LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE II
L'activité publique de
Jésus.
B. L'activité de
Jésus en Galilée.
28. Le Sermon sur la montagne.
(Matthieu
V-VI-VII.)
b) Le sel de la terre et la lumière du
monde.
Jusqu'à présent, le Sauveur a montré la gloire et
la félicité des enfants de Dieu ; il insiste
maintenant sur leur vocation et leurs devoirs dans
le monde et à l'égard du monde. On redemandera
beaucoup à celui à qui il a été beaucoup donné. Il
faut que celui qui a été délivré de la corruption,
devienne immédiatement, dans la main du Sauveur, un
instrument pour la délivrance des autres. Les
disciples n'ont à attendre que de la haine de la
part du monde ; mais ils ne doivent pas lui rendre
le mal pour le mal, ni se séparer obstinément de
lui. Car les puissances célestes qu'ils ont reçues,
il faut qu'ils les répandent dans l'humanité.
Vous êtes le sel
de la terre. Par la force du sel, qui
préserve de la corruption et donne de la saveur, les
disciples de Jésus (Marc
IX, 49), doivent préserver l'humanité de la
corruption, et se tenir eux-mêmes, devant Dieu et à
l'égard les uns des autres, dans un état agréable et
exempt de fadeur. Le péché a corrompu chaque âme en
particulier, par cela même qu'il l'a séparée de
Dieu, qui est la source de la vie ; mais il a aussi
troublé l'ordre divin dans l'humanité en général. Il
fait que chacun a égard à son propre intérêt et ne
se soucie nullement de celui des autres ; il brise
les liens de communauté et d'amour qui doivent unir
les hommes entre eux, et exerce partout une action
dissolvante. Mais le Sauveur a apporté la vie
impérissable, et il a chargé ses disciples de la
transmettre au monde entier.
Le sel de la terre doit préserver de la
décomposition ; mais en s'acquittant de leur mandat,
les disciples deviennent pour le monde des
personnages incommodes et insupportables. S'ils
n'étaient que sucre et miel, s'ils flattaient les
instincts charnels, le monde les honorerait et les
aimerait, mais il faut que le sel de la terre
s'attende à être persécuté. Cependant les disciples
doivent être pour la terre du sel et non du poivre.
Cette force qui empêche la corruption, les disciples
l'ont reçue de Christ lui-même et de son Esprit, qui
doit châtier avant de pouvoir consoler. Comme cet
Esprit s'acquitte de sa mission par le ministère des
hommes, les disciples, en leur qualité d'oints du
Seigneur, n'ont pas seulement du sel en eux-mêmes (Marc
IX, 51), mais ils sont, eux, le sel de la terre.
Mais si le sel
perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ?
De même que les forces corporelles, la force
anticorruptrice de l'Esprit de Dieu doit être
maintenue et augmentée dans les croyants. Malheur
aux chrétiens qui ont reçu le témoignage du
Saint-Esprit et qui refusent de rendre ce témoignage
devant ceux qui ne connaissent pas Jésus ! Ils
privent les hommes courbés vers la terre, des seuls
arômes qui puissent diriger leurs pensées vers le
ciel, et deviennent comme des chiens muets qui ne
peuvent pas aboyer (Ésaïe
LVI, 10). Lorsque le sel a perdu sa saveur, rien
ne peut la lui rendre. Car il est impossible que
ceux qui ont été une fois illuminés, qui ont goûté
le don céleste, qui ont été faits participants du
Saint-Esprit, qui ont goûté la bonne Parole de Dieu
et les puissances du siècle à venir, s'ils
retombent, soient renouvelés à la repentance,
puisque, autant qu'il est en eux, ils crucifient de
nouveau le Seigneur de gloire en le livrant à
l'ignominie (Héb.
VI, 4-6).
Le sel qui a
perdu sa saveur ne vaut plus rien qu'à être jeté
dehors et à être foulé aux pieds par les hommes.
Ces paroles sont bien de nature à effrayer, et à
arracher à leur trompeuse sécurité tous ceux qui,
par crainte de choquer ou de perdre l'amitié du
monde, faussent la vérité et endorment les
consciences au lieu de les réveiller ; tous ceux
qui, par crainte de la souffrance, prétendent que la
vie de la foi doit être « accommodée au temps » et
proposée comme une manière de voir. Jetés hors du
royaume de Dieu, ils seront dédaigneusement foulés
aux pieds précisément par ceux dont ils ont
recherché les faveurs par leurs flatteries.
Vous êtes la
lumière du monde ; une ville située sur une montagne
ne peut être cachée. Le Sauveur se nomme
lui-même la lumière du monde, et promet à ceux qui
le suivent la lumière de la vie (Jean
VIII, 12). Ceux qui se laissent pénétrer de
cette lumière, sont des enfants de lumière, et
deviennent eux-mêmes lumière dans le Seigneur (Eph.
V, 8). Comme la lune fait rayonner dans la nuit
la lumière qu'elle a reçue du soleil, de même celui
qui porte en soi la lumièrecéleste est appelé à
éclairer ceux qui marchent encore dans les ténèbres.
On n'allume
point une chandelle pour la mettre sous un boisseau,
mais on la met sur un chandelier, et elle éclaire
tous ceux qui sont dans la maison. Que votre lumière
luise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient
vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père
qui est dans les cieux. Celui-là met la
lumière sous le boisseau, qui se tait sur les choses
qu'il a vues et éprouvées ; qui, suivant Christ
comme la lumière du monde, veut s'épargner à
lui-même la peine du renoncement. Notre devoir est
d'annoncer, par nos paroles et notre vie, par notre
enseignement et nos souffrances, les vertus de celui
qui nous a fait passer des ténèbres à sa
merveilleuse lumière.
Si le monde dit toute sorte de mal des
croyants, comme s'ils étaient des malfaiteurs, parce
qu'il ne veut pas de la lumière de la vie, il faut
que les chrétiens montrent leur foi en faisant
briller à tous les yeux les oeuvres d'un amour plus
actif, et qu'en faisant le bien, ils ferment la
bouche aux hommes ignorants et dépourvus de sens (I
Pierre II, 15). Dieu seul voit la foi dans les
coeurs ; il faut qu'elle devienne visible aux hommes
par l'amour. Si un propriétaire incrédule s'adresse
constamment aux hommes pieux de son entourage pour
avoir des domestiques pieux, parce qu'ils sont zélés
et consciencieux, fidèles et obéissants, la bonne
conduite de ces hommes pieux a forcé cet incrédule à
glorifier leur Père qui est dans les cieux.
Justin Martyr, un père de l'Église du IIe
siècle, est un de ceux qui ont été gagnés à la foi
par la belle conduite des chrétiens. Il raconte
lui-même qu'en voyant la patience héroïque des
témoins de la vérité en face des supplices, il avait
été obligé, de se dire : « Ce n'est pas ainsi que
meurent les malfaiteurs ». Puisse notre vie tout
entière rendre témoignage que notre coeur est
éclairé par l'aurore de l'éternité ! Alors le monde
ne pourra pas nous refuser le témoignage que les
gens de Guérar rendirent à Isaac : « Nous avons vu
clairement que l'Éternel est avec toi. Tu es béni de
l'Éternel (Genèse
XXVI, 28. 29) ».
c) La Justice du Royaume des cieux.
(Matth.
V, 17-48.)
Il est bien probable que depuis que Jésus, à
l'occasion de la purification du temple, avait parlé
de détruire cet édifice le peuple, excité par les
pharisiens, l'avait soupçonné de vouloir combattre
la loi de Moïse. C'est contre ce soupçon que le
Sauveur s'élève maintenant.
1. L'ACCOMPLISSEMENT ET NON L'ABOLITION DE
LA LOI.
Ne pensez pas que je
sois venu abolir la loi ou les prophètes ; je suis
venu, non pour les abolir, mais pour les accomplir.
Les pensées éternelles de Dieu, consignées dans la
Loi et les Prophètes, et qui indiquent le but auquel
il voulait conduire les hommes par ses
dispensations, ne sont nullement supprimées dans le
Nouveau Testament, ; au contraire, elles y sont
réalisées par l'incarnation de Dieu en Christ. Ce
n'est pas Christ qui a aboli la loi ; ce sont ceux
qui l'ont si souvent accusé de l'abolir et qui
finalement l'ont mis à mort comme contempteur de
cette loi. Ce sont eux qui sont les vrais
destructeurs de la loi de Dieu. Ceux qui étaient
satisfaits de la manière dont ils accomplissaient la
loi, les scribes, les pharisiens et tous ceux qui
étaient animés de leur esprit, attendaient du Christ
des ordonnances extraordinaires, dont l'observation
leur donnerait plus de droits à l'héritage de la vie
éternelle. Ils croyaient que la Loi pouvait suffire
aux faibles et aux commençants, mais, en hommes
exercés et éprouvés, sentaient en eux-mêmes la force
de faire beaucoup plus.
Mais Christ est venu pour accomplir la
loi. Et en parlant ainsi il n'a pas seulement en vue
une vraie et parfaite explication de la loi, par
opposition aux explications superficielles des
pharisiens. Celui qui dit :
Vous avez entendu qu'il a été
dit aux anciens,etc. :
mais moi je vous dis,
celui-là ne parle pas comme un commentateur de Moïse
; il se pose comme le législateur même qui est
au-dessus de Moïse. Il nous montre que le vrai sens
de la loi, tel que Dieu l'entend, est spirituel, et
a pour but de régler non seulement nos actions, mais
encore nos pensées et nos sentiments. De plus, il
s'est soumis à la loi ; il l'a accomplie par son
obéissance et en supportant la malédiction dont elle
menaçait les pécheurs. Enfin il écrit
continuellement cette loi par son Esprit, dans le
coeur de ses enfants et la leur fait observer, afin
que la justice de la loi soit accomplie en nous qui
marchons non selon la chair, mais selon l'esprit (Rom.
VIII, 4).
Les hommes regardent les lois auxquelles
Dieu a soumis la vie de la nature comme des lois
d'airain, qui sont indestructibles ; au contraire,
ils considèrent celles par lesquelles Dieu règle la
conduite des hommes comme étant flexibles et
variables. Le Sauveur enseigne précisément le
contraire. Jusqu'à ce que
le ciel et la terre passent, dit-il, il n'y aura
rien dans la loi qui ne s'accomplisse, jusqu'à au
seul iota et un seul trait de lettre. Le
ciel et la terre se dissoudront plutôt que Dieu
renonce à la moindre parcelle de sa justice et de sa
sainteté.
2. LA JUSTICE DEVANT DIEU ET NON DEVANT LES
HOMMES
Car je vous dis en
vérité que si votre justice ne surpasse celle des
scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point
dans le royaume des cieux. Si la justice
des scribes et des pharisiens n'était pas plus
estimée que leur personne, le Seigneur n'exigerait
pas trop de nous, car ils sont devenus un objet de
mépris dans la chrétienté. Il. ne semble pas
difficile d'accomplir la loi mieux qu'ils ne
l'accomplissaient. Une justice qui ne viserait qu'à
surpasser la leur, ne serait pas un but trop élevé.
Mais d'abord maint individu apprendra à se connaître
lui-même, s'il ne se contente pas de se comparer
avec de plus méchants que lui, mais plutôt avec les
meilleurs et les plus pieux. Or, les scribes étaient
pieux par vocation et les pharisiens l'étaient de
réputation. Ils se considéraient eux-mêmes comme les
meilleurs, les plus nobles et les plus pieux des
hommes, et prenaient leur religion très au sérieux.
La plupart de ceux qui les blâment le plus
sévèrement aujourd'hui, pourraient à peine soutenir
la comparaison avec leur conduite extérieure, et ne
sont peut-être pas non plus fort éloignés d'eux
quant à leurs sentiments.
D'après le jugement populaire, la justice
des pharisiens était la plus élevée à laquelle un
homme pût atteindre.
D'après le jugement du Sauveur, cette
justice était tout à fait insuffisante, car, avec
elle, on ne peut pas subsister devant Dieu, ni
accomplir ses commandements. Les pharisiens
manquaient en deux points. Ils ne comprenaient pas
la loi de Dieu, et n'en saisissaient que le
sens superficiel et littéral ; puis ils ne
connaissaient pas leur propre coeur. Et ainsi ils
pouvaient vivre dans l'illusion d'avoir accompli la
volonté de Dieu, lorsqu'ils s'étaient abstenus de
l'acte extérieur de meurtre ; d'adultère, de vol, de
parjure ou d'idolâtrie. Une telle justice qui ne
consiste que dans un accord extérieur avec la lettre
de la loi, ne saurait avoir de valeur aux yeux de
Celui qui regarde au coeur.
Cette justice des pharisiens est la même
que celle dont se glorifient aujourd'hui les
incrédules. On regarde la loi de Dieu comme une
ordonnance de police ou comme une législation
criminelle ; on prétend avoir un coeur bon et
vertueux, on se flatte soi-même avec complaisance,
et on répète volontiers avec le jeune homme :
Que me manque-t-il encore(Matth.
XIX, 20) ? Mais celui qui a reconnu que la loi
est spirituelle et que l'imagination du coeur des
hommes est mauvaise dès leur jeunesse (Gen.
VIII, 21), s'écrie avec douleur : Certainement
il n'y a point d'homme juste sur la terre (Eccles.
VII, 20). 0 Éternel, si
tu prends garde aux iniquités, Seigneur, qui est-ce
qui subsistera(Ps.
CXXX, 3) ? C'est parce que, contrairement à la
méthode pharisaïque, la nature humaine étant
incapable d'atteindre à la justice que Dieu demande,
Il a envoyé son propre Fils comme Sauveur ; celui
qui croit en lui est juste.
Recevoir Jésus et lui donner son coeur
avec un confiant amour : telle est la volonté de
Dieu à notre égard. C'est là la justice qui surpasse
celle des scribes et des pharisiens. Elle la
surpasse, non parce qu'elle consiste à chercher la
justice devant Dieu dans un plus haut degré de
perfection, à la manière des pharisiens, mais en ce
qu'elle rend réellement juste devant Dieu. Le
Sauveur enseigne une voie toute nouvelle pour
arriver au salut. L'homme naturel se place devant
Dieu avec ses oeuvres et en attend la récompense ;
Jésus se donne lui-même et attend de l'homme
l'adhésion de la foi, de la reconnaissance et de
l'amour.
Après avoir enseigné cette vie nouvelle,
le Sauveur montre comment, dans le royaume du Père
céleste, on comprend et on observe ses divins
commandements, c'est-à-dire, non d'après leur sens
superficiel et littéral, mais spirituellement et par
amour.
Il cite pour exemple le sixième, le
septième et le troisième commandement de la toi. Il
a été dit aux anciens : Tu
ne tueras point. Les pharisiens
prétendaient que pour accomplir ce commandement, il
suffisait de ne pas ôter la vie au prochain. Jésus
enseigne que dans le royaume des cieux, auquel il
nous appelle, la colère, le mépris, l'injure, sont
spécialement interdits et cela parce que l'amour est
la loi de ce royaume, parce que les offenses, et les
haines implacables, sont des taches spirituelles
incompatibles avec l'amour ; enfin parce que la
colère, le mépris, l'injure constituent les péchés
de Caïn.
Quant au septième commandement :
Tu ne commettras point
adultère, on l'expliquait comme s'il
défendait seulement l'acte matériel et grossier.
Mais moi je vous dis
: Ainsi parle le Sauveur en sa qualité de
législateur :quiconque
regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis
adultère avec elle dans son coeur. Le
Seigneur, qui regarde au coeur, et aux yeux duquel
toute mauvaise convoitise est un péché, accorde à
ses enfants la grâce de son Saint-Esprit, qui
purifie leur coeur même des appétits charnels, afin
qu'ils puissent supporter le saint regard de
l'Éternel.
Si ton oeil te
fait tomber dans le péché, arrache-le et jette-le
loin de toi, car il vaut mieux pour toi qu'un de tes
membres périsse que si, tout ton corps était jeté
dans la géhenne. Et si ta main droite te fait tomber
dans le péché, coupe-la et jette-la loin de loi car
il vaut mieux pour toi qu'un de tes membres périsse
que si tout ton corps était jeté dans la géhenne.
Ceux qui sont à Christ ont crucifié la chair avec
ses convoitises (Gal.
V, 24). Par le saint baptême, nous sommes entrés
dans la communion des souffrances de Christ, afin
que notre vieil homme, héritage d'Adam, soit détruit
avec ses passions et ses convoitises. L'extraction
de l'oeil, l'amputation de la main ne seraient
utiles que si le mauvais coeur, source du péché,
pouvait être enlevé en même temps.
De même que l'adultère du coeur,
l'adultère par le divorce arbitraire, est banni du
royaume des cieux.
Quiconque répudie safemme, si ce n'est pour cause
d'adultère, l'expose à devenir adultère, et
quiconque se marie avec la femme qui aura été
répudiée, commet un adultère. Le mariage
est une institution divine, établie dans le Paradis,
et qui embrasse toutes les relations célestes et
terrestres des époux pendant toute leur vie. Outre
la vie naturelle, une vie conforme à la volonté de
Dieu, la vie cachée avec Christ, doit aussi être
cultivée dans le mariage ; et parce que cette union
est une institution divine, elle est indissoluble.
L'adultère seul, cette réelle et criminelle rupture
du mariage, peut être devant Dieu un motif suffisant
de divorce ; quiconque y procède par un autre motif,
brise volontairement le lien conjugal et commet un
adultère devant Dieu. Et quiconque épouse la femme
divorcée, commet aussi un adultère, puisque devant
Dieu elle est encore liée à son premier mari. Et
l'ecclésiastique qui unit un tel couple bénit un
adultère.
Le Sauveur veut aussi éloigner de son
royaume l'abus du serment. Cet abus ne
consiste pas seulement dans le parjure, mais encore
dans tout jurement prononcé légèrement et sans
nécessité. Les hommes jurent par celui qui est plus
grand qu'eux, et le serment fait pour confirmer une
chose termine tous les différends (Héb.
VI, 16). L'autorité a aussi exigé un serment du
Sauveur. Le souverain sacrificateur lui dit : Je
t'adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es
le Christ, le Fils de Dieu (Matth.
XXVI, 63). Et Jésus prêta le serment exigé en
ces mots : Tu le dis ! Ainsi les paroles du Sauveur
: Mais moi je vous dis : Ne
jurez du tout point ; que votre parole soit oui,
oui, non, non ; tout ce qu'on dit de plus vient du
malin, ne sont dirigées que contre le
jurement prononcé légèrement et sans nécessité, dans
la vie de tous le jours ; mais non contre le serment
exigé par l'autorité. Un tel serment est un vrai
culte rendu à Dieu.
3. DE LA LOI DU TALION
Vous avez entendu qu'il
a été dit ; Oeil pour oeil, dent pour dent, Mais moi
Je vous dis de ne point résister à celui qui vous
fait dit mal ; mais si quelqu'un le frappe à la joue
droite, présente lui aussi l'autre, et si quelqu'un
veut plaider avec toi et t'ôter la robe, donne-lui
aussi l'habit, et si quelqu'un te veut contraindre
d'aller une lieue avec lui,vas-en deux. Donne à
celui qui te demande et ne le détourne point de
celui qui vent emprunter de toi. Le droit
de punir et de châtier, confié à l'autorité, ne peut
pas être invoqué par l'individu privé pour excuser
ses vengeances personnelles. Même lorsque nous
subissons des violences et des outrages ; même
lorsqu'on nous fait tort en se couvrant d'un
semblant de droit ; c'est le charitable souci de
l'âme de notre prochain qui doit régler notre
conduite, et non le désir de nous venger du tort que
nous avons souffert. Le tort que nous fait notre
prochain doit nous causer plus de peine pour son
âme, que de douleur pour l'injustice dont nous
sommes victimes. Notre amour pour notre prochain
doit être tel que nous soyons prêts, en nous
oubliant nous-mêmes, à souffrir un plus grand tort,
plutôt qu'à chercher à nous venger et à réclamer
notre droit.
Il y avait en France, au moyen âge, un
jeune juriste nommé Lanfranc. Pressé par le besoin
d'obtenir la paix de son âme, il prit la résolution
de se livrer à la recherche des choses de Dieu dans
le silence de la vie d'anachorète. En chemin, il fut
attaqué par des brigands qui le dépouillèrent
complètement et ne lui laissèrent que ses vêtements.
Il se souvint à cette occasion d'avoir lu dans
Grégoire de Naziance qu'au temps de la guerre des
Lombards, en Italie, un homme pieux, auquel des
brigands avaient pris son cheval, leur donna encore
son fouet, pour obéir aux paroles de Christ, afin
qu'ils pussent conduire l'animal, et que les
Lombards, touchés de cette générosité, lui rendirent
le fouet et le cheval. De même Lanfranc offrit aussi
ses vêtements, dans l'espoir qu'on les lui
rendrait avec tout ce qu'ils lui avaient enlevé.
Mais il se trompait. Non seulement les brigands
prirent les vêtements, mais encore ils le
maltraitèrent lui-même. Tous deux avaient agi de la
même manière et leur conduite eut un résultat tout
différent. Extérieurement ils avaient agi de même,
mais leurs sentiments étaient bien différents.
Le pieux Italien voulait simplement obéir
à la parole de Christ, tandis que la conduite de
Lanfranc est celle d'un égoïste, qui espérait
recouvrer ce qui lui appartenait. Du reste, que la
légitime défense soit permise et compatible avec
l'amour du prochain, c'est ce que le Sauveur nous
montre par son propre exemple. Le serviteur du
souverain sacrificateur lui donne un soufflet. Le
Seigneur ne rend pas l'outrage, mais il parle à la
conscience de cet homme en lui disant :
Si j'ai mal parlé, montre ce
que j'ai dit de mal ; et si j'ai bien parlé,
pourquoi me frappes-tu ?
Ne résistez pas
à celui qui vous fait du mal.
Une classe d'un Gymnase se composait d'environ 50
élèves, âgés de 15 à 17 ans. Avant la leçon, deux
d'entre eux se prirent de querelle à cause de la
place de leurs livres sous la table. Avant que l'un
d'eux pût se mettre en garde, l'autre lui appliqua
sur la joue un bruyant soufflet. Tous les élèves
partirent d'un éclat de rire. L'agresseur se
préparait au combat, car il s'attendait à ce que son
voisin se défendit. Mais celui-ci s'assit
tranquillement, offrant l'image de la patience
outragée. Son camarade s'assit aussi, silencieux,
confus et se repentant sincèrement de sa brutalité.
Plus tard il lui dit : Ta douceur et ta patience
m'ont causé une douleur telle, que de ma vie je n'en
ai éprouvé de plus vive. Tu m'as vaincu et frappé
plus douloureusement que je ne l'avais fait. Dès ce
moment ils devinrent les meilleurs amis. Une
pareille manière d'agir ne s'apprend qu'auprès de
Celui qui l'a commandée.
4. DE L'AMOUR DES ENNEMIS
Vous avez entendu qu'il
a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton
ennemi(43).
L'Écriture ne parle nulle part aussi crûment. Les
pharisiens seuls pouvaient exprimer une pareille
pensée. Sans doute cette parole du psalmiste :
Éternel, ne haïrai-je pas ceux qui te haïssent et ne
serai-je pas indigné contre ceux qui s'élèvent
contre toi (Ps.
CXXXIX, 21) ? peut s'appliquer aux ennemis de
Dieu, de son peuple, de son règne ; mais les
pharisiens l'appliquaient à leurs ennemis
personnels, et s'en autorisaient pour excuser leurs
haines et leur impiété.
Mais moi je vous
dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous
maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent,
priez pour ceux qui vous outragent et vous
persécutent, afin que vous soyez les enfants de
votre Père qui est dans les cieux. Nous
remarquons ici quelque chose du sel du royaume des
cieux, car aucun homme ne pourrait jamais tirer de
pareilles pensées de sa raison. L'amour desennemis
vient de Dieu, qui fait dans son coeur la différence
entre le pécheur qu'il aime et le péché qu'il hait.
Les traits du Père sont gravés sur le visage des
enfants. Par la foi Jésus habite en nous ; il
gouverne notre coeur et nous donne son esprit.
C'est ce qui arriva à un esclave de
l'Amérique du Nord, qui avait si bien gagné la
confiance de son maître par sa fidélité, que
celui-ci l'établit sur ses autres esclaves. L'ayant
un jour emmené avec lui à un marché d'esclaves, il
le chargea d'en acheter quelques-uns. L'achat
terminé, le surveillant pria son maître d'acheter
encore un vieil esclave tout décrépit et malade. Le
maître s'y refusa longtemps, car évidemment cet
homme était incapable de rendre le moindre service.
Finalement, il céda à l'instante prière de son
esclave. Celui-ci eut pour son compagnon tous les
soins imaginables. Il faisait tout son ouvrage. Il
avait pour lui les plus touchantes attentions et lui
donnait la meilleure nourriture. Cette conduite
frappa son maître, qui lui dit : D'où vient donc
l'intérêt que tu portes à ce vieillard ? C'est
probablement ton père ? - Non, maître, ce n'est pas
mon père. - C'est donc ton oncle ? - Non, maître, ce
n'est pas mon oncle. - C'est donc un de tes parents,
ou un ami, ou un bienfaiteur ? Non, maître.- Voyons,
explique-moi ce singulier attachement que tu voues à
ce vieux bonhomme. -Maître, cet homme est mon ennemi
; il m'a arraché à ma patrie et m'a vendu à un
marchand d'esclaves. Là, j'ai appris à connaître et
à aimer mon Sauveur, qui me dit :
Aimez vos ennemis, faites du
bien à ceux qui vous haïssent. Le monde
se glorifie de ses bonnes oeuvres, qu'il oppose à la
foi. L'amour des ennemis, voilà une bonne oeuvre.
Qu'on la cherche en dehors de la foi !
d) La piété devant Dieu et non devant les
hommes.
(Matth.
VI, 1-18.)
Notre vie cachée avec Christ en Dieu, se dérobe
aux regards des hommes. Dans toutes les
manifestations de la vie divine, l'oeil simple de
l'enfant de Dieu regarde à Christ. La piété
extérieure ne vise qu'à être vue et appréciée. Les
mauvaises dispositions poussent les hommes à faire
de mauvaises oeuvres ; l'ambition corrompt les
bonnes oeuvres.
1. DE L'AUMÔNE
Ce n'est pas pour obtenir des louanges et des
hommages, que les enfants de Dieu ouvrent
généreusement la main pour donner aux pauvres, c'est
uniquement par amour pour eux et pour les soulager
dans leurs besoins. Quand,
tu fais l'aumône, que la main gauche ne sache pas ce
que fait la droite. Lorsque, au grand
jour du jugement, le Sauveur parlera des dons et des
oeuvres d'amour de ses disciples, leur mémoire leur
fera complètement défaut, et ils seront tout étonnés
de ce que le Seigneur leur dit.
2. DE LA PRIÈRE
Sans la prière, il n'y a point de communion avec
Dieu, point de piété, point de salut. La prière est
la respiration de la foi. Et l'âme de la prière,
c'est le regard du coeur invariablement fixé sur
Dieu, comme les yeux des
serviteurs regardent à la main de leurs maîtres, et
les yeux de la servante à la main de sa maîtresse,
ainsi nos yeux regardent à l'Éternel notre Dieu
jusqu'à ce qu'il ait pitié de nous(Ps.
CXXIII, 2). Contrairement aux prières fastueuses
des pharisiens, le Sauveur ordonne la prière secrète
dans le cabinet. Cependant il recommande aussi la
prière faite en commun par deux ou trois réunis en
son nom, et leur promet sa gracieuse présence. De
même, lorsque l'Église sera assemblée dans tous les
lieux où il aura mis son nom, il viendra à elle et
la bénira (Exode
XX, 24). Mais toujours il faut que la prière
s'adresse à Dieu seul, sans chercher à attirer
l'attention des hommes qui peuvent en être témoins.
Vous donc,
priez ainsi : Notre Père qui es aux cieux.
C'est une précieuse assurance pour nous que de
savoir que notre prière exerce une influence
décisive sur le coeur de notre Père céleste, si
toutefois nous croyons qu'il est réellement notre
Père, et que nous sommes réellement ses enfants en
Christ. Il y a quelque chose de grand dans la
qualité d'enfants de Dieu, parce que le coeur et
lamain de leur Père garantissent aux prières de ses
enfants une influence sur tout le cours de leur vie.
Ton nom soit
sanctifié, ton règne vienne, ta volonté soit faite
sur la terre comme au ciel. Le nom du
Père, le règne du Père, la volonté du Père tiennent
avant tout au coeur des enfants. Les trois premières
demandes peuvent être résumées en ces mots « À Dieu
seul soit gloire dans les cieux ». Les quatre
dernières dans ceux-ci :« Reçois la prière que nous
t'adressons dans nos détresses ! » Dieu veut faire
sa demeure dans tout homme. Il. veut être la
substance de notre connaissance (son nom), de notre
sentiment et de notre salut (son règne), de notre
volonté (sa volonté). Dieu tout en tous ! Son nom,
révélation de sa nature et de sa vérité, sera
sanctifié parmi nous, lorsque sa Parole y sera
annoncée avec pureté et clarté, et lorsque, comme
enfants de Dieu, nous la prendrons pour règle de
notre vie. Son règne vient lorsque le Saint-Esprit
incline les coeurs à obéir à la Parole, aussi bien
dans la chrétienté que parmi les Juifs et les
païens. Sa volonté est faite lorsque toute volonté
contraire à celle-là est mise aux pieds du Seigneur.
Les anges et les bienheureux glorifiés servent Dieu
avec joie, ce qui leur procure une parfaite
félicité, de telle sorte que leurs accents de
louanges retentissent jour et nuit. -S'il en était
déjà ainsi sur la terre ! - Conduisons-nous comme
des bourgeois des cieux, et la volonté de Dieu sera
accomplie.
Donne-nous
aujourd'hui notre pain quotidien. La
piété est utile à toutes choses ; elle a les
promesses non seulement de la vie à venir, mais
aussi celles de la vie présente (1
Tim. IV, 8). Quelle consolation pour nous de
savoir que notre Père céleste nous donnera la
nourriture et pourvoira à tous les besoins de nos
corps, et que nous pouvons sans crainte lui dire ce
qui nous manque comme un enfant qui a faim demande
un morceau de pain à sa mère !
Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à
ceux qui nous ont offensés. Comme nous
péchons chaque jour et méritons d'être punis, nous
avons chaque jour besoin du pain quotidien de notre
âme, du pardon de nos péchés. Le Seigneur veut bien
pardonner chaque jour et richement, les péchés de
ceux qui le luidemandent avec une confiance
enfantine. Combien le fleuve de l'amour ne doit-il
pas couler abondamment si ceux à qui il a été
beaucoup pardonné doivent beaucoup aimer ! C'est
ainsi que l'amour de Dieu, qui nous pardonne chaque
jour richement nos péchés, doit nous presser de
pardonner aussi de tout notre coeur à ceux qui nous
ont offensés. L'amour de Christ nous force à aimer
nos ennemis.
Ne nous
induis pas en tentation. Que celui qui
croit être debout prenne garde qu'il ne tombe (1
Cor. X, 12) ! Le Sauveur, qui en Gethsémané
exhortait ses faibles disciples à la vigilance, nous
encourage, par cette sixième demande, à exposer nos
craintes, nos faiblesses, à notre Père céleste, et à
nous remettre avec confiance entre ses mains
puissantes.
Mais
délivre-nous du malin, car à toi appartiennent le
règne, la puissance et la gloire, amen !
Nous vivons dans une vallée de misères et de larmes.
Notre corps et notre âme sont oppressés, et
soupirent après la parfaite liberté des enfants de
Dieu dans le règne de la gloire. Le regard fixé sur
la bienheureuse issue des voies de Dieu, nous met
dans la bouche cette prière : O Seigneur, mets un
terme à toutes nos douleurs ! Comme c'est le
Seigneur lui-même qui met cette prière dans notre
bouche, et nous commande de prier ainsi, le
véritable amen, dans toutes nos prières, est une
joyeuse assurance que notre Père céleste l'entend.
3. DU JEUNE
(Matthieu
VI, 16-18 ;Marc
II, 18-22.)
Avec tous les exercices de piété, les pharisiens
pratiquaient aussi le jeûne, afin d'être loués des
hommes. Jésus veut qu'on le fasse en secret. À la
question que les disciples de Jean-Baptiste
adressent à ceux de Jésus : Pourquoi ils ne jeûnent
pas, tandis qu'eux et les disciples des pharisiens
jeûnaient souvent ? Jésus répondit :
Les amis de
l'Époux peuvent-ils s'affliger tandis que l'Époux
est avec eux ? Mais le temps vient que
l'Époux leur sera ôté, alors ils jeûneront. Il est
évident que le Sauveur n'a pas voulu défendre
lejeûne ; mais ce qu'il veut, c'est qu'on ne
l'observe pas, pour se donner en spectacle aux
hommes ; mais qu'il soit pratiqué librement, pour
satisfaire un besoin du coeur. Il veut surtout qu'on
ne s'imagine pas pouvoir s'en faire un mérite devant
Dieu. L'apôtre Paul, d'accord avec le Seigneur,
s'élève contre le jeûne légal et méritoire. D'un
autre côté, quand aujourd'hui des chrétiens
évangéliques s'opposent à toute espèce de jeûne,
comme peu convenable aux enfants de la Nouvelle
Alliance, ils ne peuvent en appeler ni au Seigneur
ni à saint Paul. Jésus dit expressément que les
siens jeûneront lorsqu'ils seront privés de sa
présence. Le jeûne renferme une grande bénédiction
pour la vie intérieure des chrétiens, mais cette
bénédiction ne saurait être conservée que si le
jeûne être pratiqué en secret. Par un soin exagéré
de la chair, le coeur est appesanti au point de ne
plus pouvoir s'élever à Dieu. C'est pourquoi on
appelle le jeûne : « les ailes de la prière ». C'est
une discipline salutaire, bien qu'extérieure, pour
préparer le coeur à recevoir les biens spirituels.
Ce n'est certainement pas un bon signe, lorsque les
chrétiens n'éprouvent pas le besoin de jeûner,
lorsqu'ils ne peuvent supporter le jeûne ; mais au
contraire, le regardent comme une superstition
nuisible à la vie spirituelle.
Mais toi,
quand tu jeûnes, oins ta tête et lave ton visage,
afin qu'il ne paraisse pas aux hommes que tu jeûnes,
mais seulement à ton Père qui est dans le secret, et
ton Père qui le voit dans le secret le récompensera
publiquement. Chaque moment de communion
avec Dieu a quelque chose qui restaure et rend
heureux. Or, si le jeûne est un moyen de faciliter
ou de provoquer cette communion, il ne faut pas
qu'il oppresse le coeur et attriste l'esprit.
Autrement il ne serait pas de bon aloi. Si nous
jeûnons pour le Seigneur, ce sera pour nous une
joie, et le reflet de cette joie paraîtra sur notre
visage comme une aimable sérénité. Quant à la
récompense publique que Dieu promet, elle consiste à
fortifier la foi qui nous unit à Dieu et à rendre
plus abondants les fleuves d'eaux vives qui doivent
en découler. |