LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE II
L'activité publique de
Jésus.
B. L'activité de Jésus en Galilée.
28. Le Sermon sur la montagne.
(Matthieu
V-VI-VII.)
Le sermon sur la montagne ne met pas sous nos
yeux la loi de Dieu aggravée et renforcée, comme la
condition à remplir pour entrer dans le royaume des
cieux. Il nous montre les devoirs imposés à ceux qui
sont déjà membres de ce royaume. Le proverbe «
Noblesse oblige », a une signification plus juste
dans le royaume des cieux que dans le monde. La plus
haute noblesse sont les enfants de Dieu, qui sont le
sel de la terre et la lumière du monde. Voilà
pourquoi le sermon sur la montagne commence par nous
parler de la félicité et de la gloire des enfants de
Dieu. Les béatitudes sont leurs lettres de noblesse.
Ces paroles sont adressées aux disciples, mais de
manière cependant à être entendues par le peuple.
a) Les béatitudes.
Heureux les pauvres en
esprit, car le royaume des cieux est à eux !
Heureux ! Quelle douce introduction ! Ce n'est pas
une nouvelle loi, ni une nouvelle exigence, c'est un
message venant du coeur de Celui qui s'appelle
Jésus, c'est-à-dire Sauveur. Et cependant, si
aimables, si suaves que soient les béatitudes, elles
n'en ont pas moins un effet puissant, parce qu'elles
sont diamétralement opposées à l'esprit et à la
manière de voir du monde. Celui qui ne saurait pas
encore que le christianisme est en scandale au
monde, pourrait l'apprendre ici. On peut comprendre
comment un vieux couple catholique fut si fort ému
par ces suaves paroles. Le mari avait acheté chez un
bouquiniste un Nouveau Testament sans avoir l'idée
que ce livre fût la Parole de Dieu. « C'est un si
beau livre ! » lui avait-on dit. Ils le lisaient un
soir d'hiver. Quand le mari eut achevé les
béatitudes, il devint pensif, lut une seconde et une
troisième fois, et, courbant la tète, il revenait
sans cesse à ces mots, dont il ne pouvait détacher
les yeux. À la fin il regarda sa femme et lui dit :
Femme, ou bien ce livre ment, on bien nous n'avons
pas été de vrais chrétiens jusqu'à présent.
C'est qu'il est plus facile à un homme de
distribuer tous ses biens aux pauvres que de devenir
pauvre en esprit. Ceux que le Seigneur appelle
heureux ne sont pas les pauvres en argent on en
biens de la terre ; mais ceux qui ne voient en
eux-mêmes aucun mérite, aucune justice, et qui ne
trouvent dans le monde ni consolation ni paix ; ceux
qui viennent à Dieu avec un coeur pauvre et vide,
afin qu'il le remplisse. Les mendiants spirituels,
voilà les seuls qui soient heureux. Cela semble si
facile et cependant cela coûte tant ! Cela ne coûte
pas moins que le renoncement à soi-même, le
renoncement à l'orgueil naturel. Depuis que l'homme
a ajouté foi aux paroles du père du mensonge : «
Vous serez comme des dieux, connaissant le bien et
le mal »,son coeur n'a plus besoin de lumière sur
les choses de Dieu, il sait tout ; il comprend tout
; il est plein de lui-même, de sa propre sagesse.
Dès lors, le royaume des cieux ne trouve plus aucune
place dans son coeur.
Pauvres en esprit ! Ce sont ceux
qui ne trouvent rien de bon en eux-mêmes et qu'un
tel sentiment tourmente. Si tu es heureux de
posséder la grâce de Dieu, et que cependant tu te
demandes : À quoi dois-je cette faveur ? » Si,
malgré la salutaire action de l'Esprit de Dieu en
toi, tu aspires cependant à la grâce, comme le
brigand sur la croix, c'est là la pauvreté en
esprit. Si lé Seigneur se sert de toi comme
instrument de son amour, s'il te fait expérimenter
qu'il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir,
nourrissant par ton moyen ceux qui ont faim,
désaltérant ceux qui ont soif, vêtant ceux qui sont
nus et consolant les affligés, et que cette conduite
t'attire des louanges, si tu crois véritablement que
tu n'en mérites aucune, parce que ta main gauche
ignore ce que ta droite a fait, c'est la pauvreté en
esprit.
Et les pauvres en esprit sontheureux.
Ils ne doivent pas seulement ledevenir. Ce
sont des vases préparés pour recevoir la grâce du
royaume des cieux, qui comme les eaux terrestres, se
répandent seulement dans les profondeurs. La
pauvreté en esprit est en unmot l'état d'un homme
qui a la conscience d'être un pauvre pécheur,
précisément le contraire du pharisaïsme.
Heureux ceux qui
sont dans l'affliction, car ils seront consolés.
Où sont les hommes qui traversent la vie sans verser
des larmes ? Doivent-ils tous être consolés ? Oui !
qu'ils viennent tous, ces coeurs courbés sous leurs
fardeaux, brisés par la douleur. Qu'ils viennent
tous à Jésus. Il ne met dehors aucun de ceux qui
viennent à Lui. Même si tu ne souffres que de maux
corporels, viens aussi à Jésus, mais viens
véritablement, personnellement. Auprès de lui, ta
douleur sera sanctifiée, en sorte que tu deviendras
accessible à ses consolations.
Cependant ces paroles ne signifient pas
que tous ceux qui ont des afflictions ici-bas
doivent nécessairement être consolés dans
l'éternité. Ceux qui auront souffert ici-bas sans
Jésus, ne seront pas consolés dans la vie future ;
mais ils subiront une peine sans fin. Lorsque le
Seigneur proclame heureux, déjà sur la terre,
ceux qui sont dans l'affliction, il a en vue la
tristesse selon Dieu, qui produit une repentance à
salut dont on ne se repent jamais. La tristesse du
monde qui produit la mort, ne considère que les
conséquences matérielles du péché. La tristesse
selon Dieu est causée par le péché lui-même, non pas
seulement dans quelques-unes de ses manifestations,
mais dans sa source, dans le coeur qui veut toujours
suivre sa propre voie. Cette affliction, qui
contient déjà le salut, est née en Golgotha. Sur la
croix, Jésus te dit :« Voilà ce que j'ai fait pour
toi ; et toi, qu'as-tu fait pour moi ? » Si cette
question te fait baisser les yeux et que tu éprouves
une véritable douleur de ne pas aimer assez Celui
qui t'a tant aimé ; c'est là l'affliction qui rend
heureux. De plus, le Fils de Dieu a apporté sur la
terre la faculté de souffrir pour les péchés des
autres. En voyant l'endurcissement de Jérusalem, il
pleura sur elle ; il a été affligé de l'incrédulité
de ses ennemis, parce qu'ils ne voulaient pas penser
aux choses qui appartiennent à leur paix. Quiconque
a l'Esprit de Jésus connaît par expérience ces
larmes, cette douleur. Il ne juge pas ; il ne
condamne pas le monde à cause de son incrédulité ;
il prie pour lui et porte sa douleur.
Être dans l'affliction et pourtant
être heureux ! L'hommenaturel ne peut pas
comprendre cela. Et cependant, même dans les
souffrances terrestres, il en est une qui ronge le
coeur, et qui ne se conçoit néanmoins pas sans un
certain bonheur mélancolique. C'est lanostalgie.
Quiconque est atteint de ce mal, languit et dépérit
peu à peu. La vue d'une telle souffrance fait pitié.
Toutefois un coeur atteint de nostalgie peut se dire
estimé heureux, comparé, à ces êtres infortunés qui
n'ont point de chez-soi, pas de maison
paternelle, qui n'ont pas un lieu où l'on pense à
eux, où ils soient attendus. Tous ceux-là ignorent
la douleur rongeante de la nostalgie. Combien ne
seraient-ils pas plus heureux s'ils la connaissaient
! Le monde ignore aussi la douleur que causent à
l'homme ses propres péchés et les péchés des autres,
mais cette ignorance ne le rend pas heureux. S'il la
connaissait, il ne serait plus le monde ; il
compterait parmi les enfants de Dieu qui aspirent,
dès ici-bas, à entrer dans la demeure céleste. Celte
béatitude du Seigneur pourrait donc se
traduire ainsi :Heureux ceux qui ont la
nostalgie, car ils verront la maison paternelle !
Heureux les
débonnaires, car ils hériteront la terre.
Ce qui est promis auPsaume
XXXVIle, aux croyants de l'Ancien Testament :
que les débonnaires hériteront la terre, Jésus
l'applique ici aux citoyens du royaume des cieux, et
leur donne l'assurance que ceux qui sont ici-bas
méprisés et opprimés par le monde, remporteront
cependant la victoire. Le coeur des pauvres en
esprit, qui mènent deuil sur leurs péchés, ne se
plaint pas en disant : « En quoi l'ai-je mérité ? »
Il se tait. et se laisse châtier. Nous avons,
disent-ils, ce que nous avons mérité. Un coeur ainsi
disposé s'humilie sous la puissante main de Dieu, et
apprend à dire avec David :
Je le rends grâces, ô Dieu, de
ce que tu m'as fidèlement châtié ! C'est
ainsi que nous recevons avec douceur la Parole qui
est plantée en nous. Même lorsque les hommes nous
font tort et nous offensent, notre coeur demeure
calme et ne s'irrite point. La vraie humilité et
l'affliction supportées de bon coeur, tuent
l'ambition et l'égoïsme, et se manifestent
extérieurement sous les traits de cette débonnaireté
à laquelle l'héritage de la terre est promis. La
promesse de l'héritage a aussi pour objet les biens
à venir. Dans le royaume de la gloire, les
débonnaires hériteront de la nouvelle terre et de
ladomination avec Christ. Tout est à vous le présent
et l'avenir, la terre et le ciel, et ici-bas déjà,
une vie paisible, que l'agitation du monde ne
saurait troubler. Quand
l'Éternel prend plaisir aux voies d'un homme, il
apaise même envers lui ses ennemis. Cela
est vrai, surtout des débonnaires.
Heureux ceux qui
ont faim et soif de justice, car ils seront
rassasiés. Assertions qui paraissent des
contradictions, problèmes qui pour l'esprit mondain,
sont obscurs et insolubles. La faim est un tourment,
la soif est une souffrance pour le coeur humain,
aussi longtemps qu'il n'a pas été brisé par la
repentance. Et ici le Sauveur parle d'une faim et
d'une soif qui portent en elles la félicité ! Tout
coeur d'homme a faim et soif. Le coeur mondain a
soif de biens terrestres, de bien-être, d'honneurs.
Mais on peut dire de ces choses, ce que Jésus disait
à la Samaritaine :« Quiconque boira de cette eau,
aura encore soif. » Ces objets sont incapables
d'étancher la soif du coeur. Ils sont plutôt une eau
salée, qui augmente la soif.
Il arrive à l'incrédule, ce qui arrive à
l'homme qui, ayant faim, rêve qu'il mange, mais
quand il est réveillé, son âme est vide ; et à celui
qui, ayant soif, rêve qu'il boit, mais quand il est
réveillé, il est las et son âme est altérée (Esaïe
XXIX, 8). Après de courts moments d'un
rassasiement illusoire, vient l'indigence éternelle
et la soif inextinguible du mauvais riche. Les
enfants de Dieu ont soif de Dieu, du Dieu vivant
lui-même. Ils aspirent à voir sa face en justice (Ps.
XLII, 3 ). Ils ont faim et soif de l'aliment du
royaume de Dieu qui s'appelle la Justice.
Ils seront
rassasiés. Naturellement il n'est pas
question ici de la satiété du Laodicéen, qui disait
: « Je suis riche, je me suis enrichi et je n'ai
besoin de rien. » Il y a un rafraîchissement
fortifiant, qui n'éteint pas la soif de la communion
d'amour avec le Seigneur, car il demeure toujours
vrai que plus on aime le Sauveur, plus on sent
combien on devrait l'aimer. C'est la bienheureuse
expérience de cette promesse du Seigneur : « Je suis
venu, afin que mes brebis aient la vie et qu'elles
l'aient même avec abondance (Jean
X, 10).
Heureux les
miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Ilconvient de remarquer ici que les béatitudes se
rattachent l'une à l'autre comme les anneaux d'une
chaîne tiennent l'un à l'autre. Chacune ne peut être
bien comprise, que si on l'étudie dans sa liaison
avec l'ensemble. La miséricorde qui est proclamée
bienheureuse n'est pas une disposition du coeur
inconverti. On ne peut la trouver que chez ceux qui
ont obtenu miséricorde, chez les pauvres en esprit ;
chez ceux qui sont affligés ; chez ceux qui ont faim
et soif de justice, et dont la faim et la soif ont
été apaisées par le pardon de leurs péchés. Le coeur
impénitent est égoïste, et, croyant n'avoir besoin
d'aucune grâce, il est froid et indifférent aux
besoins du coeur et de l'âme de son prochain. Tous
les coeurs animés des sentiments de Caïn disent
comme lui : « Suis-je le
gardien de mon frère ? »C'est pourquoi
aussi les sacrificateurs et les anciens d'Israël
repoussèrent durement Judas, qui était dévoré de
remords, en lui disant : «
Que nous importe ? tu y pourvoiras. »
Mais celui à qui il a été beaucoup pardonné, aime
beaucoup et a pitié de ceux qui souffrent. On
n'apprend la miséricorde, qu'auprès de Celui qui,
ému de compassion envers nous, a souffert pour nous
jusqu'à la mort.
Car ils
obtiendront miséricorde. Le serviteur
auquel le Roi du ciel avait remis toute sa dette,
accepta la miséricorde comme une proie ; mais il
n'en fit point bénéficier son compagnon de service.
Il voulait bien jouir de la miséricorde, mais il
refusait de l'exercer. C'est pourquoi la miséricorde
lui fut retirée et le paiement intégral de sa dette,
fut exigé de lui. Mais ceux qui usent de compassion
obtiendront miséricorde dans le temps et dans
l'éternité. La foi égoïste, qui ne cherche la
miséricorde de Dieu que pour elle-même, et qui
refuse de l'exercer envers les autres, est funeste
et sans paix. Mais les miséricordieux obtiennent
déjà dès ici-bas l'effet de la promesse :Si
tu partages ton pain avec celui qui a faim, que tu
fasses venir dans ta maison les étrangers qui sont
errants, et que quand tu vois celui qui est nu, tu
le couvres et que tu ne te caches point de ta propre
chair, alors la lumière éclora comme l'aube du jour,
et la guérison germera incontinent ; la justice ira
devant toi, et la gloire de l'Éternel sera ton
arrière-garde(Ésaïe
LVIII, 7. 8).
Ici se trouve la solution d'un problème
de la vie chrétienne :c'est que beaucoup de croyants
ne jouissent pas d'une véritable paix et ne
parviennent pas à une joie réelle, en sorte qu'ils
n'appartiennent pas à ce
peuple heureux, qui a sujet de jeter des cris de
réjouissance à l'Éternel(Ps.
LXXXIX, 16). Leur foi est une lumière qui est
placée sous le boisseau, et ne projette aucun rayon
de miséricordieux amour. Si leur vie était une
manifestation éclatante de cet amour miséricordieux,
leur lumière éclorait comme l'aurore, et leur coeur
apprendrait à jeter des cris de joie.
Heureux ceux qui
ont le coeur pur, car ils verront Dieu.
C'est là une parole sérieuse, qui a bien
souvent rempli d'inquiétude et d'angoisses le coeur
de chrétiens fidèles. Cependant il est évident que
le Sauveur ne proclame pas heureux le coeur
naturellement pur. car parmi les impurs nul, n'est
pur ; et tous sont obligés de s'écrier
:
Je suis un homme souillé de
lèvres et j'habite parmi un peuple souillé de lèvres(Ésaïe
VI, 5).
Quel chrétien oserait se joindre aux
enfants du monde, qui, lorsque leurs péchés sont
ostensiblement châtiés, se consolent en disant :« Il
y a sans doute des taches dans ma vie, mais mon
coeur est pur. »Erreur ! Non seulement la conduite
est pleine d'impureté ; mais aussi le coeur est
entaché de mauvaises convoitises, d'égoïsme,
d'ambition, sans véritable crainte de Dieu, sans
amour pour le prochain, amateur de vanités.
Le coeur proclamé heureux est donc, non
celui qui serait pur de sa nature, mais celui qui a
été purifié par la grâce de Dieu et par l'action
bien édifiante du Saint-Esprit. C'est le coeur des
pêcheurs reçus en grâce qui ont éprouvé les effets
de la miséricorde divine par le pardon de leurs
péchés, et qui, remplis d'un ardent désir de se
purifier, répètent avec ferveur cette supplication
du Psalmiste :« Oh ! que mes voies soient bien
réglées pour garder tes statuts (Ps.
CXIX, 5) ! »
Cet ardent désir pousse chaque jour l'âme
à rechercher la sanctification, sans laquelle nul ne
verra le Seigneur (Héb.
XII, 14). Mais c'est une douleur journalière
pour tout coeur chrétien, de sentir que, malgré nos
combats, le péché est toujours attaché à nous, nous
rend paresseux pour toute espèce de bien, et que
nous sommes si souvent vaincus par lui. D'un autre
côté, cette connaissance nous entretient dans
l'humilité et nous préserve de l'illusion qui nous
persuaderait que nous avonsdéjà atteint la
perfection. Elle nous force de purifier toujours de
nouveau, par la foi, nos coeurs, dans le sang du
Fils de Dieu.
Oui, heureux
ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu.
Le coeur pur, c'est-à-dire le coeur qui cherche et
trouve chaque jour le pardon de ses péchés dans le
sang de l'Agneau et qui y lave ses vêtements, - le
coeur pur est l'oeil qui contemple Dieu. Chaque
péché non pardonné, rend le coeur aveugle et trouble
la joie de la prière. Le coeur humain, impénitent et
impur, ne voit autour de lui que la poussière de la
terre, et au-dessus de lui que vapeur et brouillard.
Si le coeur est comme la mer agitée, dont les flots
ne jettent que de la vase et du limon, il ne peut ni
contempler ni connaître Dieu, malgré toute sa
science et toute sa connaissance.
Tandis que le coeur purifié par l'amour
de Dieu, devient un miroir qui reçoit les rayons de
la face de Dieu en Jésus-Christ.
Heureux ceux qui
procurent la paix, car ils seront appelés enfants de
Dieu. Lorsque le Seigneur nous console
dans les afflictions que nous causent nos péchés, et
nous fait expérimenter les effets de cette parole :
La paix soit avec vous,
c'est déjà réellement une béatitude. Mais il
y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir. Les
biens du ciel ne nous rendront jamais véritablement
heureux, si nous ne pouvons les communiquer à
d'autres.
La grande joie pour l'enfant de paix,
c'est de pouvoir apporter et établir la paix parmi
les hommes. Là où des coeurs ont été divisés et
irrités par de mauvaises langues, les enfants de
paix répandent leur semence de paix par de bonnes
paroles, et réparent autant que possible le mal qui
a été fait. Mais ils ont mieux à faire que d'amener
les hommes à se supporter les uns les autres avec
douceur. Ils s'efforcent de faire connaître la paix
de Dieu aux coeurs qui en sont privés. C'est là un
saint et bienheureux effort. C'est pourquoi ceux qui
le font sont appelés enfants de Dieu. Ils
sont engendrés par la divine semence de la nouvelle
naissance, une étincelle de la flamme divine. Leurs
divins traits de famille doivent être reconnus déjà
sur la terre, par tous ceux qui ont les yeux sains.
Mais c'est dans le ciel que leur nom d'enfants de
Dieu brillera sur leur front comme une étoile
divine. Les saints anges et les bienheureux les
salueront commeenfants de Dieu, et on verra la
réalisation de ces paroles de l'Apocalypse (XXII,
3. 4.) : Ses serviteurs
le serviront, ils verront sa face et son nom sera
écrit sur leurs fronts.
Heureux ceux qui
sont persécutés pour la justice, car le royaume des
cieux est à eux. Le monde ne veut pas
faire sa paix avec Dieu. Il repousse loin de lui les
messagers de paix. Lorsque les pécheurs ne veulent
pas se laisser déranger dans leur funeste manière de
vivre ; lorsqu'ils refusent de se rendre aux
invitations des enfants de paix, d'être justifiés
devant Dieu par la repentance et par la foi au
Prince de la paix, ils répondent à ces exhortations
pleines d'amour, par la persécution. Malgré cela,
lorsque les martyrs ont eu à souffrir pour la
justice, ils étaient cependant heureux. Les
consolations du royaume des cieux restauraient leur
âme au milieu des plus horribles tourments
corporels, en sorte qu'ils purent non seulement
rester fidèles jusqu'à la mort, mais encore chanter
joyeusement des cantiques de louanges. Ici le
Sauveur a surtout en vue les disciples, qui subiront
les premiers le choc de l'inimitié du monde.
Vous serez
heureux lorsqu'à cause de moi on vous dira des
injures, qu'on vous persécutera et qu'on dira
faussement contre vous toute sorte de mal.
Réjouissez-vous alors et tressaillez de joie, parce
que voire récompense sera grande dans les cieux, car
ils ont ainsi persécuté les prophètes qui ont été
avant vous. On a dit que la haine du
monde est la marque distinctive du chrétien. Elle
est le sceau que le monde appose sur leur vocation
et leur élection célestes. Cependant, ce ne sont pas
les souffrances et les persécutions en elles-mêmes
qui font les martyrs, ce sont les causes de ces
persécutions et de ces souffrances. Lorsque les
hommes disent de nous un mal qui est vrai, et qu'à
cause de cela nous sommes injuriés et persécutés,
ceci n'est assurément pas unebéatitude. Mais
lorsque le mal qu'ils disent de nous est faux ;
lorsque le motif de leurs injures et de leurs
persécutions n'est autre que la confession que nous
faisons du nom de Christ, par nos paroles et par
notre conduite, ceci est en tout cas une
béatitude. Les injures que nous souffrons pour
Christ, constituent le plus grand honneur qu'un
chrétien puisse obtenir et une précieuse garantie de
sa foi. Ceux qui sont persécutés pour le nom de
Jésus, voient entre les pierres d'un monde qui les
lapide, le ciel ouvert et le Fils de l'homme assis à
la droite de Dieu. Ce regard jeté sur la gloire de
Dieu, les rend en toutes choses plus que vainqueurs.
Grâce à ces persécutions, les disciples se trouvent
en communion avec les prophètes, qui ont eu à
souffrir pour le même témoignage.
Lorsque l'impératrice Eudoxie cherchait à
mettre à mort le vénérable père de l'Eglise,
Chrysostôme, il disait : « Si l'impératrice veut me
faire scier, qu'elle le fasse. » La même chose est
arrivée au prophète Esaïe. Veut-elle me faire jeter
à la mer ? je penserai au prophète Jonas. Veut-elle
me faire brûler dans une fournaise ? je souffrirai
avec les trois hommes de Dieu. Veut-elle me jeter
aux bêtes ? je me souviendrai de Daniel dans la
fosse aux lions. Veut-elle me faire décapiter ?
j'aurai pour compagnon Jean-Baptiste. Veut-elle me
faire lapider ? Qu'elle le fasse ; saint Étienne n'a
pas été mieux traité. »
On peut reconnaître dans les béatitudes
un ordre, une gradation qui nous montre le
commencement, les progrès et la consommation de la
Justicechrétienne. Le commencement est opéré
par une humble connaissance de soi-même et une
sainte tristesse dans nos rapports avec Dieu et avec
les hommes (v.
3-5). Le progrès consiste dans un effort sérieux
pour réaliser la justice devant Dieu, dans
l'exercice de la miséricorde, dans la pureté du
coeur et dans la tendance à procurer la paix (v.
6-9). La consommation se caractérise par la
patience sous la croix pour l'amour de Jésus (v.
10-12). L'ensemble est une chaîne d'or de
béatitudes, depuis le premier anneau jusqu'au
dernier. C'est une véritable échelle de Jacob, dont
le premier échelon s'appuie sur la terre, et dont le
dernier touche le ciel. Aucun degré ne doit être
négligé ; aucun échelon ne doit manquer. C'est
pourquoi ces béatitudes ne sont pas au fond
différentes l'une de l'autre; c'est une seule et
même béatitude considérée sous différentes faces.
Seulement, il ne faut pas regarder les premiers
degrés comme un simple passage. La pauvreté en
esprit et la tristesse selon Dieu, sont les traits
fondamentaux du caractère chrétien. |