grain en rapporta cent,
un autre soixante et un autre trente. Celui qui a
reçu la semence dans une bonne terre, c'est celui
qui entend la Parole, qui la comprend, et qui porte
du fruit, de sorte qu'un grain en produit cent, un
autre soixante et un autre trente. Qui
donc a un coeur semblable à un bon terroir ?
Personne par nature. Mais tous ceux dont le coeur
ressemble à un chemin battu, à un endroit pierreux,
à un terrain couvert d'épines, doivent et peuvent,
par le travail de la grâce et du Saint-Esprit,
devenir une bonne terre. Ceux-là sont un sol
favorable qui se laissent réveiller, briser,
purifier par la Parole de Dieu, qui l'acceptent, la
conservent et mènent désormais une vie conforme à
ses prescriptions. Cette Parole, lorsqu'elle est
reçue, rend elle-même le coeur, profond, tendre
etpur.
Mais la disposition essentielle pour
porter des fruits, c'est la patience. Cependant il
ne faut pas que les paresseux se couvrent de cette
vertu comme de feuilles de figuier, lorsqu'ils
passent deux, cinq, dix ans, sans qu'il s'opère
aucun changement en eux, et que leur coeur et leur
vie demeurent exactement tels qu'ils étaient
auparavant. D'un autre côté, le fruit ne mûrit pas
en une nuit. Il mûrit lentement. On ne remarque pas
sa croissance d'un jour à l'autre.
Toutefois, après des mois, des années, on
doit pouvoir constater des progrès dans la
sanctification. Il faut que la puissance du péché
soit brisée, que la joie de la prière et l'amour
pour la Parole de Dieu augmentent, que la communion
avec Jésus devienne plus profonde, plus chaude, plus
fidèle. Porter des fruits, c'est croître dans
l'homme intérieur au moyen de la Parole. Mais la
chose essentielle, c'est la communion avec Jésus, la
croissance du nouvel homme jusqu'à la stature
parfaite de Christ ! (Ephés.
IV, 13). Qui est suffisant pour ces choses ?
Personne par ses propres forces. La Parole seule
peut nous rendre capables de les faire, car c'est la
Parole de Celui qui nous a fait la promesse d'ôter
de notre chair notre coeur de pierre et de nous
donner un coeur de chair (Ezéch.
XI, 19).
Si, à la lumière de notre parabole, nous
jetons encore un coup d'oeil sur les fruits qu'a
portés jusqu'ici l'activité de Jésus, nous pouvons
avoir une idée de la douleur qui remplissait son âme
en trouvant tant de chemins battus, tant de sols
pierreux, tant de terrains couverts d'épines parmi
le peuple, et si peu de coeurs, brisés et disposés à
recevoir la Parole avec une véritable soif de salut.
Mais aussi nous adorons l'infatigable amour,
l'inaltérable patience, l'insondable grâce avec
lesquels, malgré tant de pénibles expériences, il
semait toujours de nouveau. Il ne désespère jamais.
Cette patience du Seigneur est aussi une consolation
pour nous : c'est notre salut.
b) La parabole de l'ivraie du champ.
(Matth. XIII, 24-30 ;36-47.)
Jésus leur proposa une
autre similitude en disant : Le royaume des cieux
est semblable à un homme qui avait semé une bonne
semence dans son champ. Mais pendant que les hommes
dormaient, son ennemi vint, qui sema de l'ivraie
parmi le blé et s'en alla. Et après que la semence
eut poussé et qu'elle eut produit du fruit, l'ivraie
parut aussi. Alors les serviteurs du père de famille
lui vinrent dire : Seigneur, n'as-tu pas semé de
bonne semence dans ton champ ? D'où vient donc,
qu'il y a de l'ivraie ? Et il leur dit : C'est'
l'ennemi qui a fait cela. Les serviteurs lui
répondirent : Veux-tu, que nous allions l'arracher ?
Et il leur dit : Non, de peur qu'il n'arrive qu'en
arrachant l'ivraie, vous ne déraciniez le bon grain
en même temps. Laissez-les croître les deux
ensemble, jusqu'à la moisson, et je dirai aux
moissonneurs - Arrachez d'abord l'ivraie et liez-la
en faisceaux pour la brûler, mais rassemblez le
froment dam mon grenier. La parabole du
semeur nous montre le royaume des cieux
s'établissant et se développant dans les individus.
Celle de l'ivraie semée parmi le blé, met sous nos
yeux la fondation et l'épanouissement de ce royaume
au milieu des peuples. La première est la parabole
des âmes isolées, et fait connaître l'attitude que
chacune d'elles prend vis-à-vis du règne de Dieu. La
seconde est la parabole de l'Église et nous montre
comment cette institution existe dans le monde. Si
par la première, nous voyons quelle quantité de bon
grain se perd dans les mauvais terrains, nous
découvrons dans la seconde un autre obstacle au
développement de la bonne semence, c'est-à-dire le
mauvais semeur.
C'est le Fils de
l'homme qui répand la bonne semence. Le champ c'est
le monde. Dans le Paradis, la terre et le
coeur de l'homme étaient le champ de Dieu. Car la
jalousie de Satan, le péché et la mort entrèrent
dans le monde et dévastèrent ce champ. Le coeur de
l'homme, lui aussi, produisit des ronces et des
épines, qui réjouirent le méchant ennemi. Vint alors
le Fils de l'homme qui reprit possession du monde
comme étant son champ, et y répandit la bonne
semence. Cette bonne
semence sont les enfants du royaume, les
enfants de la lumière, que Dieu a renouvelés à son
image, par la puissance du sang rédempteur.
L'ivraie sont les enfants du
malin. L'ennemi qui l'a semée, c'est le diable.
Dans tous les temps, les hommes ont fait des
recherches sur l'origine du mal. Il ne saurait venir
de Dieu, autrement Dieu serait méchant et ne
pourrait pas être Dieu. Le mal ne peut pas non plus
venir de l'homme, car l'homme était bon, ayant été
créé à l'image de Dieu. Il ne peut pas s'être
produit lui-même, car rien ne naît de soi-même.
Ainsi les hommes se trouvaient en face d'un problème
dont la solution leur échappait complètement. Le mal
est là, les querelles, le mensonge, le vol, le
meurtre, l'adultère et toutes sortes de perversités
et d'infamies remplissent la terre. Mais d'où tout
cela est-il venu ? Le Fils de l'homme nous l'a
révélé : C'est l'ennemi qui
a fait cela,c'est-à-dire le diable qui,
au moyen du poison de sa méchanceté, rend les hommes
ennemis de Dieu.
Mais les disciples se trouvaient encore
en face d'un autre problème. Ils avaient espéré que
le royaume des cieux serait un champ où il ne
croîtrait que du bon grain, qu'il se composerait
d'une société formée uniquement de croyants, et
qu'ainsi. avec l'apparition de ce règne, les
méchants seraient jugés et anéantis. Et maintenant
ils apprennent que dans ce royaume il se trouvera
toujours de l'ivraie parmi le bon grain. Comment
cela est-il possible, puisque ce champ n'a été
ensemencé que de bonne semence, et si abondamment
qu'il en a été complètement couvert ? D'où vient
l'ivraie ?C'est l'ennemi
qui a fait cela.
Les serviteurs voudraient bien nettoyer
le champ. Ils disent au maître .
Veux-tu que nous allions
arracher l'ivraie ? Ils pensent que si
c'est la semence du diable, il n'y a rien autre à
faire qu'à l'extirper. Le voeu, que les méchants,
qui retardent l'avènement du règne de Dieu, soient
supprimés, nous paraît provenir d'un saint zèle.
Mais le maître du champ dit :
Non, de peur qu'en arrachant
l'ivraie, vous ne déraciniez le froment en même
temps. Laissez-les tous deux croître jusqu'à la
moisson.Il faut que l'ivraie croisse
aussi. L'incrédulité ne doit pas être arrêtée à
moitié chemin par le jugement. Il faut qu'elle se
développe complètement, qu'elle mûrisse ; et alors
seulement elle sera jugée. De même la croissance du
bon grain ne doit pas être retardée par
l'extirpation de l'ivraie. Les enfants de Dieu, par
leur contact avec leurs adversaires, sont exercés à
confesser leur foi, à supporter les incrédules, à
prier continuellement pour eux, et dans les temps de
persécution, leur fermeté est mise à une salutaire
épreuve. Maint incrédule a déjà été amené à la foi
par les prières et le patient amour des croyants.
Mais les enfants du royaume ne subiraient
pas seulement du dommage par l'extirpation des
ennemis. Le maître du champ parle ici de l'ivraie,
c'est-à-dire d'une plante qui, pendant sa
croissance, offre une grande ressemblance avec le
froment. Là où Dieu construit une église, le diable
bâtit immédiatement une chapelle à côté. Ainsi il
serait impossible de ne pas arracher le froment en
arrachant l'ivraie. La mauvaise semence du péché se
trouve dans tout coeur d'homme, par conséquent aussi
dans celui des croyants. Le péché reste toujours
attaché à nos âmes et nous rend tous plus ou moins
paresseux pour le bien. Ainsi, en ne regardant qu'au
péché, il nous serait difficile, impossible même, de
tracer une ligne de démarcation entre le croyant et
le non croyant. Mais dans le royaume de Dieu, où le
sceptre appartient à la grâce, la gravité du péché
n'est pas la mesure du jugement.
« Quand vos péchés seraient rouges comme
le vermillon, ils seront blanchis comme la neige (Ésaïe
I, 18). » Ce n'est pas seulement à cause du
péché que nous sommes enfants de colère ; mais à
cause de l'amour du péché ; c'est parce que
nous aimons mieux les ténèbres que la lumière, et
que nous méprisons les appels de la grâce. Mais ces
dispositions échappent à l'oeil oblitéré de l'homme,
et ne sont visibles que pour celui qui sonde les
coeurs.
Du reste, le mélange des enfants de Dieu
et des enfants de colère, supporté par Dieu, ne
durera pas éternellement. Le terme, c'est-à-dire la
fin de l'ordre de choses actuel viendra.Le
Fils de l'homme enverra ses anges qui ôteront de son
royaume tous les scandales et ceux qui font
l'iniquité, et ils les jetteront dans la fournaise
ardente. C'est là qu'il y aura des pleurs et des
grincements de dents. Alors les justes luiront comme
le soleil dans le royaume de leur Père. Que celui
qui a des oreilles pour ouïr, entende !
La séparation est opérée par les anges, au
commandement de Christ, le Seigneur de la moisson.
Ils rassembleront l'ivraie et la lieront en
faisceaux. Ceux qui, pendant le temps de grâce n'ont
pas voulu se laisser éclairer et réchauffer par le
feu de l'amour divin, seront consumés éternellement
par le feu de la colère divine. Ils seront obligés
de convenir dans l'éternité, les uns en pleurant,
les autres en grinçant des dents, que Jésus les
avait bien jugés lorsqu'il avait dit : Vous
n'avez pas voulu ! Ceux qui sur la terre étaient
si satisfaits de marcher continuellement avec la
majorité, subiront par une juste punition, le
tourment de la société des méchants, car ils seront
réunis et liés ensemble, de manière à
accroître mutuellement leurs souffrances. En
revanche les croyants, qui ont été lavés dans le
sang de Christ, et revêtus de sa justice, seront
aussi rassemblés dans les greniers célestes, et ils
luiront comme le soleil dans le royaume de leur
Père. Il n'y aura parmi eux ni souffrances ni cris,
Une sainte joie et un chant d'allégresse et de
louanges remplira leur coeur et retentira dans les
tabernacles éternels.
c) Parabole de la semence qui se
développe spontanément.
(Marc
IV, 26-29.)
En parlant de l'homme qui répand la semence dans
le champ, ce n'est pas lui-même que le Sauveur avait
en vue. C'étaient ses serviteurs qu'il avait chargés
de prêcher sa Parole. Car lui qui sonde les coeurs,
il n'aurait pas pu dire qu'il ne sait pas comment la
semence croit (v.
27). Cette parabole nous montre le développement
silencieux, caché, progressif du royaume des cieux
au moyen de la Parole.
Il y a dans cette semence une force
propre, énergique et indépendante, qui produit la
croissance sans le secours de l'homme. Les
serviteurs peuvent semer, planter, arroser ; mais
c'est Dieu qui a déposé dans la semence la vie en
vertu de laquelle elle croit et porte du fruit. La
croissance mystérieuse de la semence dans le sein de
la terre échappe à l'oeil de l'homme. Des enfants
peuvent bien fouiller avec impatience les grains
répandus, pour voir les progrès qu'ils ont faits et
s'ils ont jeté des racines ; mais cette opération ne
fait qu'en retarder le développement. Toute
semaille, aussi bien celle de la Parole de Dieu que
les autres, se fait dans, l'espérance. C'est un
excellent exercice de patience et de foi, puisque
dans ces conditions, il est impossible de voir.
Combien d'années les missionnaires
moraves, Christian David et le frère Stach,
n'ont-ils pas semé au Groënland, sans voir aucune
trace de croissance de la semence qu'ils
répandaient, jusqu'à ce qu'enfin, en 1738, Kajarnack
fut réveillé ! Lorsque les serviteurs du Père
céleste jettent leur semence en priant avec foi, ils
peuvent compter sur la force divine du Père, qui
agira dans les coeurs, même s'ils n'en aperçoivent
rien sur la terre. Souvent la Parole de Dieu semée
dans la chambre d'enfants, à l'école, à
l'instruction religieuse, du haut de la chaire,
opère dix, vingt ans plus tard, sous le poids de la
tentation. Souvent la semence qu'un serviteur a
répandue, germe seulement lorsqu'il est depuis
longtemps dans un autre champ de travail, peut-être
même lorsqu'il est déjà entré dans le repos réservé
au peuple de Dieu.
Un pasteur raconte le trait suivant : Un
danseur de corde vint le trouver, fatigué et
misérable. Il avait passé de longues années dans la
voiture organisée pour sa profession et avait mené
la vie d'un impie. Il tomba malade, saisit le salut
qui est en Jésus-Christ, et mourut dans son chariot,
croyant et heureux. Le pasteur avait souvent visité
cet homme et s'était étonné de l'entendre raconter
comment, dans sa vie déréglée, il s'était souvenu
des paroles bibliques qu'il avait entendues à
l'école et à son instruction religieuse. Elles ne
lui avaient laissé aucun repos, et avaient préparé
le grand changement qui s'était opéré en lui à la
fin de sa vie. Ainsi la semence avait crû à l'insu
de celui qui l'avait répandue.
L'auteur de ces pages peut citer un fait
analogue tiré de sa propre expérience. J'étais âgé
de douze ans, lorsqu'un grain de la divine semence
tomba dans mon coeur. Il y fut déposé par le pieux
Boettcher, instituteur à P., qui consolait mon père
devenu aveugle. C'était ce verset du Psaume
XXIlle :« Même quand je marcherais par la vallée
de l'ombre de la mort, je ne craindrais aucun mal,
car tu es avec moi, c'est ton bâton et ta houlette
qui me consolent. » J'entendis cette parole, sans
avoir la pensée que c'était un grain de la semence
divine. Bien souvent depuis, j'eus l'occasion de la
répéter à mon bien-aimé père, profondément courbé
sous le poids de la croix, et chaque fois j'étais
étonné de la puissance de consolation que ces mots
exerçaient sur son coeur accablé de soucis.
Plus tard, dans les années de ma
jeunesse, ce verset devint de plus en plus vivant
dans mon propre coeur, et semblable à un ange de
Dieu, me préserva de dangereux égarements. Lorsque,
dans la suite, je fis sur moi-même l'expérience de
son efficacité, je compris de quel secours cette
merveilleuse parole avait été pour moi. Ce fut
seulement dix ans plus tard, lorsque le Sauveur
crucifié étendit vers moi sa main percée et m'attira
à lui, que, lisant diligemment les Écritures, je
retrouvai cette parole dans le Psaume
XXIIIe. Sans que le cher B. s'en doutât, son
grain de semence avait germé dans mon coeur. Et je
me réjouis de le revoir devant le trône de la grâce,
afin de le remercier pour son travail de semeur.
La semence se développe progressivement,
lentement. Car la terre
produit d'elle-même premièrement l'herbe, ensuite
l'épi et puis le grain tout formé dans l'épi.
D'abord la semence de la nouvelle naissance produit
lesenfants de Dieu. Ces enfants se fortifient
de plus en plus et deviennent des jeunes gens,
dans lesquels la Parole de Dieu demeure et qui
vainquent le malin. Ces jeunes gens mûrissent et
parviennent à l'état d'hommes faits, de pèresen
Christ, qui ont connu Celui qui est dès le
commencement (1
Jean II, 12-14). Seulement maint brin d'herbe
croit tout au plus jusqu'à ce que l'épi commence à
se former, et alors vient la rouille qui le détruit.
Puis vient la grande faucheuse, la mort, qui emporte
croyants et incrédules, ceux qui ont porté des
fruits mûrs et ceux qui n'ont produit que de
l'herbe.
d) La parabole du grain de moutarde.
(Matth.
XIII, 31. 32.)
Cette parabole s'applique seulement à la semence
de moutarde telle qu'elle croit en Orient, où elle
atteint une hauteur de plus de trois mètres, et non
à celle de nos climats. Le Seigneur enseigne que le
royaume des cieux, dont les commencements sont très
humbles, est destiné à devenir une puissance qui
embrasse le monde entier. Lorsque Dieu se fit homme
et reposa dans une crèche, c'était le grain de
moutarde déposé dans la terre. Toutefois, alors
déjà, la joie destinée à tout le peuple, la
paix promise à la terre, faisaient pressentir
l'arbre qui devait sortir de ce grain de moutarde.
Le fait que Jésus a toujours borné son activité aux
limites de sa patrie terrestre, était sans doute un
scandale pour ce peuple qui rêvait la domination
universelle. Mais il savait, lui, que le Père lui
avait donné pour héritage les nations, et pour sa
possession les bouts de la terre (Ps.
II, 8). Le règne de Dieu est destiné à embrasser
tous les peuples du monde. L'arbre porte des
feuilles et des fleurs qui lui appartiennent en
propre. Mais les oiseaux des cieux y viennent et
font leur nid dans ses branches. Ces oiseaux
n'appartiennent pas à l'arbre. Ils viennent, en
qualité d'hôtes, se réjouir de cette verte demeure
aérienne, puis s'envolent.
La bénédiction du royaume des cieux n'est
pas seulement le partage des enfants de Dieu ; ceux
qui lui sont intérieurement étrangers, et qui n'ont
pas son esprit, jouissent néanmoins de la culture et
de la douceur des moeurs qui croissent sur son sol.
Il y a cette différence entre notre
parabole et celle du levain, que dans celle-ci le
levain, en pénétrant la pâte, perd sa forme pour en
revêtir une nouvelle, qu'il prend dans le moule où
il a été introduit ; tandis que la parabole du grain
de moutarde nous montre que le royaume des cieux, en
se répandant parmi les peuples de la terre, conserve
sa physionomie particulière. C'est une indication
que ce royaume, en remplissant sa mission de faire
l'éducation des hommes, revêt la forme d'un
organisme spécial, qui n'est autre quel'Église.
Tout ce qu'il y a de grand dans la sphère du divin,
a eu de tout temps un commencement semblable au
grain de moutarde. C'est ce qui fait éclater la
gloire de Dieu : faire quelque chose de rien,
élever ce qui est abaissé et abaisser ce qui est
élevé. Nous avons donc les meilleures raisons de
nous défier de ce qui est grand dès le commencement,
car cette grandeur porte l'empreinte des hommes et
non celle de Dieu. |