LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE II
L'activité publique de
Jésus.
A. Jusqu'à la
deuxième fête de Pâques.
15. Coup d'oeil général.
L'activité publique de Jésus embrasse un laps de
temps d'un peu plus de trois années. Bientôt après
sa tentation, il appelle ses premiers disciples, se
rend avec eux à Cana, et ensuite à Jérusalem, pour
assister à la première Pâque de son ministère
public.
Jusqu'à la deuxième Pâque, il déploie son
activité à Jérusalem, dans la Judée, et aussi, en
passant, dans la Samarie et la Galilée. C'est dans
cette période qu'il faut placer la première
purification du temple (Jean
II, 4-17) ; l'entretien avec Nicodème (III,
1-21) et avec la femme samaritaine (IV,
1-27), et la guérison du fils du seigneur de la
cour (47-54).
Pendant son séjour à Jérusalem, à la deuxième fête
de Pâque, il guérit l'impotent de Béthesda un jour
de sabbat et provoque, par ce miracle, la haine des
pharisiens.
Après l'emprisonnement de Jean-Baptiste,
Jésus se rend en Galilée, où il demeure un an et
demi, c'est-à-dire depuis la deuxième Pâque de son
ministère, jusqu'à la fête des tabernacles de la
troisième année. Dans ce laps de temps se placent le
sermon de la montagne et la plupart des guérisons et
des miracles rapportés par les trois premiers
Évangiles. Vers la fin de cette période se placent
aussi les paraboles, alors qu'il devient de plus en
plus évident que le peuple, qui vient en foule à
Jésus, ne cherche pas en lui un Sauveur qui le
délivre du péché, mais un roi qui chasse les Romains
et fonde le plus puissant royaume du monde.
Lamultiplication des pains, par laquelle il rassasie
cinq mille hommes, et les discours qui s'y
rattachent (Jean
VI), jettent de la lumière sur ces dispositions
du peuple. Lorsque Pierre eut confessé que
Jésus est le Christ, le Fils
du Dieu vivant (Marc
VIII, 29 ; Luc
IX, 20), et après sa transfiguration sur la
sainte montagne, il prédit à plusieurs reprises ses
souffrances, donne ses ordres relativement aux
rapports mutuels qui doivent exister entre les
disciples après qu'il les aura quittés, et se dirige
vers Jérusalem pour assister à la fête des
tabernacles.
Pendant cette fête, les pharisiens et les
chefs du peuple usent de toute leur influence pour
provoquer une décision hostile au Sauveur, en sorte
que dès ce moment sa vie est en danger.
Dans l'intervalle entre la fête des
tabernacles, qui a lieu en automne et la fête de la
dédicace, qui tombe en décembre, dans la troisième
année de sa carrière publique, Jésus exerce son
ministère en Samarie.
Après la fête de la dédicace, il se rend
en Pérée, contrée située sur la rive gauche du
Jourdain.
Il fût appelé de la Pérée à Béthanie,
auprès de son ami Lazare qui était malade. Comme il
mourut avant l'arrivée de Jésus, le Seigneur le
ressuscita et se retira encore une fois dans la
paisible ville d'Ephraïm.
C'est de là qu'il partit pour effectuer
son dernier voyage à Jérusalem. Après l'onction de
Béthanie, il fait son entrée solennelle dans cette
ville le dimanche des Rameaux. Bien que le Sanhédrin
eût décidé de mettre Jésus à mort, et qu'un mandat
d'arrêt eût été lancé contre lui, il circule
cependant librement les premiers jours de la semaine
de la Passion, il prêche dans le temple, et dénonce
le jugement de Dieu au peuple et à ses conducteurs.
Et personne n'ose mettre la main sur lui, par
crainte du peuple qui le considère comme un
prophète.
Ainsi se termine l'activité publique du
Sauveur. Viennent ensuite sa Passion, sa mort, sa
résurrection et son ascension.
.
16. Les premiers disciples.
Ce qui peut nous donner une idée de l'immense
mouvement provoqué par Jean-Baptiste, c'est le fait
que le peuple croyait qu'il était le Messie promis.
Lorsqu'il fut interrogé là-dessus par les envoyés du
Sanhédrin, il confessa humblement qu'il n'était pas
le Christ, qu'il était seulement la voix chargée de
rendre témoignage que Celui qui était promis se
trouvait déjà au milieu d'eux, sans qu'ils le
connussent (Jean
I, 20, 26).
Le lendemain du jour où Jean avait eu cet
entretien avec les envoyés du Sanhédrin, il vit le
Sauveur qui venait de remporter sa victoire au
désert, et il le signala à ses disciples, en disant
:Voilà l'Agneau de Dieu qui
ôte le péché du monde(Jean
I, 29).
On a cru trouver une contradiction entre
ce témoignage de Jean sur Jésus et le précédent, où
il le dépeint comme un juge, qui a son van en sa
main et qui nettoiera parfaitement son aire, qui
recueillera son froment dans le grenier et brûlera
la balle au feu qui ne s'éteint point. Mais on a
oublié que, jusqu'à ce moment, la prédication de
Jean aussi bien que son baptême, poursuivaient un
seul but : la rémission des péchés. Et lorsqu'il
comparait la révélation qu'il avait eue sur la
personne de Jésus à l'occasion de son baptême, avec
ce qu'il avait entendu et vu de lui ; lorsqu'il la
comparait avec ce qu'il avait lu dans le prophète
Esaïe (LIII)
sur le Messie, il devait nécessairement arriver à
cette conclusion, que le jugement de Dieu, qu'il
avait annoncé, s'accomplirait précisément par le
Sauveur lui-même.
L'Agneau de Dieu, l'homme de douleur,
celui qui est attaché à la croix est aussi un juge,
non seulement dans la vie à venir ; mais dans
celle-ci, où il est mis pour être aux uns une
occasion de chute, et aux autres de relèvement. Jean
signale Jésus à ses disciples comme celui auquel il
a si souvent rendu témoignage.
Le lendemain, voyant Jésus qui marchait,
il le montra de nouveau à ses disciples, et c'est
alors seulement que deux d'entre eux se décidèrent à
le suivre ; c'étaient André, frère de Simon, et
Jean, qui plus tard était couché sur le sein de
Jésus (Jean
XIII, 23). Telleest l'humilité de ce disciple,
dont il ne se départ jamais dans tout le cours de
son Évangile, qu'il ne prononce jamais son nom. « Le
disciple que Jésus aimait » ou bien,« cet autre
disciple », telle est, la désignation sous laquelle
Jean parle de lui-même.
Ce sont les prémices de ceux que le Père
a donnés au Fils (Jean
XVII, 6. 12). Il les trouve sans les chercher.
Ce sont eux qui le cherchent. C'était l'attrait du
Père qui les portait vers le Fils. - Jésus s'étant
retourné et voyant qu'ils le suivaient, leur dit :
Qui cherchez-vous ?
Ainsi il se laisse volontiers trouver ; il vient
au-devant d'eux et il les encourage à parler. Ils
lui répondent en apparence indirectement : Maître,
où demeures-tu ? Mais Jésus comprend
parfaitement le désir de leur coeur, et leur dit :
Venez et voyez. Ils allèrent et virent où il logeait
et ils demeurèrent avec lui. Et ce jour-là, qui
était un moment décisif dans la vie de Jean, s'est
gravé si profondément dans le coeur de l'apôtre,
qu'il s'est même rappelé l'heure de son entrevue
avec le Maître : C'était
environ la dixième heure du jour (quatre
heures après-midi).
Ils ne virent pas seulement où le
Seigneur demeurait, mais encore - tant il est doux
de se trouver près de Jésus - ils virent ce dont
l'apôtre rend témoignage au commencement de son
Évangile, lorsqu'il dit :
Nous avons vu sa gloire, une gloire telle qu'est
celle du Fils unique venu du Père.
André trouva le premier Simon son frère
et lui communiqua la joyeuse nouvelle :
Nous avons trouvé le Messie.
Quiconque a trouvé Jésus ne peut pas
garder son bonheur pour lui seul ; il faut qu'il en
fasse part aux autres et qu'il le publie. André
conduisit Simon à Jésus ; mais le Seigneur savait
bien quel homme on lui amenait. Et l'ayant pénétré
de ce regard qui sonde les coeurs, il lui dit:
Tu es Simon, fils de Jona; tu
seras appelé Pierre (rocher). Tel est le
témoignage que le Seigneur rend aux qualités qu'il
découvre dans le coeur de cet homme, principalement
à sa fermeté ; c'est aussi une indication de ce
qu'il voulait faire de lui, par sa grâce éducatrice.
un homme semblable à un rocher.
Le lendemain, Jésus trouva Philippe et
lui dit - Suis-moi.
Dans sa timidité, Philippe n'eût probablement jamais
osé s'approcher de Jésus, et cependant c'était aussi
un de ceux qui attendaient la délivrance d'Israël.
Philippe rencontra Nathanaël et lui dit
qu'ils avaient trouvé, lui et sesamis, Celui qui
était l'objet de leur commune espérance, Jésus de
Nazareth, le fils de Joseph. Mais Nathanaël connaît
les Écritures (Michée
V, 1. 11). Il ne veut pas d'un Sauveur né à
Nazareth ; il sait que le Messie doit venir de
Bethléem. Les disciples ignoraient encore que Jésus
était né à Bethléem. Voilà pourquoi Nathanaël ne se
laisse pas convaincre.Peut-il
venir quelque chose de bon de Nazareth ?
Philippe ne veut pas discuter avec
Nathanaël - il sent bien qu'il ne le convaincra pas
par des arguments, mais qu'il faut que Nathanaël
apprenne à connaître Jésus par une expérience
personnelle. Il lui dit donc :
Viens et vois. La
difficulté était seulement dans l'esprit de
Nathanaël, son coeur désirait Jésus, et il suivit
Philippe. Jésus voyant
venir Nathanaël, dit de lui, de manière à
en être entendu : Voici un
véritable Israélite, en qui il n'y a point de
fraude.
Nous comprenons la joie que ressentit le
Sauveur lorsque son regard pénétra dans le coeur de
Nathanaël. Oh ! puissions-nous, nous aussi, lui
causer une telle joie ! Un véritable Israélite, en
qui il n'y a point de fraude, aucune intention
dénotant une arrière-pensée ; un homme qui n'aspire
qu'à une seule chose : la paix du coeur, comme ce
patriarche d'Israël, qui disait : « Seigneur,
j'attends ton salut » ; un homme dans l'esprit
duquel il n'y a point de fraude (Ps.
XXXII, 2), dont l'âme altérée de salut, soupire
invariablement, et dans les plus intimes profondeurs
de son être, après un Sauveur qui pardonne les
péchés. Cette aimable simplicité de Nathanaël
justifie, à son égard, la conduite du Sauveur qui
n'eût peut-être pas été sans danger à l'égard d'un
autre : c'est qu'il le loue en face.
Nathanaël est étonné d'apprendre que
Jésus connaît parfaitement sa vie intime et ses
espérances. Il est obligé d'avouer que le Sauveur a
bien dépeint l'état de son coeur.
D'où me connais-tu ?
lui dit-il. Jésus lui répondit :
Avant que Philippe t'appelât,
je t'ai vu quand tu étais sous le figuier.
Nathanaël pensait que ce qui s'était passé dans son
âme, lorsqu'il était sous le figuier, était un
secret que personne ne connaissait que lui-même et
Dieu. Sous l'oeil du Dieu qui voit toutes choses,
Nathanaël avait répandu toute la tristesse de son
âme, et son ardent désir de voir la consolation
d'Israël. Et voici qu'il apprend maintenant que le
voile dont il croyait son secret enveloppé, est
enlevé. L'oeil de Jésus a vu les plus intimes
préoccupations de son coeur, tous ses besoins,
toutes ses aspirations. Cette parole de Jésus
traverse l'âme de Nathanaël comme un éclair, et dans
un tressaillement de bonheur et de joie, son coeur
l'adore, en répétant les paroles du psalmiste :
Éternel, tu m'as sondé et tu
m'as connu
(Ps.
CXXXIX, 1), tandis que sa bouche le confesse en
disant : Maître tu es le
Fils de Dieu, tu es le Roi d'Israël !
Celui qu'il cherchait sous le figuier se
trouve maintenant devant lui. Quel bienheureux
exaucement est accordé aux coeurs simples ! Le
véritable Israélite a trouvé le véritable Roi
d'Israël. Puisse le figuier de Nathanaël être planté
près de chaque maison ! le Roi d'Israël se
laisserait trouver aujourd'hui comme alors.
Mais le Seigneur promet de plus grandes
choses à Nathanaël et à ses amis.
En vérité, en vérité, je vous
dis que désormais vous verrez le ciel ouvert et les
anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de
l'homme.
Depuis que le ciel s'est ouvert sur la
crèche de Bethléem et lors du baptême de Jésus, et
que le Saint-Esprit est descendu sur lui, un pont
est jeté entre le ciel et la terre, et ce pont ne
sera jamais détruit. Là où se trouve le Fils de
Dieu, que tous les anges adorent, là est la maison
de Dieu et la porte des cieux.
Le ciel a été fermé aux hommes par le
péché, il a été rouvert par Jésus. Le voile de notre
chair empêche encore notre oeil troublé d'en voir
les portes ouvertes, et les relations vivantes qui
existent entre le ciel et la terre, mais le coeur
des croyants habite continuellement dans le ciel. Et
lorsque la dernière heure sera venue, alors pleins
d'un ardent désir de rejoindre Celui que notre coeur
aime, nous verrons, comme Étienne, le ciel ouvert et
Jésus qui est assis à la droite de Dieu (Act.
VII. 55).
Le Sauveur a trouvé jusqu'ici cinq ou six
disciples. Provisoirement, ils retournent encore de
temps en temps chez eux, pour se livrer à leurs
occupations ordinaires. C'est seulement plus tard
que le Seigneur les appellera à le suivre d'une
manière permanente pour les préparer à l'apostolat.
.
17. Les noces de Cana.
(Jean
II, 1-11.)
Les disciples avaient vu le ciel ouvert sur le
Sauveur. Leur chemin se dirigeait ainsi constamment
vers le ciel. Ils s'étaient joints à l'Agneau de
Dieu, et ils savaient qu'avec lui ils renonçaient à
toute espèce de bien-être. Ils y avaient d'ailleurs
été habitués à l'école de Jean-Baptiste. Cependant,
avec le Sauveur, il en était autrement. La
séparation d'avec le monde avait, chez Jean, quelque
chose d'inquiet. Il s'était retiré du monde, parce
qu'il craignait ses convoitises,
Le Sauveur sait qu'il est, lui, plus fort
que le monde, et il veut, comme Fils du Roi céleste,
se mêler au monde, afin de le vaincre.
Les disciples de Jésus, dont la plupart
avaient été disciples de Jean, durent être étonnés
au plus haut degré, lorsque le Seigneur accepta une
invitation à une noce. Ils l'y accompagnèrent
cependant. L'échelle céleste, sur laquelle les anges
montaient et descendaient, sera dressée dans la
maison des noces, de Cana :
C'est là, que Jésus fit son
premier miracle.
Contrairement aux autres, on a nommé
celui-ci, par moquerie, un miracle de luxe, parce
qu'on ne comprenait pas que Jésus pût être sensible
à l'embarras dans lequel se trouvaient les parents
du fiancé, par suite du manque de vin. Nous adorons,
nous, cet amour compatissant, et nous sommes heureux
d'avoir un Sauveur à qui nous pouvons exposer même
des embarras de notre vie domestique.
La mère de Jésus lui donne à entendre que
son aide serait la bienvenue. Elle était sans doute
depuis longtemps habituée à suivre les conseils de
ce fils, dans les affaires de sa propre maison. Elle
connaît peut-être aussi les paroles de Jésus à
Nathanaël, et elles lui donnent l'espoir qu'il ne
refusera pas son secours dans cette circonstance
embarrassante. La réponse du Sauveur sonne assez
crûment dans la traduction française :
Femme, qu'y a-t-il entre toi
et moi ? Cette réponse doit en tout cas
avertir Marie qu'elle n'a rien à dire dans les
choses qui touchent à la vocation de Jésus. C'est le
langage laconique que les gens simples et droits
tiennent entre eux. Ils ignorent les phrases
doucereuses et expriment leurs pensées
catégoriquement. Le mot femme n'a absolument rien de
blessant dans la bouche du Sauveur. C'est par ce mot
qu'il s'adresse à elle sur la croix, lorsqu'il lui
dit : Femme, voilà ton fils(Jean
XIX, 26). Et le matin de Pâques, il console avec
amour Marie-Madeleine en lui disant :
Femme, pourquoi pleures-tu ?(Jean
XX, 13).
Cependant, il y a dans cette réponse un
sérieux avertissement. Jésus veut dire à Marie :« La
puissance qui en moi fait des miracles, ne m'a pas
été communiquée par toi. Cette affaire est à
débattre, non entre moi et toi, mais entre moi et
mon Père qui est au ciel. » Nous remercions
cependant de tout notre coeur le Sauveur, pour cette
parole, par laquelle il résiste à Marie, et qui
détournera quiconque la méditera du culte de la «
Mère de Dieu ».
Sans doute, le Seigneur voit avec plaisir
qu'un homme prie pour son semblable, mais il ne
donne pas sa gloire à un autre, et pour cette
raison, il ne veut pas laisser croire que le secours
soit apporté à cause de Marie :
Mon heure n'est pas encore
venue. La venue de cette heure dépend de
la détermination du Père ;
car le Fils ne, peut rien faire de lui-même, à moins
qu'il ne le voie faire au Père, car tout ce que le
Père fait, le Fils le fait aussi pareillement.
Marie prépare elle-même la voie à cette
heure, en acceptant la répréhension et en se
résignant humblement à obéir à son fils, au lieu de
vouloir le conseiller. Un petit mot la frappe dans
cette réponse, par laquelle Jésus la repousse :
Pas encore. C'est
pour cela qu'elle dit aux serviteurs :
Faites tout ce qu'il vous dira.
Cette foi, pleine d'humilité et
d'espérance, rend possible le secours qu'on attend
du Sauveur. Marie agit ici comme plus tard la
Cananéenne. Elle s'empare du refus de Jésus et vainc
sa résistance, après avoir été éclairée par ce refus
même. Elle croit que tout en refusant, le Seigneur
lui accordera cependant sa demande. Aussi voit-elle
que lorsque l'heure est venue, le secours arrive
aussi.
Sur le commandement de Jésus, les
serviteurs remplirent d'eau les vaisseaux et les
portèrent à l'ordonnateur du repas. Celui-ci en
goûta, et dit avec étonnement à l'époux :Tout
homme sert d'abord le bon vin, et ensuite le
moindre, après qu'on a beaucoup bu ; mais toi, tu as
gardé le bon vin jusqu'à présent. Il
pense en lui-même :« Voilà une singulière noce ! je
connais cependant les usages du monde ; mais ici on
fait précisément le contraire. »Dans les repas de
noce, on donne ordinairement le bon vin le premier ;
Jésus le donne le dernier. Le monde donne d'abord le
meilleur vin qu'il puisse offrir : bien-être et
jouissances mondaines, vanités et distinctions ;
puis les remords de conscience et le trouble, la
mort et la perdition. Auprès de Jésus, au contraire,
ou trouve d'abord la tristesse selon Dieu, le
renoncement, la croix ; mais ensuite la foi, la
paix, la joie et enfin la félicité éternelle.
Par ce premier miracle,
Jésus manifesta sa gloire.
Par cette parole, l'apôtre ne veut pas seulement
dire que Jésus montra que la toute-puissance divine
et l'amour divin habitaient en lui ; son regard
pénètre pour la première fois jusqu'au fond de
cette gloire du Fils unique
venu du Père, pleine de grâce et de vérité.
Il voit dans ce premier miracle les traits
fondamentaux et la claire empreinte des glorieux
commencements de toute l'oeuvre du Sauveur.
Jésus. change l'eau en vin, de manière à
ne pas laisser une seule goutte d'eau dans son état
primitif. Toute l'eau a été changée en vin. Elle n'a
pas été seulement améliorée, purifiée ; mais elle
est devenue quelque chose de complètement nouveau,
c'est-à-dire du vin, par la puissance créatrice de
Jésus. L'eau n'a pas non plus été enlevée ou jetée
et remplacée par du vin, qui eût été fait de rien ;
le Seigneur s'est emparé des éléments que la nature
lui fournissait et les a fait passer, par sa
puissance, à un état tout à fait nouveau. Telle est
précisément la glorieuse marque de toute l'oeuvre du
Sauveur.
Ce qu'il a fait dans toute l'humanité,
n'est pas autre chose que le changement de l'eau en
vin. Il n'était pas envoyé pour détruire, mais pour
renouveler. Toutes les relations de la vie, soit
domestiques, soit publiques, soit religieuses, soit
professionnelles, sont devenues nouvelles, non dans
ce sens qu'elles aient été détruites. et remplacées
par d'autres, mais elles ont été transformées. De
même l'oeuvre du Seigneur dans chaque âme n'est pas
autre chose que le changement de l'eau en vin.
Si quelqu'un est en Christ, il
est une nouvelle créature(2
Cor. V, 17). Les inclinations, les désirs, les
pensées, les espérances, les tendances sont
renouvelés. Mais l'ancien n'est pas détruit. Il n'y
a de détruit que ce qui n'était pas susceptible de
transformation. L'eau peut être changée en vin, mais
non le poison. Aussi le poison du péché a été
détruit par Christ ; et le vieil homme, l'héritage
d'Adam, doit être non transformé, mais anéanti (Col.
III, 5). Du reste, tout ce qu'il y a d'ancien
doit être transformé et renouvelé. Le Seigneur
change les larmes en joie, la faiblesse en force, la
pauvreté en richesse, la crainte en espérance.
Le fils de Dieu est apparu
pour détruire les oeuvres du diable ;
mais il ne brise pas le roseau froissé et n'éteint
pas le lumignon fumant.
Et ses disciples
crurent en lui. Ils croyaient déjà en lui
auparavant, puisqu'ils étaient ses disciples ; mais
leur foi acquit une force particulière, lorsqu'ils
virent sa gloire. De même, nous ne sommes
dans la foi que si nous naissons chaque jour à la
vie de la foi.
Que le Seigneur ait fait son premier
miracle et manifesté sa gloire à l'occasion d'une
fête nuptiale, c'est un grand honneur et une douce
consolation pour tous ceux qui entrent dans le saint
état du mariage. La bienheureuse paix que procure sa
présence, est le partage de tous ceux qui, en esprit
et en vérité, l'ont invité à leur repas de noces.
Après cela, Jésus se rendit de Cana à
Capernaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples,
mais il n'y demeura pas longtemps, Car il voulait
être à Jérusalem pour la fête de Pâques. - Comme
Joseph n'est plus mentionné et que Marie et les
frères de Jésus sont seuls nommés, on est autorisé à
admettre que Joseph mourut avant que Jésus débutât
dans sa carrière publique.
.
18. La première purification du temple.
(Jean
II, 13-25.)
Le Seigneur trouva une véritable foire dans le
temple de Jérusalem. Des marchands de bestiaux y
avaient amené des milliers d'animaux pour les offrir
en vente à ceux qui en avaient besoin pour les
sacrifices. Leurs cris et les mugissements des
animaux remplissaient le parvis du sanctuaire. Des
changeurs s'y étaient aussi installés pour procurer
aux Juifs étrangers, qui affluaient detous les pays,
la monnaie légale dont ils avaient besoin, en
échange de l'argent qu'ils apportaient avec eux.
Comment le recueillement eût-il été possible au
milieu de ce tumulte ?
Afin de rétablir la sainteté du lieu et
l'honneur dû à Dieu, le Sauveurfit
un fouet de petites cordes, et les chassa tous du
temple, ainsi que les brebis et les taureaux ; il
répandit la monnaie des changeurs, et renversa leurs
tables.
Une action énergique était nécessaire.
Une simple réprimande, au milieu de ce bruit
scandaleux, n'aurait produit aucun effet. Sans
irritation coupable, avec un calme majestueux, le
Sauveur nettoie le temple et parle à chacun le
langage qui lui convient. Pour les animaux, le fouet
; car ils ne comprennent
pas la voix des étrangers. Pour les
hommes, une réprimande sévère. Il devait surtout
agir clairement et énergiquement vis-à-vis des
changeurs, car il est difficile de les débusquer
d'une place dont ils se sont emparés pour gagner de
l'argent. Quant aux marchands de pigeons, il
suffisait de leur dire :
Ôtez tout cela d'ici, et ne faites pas de la maison
de mon Père une maison de marché.
Dans ce moment où le Sauveur brûlait d'un
saint zèle pour la gloire de son Père, il faut que
sa personne ait été revêtue d'une manière toute
particulière de la splendeur céleste, pour que
chacun lui obéit si promptement. Ce qui pouvait
aussi lui faciliter sa tâche, c'est que la foule
sentait qu'il était dans son droit. De plus, le
témoignage répété que Jean-Baptiste avait rendu au
Seigneur, avait fait naître, parmi le peuple, un
profond respect pour Jésus. Aussi ne lui
résiste-t-on pas ; mais on lui demande un signe par
lequel il puisse prouver qu'il a le droit d'opérer
une pareille réforme. À la vérité, leur coeur, qui
s'inclinait en tremblant et avec une respectueuse
frayeur devant ce personnage majestueux, aurait pu
leur fournir la preuve qu'ils demandaient ; mais ils
ne voulaient pas écouter ce témoignage intérieur.
Voilà pourquoi Jésus leur répondit, comme plus tard,
lorsqu'il leur dit qu'ils n'auraient point d'autre
signe que celui du prophète Jonas :
Abattez ce temple, et je le
relèverai dans trois jours. L'apôtre
ajoute :Mais il parlait du
temple de son corps. Le Sauveur les a
surpris profanant le temple. C'est ainsi qu'ils
l'abattent et le détruisent. Le temple devait être,
en Israël, la demeure spirituelle des croyants, dans
laquelle Dieuvoulait bénir et restaurer son peuple
par sa gracieuse présence. Mais, du moment où le
culte ne consistait plus qu'en pratiques mortes, les
murs de pierres, dans la pensée de Dieu, étaient
prêts pour la destruction. Et lorsque la mesure des
péchés du peuple sera comblée, cette destruction
s'effectuera.
Mais le temple, comme demeure de Dieu,
avait un rapport intime avec le corps de Christ.
Depuis que toute la plénitude de la Divinité
habitait corporellement en lui (Col.
II, 9), le temple avait perdu sa signification.
Ce même sentiment, qui détruisait le
temple, en profanant le sanctuaire extérieur de
Jérusalem, s'est développé au point de détruire, le
temple du corps de Jésus. Lorsque les Juifs, après
avoir cloué leur Roi sur la croix, l'outrageaient en
lui disant :Hé ! toi qui
détruis le temps et le rebâtis en trois jours ! ils
détruisaient leur temple.
Et lorsque, au troisième jour, le temple
du corps du Seigneur sortit du tombeau de Joseph d'Arimathée,
alors, avec lui et en lui, le temple de Jérusalem
fut reconstruit et glorifié. Le Sauveur ne dit pas
:« Je détruirai ce temple » ; mais :« détruisez ce
temple ».Vous êtes déjà à l'oeuvre. Continuez comme
vous avez commencé et vous détruirez le temple ; et
moi, dans trois jours, je le reconstruirai. »
Les faux témoins, devant Caïphe (Marc
XIV, 58), prouvent clairement qu'on n'avait pas
voulu comprendre les paroles du Seigneur quand ou
les appliquait seulement aux murs de pierres.
Les disciples eux-mêmes ne comprirent le
double rapport des paroles de Jésus avec le temple
de son corps qu'après la résurrection.
Alors ils crurent les
Écritures et celle parole qu'il avait dite.
Chemnitz cite cette parole comme modèle à
tous les lecteurs de la Bible :
« il ne faut pas immédiatement
rejeter avec dédain ce qu'on ne comprend pas au
premier coup d'oeil dans les Écritures. Il ne faut
pas non plus se désespérer, lorsqu'on ne parvient
pas immédiatement à pénétrer jusqu'au fond les
mystères de la Parole de Dieu ; car l'Esprit nous
conduit pas à pas à la connaissance de la vérité. »
Les Évangiles nous racontent encore une
deuxième purification du temple, qui eut lieu à la
fin de la carrière de Jésus. La première nous
reporte au feu purificateur du forgeron dont parle
Malachie (Ill,
2), la seconde nous rappelle ce même feu qui
consume. Dans ce laps de trois années « la maison de
marché est devenue une caverne devoleurs ». Les deux
purifications ont entre elles le même rapport que la
Réformation et le Jugement.
Pendant son séjour à Jérusalem, Jésus fit
plusieurs miracles et plusieurs crurent en lui, mais
seulement d'une manière superficielle (v.
23). Ils avaient un coeur de pierre. Ils
reçurent avec joie la Parole, mais ils n'étaient que
pour un temps (Matth.
XIII, 21). Aujourd'hui ils crient « Hosanna !
»demain. « Crucifie ! ».C'est pourquoi
Jésus ne se fiait pas à eux,
parce qu'il les connaissait tous. Il n'avait pas
besoin que personne lui rendît témoignage d'aucun
homme, car il connaissait par lui-même ce qui était
dans l'homme.
Il ne les repousse pas, mais il ne les
traite pas non plus comme s'ils étaient de vrais
disciples. Autrement, il les aurait aidés à se
tromper eux-mêmes. C'était un saint et prévoyant
amour qui empêchait le Sauveur de se fier à eux.
C'est là une indication dont tous les pasteurs et
les éducateurs doivent faire leur profit. Sans
doute, ils ne doivent pas repousser les âmes dans
lesquelles se trouve un attrait pour le Sauveur,
mais en prendre soin. Toutefois les premiers
commencements de la vie chrétienne ne doivent pas
être estimés trop haut. On peut causer un grand
dommage aux âmes, en leur accordant une confiance
prématurée. |