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missions n'est au fond qu'un produit artificiel de
serre chaude, qui porte en lui-même un germe
de mort. Car, en dépit de tout ce dressage, le
Guarani est resté au fond ce qu'il était: un
sauvage paresseux, borné, sensuel, goulu et
sordide. Il ne travaille, comme les Pères eux-
mêmes l'affirment, qu'autant qu'il sent derrière
lui l'aiguillon du surveillant. Dès qu'on
l'abandonne à lui-même, il laisse avec
indifférence les moissons pourrir sur le champ,
le matériel se dégrader, les troupeaux se
disperser; il lui arrive même, si on ne le surveille
pas quand il est aux champs, de dételer tout à
coup un bœuf pour l'égorger, de faire du feu
avec le bois de la charrue, et de se mettre à
manger avec ses compagnons de la viande à
moitié crue, jusqu'à ce, qu'il n'en reste plus; car
il sait bien qu'il recevra pour sa peine 25 coups
de fouet, mais il sait aussi que les bons Pères ne
le laisseraient dans aucun cas mourir de
faim.»(9)