CHAPITRE I
La jeunesse de Jésus jusqu'à la tentation.
11. La jeunesse de Jésus.
Ils
entendent bien mal l'honneur dû à Christ et sont
loin de servir les intérêts de la foi, ceux qui,
pour exalter sa divinité, font abstraction de son
humanité ou la relèguent à l'arrière-plan. Plus nous
prendrons au sérieux ces paroles de saint Paul:
Il s'est anéanti soi-même en prenant la forme de
serviteur et se rendant semblable aux hommes, et
ayant paru comme un simple homme, il s'est abaissé
lui-même, s'étant rendu obéissant jusqu'à la mort et
même jusqu'à la mort de la croix (Philip.
II, 7. 8).. plus clairement et glorieusement
seront élevées sur ce fondement la majesté de sa
divinité et la gloire adorable de son amour. Tout ce
que les Évangiles nous disent de son développement,
est compris dans ces mots:
Il s'en alla avec eux à
Nazareth et il leur était soumis, et il croissait en
sagesse, en stature et en grâce devant Dieu et
devant les hommes (Luc
II, 51. 52). Mais cela nous suffit pour
reconnaître que sa jeunesse, comme son enfance,
s'est développée d'une manière complètement humaine.
Il était soumis à ses parents et dans ses rapports
avec eux, il apprenait à obéir et à servir. Il
aidait sa mère dans les soins multiples de la vie
domestique. Lorsqu'elle l'envoyait puiser de l'eau
ou fendre du bois, il exécutait ce travail comme
s'il n'était venu dans le monde que pour cela. Cette
occupation insignifiante devenait grande par
l'humilité avec laquelle il s'y livrait, lui qui
avait conscience de sa divinité. -
Plus tard, il travailla avec Joseph de son métier de
charpentier. C'est ce que nous apprennent ceux qui
disaient de lui:
N'est-ce pas le charpentier,
le fils de Marie ? (Marc
VI, 3.) Cette activité lui fournissait
l'occasion d'étendre le cercle de ses connaissances
humaines. La recherche des matériaux de construction
le conduisait par monts et par vaux, et lui
facilitait l'étude de la nature. Elle l'initiait,
par exemple, à la connaissance des lois de la
croissance des arbres. L'emploi de ces matériaux
l'amenait à dresser des plans qui exigeaient de la
réflexion et du calcul. Il était obligé de s'exercer
dans l'art de mesurer, de dessiner, de calculer.
Tout cela réclamait la justesse du coup d'œil, la
force au bras, l'adresse de la main, et amenait
souvent la sueur sur son front; cette situation le
plaçait en plein au milieu des affaires et le
mettait en contact avec d'autres ouvriers plus âgés
et plus expérimentés que lui, qui étaient peut-être
durs et grossiers; l'aimable et doux commençant
n'était sans doute pas traité avec beaucoup
d'égards.
Lorsque plus tard, dans le sermon de la montagne, le
Sauveur sait si bien comment je dois me conduire si
l'on me frappe injustement sur une joue, ou si l'on
veut me prendre mon habit, ou si l'on réclame
discrètement de moi de l'argent ou tout autre
service, ces conseils lui étaient inspirés par ses
souvenirs de jeunesse. Et plus d'un adolescent a
fait les mêmes expériences pendant le temps de son
apprentissage. Le style nerveux de Jésus, qui
faisait de ses pensées comme autant de proverbes; ce
langage loyal et bref qu'il adressait à chacun, de
manière qu'on sût immédiatement où l'on en était
avec lui, tout cela était né et s'était développé
dans la rude atmosphère d'une jeunesse passée dans
le commerce des hommes et dans un travail pénible et
assidu.
Le métier de charpentier est certainement un de ceux
qui initient le plus profondément un homme à la vie
des familles pour lesquelles il travaille. Quel
événement et quel moment critique dans l'histoire
d'une famille que la construction d'une maison ! Que
de choses dépendent de sa commodité et de sa
solidité ! - Quel champ favorable à la manifestation
de l'amour du prochain ! - Il s'agit, même dans les
constructions les plus simples, de se préoccuper
aussi bien du bien-être de la famille que des moyens
dont elle dispose. Il faut avertir celui qui
voudrait économiser sur les fondements, du danger
auquel il s'expose (Matth.
VII, 26); conseiller à celui dont les plans le
mèneraient trop loin, de s'asseoir d'abord et de
calculer la dépense (Luc
XIV, 28), d'autant plus que, par suite du taux
élevé de l'argent fourni par l'usurier et de la
sévérité des lois sur les dettes, il pourrait
arriver à celui qui ne peut pas payer, d'être vendu
par son créancier, lui et tout ce qui lui appartient
(Matth.
XVIII, 25).
Grâce à la justesse de son coup d'œil, et au don
qu'il possède d'observer avec intelligence, Jésus
sait sonder les secrets de la nature aussi bien que
la vie du peuple. Par ses enseignements ultérieurs,
nous voyons comment il considère la création: elle
lui apparaît comme la propriété de son Père, et il y
lit comme dans un livre ouvert. Mais ce qu'il trouve
dans ce livre, ce n'est pas ce qu'on appelle les
lois immuables de la nature; ce sont les pensées
de Dieu, qui se manifestent à tous les degrés de la
création, depuis l'échelon le plus infime de
l'existence jusqu'aux dernières hauteurs du monde
des esprits; mais de manière cependant que le degré
le plus élevé se reflète dans le plus bas et que le
monde visible tout entier soit la représentation du
monde invisible.
Jésus n'avait pas joui d'une culture savante.
Lorsque plus tard il enseigna dans la synagogue de
Nazareth, ses compatriotes se demandent d'où
viennent à cet homme cette sagesse et ces miracles (Matth.
XIII, 54). Et lorsqu'il enseigne dans le temple,
pendant les fêtes, les Juifs disent avec étonnement:
Comment cet homme sait-il les Écritures, ne les
ayant point apprises ? (Jean
VII, 15)
En
effet, Jésus ne prétend pas avoir appris les
Écritures dans quelque école savante. Il a reçu sa
doctrine directement de son Père (v.
16). Les Écritures de l'Ancien Testament étaient
la nourriture de son âme. Ce livre renferme les
révélations de Dieu à son peuple, et montre
l'histoire de ce peuple dans les dispensations
divines dont il a été l'objet. Ainsi Jésus n'était
pas seulement initié au passé et aux espérances de
son peuple, mais encore aux conseils de Dieu pour le
salut de son peuple élu,
et aux traces de l'amour éternel, gravées dans
l'histoire de ce peuple.
Chaque Israélite était tenu de lire les Écritures et
de se familiariser avec elles. Mais, pour le
Sauveur, ces Écritures avaient encore une autre
signification. Il était lui-même le contenu
et le but de tout l'Ancien Testament, et ce livre
était pour lui comme une lettre qu'il devait trouver
sur la terre après son incarnation.
Vu la grande importance que Dieu attache au sabbat
dans l'Ancien Testament, nous pouvons admettre, sans
autre preuve, que ce jour avait la même
signification pour Jésus. Aussi lisons-nous (Luc
IV, 16) qu'il avait l'habitude de se rendre à la
synagogue le jour du sabbat.
La conscience de sa mission messianique se
développait aussi en lui. Nous pouvons bien admettre
sans doute que Marie lui avait dit qu'il était
appelé à délivrer son
peuple de ses péchés (Matth.
I, 21), et que Dieu lui donnerait le trône de
David son père. Ainsi le pressentiment du grand
avenir qui lui était réservé occupait son esprit, et
son amour pour les hommes le portait certainement à
prier sans cesse en vue de cet objet. Mais son
esprit n'était pas encore rempli de ces pensées
d'avenir. Il jugeait avec une sincère humilité que
sa vocation actuelle était d'être soumis à ses
parents comme un simple ouvrier charpentier. C'est
ainsi qu'il attendait péniblement chaque jour ce que
le lendemain lui apporterait. Et il grandissait au
milieu des diverses occupations de la vie, comme un
jeune homme que tout le monde aimait à cause de son
caractère doux et aimable, et qui était toujours
heureux de rendre service à ceux qui l'entouraient;
bien connu quant à sa personne et cependant inconnu
et caché aux yeux des hommes quant à son essence
intime.
Le Fils unique était
l'enveloppe visible du Père
qui habitait en Lui. La douce béatitude
de cette communion avec le Père; la paix profonde
dont il jouissait, lui paraissaient tellement
naturelles, qu'il avait sûrement la conviction
qu'elles devaient être le partage de tous ses
semblables, et qu'elles étaient la vraie destination
de l'homme.
Quelle douleur
ne devait-il pas éprouver lorsqu'il en voyait qui
étaient privés de cette douce paix avec Dieu !
Quelle douleur surtout, lorsqu'enfin il dut
reconnaître qu'il était seul à la posséder !
Là où il
constatait cet éloignement de Dieu, il se trouvait
sans doute comme en présence d'une indéchiffrable
énigme. Quant à lui, le péché lui était inconnu (2
Cor. V, 21), mais il souffrait d'en subir
l'influence. Il est dit de Loth: qu'il
était journellement affligé de la conduite infâme
des abominables habitants de Sodome (2
Pierre II, 8. 9); et cependant le péché ne lui
était pas étranger. Il en était lui-même infecté
intérieurement.
Quel tourment, quelle affreuse oppression devait
donc éprouver l'âme immaculée du Sauveur, lorsqu'il
était obligé de voir et d'entendre les
manifestations du péché ! Dans son amour pour les
hommes, il ne sentait pas seulement l'amertume dont
leur manque de paix avec Dieu remplissait leurs
cœurs; mais il prenait l'amertume de leurs cœurs
mauvais dans son propre cœur.
Cet amour du Sauveur pour les pécheurs, il est
impossible de le dépeindre clairement. Saint Paul le
fait en ces termes: Il a été fait péché,
quoiqu'il n'eût lui-même aucune connaissance du
péché. Ces paroles ouvrent devant nous l'abîme de
l'amour de notre Sauveur, chargé de cet immense
fardeau; il se tenait continuellement au pied du
trône de la grâce et répandait son cœur dans une
ardente intercession devant son Père. Il
s'accoutumait à se sentir coupable des péchés des
hommes. Ce n'est pas seulement en Gethsémané et à
Golgotha qu'il a été fait péché pour nous; il l'a
été toute sa vie, depuis le premier moment où il a
eu conscience de lui-même. Dans la mesure où il
expérimente qu'il est dans le Père et que le Père
est en lui; dans la mesure où l'affreux abîme qui
sépare l'homme de Dieu s'ouvre devant lui; dans la
mesure où son cœur se remplit du désir de sauver les
pécheurs et de les combler de sa paix; dans la même
mesure se développe aussi en lui la conscience qu'il
est « l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (Jean
I. 29).
.
12.
Jean-Baptiste.
La
quinzième année du règne de Tibère, Anne et Caïphe
étant souverains sacrificateurs, la parole de Dieu
fut adressée à Jean dans le désert, et il vint dans
tout le pays qui est aux environs du Jourdain
prêchant le baptême de repentance pour la rémission
des péchés (Luc
III, 23). Zacharie son père avait été averti par
un ange que cet enfant serait grand devant le
Seigneur, qu'il ne boirait ni vin ni cervoise, et
qu'il serait rempli du Saint-Esprit dès le sein de
sa mère (Puisque son père
était sacrificateur, il hérita cette charge de droit
qui lui était octroyé selon la loi. Son ministère
était vraiment celui d'un sacrificateur, à
l'exception qu'il l'exerça en dehors des liens du
Temple, indiquant par cela le début d'une nouvelle
ère, une ère de liberté en la venu du Messie dont il
était le précurseur). Il devait convertir
les enfants d'Israël au Seigneur leur Dieu; il
devait marcher dans l'esprit et la vertu d'Élie. De
bonne heure on disait de lui: Il est puissant en
esprit. Son cœur était ouvert à l'action de
l'Esprit saint. Dès sa jeunesse, il s'était préparé
à sa mission par l'abstinence et la solitude. Le
désert lui fournissait les aliments nécessaires à sa
subsistance; ils se composaient de sauterelles et de
miel sauvage. Un manteau de poil de chameau lui
servait de vêtement, de chemise et de couverture.
C'est ainsi qu'il tenait sa nourriture directement
de la main de Dieu, et elle lui suffisait. Dans ces
conditions, il était complètement libre et
indépendant des hommes. Cette indépendance d'une
part, et de l'autre la fermeté avec laquelle il
était fondé dans la Parole de Dieu, lui donnaient
une puissance extraordinaire sur les esprits.
Il sait qu'il est le précurseur du Sauveur, et il se
reconnaît comme étant celui dont Esaïe a parlé en
disant: « La voix de celui qui crie au désert est:
préparez le chemin de l'Éternel, dressez dans la
solitude les sentiers de notre Dieu » (Ésaïe
XL, 3); comme celui dont Dieu a dit par la
bouche de Malachie, le dernier des prophètes:
Voici, je vais envoyer mon ange et il préparera le
chemin devant moi, et aussitôt le Seigneur que vous
cherchez et l'ange de l'alliance que vous attendez
entrera dans son temple (Malachie
III, 1).
Il faut aussi remarquer que Malachie dépeint le jour
de l'apparition de Christ comme un jour de jugement,
qui sera comme le feu du fondeur: Le Seigneur sera
assis comme celui qui affine et purifie l'argent.
Le jour du Seigneur vient embrasé comme une
fournaise, et tous les orgueilleux et tous eux qui
font la méchanceté seront comme du chaume
(Mal.
IV, 1).
Mais
Jean-Baptiste sait aussi que l'Éternel veut être la
consolation d'Israël et qu'il a dit:
Consolez, consolez mon peuple, parlez à Jérusalem
selon son cœur et dites-lui que son temps marqué est
accompli, que son iniquité est acquittée, qu'elle a
reçu au double, de la part de l'Éternel, la peine de
tous ses péchés (Ésaïe
XL, 1. 2). Ainsi parle Jean-Baptiste; mais il
subordonne le pardon des péchés à la repentance; à
ceux qui ne se repentent pas, il dénonce le
jugement. Ce jugement, il le regarde comme décisif,
lorsqu'il parle de la
cognée qui est déjà mise à la racine de l'arbre; du
van que le Seigneur a dans sa main et avec lequel il
nettoiera parfaitement son aire, amassera son
froment dans les greniers; mais brûlera la balle au
feu qui ne s'éteint point (Matth.
III, 12).
Lorsque Jean reconnaît Jésus comme juge du monde, il
ne se trompe pas, car il est réellement le juge des
vivants et des morts. Il ne se trompe pas davantage,
lorsqu'il dit que le jugement a commencé avec la
venue de Christ, puisque c'est ici le jugement, que
la lumière est venue dans le monde, mais les hommes
ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce
que leurs œuvres étaient mauvaises (Jean
III, 19). Mais s'il croyait que ce jugement
intérieur devait se manifester immédiatement comme
rémunération finale, on
serait porté à penser qu'il se trompait,
en ce sens qu'il semblait
tenir ses regards trop exclusivement
fixés sur la fin, et négligeait les événements qui
devaient la préparer. Mais
loin de se tromper dans ses expectations, le
jugement de Dieu tomba sur Jérusalem environs 40
années après la mort de Christ. En effet, en l'an
70, l'armée romaine environna la ville sainte et la
détruisit au complet avec tous ses habitants.
Mais
c'est précisément parce qu'il regardait le jugement
final
de Jérusalem et conséquemment
de la nation d'Israël comme devant avoir
lieu immédiatement, que sa prédication était si
sérieuse et si puissante. Que ses saisissantes
exhortations à la repentance aient été si bien
accueillies, que le peuple en foule affluât au
désert, cela s'explique par le fait que le sévère
prédicateur de la repentance était aussi un fidèle
et doux pasteur des âmes, qui savait entrer avec
amour dans les circonstances personnelles et dans
les dispositions du cœur de chacun. Le pardon des
péchés était le but auquel il voulait conduire les
âmes. C'est comme un miracle à nos yeux, lorsque
nous voyons ces foules accourir avec un tel
empressement sur les bords du Jourdain, pour se
faire tancer par ce rude prédicateur de la
repentance, et pour confesser leurs péchés.
Quelle peine l'homme ne se donne-t-il pas, en
général, pour cacher ses péchés et pour les excuser
lorsqu'ils viennent au jour ! Mais ces deux mots:
Pardon des péchés et Pasteur des âmes,
donnent le mot de l'énigme.
Si
seulement une âme ou quelques âmes, attirées par la
manifestation de la bonté et de l'amour de Dieu (Tite
III, 4), se décidaient courageusement à
confesser leurs péchés au prédicateur de la
repentance, et, lavées dans l'eau du baptême pour la
rémission des péchés
d'après les rituels de purification de la loi,
obtenaient une bienheureuse paix; si ensuite cette
âme disait à une autre comment Jean-Baptiste
s'entend à enlever du cœur le fardeau du péché, on
comprend comment tous accouraient à lui et nul ne
restait en arrière.
Un grand
nombre de ceux qui voient clairement aujourd'hui les
plaies de l'Église, désirent ardemment une nouvelle
effusion du Saint-Esprit. Un tel événement ne nous
est pas promis; nous n'avons donc pas à l'attendre.
Le Saint-Esprit habite déjà dans l'Église de Christ,
et il se communique par
l'application consciencieuse
de la grâce dans
la confiance certaine en Celui qui les sauve.
Par conséquence, quel fardeau pourrait être enlevé
du cœur des chrétiens évangéliques, quelle
consolation dans les troubles de la conscience,
quelle force dans les combats journaliers de la
sanctification, quelle sainte joie ils éprouveraient
sous la croix, si, en toute liberté, ils
confessaient leurs péchés et recevaient l'assurance
du pardon !
Il est vrai qu'il ne suffit pas que les âmes
altérées de salut cherchent sérieusement à faire
leur paix avec Dieu, il faut encore des
serviteurs
remplis du Saint-Esprit qui sentent eux-mêmes
profondément leurs péchés, et qui en cherchent
chaque jour et en obtiennent abondamment le pardon
en regardant toujours derrière eux à la croix,
des
serviteurs
expérimentés dans les voies de Dieu, et animés, de
cette charité qui supporte tout, qui croit tout, qui
espère tout (I
Cor. XIII, 7) dans
l'amour de la vérité.
Si nous avions le courage de confesser nos péchés,
nous ferions aussi l'expérience du soulagement
qu'éprouverait notre cœur, et de la confiance
enfantine avec laquelle il pourrait respirer et
prier (Nous n'avons pas à
confesser nos péchés aux hommes mais à Dieu.).
D'un autre côté, Jean-Baptiste reprenait sans
ménagement, avec franchise et hardiesse, tous ceux
qui refusaient de se convertir et de confesser leurs
péchés. Race de vipères ! disait-il aux
pharisiens et aux sadducéens qui croyaient n'avoir
pas besoin de repentance.
Lorsque Jean-Baptiste exhortait ceux qu'il
baptisait, à marcher dans la crainte et l'amour de
Dieu, par exemple lorsqu'il disait aux péagers: «
Soyez honnêtes », aux soldats:« Soyez débonnaires »,
et à tous: « Ayez pitié de vos frères nécessiteux »,
cela ne signifiait pas qu'ils dussent en quelque
sorte acheter le pardon de leurs péchés par un
supplément de bonnes œuvres, mais montrer leur
repentance par une nouvelle vie, une conduite
conforme à la volonté de Dieu est un fruit
convenable à la repentance (Matth.
III, 8) (Il faut se
garder ici de tomber dans le piège des piétistes qui
s'imaginent que sans «une conduite conforme à la
volonté de Dieu» il n'y a pas de conversion réelle,
car ces imposteurs cherchent à dominer sur la foi
des autres avec la notions qu'ils ont sur quoi est
la volonté de Dieu.).
La paix avec
Dieu n'est pas le résultat de la sanctification;
mais elle est conservée par elle, tandis qu'elle est
détruite par le relâchement,
mais elle est rétablie par la repentance, et Dieu
est fidèle pour nous restaurer et nous préserver.
Dans sa
prédication, Jean-Baptiste insistait sur la
nécessité d'aller à Jésus. Au sein de cet immense
mouvement des esprits, il arrivait ce qui a lieu
souvent. Ceux qui étaient profondément saisis
intérieurement, entraînaient les autres. Car un
grand nombre les suivaient sans avoir été réellement
touchés, et jugeaient sur« ouï-dire ». Mais bientôt
cet enthousiasme général se refroidit. On peut s'en
convaincre par cette parole du Sauveur:
Jean était une chandelle allumée et brillante, et
vous avez voulu pour un peu de temps vous réjouir à,
sa lumière. (Jean
V, 35).
Cependant lorsque
l'engouement produit par Jean-Baptiste s'est calmé,
il resta dans le peuple un saint respect pour cet
homme puissant; le sentiment qu'un prophète de Dieu
s'était levé parmi eux. C'est, ce que savaient aussi
les souverains sacrificateurs et les scribes. C'est
pourquoi ils n'osaient pas dire que le baptême de
Jean venait des hommes.
.
13. Le baptême de
Jésus.
Parmi
ceux qui venaient à Jean pour être baptisés, se
présenta aussi un simple ouvrier, qui lui était
inconnu, mais dont la personnalité fit sur lui une
profonde impression. Car Jean-Baptiste était doué
comme peu d'hommes du discernement des esprits.
Jésus, lui aussi, demanda le baptême, mais comme les
motifs de cette demande durent singulièrement
résonner aux oreilles d'un prédicateur aussi
expérimenté que Jean-Baptiste !
Zundel décrit cette scène d'une manière extrêmement
vivante. « Nul n'était venu demander le baptême sous
l'impression d'une pareille douleur. Nous sommes
tombés si bas ! disait cet ouvrier; nous nous sommes
égarés si loin de la bonne voie; nous nous sommes si
complètement détournés du chemin de la vie et de la
volonté du Père céleste ! - Qui ? Nous tous, c'est
là le fardeau qui pèse sur le monde entier. - Sans
doute, mais toi ? dût demander Jean au regard
expérimenté et pur duquel brillaient certainement la
pureté et l'innocence de Jésus. Toi aussi ?
Avec quelle stupeur, à la pensée de la simple
possibilité qu'il pouvait avoir lui-même besoin de
ce baptême, Jésus dut lui répondre: « Qu'il ne soit
pas question de moi, je viens à ton baptême pour
tous ! Nous sommes tous perdus. Je demande les
consolations divines pour
tout mon peuple
». C'est ainsi que Jésus se présente à Jean, accablé
de honte et de douleur à cause des péchés des
hommes, mais au travers de cette douleur
apparaissent une pureté enfantine, une mâle
décision, une sainte assurance, comme Jean-Baptiste
n'en avait jamais vu. Il dut alors lui dire: « Qui
es-tu ? Comment t'appelles-tu ? » Et une révélation
subite lui fit connaître Celui qu'il avait devant
lui.
Cependant il ne le connaissait encore
qu'extérieurement, et seulement pour l'avoir
contemplé. Il n'avait pas encore été témoin de
l'événement destiné à légitimer Jésus, car Dieu lui
avait dit: Celui sur lequel tu verras l'Esprit
descendre et s'arrêter, c'est Lui qui baptise du
Saint-Esprit (Jean
I, 33). Mais cette divine confirmation lui fut
accordée après le baptême de Jésus.
On a trouvé étrange que Jean ne dût pas connaître
Jésus avant de le baptiser, attendu que leurs mères
s'étaient bien connues. En parlant ainsi, on oublie
que, si même Jean avait appris comment Jésus avait
échappé au massacre des enfants de Bethléem, il
avait difficilement pu être en rapport avec lui plus
tard, d'autant plus que lui-même s'était retiré de
bonne heure dans le désert.
Jean refuse d'abord de baptiser Jésus.
C'est moi, lui
dit-il, qui ai besoin
d'être baptisé par toi et tu viens à moi !
Mais Jésus répondant, lui dit:
Ne t'y oppose pas pour le
moment; car c'est ainsi qu'il nous faut accomplir
tout ce qui est juste (Matth.
III, 14. 15).
Le
baptême de Jean était une ordonnance divine, qui
appartenait à l'avènement du règne de Dieu sur la
terre; le Sauveur s'y soumit parce qu'il se mettait
à la place des pécheurs.
Lorsque Jésus sortit de l'eau,
le ciel s'ouvrit sur lui,
et Jean vit l'Esprit de Dieu
descendant comme une colombe et venant sur lui. En
même temps une voix vint des cieux qui dit : C'est
ici mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon
affection(Matth.
III, 16. 17).
Pour le Sauveur, qui est dans le sein du Père, sur
lequel les anges de Dieu montent et descendent (Jean
I, 51), qui a sa demeure dans le monde
invisible, il n'y a rien d'extraordinaire à ce que
le ciel s'ouvre sur lui. Partout où il est, c'est la
porte du ciel qui ne s'ouvre pour nous pécheurs que
s'il nous est donné, comme au serviteur d'Elie (2
Rois VI, 17), de jeter un regard derrière le
voile.
Quant à Jean, il contemple maintenant avec une
sainte joie la réalisation des promesses divines.
La descente du Saint-Esprit sur Jésus ne doit pas
être comprise comme s'il en avait été privé
jusqu'alors. Il avait été conçu du Saint-Esprit ;
depuis son enfance, il vivait et se fortifiait sous
son influence. Toute sa vie précédente avait été
pénétrée du Saint-Esprit, qui le maintenait dans une
communion d'amour avec le Père. Mais maintenant, cet
Esprit lui est donné sans mesure, et ainsi il se
trouve consacré pour sa mission messianique. Par la
voix qui vient du ciel, Dieu déclare, ce dont avait
déjà témoigné le fait de la communication du
Saint-Esprit, que Jésus est le Fils de Dieu fait
homme. Le Sauveur s'est présenté au baptême sous le
fardeau des péchés du monde, et il a demandé grâce
pour lui.
Maintenant, au début de la carrière dans laquelle il
s'engage pour les pécheurs, le Père lui donne cette
assurance :
C'est ici mon Fils
bien-aimé en qui j'ai mis, toute mon affection.
.
14. La tentation
de Jésus.
Alors
Jésus fut emmené par l'Esprit dans le désert pour y
être tenté par le diable (Matth. IV, 1). Quelle
peine l'incrédulité ne s'est-elle pas donnée, et
quelle sagacité n'a-t-elle pas déployée pour prouver
que le diable n'existe pas ! Nous lui serions
profondément reconnaissants, si elle parvenait à le
chasser du monde. Malheureusement, le diable est
loin de s'opposer à ce que l'incrédulité établisse
cette preuve ; il ne demanderait pas mieux que de
voir les gens refuser de croire à son existence. Il
fera même tous ses efforts pour les confirmer dans
cette illusion. Demandez à un voleur ou à ses
compagnons, s'il est nécessaire de fermer les portes
des magasins pendant la nuit ou d'établir des
gardes. Vous pouvez être sûrs qu'il vous répondra
que toutes ces précautions sont inutiles, attendu
qu'il n'y a dans le monde que d'honnêtes gens. Quand
un homme fort et bien armé garde l'entrée de sa
maison, tout ce qu'il a est en sûreté (Luc
XI, 21).
Que Jésus ait été tenté par le diable, cela n'est
pas arrivé par hasard. Il a été conduit par l'Esprit
de Dieu dans le désert afin d'y être tenté par le
diable.
Du moment que le Sauveur était vraiment homme, il
fallait qu'il fût tenté, afin que sa pureté et son
innocence natives devinssent une obéissance libre et
volontaire. Cette tentation de Jésus correspond à la
tentation du jardin d'Eden. Si nos premiers parents
avaient supporté l'épreuve, et que toute l'humanité
se fût développée sans péché, conformément à la
volonté de Dieu, la tentation du Sauveur, et en
général l'incarnation du Fils de Dieu, n'eussent
point été nécessaires. Mais quoiqu'il fût
complètement pur de tout péché, dès qu'il se
constituait Sauveur des pécheurs, il fallait qu'il
fût pour ainsi dire officiellement consacré pour la
mission publique dont il s'était chargé. Ce qui a
été perdu au commencement par le péché du premier
Adam, devait être surabondamment réparé par le
second Adam. Si le premier a succombé à la
tentation, le second l'a d'autant plus complètement
vaincue dans toutes ses manifestations.
Le Sauveur se prépare intérieurement, dans le
silence et la solitude, à la grande oeuvre dont il
s'est chargé. Son dévouement à Dieu et à l'oeuvre
qu'il se propose d'accomplir est si complet, sa
préoccupation relative à cet objet est si intense
qu'il oublie les besoins du corps.
Après quarante jours cependant, ces besoins
réclament leurs droits. C'est à cette circonstance
que Satan rattache sa tentation.
Si lu es le Fils de Dieu,
lui dit-il, dis que ces
pierres deviennent des pains(Matth.
IV, 3).
Être Fils de Dieu et avoir faim ! deux choses
incompatibles ! Use donc de ta puissance divine pour
apaiser ta faim.
Celui qui a changé l'eau en vin ; celui qui a
rassasié dans le désert des milliers d'hommes avec
quelques pains, pouvait sans doute changer des
pierres en pains, mais s'il avait fait usage de ce
pouvoir, il se serait procuré lui-même ce
soulagement. C'eût été un acte d'incrédulité et de
désobéissance par lequel il se serait soustrait
volontairement à la direction de Dieu, qui l'avait
conduit au désert pour le faire jeûner. C'eût été un
acte d'impatience par lequel il se serait approprié
prématurément ce que Dieu voulait lui accorder par
le ministère des anges, lorsque son heure serait
venue.
Ainsi sa position personnelle vis-à-vis de Dieu,
aussi bien que sa mission de Sauveur, lui imposait
l'obligation de repousser la diabolique insinuation.
Il est venu, non pour se faire servir, mais pour
servir ; non pour jouir, mais pour rendre le salut
et la vie à l'humanité. Il est écrit :L'homme
ne vivra pas de pain seulement mais de toute parole
qui sort de la bouche de Dieu(Matth.
IV, 4). Par ces paroles, Jésus a vaincu la
tentation à la convoitise de la chair (1
Jean Il, 16), et cela non seulement pour sa
personne, mais aussi pour sa mission. Il ne veut pas
satisfaire ses besoins corporels en temps
inopportun.
Il sait que c'est la parole de Dieu qui donne au
pain sa vertu nutritive, et peut par conséquent
conserver la vie sans le secours du pain ni d'aucun
aliment. Il ne veut pas non plus laisser croire que
sa mission consiste à donner le pain matériel, ou à
procurer à ses adhérents des commodités et des
jouissances terrestres ; mais étant lui-même le pain
vivant qui est descendu du ciel, il veut donner la
vie au monde en se donnant, lui-même comme
nourriture des âmes (Jean
VI, 51).
Alors le diable le mena
dans la ville sainte, le mit sur le haut du temple
et il lui dit : Si lu es le Fils de Dieu, jette-toi
en bas, car il est écrit qu'il ordonnera à ses anges
de le porter dans leurs mains, de peur que ton pied
ne heurte contre quelque pierre(Matth.
IV, 6).
On s'est étonné que le Sauveur ait permis à Satan
d'exercer une telle puissance sur lui, au point de
le conduire partout où bon lui semblait. Mais il ne
faut pas oublier que Jésus avait été conduit au
désert par la volonté de Dieu, et devait être
abandonné, pendant tout le temps qu'il y passerait,
entre les mains de Satan. Plus tard, lorsque le
Sauveur dit : Le prince de
ce monde vient, mais il n'a rien en moi(Jean
XIV, 30), il ne s'est pas seulement laissé
conduire çà et là par lui, mais il s'est encore
laissé crucifier.
Satan veut que le Sauveur fasse une action
extraordinaire. Il doit se précipiter du haut du
temple pour être porté par les anges de Dieu aux
yeux du peuple stupéfait. De cette manière il se
créera tout, d'un coup, avec le moins de peine
possible, une immense popularité et se légitimera
comme Messie. Cette fois, le diable procède avec
plus de prudence. Il voit que le Sauveur est
profondément versé dans les Écritures, et qu'il se
sent étroitement lié par la Parole de Dieu. Il pense
pouvoir user du même moyen ; et, mutilant la
promesse contenue dans lePsaume
XCI, 11, 12, il passe sous silence les mots duv.
11: afin, qu'ils le
gardent dans toutes les voies.
En effet, il aurait difficilement persuadé le
Sauveur que sa voie était de se précipiter du haut
du temple. Jésus lui répondit : Il est aussi écrit :
Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu. Ici,
Jésus vainc la tentation de la convoitise des yeux.
Il ne cherche pas sa propre gloire ; il n'a aucun
désir d'exciter l'étonnement et l'admiration de la
foule. Il veut bien conduire les pécheurs à la
gloire et poser sur leur tête une couronne
d'honneur. Cette couronne, il ne nous la procure pas
en s'élevant lui-même ; mais en s'exposant à
l'opprobre et en devenant, pour le peuple, un objet
de mépris et de raillerie. Il a supporté l'affront
que Pilate lui a infligé enl'exposant publiquement
avec la couronne d'épines et en disant :Voilà
l'homme(Jean
XIX, 5).
Enfin, Satan continue ses attaques sans prendre les
moindres précautions pour cacher son dessein. Il dit
à Jésus :Je le donnerai
tous les royaumes du monde et leur gloire si, en te
prosternant devant moi, tu m'adores(Matth.
IV, 8, 9).
Domination, éclat et gloire terrestres, richesse et
puissance royales, en un mot un règne brillant
embrassant le monde entier : voilà ce que Satan
offre au Sauveur, à la condition qu'il se prosterne
devant lui, c'est-à-dire qu'il rompe complètement
avec Dieu. Cette tentation à l'orgueil de la vie, le
Sauveur la vainc par cette parole :
Tu adoreras le Seigneur ton
Dieu, et lit le serviras lui seul(Matth.
IV, 10).
Il est doux et humble de coeur, et ne craint pas de
laver les pieds de ses disciples ; il s'est fait
pauvre Pour nous, afin que par sa pauvreté nous
fussions rendus riches (2
Cor. VIII, 9). Il est roi sans doute, un roi
dont la domination doit s'étendre à tous les peuples
de la terre ; mais son royaume n'est pas de ce
monde. Il ne fonde pas son règne en faisant des
guerres sanglantes, mais en répandant son propre
sang pour la rémission des péchés.
Le Sauveur a vaincu ; il reste dans le sein du Père.
Il dédaigne, pour remplir sa mission, le bien-être
charnel, et choisit la voie du renoncement. Il
dédaigne le chemin d'un vain faste et des honneurs
humains, et choisit la voie de l'abaissement et de
l'opprobre. Il dédaigne le chemin d'une domination
mondaine et d'une puissance orgueilleuse, et choisit
la voie de l'humilité et de la souffrance. En un
mot, il est décidé à se tenir fermement dans le sein
du Père, jusqu'à souffrir la mort de la croix. Telle
est la manière dont le Seigneur est fermement résolu
de débuter publiquement dans sa mission rédemptrice.Alors
le diable le laissa, et les anges vinrent et le
servirent(Matth.
IV, 11).
Après la tentation, vint un temps de
rafraîchissement. Dans le paradis, Adam tombe et le
paradis devient un désert ; dans le désert Jésus
triomphe et le désert devient un paradis. Lorsque
saint Luc dit que le diable laissa Jésus pour un
temps, il fait sans doute allusion à la Passion,
dont Jésus dit : Le prince
de ce monde vient.
Tandis que chacun est
tenté lorsqu'il est attiré et
amorcé par sa propre convoitise(Jacq.
I, 14), pour le Sauveur, la tentation vient
exclusivement du dehors et est immédiatement
surmontée. Si la tentation à la convoitise de la
chair, à la convoitise des yeux et à l'orgueil de la
vie était née dans son propre coeur, il aurait été
souillé par ces convoitises et lui aussi aurait pu
s'appliquer ces paroles :
Personne ne pourra en aucune manière racheter son
frère.(Ps.
XLIX, 8). |